Conférence de presse conjointe de MM. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères et Robin Cook, ministre britannique des affaires étrangères, sur les relations franco-britanniques, la fusion de Boeing et de McDonnell Douglas, l'enquête sur le meurtre de C. Dockinson et l'indemnisation des transporteurs routiers, Londres le 23 juillet 1997.

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Circonstance : Voyage à Londres de M. Hubert Védrine et rencontre avec M. Robin Cook le 23 juillet 1997

Texte intégral

Le ministre britannique, M. Robin Cook
Puis-je commencer en vous disant que c'était aujourd'hui la première rencontre véritablement bilatérale entre mon homologue du gouvernement français, Hubert Védrine, et moi-même. Je suis très heureux et honoré que Hubert ait pu venir me voir à Londres pour discuter d'un programme très chargé. Nous avons eu un déjeuner de travail et nous avons prolongé notre discussion dans l'après-midi, ce qui nous a permis de comparer nos approches en matière de politique étrangère et d'échanger nos vues sur un certain nombre de défis communs auxquels nous faisons face. Je pense pouvoir dire, Hubert, que notre entretien était amical et chaleureux, et que, au cours de notre discussion, nous avons trouvé de nombreux terrains d'entente.

Nous avons longuement passé en revue la politique européenne. Nous avons identifié deux questions-clés pour l'avenir de l'Europe : la monnaie unique, tout d'abord, et l'élargissement, en second lieu. Sur la monnaie unique, j'ai pu assurer M. Védrine que, bien que la Grande-Bretagne estime improbable sa participation à la première vague, nous, en tant que pays présidant l'Union européenne au cours des six premiers mois de l'année prochaine, assurerons aux pays désireux de le faire la possibilité de prendre part à la première vague. En ce qui concerne l'élargissement, nos deux pays reconnaissent que l'Europe a la mission importante et historique d'accueillir les pays d'Europe centrale et orientale, mais nous admettons aussi tous deux qu'il y a des problèmes très sérieux avant de réussir cet élargissement. Je suis heureux d'avoir pu dire à M. Védrine que nous sommes d'accord avec la proposition française d'une conférence européenne réunissant tous les pays candidats et, en retour, M. Védrine a souligné qu'il est important que nous obtenions une repondération des votes pour les plus grands pays au sein du Conseil des ministres avant l'élargissement. La France a été le pays allié le plus fort de la Grande-Bretagne lors d'Amsterdam sur cette question de la repondération et nos deux pays sont déterminés à continuer d'insister sur ce sujet.

Nous avons également discuté très longuement de la façon dont nous pourrions travailler ensemble en Afrique et nous sommes tombés d'accord sur un programme de coopération dans nos politiques africaines afin de nous soutenir mutuellement dans nos tentatives de démocratisation de l'Afrique et aussi afin de promouvoir le développement économique, tout particulièrement grâce aux échanges avec l'Europe. Nous pensons fermement que si la France et la Grande-Bretagne coopèrent en Afrique, cela sera dans l'intérêt non seulement de nos deux pays mais aussi des pays africains eux-mêmes.

En plus de ces deux sujets majeurs, nous avons également eu des discussions sur le processus de paix au Moyen-Orient et, tous deux, nous visiterons la région, en août pour Hubert, et en octobre en ce qui me concerne. Nous sommes d'accord sur le principe d'un échange de notes avant que l'un de nous deux s'y rende afin de nous assurer que nous véhiculions le même message européen aux pays participant au processus de paix. Nous voulons leur signifier notre préoccupation devant l'impasse de ce processus et notre volonté que les démarches adéquates soient entreprises en vue d'une coopération économique plus grande entre Israël et l'entité palestinienne et aussi qu'une plus grande impulsion soit donnée pour la phase finale du processus de paix.

Enfin, nous avons évoqué un certain nombre de questions bilatérales, et je tiens particulièrement à remercier M. Védrine pour l'assurance qu'il m'a donnée que la lettre de ma collègue, la baronne Symons, à Mme Guigou sera traitée en priorité. Je me réjouis en particulier du fait que les autorités françaises aient pris en compte notre demande d'informations supplémentaires pour la famille de Caroline Dickinson et qu'elles aient aussi accepté d'examiner si les personnes en charge de l'enquête disposent de suffisamment de moyens. C'était une rencontre très réussie qui a établi les fondements d'une coopération plus étroite entre la France et la Grande-Bretagne, deux pays parmi les plus grands d'Europe, qui, s'ils travaillent ensemble, peuvent tous deux obtenir des résultats plus fructueux, non seulement pour eux-mêmes mais aussi pour l'Union européenne.

Le ministre français, M. Hubert Védrine
Je suis entièrement d'accord avec le résumé qui vient d'être fait de nos conversations. Je voulais venir dès que possible à Londres pour avoir une conversation de ce type, amicale, détendue, utile, concrète et je serais venu encore plus tôt s'il n'y avait pas eu, depuis le début du mois de juin, presque chaque semaine, des sommets qui ont mobilisé notre temps jusqu'ici. C'est donc pour moi, comme pour Robin Cook, la meilleure base de travail possible à partir de laquelle, sur chacun des points évoqués, nous allons maintenant nous tenir en contact étroit, et agir au mieux de l'intérêt de nos deux pays et de l'Europe. En disant cela, j'ai à l'esprit naturellement la présidence britannique qui commencera en janvier prochain à un moment déterminant pour l'Europe. Et je remercie vivement Robin Cook pour son hospitalité d'aujourd'hui.

