Déclaration de M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur la valorisation des terroirs par la politique des appellations d'origine et la question de la sécurité alimentaire, Lafare les Oliviers le 26 juin 2008.

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Circonstance : Forum Planète Terroirs - Dentelles de Montmirail 2008, à Lafare les Oliviers (Bouches du Rhône), les 26 et 27 juin 2008

Texte intégral

Bonjour à tous. Je suis très heureux de vous avoir rejoints. Je crois que 15 pays sont aujourd'hui représentés (Europe, Amérique latine, Afrique, Asie), ce qui doit être salué. Une délégation russe, que je salue également, est aussi présente. Je salue chacune et chacun d'entre vous, qui êtes venus de loin pour partager des idées et des ambitions et pour construire un projet commun, reposant sur des idéaux communs. Merci à Dominique Chardon de provoquer le cadre d'une telle mutualisation. Je salue aussi tous les élus qui sont ici présents. Pendant les 17 ans où j'ai présidé un conseil général, j'ai été très proche des hommes et des femmes de terrain, qui m'ont beaucoup appris.
Plutôt que de lire le discours qui m'a été préparé, je vais plutôt vous dire ce que je ressens, et pourquoi je me sens bien parmi vous. J'ai trouvé très symbolique qu'André Valadier et Salvatore Arico se soient exprimés l'un après l'autre. Cela m'a fait penser à une phrase, figurant en première page d'un grand rapport des Nations Unies, réalisé par l'ancienne Premier Ministre de Norvège pour préparer le premier sommet de Rio de 1992 : « Penser globalement, agir localement ». Entre la voix de l'UNESCO et celle d'André Valadier, homme d'un local rayonnant, cette phrase prend tout son sens.
J'ai été très impressionné par les lectures du terroir, réalisées avec compétence, simplicité et conviction par trois experts qui ont évoqué les temporalités des Dentelles de Montmirail. Je suis moi-même le militant d'une écologie humaniste et concrète, et notamment des parcs naturels régionaux. Je vais d'ailleurs inviter les 27 Ministres européens de l'Agriculture et de la Pêche en Haute-Savoie pour qu'ils visitent le parc naturel régional des Bauges.
Lorsque que je présidais la Savoie, nous avions organisé une exposition intitulée « Pays, paysans, paysages ». En tant que Ministre de l'Agriculture, je pense que les pays doivent réellement vivre et ne pas se fermer. Il faut aussi saluer l'action des paysans sur le paysage. Je salue à nouveau Dominique Chardon et son équipe, qui prônent une agriculture humaniste.
Ce Forum a la volonté de montrer la diversité des agricultures. Je me sens pleinement le Ministre des agricultures et des terroirs, qui ne signifient pas le repli. Je pense que le mot terroir est au contraire un mot moderne, une idée neuve. L'agriculture est aussi une activité stratégique. Comme le disait l'écrivain mexicain Octavio Paz, « toute culture naît du mélange, de la rencontre, des chocs. A l'inverse, c'est de l'isolement que meurent les civilisations ». Nous ne voulons pas que notre civilisation meure, même si d'autres apparaissent ou renaissent, en Afrique, en Asie. C'est en effet de la rencontre entre les civilisations, les cultures et les agricultures que sera fait l'avenir.
Comme homme politique, je ne me bats pas d'abord ou seulement pour une économie, mais je me bats pour un projet de société. Vos combats et vos valeurs participent selon moi à la construction de ce projet de société, au-delà d'une seule économie. Bien sûr, nous ne sommes pas naïfs et savons qu'il convient d'être compétitifs et de vendre avec les moyens d'aujourd'hui. Je pense que nous aurons plus de chance d'y parvenir en conservant notre âme et en préservant les différentes identités. Au niveau de Terroirs & Cultures, vous vivez avec notre temps, tout en gardant votre âme. C'est pour cette raison que je me sens bien parmi vous.
Cette rencontre m'appelle à souligner quelques éléments, comme une identité dans la diversité, une mémoire préservée, des paysages entretenus, des savoir-faire portés par les terroirs, avec des produits de qualité, souvent uniques, géographiquement et culturellement inscrits, et des cultures alimentaires, y compris celle du vin. En matière de vin, je suis pour une consommation responsable et raisonnée et pense que le vin fait partie de nos traditions. Je me rapprocherai en la matière de Madame Bachelot. Il convient aussi de vivre avec son temps, tout en gardant son âme. Le temps d'aujourd'hui est certes celui d'Internet et de la mondialisation, mais il n'interdit pas de préserver les cultures alimentaires originales et multiples.
Je veux promouvoir la reconnaissance des signes de qualité et valoriser les terroirs d'origine. Ce sont des repères culturels essentiels et des vecteurs de dynamisme, pour nos agricultures. Il faut donc en améliorer la lisibilité et la transparence afin de reconstruire la confiance. Pour ce faire, nous voulons regrouper au sein de l'INAO l'accompagnement des démarches de qualité initiées par les producteurs. Au plan international, nous soutenons aussi, avec l'UNESCO et les Nations Unies, un grand nombre de pays qui cherchent à obtenir une appellation d'origine.
Nous devons aussi tenir compte du défi de la sécurité alimentaire. L'Afrique est aujourd'hui le continent qui rassemble tous les risques et les dangers, mais aussi toutes les potentialités. Dans plusieurs régions africaines, il faudrait construire des projets agricoles communs afin de préserver une certaine identité, plutôt que chaque pays se lance seul dans la bataille de la mondialisation. Il faudrait notamment définir des territoires cohérents, composés de pays proches partageant des fleuves et des risques communs. Pour réduire la faim dans le monde, l'une des clés est que ces pays reconstruisent leur économie agricole, à partir de politiques mutualisées soutenues par la Banque mondiale, la FAO, le FMI, l'OMC, etc. Aujourd'hui, l'OMC ne devrait pas être le seul lieu dans le monde où l'on parle d'agriculture et d'alimentation. Il manque aujourd'hui un lieu où les grands acteurs institutionnels peuvent échanger. Comme pour l'environnement, il faudrait peut-être créer un groupe d'experts internationaux. Le projet visant à constituer une Union de la Méditerranée est aussi très important.
La PAC, que vous évoquiez tout à l'heure, est un outil au service d'un projet. Nous allons adapter et corriger la PAC, qui accompagne un certain modèle alimentaire, territorial et agricole, qui n'est pas le modèle américain ou chinois. Notre modèle est fondé sur une alimentation de qualité, diversifiée et traçable ; sur une alimentation qui n'est pas aseptisée. C'est aussi un modèle qui est implanté partout dans le territoire. Lors d'une de mes visites à Londres, le Ministre de l'Agriculture anglais a évoqué à plusieurs reprises, et en seulement dix minutes, l'industrie agricole. En ce qui me concerne, je ne partage pas cette vision. Je pense qu'il faut plutôt conserver son âme, son oublier bien sur le contexte compétitif mondial. C'est ce que vous faites et c'est pourquoi je me sens si bien parmi vous. Merci à tous.
Source http://terroirsetcultures.free.fr, le 31 juillet 2008