Texte intégral
Monsieur le président,
Madame le ministre,
Monsieur le ministre,
Messieurs les rapporteurs,
Mesdames et messieurs les sénateurs,
Nous sommes maintenant à moins d'une semaine de la convocation du Congrès. Pour parvenir à un vote conforme du Sénat sur le texte de l'Assemblée nationale, un travail très important de concertation a été engagé en amont.
Je veux rendre un hommage particulier à votre rapporteur, Jean-Jacques Hyest, qui, avec un sens aigu des responsabilités, a été l'artisan d'un consensus qui tient compte des préoccupations de chaque chambre.
Au nom de ce nécessaire consensus, nous devions et nous devons faire un pas les uns vers les autres.
Sur bien des points, un vote conforme avait été acquis en première lecture. Je n'y reviens pas. D'autres sujets faisaient l'objet d'une approche divergente entre vos deux assemblées, et nous nous sommes efforcés de les aplanir.
C'était le cas, notamment du droit pour les assemblées de voter des résolutions. Les députés l'avaient supprimé en première lecture, vous l'aviez restauré.
Il y a ceux qui redoutent qu'un tel outil - mal encadré - fragilise les mécanismes de mise en cause de la responsabilité du Gouvernement tels qu'ils sont prévus par l'article 49 de la Constitution. Et il y a ceux qui ne voient pas pourquoi le parlement français ne serait pas doté d'un instrument que la plupart des pays européens connaissent.
Un amendement du gouvernement a été voté au Sénat proposant une formule de compromis. Celui-ci laisse clairement au parlement la faculté d'exercer son droit de résolution, mais en confiant au Gouvernement l'appréciation du risque de mise en cause de sa responsabilité politique.
Je veux indiquer à ceux qui estimeraient qu'il s'agit d'une solution qui n'est pas conforme avec l'esprit de la Ve République, que c'est le système même qui avait été envisagé en 1959 dans le règlement de l'Assemblée nationale mais alors annulé par le Conseil constitutionnel faute d'accroche constitutionnelle.
Sur la question de la composition de la commission chargée de donner un avis sur certaines nominations du président de la République, une formule susceptible de constituer un consensus a été élaborée par les deux rapporteurs.
Elle conserve la réunion des deux commissions permanentes souhaitée par l'Assemblée nationale, tout en ménageant la spécificité de chacune des assemblées à laquelle je sais que vous êtes naturellement attachés.
Les modalités de ratification des traités d'élargissement de l'Union européenne constituaient également une divergence importante. Les députés avaient manifesté en première lecture leur attachement au référendum pour les élargissements les plus importants, en avançant l'idée d'un seuil de population.
Vous aviez presque unanimement, pour votre part, exprimé la crainte que l'introduction de ce critère constitue une forme de stigmatisation.
Les députés ont voté un dispositif plus équilibré qui tient compte de vos critiques puisque le référendum resterait de droit pour tout élargissement. Mais une majorité qualifiée de parlementaires pourrait autoriser le Président, s'il le juge fondé, à emprunter la voie du congrès pour lui demander de ratifier, à la majorité qualifiée, le traité d'adhésion.
Sur la question des langues régionales, l'Assemblée nationale a été sensible au débat qui a eu lieu dans cet hémicycle, qui portait notamment sur la place de la disposition votée par les députés. Le choix du titre XII de la Constitution, plutôt que l'article 1er pour mentionner les langues régionales, me parait judicieux et répondra à toutes les objections ou à la plupart des objections que vous aviez formulées.
Sur la question du droit de grâce, il a également été tenu compte de votre vote en première lecture puisque l'Assemblée nationale a accepté de supprimer la commission qui devait encadrer le droit de grâce individuel du président de la République.
L'Assemblée nationale a également précisé votre amendement selon lequel les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et leur situation financière.
Pour dissiper toute ambiguïté, s'il pouvait y en avoir, je tiens à préciser ici très nettement que la disposition introduite ne saurait avoir pour objet ou pour effet de modifier les attributions de la Cour des comptes, en particulier celles qu'elle tient des lois organiques relatives aux lois de finances de 2001 ou relative aux lois de financement de la Sécurité Sociale de 2005 en matière de certification des comptes de l'Etat et de la Sécurité Sociale.
Au contraire, tout en confirmant l'importance de ces principes de régularité, sincérité et fidélité comptables, elle rappelle par son insertion à l'article 47 de la Constitution la vocation de la Cour des comptes à en vérifier l'application.
Les députés ont accepté de ne pas revenir sur plusieurs dispositions qu'ils avaient votées en première lecture, mais que vous aviez supprimées.
