Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Tout d'abord, je dois vous dire que nous avons un peu changé de style. Mme Ferrero-Waldner et M. Solana n'ont nul besoin de changer leur style, inimitable et excellent, mais nous avons essayé d'aborder moins de sujets et de les aborder de façon plus compacte. Mes textes, préparés en amont, sont arrivés presque à maturité. Il y a eu des conclusions et nous avons décidé, même si cela n'a pas été complètement respecté, de n'aborder qu'un ou deux sujets de fond.
Hier soir, nous avons appris l'arrestation de M. Karadjic. Cette heureuse nouvelle nous a réjouis et cela a beaucoup changé les conclusions qui concernaient la Serbie. Nous n'avons pas pu suivre exactement le plan que nous avions choisi, mais nous avons travaillé plus vite, sur des sujets plus ciblés.
L'un de ces sujets, l'Ukraine, a été abordé en séance plénière avec l'ensemble des participants habituels. Le deuxième sujet - et nous essaierons de le faire à chaque fois - a été abordé seulement entre ministres, autour de la petite table située au milieu de la salle. Il s'agissait d'abord d'entendre Tony Blair sur le Moyen-Orient et le processus de paix, suivi des réactions de Benita Ferrero-Waldner, de Javier Solana et de tous les participants.
Nous sommes ensuite arrivés à l'heure du repas avec, là aussi, comme nous le souhaitions, un seul sujet. Nous avons à peu près respecté l'agenda et nous essaierons de faire mieux la prochaine fois, c'est à dire au Gymnich, le 5 septembre prochain, à Avignon.
Je ne vous dis pas tout cela simplement pour vous raconter la disposition esthétiquement nouvelle de notre salle, avec la petite table qui nous rapproche les uns des autres, mais parce que je crois que pour des sujets aussi importants que ceux que l'on aborde, il faut plus de temps. Si vous avez cinq ou six sujets le matin, c'est vraiment très difficile.
Je voudrais vous dire que l'arrestation de Radovan Karadjic est une excellente nouvelle. Cela conforte évidemment le gouvernement de Belgrade. Nous avons suivi une ligne très prononcée de soutien à ce gouvernement. Tout d'abord aux élections, puisque nous avons soutenu M. Tadic très fortement, avec une ouverture au niveau des visas, avec tout ce que nous pouvions faire pour lui offrir une perspective d'adhésion à l'Union européenne. Nous avons eu raison et nous avons certainement aussi facilité la formation de ce gouvernement en parlant avec tous, en particulier avec l'Internationale Socialiste, pour que se compose un gouvernement pro-européen.
Je crois que nous avons eu raison et ce n'est pas un hasard si quelque chose se préparait, quelques jours après la formation de ce gouvernement. M. Karadjic, qui se livrait à la médecine parallèle, a pu être arrêté alors qu'il travaillait dans une clinique serbe depuis longtemps. Nous avions dit à nos amis, à ceux qui ne voulaient pas accorder l'Accord de stabilisation et d'association (ASA) à la Serbie, combien c'était important. Il est légitime de vouloir arrêter ceux que le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie recherche, et nous pensions que nous n'avions aucune chance de parvenir à ces arrestations si les nationalistes gardaient le pouvoir. Voilà qui est fait, ce qui nous conforte, et c'est une raison supplémentaire d'offrir à nos amis serbes, comme nous l'avions fait pour les Croates, de devenir un jour membre de l'Union européenne.
Nous avons également débattu de l'Ukraine dans la perspective du sommet qui aura lieu à Evian entre l'Union européenne et l'Ukraine, le 9 septembre prochain. Nous avons voulu qu'il y ait un accord d'association. Nous avons parlé du caractère européen - certains le contestaient - sans préjuger de l'avenir de l'Ukraine par rapport à l'Union européenne. Nous voulions offrir une perspective de libéralisation de visas et nous l'avons fait. Je suis confiant pour ce sommet d'Evian car je crois que les bases en sont déjà maintenant bien posées et que nous pourrons avancer.
Sur le Proche-Orient, je dois vous dire que Luis Amado, le ministre portugais, a pris la parole afin d'ajouter un sujet qui sera discuté au Gymnich d'Avignon : les relations transatlantiques. Nous parlons évidemment des relations de l'Union européenne avec les Etats-Unis d'Amérique. Il s'agit de cette grande idée d'offrir à nos amis américains une feuille de route, un carnet d'accès à la globalisation, un carnet qui reprenne les difficultés que rencontrent nos amis américains et dans lesquelles nous, l'Union européenne, nous ne sommes pas assez présents, notamment au Moyen-Orient.