Le ministre britannique, M. Robin Cook
Puis-je ajouter deux petites choses. Tout d'abord, le fait que nous ayons donné à nos équipes beaucoup de travail à faire est bien le signe de la réussite de notre entretien d'aujourd'hui. C'est comme cela que l'on mesure un bon échange ministériel. Deuxièmement, si notre rencontre a été un succès aujourd'hui, c'est peut-être parce qu'il n'y aurait pas pu avoir de quartier plus adéquat à Londres pour l'accueillir, puisque ce lieu fut le quartier général des Forces françaises libres durant la guerre et que nous sommes juste sous le regard de la statue du général de Gaulle.

Q - Monsieur Cook, vous avez mentionné des problèmes significatifs en ce qui concerne l'élargissement de l'Europe. Pouvez-vous être plus spécifique à ce sujet ? Quels sont les vrais problèmes majeurs en la matière à votre avis ?

R - M. Cook - Il y a trois problèmes essentiels. Le premier, c'est que les pays candidats doivent s'assurer que leur économie est en position de tirer parti de l'Union européenne, et non pas de subir cet élargissement comme un choc. En deuxième lieu, les pays qui sont actuellement membres de l'UE doivent accomplir les réformes nécessaires pour accomplir l'élargissement ; en particulier, nous devons regarder nos priorités budgétaires et nous devons également examiner comment restructurer la PAC et les fonds structurels. Nous avons décidé de mener l'élargissement sans accroître le budget ; cela signifie qu'il faudra des changements à l'intérieur du budget
Troisième point, nous devons mener des négociations d'élargissement avec délicatesse afin de travailler avec des pays comme la Hongrie qui seront probablement dans la première vague parce que ce sont des candidats crédibles pour le futur immédiat, mais en même temps maintenir le dialogue et encourager les candidats qui ne sont pas dans la première vague et qui rejoindront l'UE dès qu'ils le pourront.

Q - Quelle est la position de la France sur la poursuite des criminels de guerre ?

R - Le ministre - La France s'est exprimée sans ambiguïté sur ce point : la France pense qu'il faut faire ce qui doit être fait pour que les criminels de guerre aient à répondre de leurs actes devant le tribunal international.

Q - Quel est votre commentaire à la suite de la décision de la Commission européenne approuvant la fusion de Boeing et de McDonnell Douglas.

R - M. Cook - Nous avons comparé nos informations reçues ce matin, mais ni M. Védrine ni moi-même n'avons eu la possibilité d'étudier le document de Boeing, ni encore vu le texte de la décision de la Commission. Nous comprenons qu'il y aura une autre rencontre dans huit jours afin de confirmer la discussion de ce matin au sein de la Commission. En clair, nous consulterons nos collègues mais dans l'immédiat, ce serait une erreur de donner une réponse improvisée sur un dossier aussi complexe. S'il peut y avoir une solution satisfaisante, je l'accueillerais volontiers.

R - Le ministre - La réponse est la même pour moi.
R - M. Cook - Comme vous le voyez, nous sommes d'accord sur énormément de choses aujourd'hui !

Q - M. Cook a mentionné l'affaire Dickinson. Que peut faire le gouvernement français sachant que, évidemment, l'affaire est entre les mains du juge d'instruction de Saint-Malo ?

R - Le ministre - Le gouvernement français peut continuer à agir comme il l'a fait jusqu'ici mais, avec une intensité accrue, utiliser tous les moyens qu'il a pour que aussi bien la justice que la police françaises ne relâchent pas leurs efforts jusqu'à ce que toute la lumière ait été faite sur ce crime.

Q - Est-ce qu'on peut envisager éventuellement que l'affaire soit confiée à un autre magistrat ?

R - Le ministre - C'est une question qui ne relève pas de mes responsabilités. Ce que je peux vous dire ici, c'est que le gouvernement français est déterminé à tout faire pour qu'on trouve une solution. Je ne crois pas d'ailleurs que l'on puisse faire de reproches particuliers aux efforts qui ont été faits jusqu'ici, sauf qu'ils sont infructueux. Ce qui arrive malheureusement parfois après certains crimes. Nous comprenons tout à fait et nous partageons l'émotion de l'opinion publique britannique sur ce point et nous ne serons satisfaits que quand une solution aura été trouvée.

Q - Avez-vous parlé de l'indemnisation des transporteurs routiers ?
R - M. Cook - Oui, et j'ai indiqué à M. Védrine que nous espérions que tout soit fait pour obtenir un résultat satisfaisant et j'ai reçu son assurance à ce sujet. Il y a un problème particulier lié au délai de quatre mois et je suis heureux de dire que le gouvernement français, tout en travaillant dans le cadre de la loi, est disposé à examiner les moyens de trouver une issue satisfaisante.

R - Le ministre - J'ai l'intention de reparler de cette question à mon collègue M. Chevènement, le ministre de l'Intérieur. Les demandes de ce type sont gérées par le ministère de l'Intérieur, plus exactement par les préfectures et c'est en effet des demandes qui obéissent à certaines formalités, comme dans tous les pays. Ce que je peux dire, c'est que les dossiers britanniques ont été jusqu'ici traités exactement comme toutes les demandes émanant des ressortissants des autres pays. Simplement, c'est vrai que c'est compliqué d'établir les faits exacts et de fournir tous les éléments qui permettent d'apporter une réponse. Mais il est déjà arrivé dans le passé, il y a quelques années, que des réponses favorables soient données à des demandes d'indemnisation britanniques. C'est vrai que c'est une procédure compliquée, mais il n'y a aucune particularité appliquée aux demandes britanniques. En tout cas, j'ai bien mesuré là aussi l'importance que cela représente pour l'opinion britannique à travers ce que m'en a dit Robin Cook. J'ai bien l'intention d'agir auprès de mon collègue de l'Intérieur sur ce point.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 novembre 2001)