Sur la question controversée de la répartition des compétences entre le juge judiciaire et le juge administratif d'abord.
Le rapporteur à l'Assemblée nationale a eu l'élégance de retirer son amendement, notamment en raison de l'hostilité qui avait été manifestée, là aussi je crois à la quasi unanimité, par votre assemblée en première lecture.
Je veux le remercier pour cette marque de bonne volonté dans la recherche du consensus entre les deux chambres. L'Assemblée nationale a également accepté de ne pas reprendre son amendement sur la non rétroactivité des lois.
Comme vous, elle a souhaité s'en tenir au droit existant pour le scrutin sénatorial. Cette voie me paraît sage, s'agissant d'un point concernant lequel une réforme du texte constitutionnel n'était pas susceptible de faire l'objet d'un consensus. Une telle réforme n'était du reste pas nécessaire pour que le mode d'élection du Sénat puisse continuer d'évoluer, comme il l'a fait récemment.
Les députés ont également pris acte des importantes améliorations que vous aviez apportées au texte lors de son examen en première lecture.
Je pense d'abord au Conseil supérieur de la magistrature. Vous avez proposé une formule permettant de concilier le renforcement de l'indépendance de l'institution, et la volonté d'éviter l'écueil du corporatisme qui viderait de son sens le principe selon lequel la justice est "rendue au nom du peuple français".
Votre souci de restaurer la parité en matière disciplinaire a dans cet esprit contribué à améliorer l'équilibre du texte.
Je veux également saluer votre approche ambitieuse du défenseur des droits qui a prévalu. Le Gouvernement s'en réjouit parce qu'il s'agit d'une mesure importante qui va contribuer à renforcer notre état de droit aux yeux de nos concitoyens.
Votre contribution au texte sur des questions aussi essentielles que la référence à la notion de pluralisme, le respect des groupes politiques minoritaires a été salué.
L'Assemblée nationale a également maintenu, en modifiant quelque peu sa rédaction, la référence à la francophonie dans notre Constitution, ainsi que l'assouplissement du droit de l'outre-mer que le sénat proposait.
Vous nous avez également donné l'occasion d'avoir un débat important sur l'enrichissement de l'article 34 de la Constitution. Figureront donc désormais à l'article 34 des principes comme l'indépendance des médias, la référence aux étrangers établis hors de France ou les conditions d'exercice des mandats locaux.
Même si ce n'était pas indispensable sur le plan juridique, cette référence traduira notre volonté de mettre ces éléments en valeur.
Sur d'autres points, c'est le texte de l'Assemblée qui vous est proposé.
D'abord sur l'article 49-3, j'ai eu l'occasion de m'exprimer déjà à plusieurs reprises devant vous et de vous dire mon attachement à cet outil du parlementarisme rationalisé.
Je sais que ce point continue de soulever des réticences chez certains d'entre vous. Je comprends vos arguments. Mais je voudrais redire que l'article 49-3 doit rester un instrument préventif, dont l'usage doit être parcimonieux. La lutte contre l'obstruction parlementaire ne relève pas, ne devrait pas relever de l'article 49-3. Limiter son usage à un seul texte par session et aux seuls projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale me paraît répondre à ces objectifs, en tenant compte des nouveaux équilibres institutionnels générés par le quinquennat et l'inversion du calendrier électoral. Sur la répartition de l'ordre du jour, c'est également la formule de l'Assemblée qui a été votée. Votre dispositif avait sa cohérence et le mérite de la simplicité. Mais une répartition de l'ordre du jour de deux tiers pour le Gouvernement et d'un tiers pour le Parlement n'aurait pas manqué d'être perçue comme un recul par l'opinion publique.
S'agissant de la question essentielle des exonérations fiscales ou sociales, il y a eu un débat très approfondi, au Sénat puis à l'Assemblée Nationale, sur la question de savoir si leur création devait nécessairement intervenir en loi de finances ou en loi de financement de la sécurité sociale ou, alternativement, si ces niches devaient être confirmées dans ces deux lois.
Cette proposition visait à répondre à un problème réel : la prolifération des dispositifs d'exonérations, ces dernières années, a eu pour double effet de rendre de plus en plus complexe notre droit fiscal et social et de peser sur nos finances publiques.
Pour autant, les solutions envisagées dans les deux assemblées n'ont pas paru devoir être retenues pour différentes raisons, la principale étant qu'il n'a pas semblé opportun de priver le législateur ordinaire d'une compétence qu'il a toujours eue, et qui pouvait se révéler indispensable à tout moment, par exemple pour répondre à une évolution imprévue de la conjoncture économique.