S'agissant du Moyen-Orient précisément, il s'agit d'offrir à nos amis américains une perspective politique venue de l'Union européenne, pas seulement une aide même si une aide aussi est nécessaire. Il s'agit d'exister politiquement dans tous ces dossiers, plus que nous l'avons fait jusque là. C'est particulièrement vrai en ce qui concerne le Moyen-Orient où nous avons tous une expérience plus ou moins heureuse, plus ou moins optimiste ou pessimiste suivant les époques. Tony Blair nous a vraiment renforcés dans cette nécessité de présenter une position politique avec nos amis américains. Nous pourrions multiplier les exemples puisque aussitôt après, au début du repas, Javier Solana nous a parlé de l'Iran.
Sur le Moyen-Orient, je vais vous citer quelques points.
Il y a bien sûr des progrès entre la Syrie et le Liban, entre la Syrie et Israël, entre l'Egypte et le Hamas et entre l'Egypte et Israël, ainsi que dans tous les endroits les plus difficiles et les plus longuement disputés du Moyen-Orient. Quelques petits progrès se font jour même s'ils sont limités en ce qui concerne les pourparlers entre Israël et les Palestiniens. Pourtant, depuis Annapolis, depuis la Conférence de Paris, depuis Bethléem, avec la formidable réunion des Palestiniens du secteur privé, depuis Berlin, nous pourrions espérer plus.
Il faut que nous innovions et que l'Europe, dans cette phase transitoire des deux administrations, joue un rôle plus grand, pas seulement un rôle économique, et nous allons nous y atteler. Avec les documents qui seront préparés, ce sera une part très importante de notre rencontre d'Avignon. Des discussions de paix semblent progresser au sommet mais elles semblent bloquées sur le terrain. Nous voulons être plus efficaces dans le soutien à nos amis palestiniens et à nos amis israéliens. Nous sommes tous d'accord et ce qui est intéressant, et que Tony Blair a bien souligné, c'est qu'auparavant, il y avait des positions pro-palestiniennes et des positions pro-israéliennes alors que maintenant, il y a vraiment un assentiment pratiquement complet des vingt-sept pays. Nous devrions donc pouvoir, en association avec les Américains bien sûr, et avec d'autres, jouer un rôle politique important dans le dispositif de paix.
Au sujet de la situation au Zimbabwe, nous avons adopté des conclusions auxquelles je vous renvoie. Il nous apparaît impossible d'accepter que le second tour des élections au Zimbabwe ait pu être accepté, avec cette violation des règles démocratiques les plus élémentaires, avec des pressions physiques, des tortures sur les enfants. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé des sanctions. Il s'agit là d'un poids politique et nous voulons, aux côtés de l'Union africaine, jouer un rôle positif. Il nous semble inacceptable que dans ce pays riche, 80% des Zimbabwéens vivent au-dessous du seuil de pauvreté et qu'il existe une immigration massive avec le départ de près de 4 millions d'habitants.
A propos de la situation en Géorgie, nous avons mis en garde très clairement nos amis. C'est surtout Frank-Walter Steinmeier, qui rentrait d'un déplacement dans la région, qui en a parlé. Il propose, là encore, à l'Union européenne de jouer un rôle positif dans une situation extrêmement complexe dans laquelle il est bien difficile d'imprimer une ligne claire, sinon bien entendu la ligne du dialogue.
Voilà le résumé de cette rencontre. Je pense que l'atmosphère était bonne. J'ajoute que moins il y aura de sujets et plus nous pourrons en parler de façon positive, mieux nous pourrons adopter une position européenne commune pour que l'Europe, avec 500 millions d'habitants et vingt-sept pays, joue un rôle politique.
Q - Deux questions sur la Serbie. Monsieur le Ministre, pouvez-vous nous dire ce que vous attendez maintenant du COREPER pour analyser la nouvelle situation politique ? En quoi cette arrestation d'hier change aussi les relations entre l'Union européenne et la Bosnie-Herzégovine qui a aussi signé un ASA ?
R - Ne confondons pas les deux choses, bien qu'elles soient proches. Qu'est ce que cela change ? Cela change tout pour l'espoir, pour la justice internationale, pour le fait que cela faisait treize ans que l'on attendait que ce monsieur, accusé de crimes de masse, de crimes contre l'humanité, de génocide, soit arrêté. Vous savez maintenant qu'il vivait normalement dans une ville où il allait à la clinique faire de la médecine traditionnelle. Ce n'était pas satisfaisant et nous avons pensé qu'il fallait aider le gouvernement serbe, tout en maintenant une pression importante.