Je m'engage en contrepartie à être extrêmement attentif à cette question des niches fiscales et sociales, à la fois s'agissant des nouvelles propositions, qui devront être rigoureusement justifiées, et de celles qui existent et que je m'engage à rationaliser, en lien étroit avec la représentation nationale, et en particulier avec les commissions compétentes des deux assemblées.
Permettez-moi, enfin, de dire un mot en direction des parlementaires alsaciens et mosellans, que je sais vigilants à cet égard, que l'exception d'inconstitutionnalité ne saurait déboucher sur une remise en cause du droit local dont l'existence fait partie de notre histoire juridique.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Au cours des débats, nous avons pris la mesure de ce qui nous rapproche, mais aussi naturellement de ce qui nous sépare.
Je veux le redire avec force : toutes les opinions, quel que soit le banc dont elles émanent, sont respectables. Nous avions chacun notre vision de la réforme constitutionnelle ; nous avons chacun notre modèle, nous avons chacun les mesures auxquelles nous tenons le plus.
Mais aujourd'hui, il faut avoir le courage de se rassembler autour de l'essentiel. Et l'essentiel, c'est la revalorisation du Parlement que consacre ce projet. On peut vouloir voter contre cette révision constitutionnelle au motif qu'elle n'apporte pas toutes les satisfactions que les uns ou les autres souhaiteraient. Je pense que ce serait regrettable, mais je le comprends. En revanche, il n'est pas acceptable de dire que ce texte ne renforce pas les pouvoirs du Parlement. On peut dire qu'il ne les renforce pas assez, mais il n'y a, dans ce texte, que des dispositions qui renforcent les pouvoirs du Parlement.
Le Gouvernement a été, je le rappelle, constamment à l'écoute de vos propositions. Il ne vous aura pas échappé que le texte que nous vous proposons de soumettre au Congrès est parfois assez éloigné de notre projet de loi initial !
L'opposition a, elle aussi été entendue : sa suggestion d'introduire dans la Constitution un mécanisme aussi novateur que le référendum d'initiative populaire a notamment été retenu. L'Assemblée nationale a enrichi le texte avec deux dispositions qui lui tenait à coeur : la référence aux commissions d'enquête parlementaire et la faculté pour 60 députés ou sénateurs de saisir la Cour de justice des communautés européennes.
Il nous faut aller au bout de cette démarche constructive.
L'objectif que nous poursuivons est limpide : donner des droits nouveaux au Parlement afin de moderniser notre démocratie.
Au regard de cet objectif, il vous revient de répondre à des questions simples : vais-je me saisir de ces droits ou vais-je y renoncer ? Vais-je contribuer à un compromis historique ou vais-je me réfugier dans des objections politiques ?
Chacun est maître de sa réponse, mais chacun doit bien en mesurer les conséquences.
Dire "non" à ce projet, ce sera dire "oui" au statu quo, et cela sans doute pour de longues années, car les révisions constitutionnelles d'une telle ampleur sont rares. Dire "non", ce sera en définitive choisir l'immobilisme institutionnel plutôt que le renouveau politique.
J'ai la conviction que la majorité se sent en mesure d'assumer ce renouveau qui revivifie les équilibres de la Ve République. Et je souhaite que l'opposition puisse trouver la force de se rallier à ce mouvement de modernité qui transcende les clivages.
La gauche réclame depuis si longtemps une rénovation de nos institutions, et la voici maintenant hésitante et circonspecte. Cela n'est pas compréhensible.
Rejeter ce projet parce que telle ou telle clause n'y figure pas, refuser ce projet au nom d'un autre projet, c'est en réalité renoncer à un progrès immédiat et réel de notre démocratie.
En vérité, l'opposition est face à ses responsabilités, et il lui revient d'échapper à la contradiction.
On ne peut pas, d'un côté, réclamer un meilleur équilibre des pouvoirs, et de l'autre, renoncer à cette réforme !
On ne peut, d'un côté, dénoncer la prétendue "hyperprésidence", et, de l'autre, repousser cette réforme qui tempère les pouvoirs de l'exécutif et renforce ceux du Parlement et des citoyens !
Il faut, mesdames et messieurs les Sénateurs, être cohérent, et ne pas perdre de vue l'essentiel. L'essentiel, c'est que, avec le président de la République, nous vous proposons de donner plus de souffle à notre démocratie. Nous le faisons de façon pragmatique, audacieuse et sincère.
Je crois, mesdames et messieurs les Sénateurs, que l'enjeu est suffisamment élevé pour se rassembler et pour aller de l'avant.
Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 29 juillet 2008