Nous attendons d'autres arrestations. Nous ne pouvons pas nous satisfaire d'une seule arrestation mais c'est un bon signe. Nous avons souligné, tous ici, qu'il s'agissait d'un signe positif. Certes, ne préjugeons pas de l'avenir mais je crois toutefois qu'avec ce gouvernement, nous pouvons arrêter tous ceux contre lesquels des mandats d'amener ont été délivrés. De plus, politiquement, cette situation place la Serbie - et nous en sommes heureux - dans une position d'attente plus positive par rapport à l'Union européenne. Nous devons tous nous retrouver dans l'Union européenne, c'est l'avenir des pays des Balkans.
Ce qui est formidable, c'est que la Slovénie, premier pays à s'être séparé de la Fédération des Républiques socialistes yougoslaves, soit responsable de ce qui s'est passé entre la Serbie et le Kosovo. Nous n'avions pas d'autres solutions, il fallait que les gens cessent de s'assassiner et il faut pour cela plus d'une génération. Nous verrons bien mais l'avenir des Balkans, de notre point de vue, depuis le début, c'est l'adhésion des Balkans occidentaux à l'Union européenne. Bosnie, Monténégro, d'autres pays encore, pourquoi pas ? Cela nous met dans une position plus favorable les uns et les autres, les pays qui veulent venir vers l'Union européenne et nous, les vingt-sept pays de l'Union européenne, pour les accueillir. Il est normal qu'on les accueille.
J'ai vu Srebrenica, et bien d'autres massacres. Je pense aux familles. C'est absolument inoubliable. Pour quelle raison a-t-on voulu tous les tuer ? Pour quelle raison a-t-on voulu les anéantir ? Ils ne se l'expliquent toujours pas des années après. Il est nécessaire que la justice passe pour que la paix arrive. N'oublions pas que tout cela n'est pas théorique, ni au Kosovo ni en Bosnie. Des centaines de milliers de personnes ont été assassinées. L'oubli viendra un jour et si la justice passe, il viendra plus vite.
Q - Monsieur le Ministre, est-il possible qu'à la réunion de l'Union européenne à Avignon, des pays s'opposent encore au dialogue avec l'Ukraine sur les visas ?
R - Je voudrais laisser la Commission répondre mais je vous dirai seulement un mot : c'est très facile de nous demander des visas, c'est d'ailleurs la première chose que l'on donne avec le plus de facilité. Vous savez néanmoins que l'Union européenne est confrontée aux questions des migrations. Cessons de nous mentir, il existe des problèmes de migrations, venues en particulier des pays de l'Est. Il faut les aborder tous ensemble. Il en est de même avec les pays de l'espace Schengen à travers lesquels on circule librement, tout le monde doit être d'accord sur ce principe et sur son application. Certes cela constitue le premier mouvement de fraternité, néanmoins l'idée de fraternité, en ces temps de globalisation, s'aménage entre les pays d'où proviennent les personnes et les pays qui les reçoivent.
(...)
Q - 13 ans après Srebrenica, regrettez-vous ce qui s'est passé en Bosnie notamment l'attitude de l'Union européenne dans l'arrestation de ces criminels ?
R - C'est toujours un peu délicat, si je comprends bien votre question, vous me demandez si nous étions responsables des crimes commis. Non, nous ne l'étions pas. Nous sommes responsables du tribunal puisque nous l'avons fondé et institué. Il a été difficile voire impossible d'arrêter tous les criminels. Je me souviens quand les troupes françaises étaient déployées en Bosnie, elles avaient été accusées de ne pas s'impliquer suffisamment dans l'arrestation de ces criminels et pourtant croyez-moi, elles ont essayé. Non seulement les troupes françaises, mais toutes les nations ont été impliquées dans cette traque, elles ont échoué de peu. Nous avons essayé, et finalement ces criminels ont été arrêtés en Serbie où ils vivaient. Certes, il est trop tard, je pense bien sûr aux victimes, aux familles des victimes, mais mieux vaut tard que jamais...
Q - Monsieur Kouchner, vous avez dit que l'arrestation de M. Karadzic est un bon signe mais concrètement comment cela peut aider la Serbie pour accélérer son accès à l'Union européenne ?
R - Pour adhérer à l'Union européenne il faut d'abord être candidat et pour être candidat il faut s'accorder avec un certain nombre d'exigences, liées aux Droits de l'Homme, au commerce, que l'on appelle les chapitres. Ce processus d'applique à tous, ainsi chapitre après chapitre, on ouvre les discussions et la Serbie suivra le même chemin. Il faut simplement accepter qu'elle soit candidate et jusqu'à présent, ce n'était pas possible pour certains pays. Concernant la question de l'élargissement de l'Union européenne, il faut l'unanimité de tous les pays. Je ne vais pas vous parler du Traité de Lisbonne et du Traité de Nice, mais tout de même, cela se pose suivant des modalités très différentes. Pour le moment nous n'avons pas obtenu l'unanimité pour l'Accord de stabilisation et d'association (ASA) parce qu'un certain nombre de pays - ils n'avaient pas tort - raisonnaient de la façon suivante : "ils doivent arrêter les criminels de guerre, s'ils ne le font pas, il ne peuvent pas intégrer l'Union européenne". Il est certain que l'on ne peut pas à la fois rejoindre l'Union européenne et ne pas respecter ses règles et ses lois.
Je dis cela aussi parce que certains amis serbes prétendent vouloir porter plainte devant le Tribunal pénal international de La Haye en posant la question de l'illégalité de la reconnaissance du Kosovo. J'ai beaucoup d'affection pour les Serbes, j'ai vécu avec eux longtemps et j'ai aussi eu l'honneur de diriger le Kosovo pendant deux ans confronté à des difficultés, parfois sanglantes. Ce fut une période brutale avec des assassinats nuit et jour. Je trouve la réaction de nos amis serbes curieuse, surtout s'ils veulent nous rejoindre au sein de l'Union européenne. Si par hasard, le Tribunal pénal international se prononçait pour l'illégalité de la démarche européenne de reconnaissance du Kosovo, comment la Serbie justifierait son souhait d'intégrer une structure qui est accusée de mener une politique illégale ? Il y a une contradiction, soit ils optent pour une politique d'ouverture, de légalité, liée au Droits de l'Homme, soit ils ne le font pas et dans ce cas précis, ils remettent en cause leur éventuelle candidature à l'adhésion. En dehors de cette perspective, concernant actuellement les dossiers d'adhésion à l'Union européenne, la Croatie qui a commencé ses démarches bien avant la Serbie et en dépit d'un historique sanglant - vous ne pouvez pas vous imaginer ce à quoi ressemblait l'autoroute Belgrade-Zagreb, un véritable champ de ruines-, est proche d'adhérer et elle le peut. Pourquoi pas ? En ouvrant tous les chapitres. Quant à la Serbie, il y a une position qui renvoie vers le Traité de Nice ou le Traité de Lisbonne. Le Traité de Nice c'est à vingt-sept, il n'y a pas d'élargissement, donc il va falloir voir comment cela se pose, mais indépendamment des aléas et des difficultés que surmontera sûrement l'Union européenne, nous pensons que la Serbie doit faire partie de l'Union européenne.
Q - Le commissaire Rehn vient de déclarer à une conférence de presse avec le chef de la diplomatie serbe, que la position de la Commission européenne est qu'il faut mettre en pratique l'accord intérimaire sur le commerce avec la Serbie.
R - C'est au Comité des représentants permanents (Coreper) de le faire. D'ici la fin juillet, il reste deux réunions du Coreper et nous pouvons bien sûr le mandater. C'est ce que nous avons l'intention de faire, cela figure d'ailleurs dans les conclusions que nous avons votées. M. Vuk Jeremic et M. Olli Rehn ont raison ; plus vite cela sera fait et mieux ce sera.
Q - Monsieur le Ministre, considérez-vous qu'avec cette arrestation de M. Karadzic, la coopération pleine et entière avec le TPIY, condition sine qua non pour l'ensemble des Européens, est parfaitement remplie ou cela suppose-t-il ensuite de nouvelles démarches de la part de l'Union européenne ?
R - Cette coopération est heureusement accomplie à moitié ou du moins au tiers. Il reste encore deux autres criminels qu'il faut arrêter, dont le général Mladic. C'est néanmoins une très bonne nouvelle et je félicite nos amis serbes, ce nouveau gouvernement et le président Tadic que nous avons soutenu. Nous avons toujours dit, et ce n'était pas un choix politique, c'était un choix qui concernait les sentiments, les Droits de l'Homme et l'histoire, que les nationalistes n'étaient pas capables de fournir à la Serbie, qui en a bien besoin, l'élan nécessaire pour venir dans l'Union européenne. Ils étaient repliés sur eux-mêmes ce qui était défavorable pour la Serbie. Ce gouvernement, manifestement pro-européen, nous fait plaisir et j'espère que nous pourrons l'accueillir bientôt. Il y a d'autres conditions à remplir, la Serbie suivra le même chemin que les autres, comme la Croatie en particulier. Nous sommes contents.
Q - Cela relance-t-il l'ASA qui est une première démarche vers l'adhésion à l'Union européenne.
R - Il faut y travailler, il faut pour cela, l'unanimité de tous les membres de l'Union européenne. Nous ne l'avons pas sollicité, nous verrons bien, nous allons travailler au Coreper, comme on l'a vu et puis très vite nous aurons une position à ce propos. Il y a eu un accord de stabilisation et d'association intérimaire, qui a été proposé pour montrer combien nous étions enthousiastes à l'idée de recevoir la Serbie mais ce n'est pas suffisant, il faut que les choses aillent comme les autres, suivant le même chemin et le même processus. Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 juillet 2008
Tout d'abord, je dois vous dire que nous avons un peu changé de style. Mme Ferrero-Waldner et M. Solana n'ont nul besoin de changer leur style, inimitable et excellent, mais nous avons essayé d'aborder moins de sujets et de les aborder de façon plus compacte. Mes textes, préparés en amont, sont arrivés presque à maturité. Il y a eu des conclusions et nous avons décidé, même si cela n'a pas été complètement respecté, de n'aborder qu'un ou deux sujets de fond.
Hier soir, nous avons appris l'arrestation de M. Karadjic. Cette heureuse nouvelle nous a réjouis et cela a beaucoup changé les conclusions qui concernaient la Serbie. Nous n'avons pas pu suivre exactement le plan que nous avions choisi, mais nous avons travaillé plus vite, sur des sujets plus ciblés.
L'un de ces sujets, l'Ukraine, a été abordé en séance plénière avec l'ensemble des participants habituels. Le deuxième sujet - et nous essaierons de le faire à chaque fois - a été abordé seulement entre ministres, autour de la petite table située au milieu de la salle. Il s'agissait d'abord d'entendre Tony Blair sur le Moyen-Orient et le processus de paix, suivi des réactions de Benita Ferrero-Waldner, de Javier Solana et de tous les participants.
Nous sommes ensuite arrivés à l'heure du repas avec, là aussi, comme nous le souhaitions, un seul sujet. Nous avons à peu près respecté l'agenda et nous essaierons de faire mieux la prochaine fois, c'est à dire au Gymnich, le 5 septembre prochain, à Avignon.
Je ne vous dis pas tout cela simplement pour vous raconter la disposition esthétiquement nouvelle de notre salle, avec la petite table qui nous rapproche les uns des autres, mais parce que je crois que pour des sujets aussi importants que ceux que l'on aborde, il faut plus de temps. Si vous avez cinq ou six sujets le matin, c'est vraiment très difficile.
Je voudrais vous dire que l'arrestation de Radovan Karadjic est une excellente nouvelle. Cela conforte évidemment le gouvernement de Belgrade. Nous avons suivi une ligne très prononcée de soutien à ce gouvernement. Tout d'abord aux élections, puisque nous avons soutenu M. Tadic très fortement, avec une ouverture au niveau des visas, avec tout ce que nous pouvions faire pour lui offrir une perspective d'adhésion à l'Union européenne. Nous avons eu raison et nous avons certainement aussi facilité la formation de ce gouvernement en parlant avec tous, en particulier avec l'Internationale Socialiste, pour que se compose un gouvernement pro-européen.
Je crois que nous avons eu raison et ce n'est pas un hasard si quelque chose se préparait, quelques jours après la formation de ce gouvernement. M. Karadjic, qui se livrait à la médecine parallèle, a pu être arrêté alors qu'il travaillait dans une clinique serbe depuis longtemps. Nous avions dit à nos amis, à ceux qui ne voulaient pas accorder l'Accord de stabilisation et d'association (ASA) à la Serbie, combien c'était important. Il est légitime de vouloir arrêter ceux que le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie recherche, et nous pensions que nous n'avions aucune chance de parvenir à ces arrestations si les nationalistes gardaient le pouvoir. Voilà qui est fait, ce qui nous conforte, et c'est une raison supplémentaire d'offrir à nos amis serbes, comme nous l'avions fait pour les Croates, de devenir un jour membre de l'Union européenne.
Nous avons également débattu de l'Ukraine dans la perspective du sommet qui aura lieu à Evian entre l'Union européenne et l'Ukraine, le 9 septembre prochain. Nous avons voulu qu'il y ait un accord d'association. Nous avons parlé du caractère européen - certains le contestaient - sans préjuger de l'avenir de l'Ukraine par rapport à l'Union européenne. Nous voulions offrir une perspective de libéralisation de visas et nous l'avons fait. Je suis confiant pour ce sommet d'Evian car je crois que les bases en sont déjà maintenant bien posées et que nous pourrons avancer.
Sur le Proche-Orient, je dois vous dire que Luis Amado, le ministre portugais, a pris la parole afin d'ajouter un sujet qui sera discuté au Gymnich d'Avignon : les relations transatlantiques. Nous parlons évidemment des relations de l'Union européenne avec les Etats-Unis d'Amérique. Il s'agit de cette grande idée d'offrir à nos amis américains une feuille de route, un carnet d'accès à la globalisation, un carnet qui reprenne les difficultés que rencontrent nos amis américains et dans lesquelles nous, l'Union européenne, nous ne sommes pas assez présents, notamment au Moyen-Orient.
S'agissant du Moyen-Orient précisément, il s'agit d'offrir à nos amis américains une perspective politique venue de l'Union européenne, pas seulement une aide même si une aide aussi est nécessaire. Il s'agit d'exister politiquement dans tous ces dossiers, plus que nous l'avons fait jusque là. C'est particulièrement vrai en ce qui concerne le Moyen-Orient où nous avons tous une expérience plus ou moins heureuse, plus ou moins optimiste ou pessimiste suivant les époques. Tony Blair nous a vraiment renforcés dans cette nécessité de présenter une position politique avec nos amis américains. Nous pourrions multiplier les exemples puisque aussitôt après, au début du repas, Javier Solana nous a parlé de l'Iran.
Sur le Moyen-Orient, je vais vous citer quelques points.
Il y a bien sûr des progrès entre la Syrie et le Liban, entre la Syrie et Israël, entre l'Egypte et le Hamas et entre l'Egypte et Israël, ainsi que dans tous les endroits les plus difficiles et les plus longuement disputés du Moyen-Orient. Quelques petits progrès se font jour même s'ils sont limités en ce qui concerne les pourparlers entre Israël et les Palestiniens. Pourtant, depuis Annapolis, depuis la Conférence de Paris, depuis Bethléem, avec la formidable réunion des Palestiniens du secteur privé, depuis Berlin, nous pourrions espérer plus.
Il faut que nous innovions et que l'Europe, dans cette phase transitoire des deux administrations, joue un rôle plus grand, pas seulement un rôle économique, et nous allons nous y atteler. Avec les documents qui seront préparés, ce sera une part très importante de notre rencontre d'Avignon. Des discussions de paix semblent progresser au sommet mais elles semblent bloquées sur le terrain. Nous voulons être plus efficaces dans le soutien à nos amis palestiniens et à nos amis israéliens. Nous sommes tous d'accord et ce qui est intéressant, et que Tony Blair a bien souligné, c'est qu'auparavant, il y avait des positions pro-palestiniennes et des positions pro-israéliennes alors que maintenant, il y a vraiment un assentiment pratiquement complet des vingt-sept pays. Nous devrions donc pouvoir, en association avec les Américains bien sûr, et avec d'autres, jouer un rôle politique important dans le dispositif de paix.
Au sujet de la situation au Zimbabwe, nous avons adopté des conclusions auxquelles je vous renvoie. Il nous apparaît impossible d'accepter que le second tour des élections au Zimbabwe ait pu être accepté, avec cette violation des règles démocratiques les plus élémentaires, avec des pressions physiques, des tortures sur les enfants. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé des sanctions. Il s'agit là d'un poids politique et nous voulons, aux côtés de l'Union africaine, jouer un rôle positif. Il nous semble inacceptable que dans ce pays riche, 80% des Zimbabwéens vivent au-dessous du seuil de pauvreté et qu'il existe une immigration massive avec le départ de près de 4 millions d'habitants.
A propos de la situation en Géorgie, nous avons mis en garde très clairement nos amis. C'est surtout Frank-Walter Steinmeier, qui rentrait d'un déplacement dans la région, qui en a parlé. Il propose, là encore, à l'Union européenne de jouer un rôle positif dans une situation extrêmement complexe dans laquelle il est bien difficile d'imprimer une ligne claire, sinon bien entendu la ligne du dialogue.
Voilà le résumé de cette rencontre. Je pense que l'atmosphère était bonne. J'ajoute que moins il y aura de sujets et plus nous pourrons en parler de façon positive, mieux nous pourrons adopter une position européenne commune pour que l'Europe, avec 500 millions d'habitants et vingt-sept pays, joue un rôle politique.
Q - Deux questions sur la Serbie. Monsieur le Ministre, pouvez-vous nous dire ce que vous attendez maintenant du COREPER pour analyser la nouvelle situation politique ? En quoi cette arrestation d'hier change aussi les relations entre l'Union européenne et la Bosnie-Herzégovine qui a aussi signé un ASA ?
R - Ne confondons pas les deux choses, bien qu'elles soient proches. Qu'est ce que cela change ? Cela change tout pour l'espoir, pour la justice internationale, pour le fait que cela faisait treize ans que l'on attendait que ce monsieur, accusé de crimes de masse, de crimes contre l'humanité, de génocide, soit arrêté. Vous savez maintenant qu'il vivait normalement dans une ville où il allait à la clinique faire de la médecine traditionnelle. Ce n'était pas satisfaisant et nous avons pensé qu'il fallait aider le gouvernement serbe, tout en maintenant une pression importante.
Nous attendons d'autres arrestations. Nous ne pouvons pas nous satisfaire d'une seule arrestation mais c'est un bon signe. Nous avons souligné, tous ici, qu'il s'agissait d'un signe positif. Certes, ne préjugeons pas de l'avenir mais je crois toutefois qu'avec ce gouvernement, nous pouvons arrêter tous ceux contre lesquels des mandats d'amener ont été délivrés. De plus, politiquement, cette situation place la Serbie - et nous en sommes heureux - dans une position d'attente plus positive par rapport à l'Union européenne. Nous devons tous nous retrouver dans l'Union européenne, c'est l'avenir des pays des Balkans.
Ce qui est formidable, c'est que la Slovénie, premier pays à s'être séparé de la Fédération des Républiques socialistes yougoslaves, soit responsable de ce qui s'est passé entre la Serbie et le Kosovo. Nous n'avions pas d'autres solutions, il fallait que les gens cessent de s'assassiner et il faut pour cela plus d'une génération. Nous verrons bien mais l'avenir des Balkans, de notre point de vue, depuis le début, c'est l'adhésion des Balkans occidentaux à l'Union européenne. Bosnie, Monténégro, d'autres pays encore, pourquoi pas ? Cela nous met dans une position plus favorable les uns et les autres, les pays qui veulent venir vers l'Union européenne et nous, les vingt-sept pays de l'Union européenne, pour les accueillir. Il est normal qu'on les accueille.
J'ai vu Srebrenica, et bien d'autres massacres. Je pense aux familles. C'est absolument inoubliable. Pour quelle raison a-t-on voulu tous les tuer ? Pour quelle raison a-t-on voulu les anéantir ? Ils ne se l'expliquent toujours pas des années après. Il est nécessaire que la justice passe pour que la paix arrive. N'oublions pas que tout cela n'est pas théorique, ni au Kosovo ni en Bosnie. Des centaines de milliers de personnes ont été assassinées. L'oubli viendra un jour et si la justice passe, il viendra plus vite.
Q - Monsieur le Ministre, est-il possible qu'à la réunion de l'Union européenne à Avignon, des pays s'opposent encore au dialogue avec l'Ukraine sur les visas ?
R - Je voudrais laisser la Commission répondre mais je vous dirai seulement un mot : c'est très facile de nous demander des visas, c'est d'ailleurs la première chose que l'on donne avec le plus de facilité. Vous savez néanmoins que l'Union européenne est confrontée aux questions des migrations. Cessons de nous mentir, il existe des problèmes de migrations, venues en particulier des pays de l'Est. Il faut les aborder tous ensemble. Il en est de même avec les pays de l'espace Schengen à travers lesquels on circule librement, tout le monde doit être d'accord sur ce principe et sur son application. Certes cela constitue le premier mouvement de fraternité, néanmoins l'idée de fraternité, en ces temps de globalisation, s'aménage entre les pays d'où proviennent les personnes et les pays qui les reçoivent.
(...)
Q - 13 ans après Srebrenica, regrettez-vous ce qui s'est passé en Bosnie notamment l'attitude de l'Union européenne dans l'arrestation de ces criminels ?
R - C'est toujours un peu délicat, si je comprends bien votre question, vous me demandez si nous étions responsables des crimes commis. Non, nous ne l'étions pas. Nous sommes responsables du tribunal puisque nous l'avons fondé et institué. Il a été difficile voire impossible d'arrêter tous les criminels. Je me souviens quand les troupes françaises étaient déployées en Bosnie, elles avaient été accusées de ne pas s'impliquer suffisamment dans l'arrestation de ces criminels et pourtant croyez-moi, elles ont essayé. Non seulement les troupes françaises, mais toutes les nations ont été impliquées dans cette traque, elles ont échoué de peu. Nous avons essayé, et finalement ces criminels ont été arrêtés en Serbie où ils vivaient. Certes, il est trop tard, je pense bien sûr aux victimes, aux familles des victimes, mais mieux vaut tard que jamais...
Q - Monsieur Kouchner, vous avez dit que l'arrestation de M. Karadzic est un bon signe mais concrètement comment cela peut aider la Serbie pour accélérer son accès à l'Union européenne ?
R - Pour adhérer à l'Union européenne il faut d'abord être candidat et pour être candidat il faut s'accorder avec un certain nombre d'exigences, liées aux Droits de l'Homme, au commerce, que l'on appelle les chapitres. Ce processus d'applique à tous, ainsi chapitre après chapitre, on ouvre les discussions et la Serbie suivra le même chemin. Il faut simplement accepter qu'elle soit candidate et jusqu'à présent, ce n'était pas possible pour certains pays. Concernant la question de l'élargissement de l'Union européenne, il faut l'unanimité de tous les pays. Je ne vais pas vous parler du Traité de Lisbonne et du Traité de Nice, mais tout de même, cela se pose suivant des modalités très différentes. Pour le moment nous n'avons pas obtenu l'unanimité pour l'Accord de stabilisation et d'association (ASA) parce qu'un certain nombre de pays - ils n'avaient pas tort - raisonnaient de la façon suivante : "ils doivent arrêter les criminels de guerre, s'ils ne le font pas, il ne peuvent pas intégrer l'Union européenne". Il est certain que l'on ne peut pas à la fois rejoindre l'Union européenne et ne pas respecter ses règles et ses lois.
Je dis cela aussi parce que certains amis serbes prétendent vouloir porter plainte devant le Tribunal pénal international de La Haye en posant la question de l'illégalité de la reconnaissance du Kosovo. J'ai beaucoup d'affection pour les Serbes, j'ai vécu avec eux longtemps et j'ai aussi eu l'honneur de diriger le Kosovo pendant deux ans confronté à des difficultés, parfois sanglantes. Ce fut une période brutale avec des assassinats nuit et jour. Je trouve la réaction de nos amis serbes curieuse, surtout s'ils veulent nous rejoindre au sein de l'Union européenne. Si par hasard, le Tribunal pénal international se prononçait pour l'illégalité de la démarche européenne de reconnaissance du Kosovo, comment la Serbie justifierait son souhait d'intégrer une structure qui est accusée de mener une politique illégale ? Il y a une contradiction, soit ils optent pour une politique d'ouverture, de légalité, liée au Droits de l'Homme, soit ils ne le font pas et dans ce cas précis, ils remettent en cause leur éventuelle candidature à l'adhésion. En dehors de cette perspective, concernant actuellement les dossiers d'adhésion à l'Union européenne, la Croatie qui a commencé ses démarches bien avant la Serbie et en dépit d'un historique sanglant - vous ne pouvez pas vous imaginer ce à quoi ressemblait l'autoroute Belgrade-Zagreb, un véritable champ de ruines-, est proche d'adhérer et elle le peut. Pourquoi pas ? En ouvrant tous les chapitres. Quant à la Serbie, il y a une position qui renvoie vers le Traité de Nice ou le Traité de Lisbonne. Le Traité de Nice c'est à vingt-sept, il n'y a pas d'élargissement, donc il va falloir voir comment cela se pose, mais indépendamment des aléas et des difficultés que surmontera sûrement l'Union européenne, nous pensons que la Serbie doit faire partie de l'Union européenne.
Q - Le commissaire Rehn vient de déclarer à une conférence de presse avec le chef de la diplomatie serbe, que la position de la Commission européenne est qu'il faut mettre en pratique l'accord intérimaire sur le commerce avec la Serbie.
R - C'est au Comité des représentants permanents (Coreper) de le faire. D'ici la fin juillet, il reste deux réunions du Coreper et nous pouvons bien sûr le mandater. C'est ce que nous avons l'intention de faire, cela figure d'ailleurs dans les conclusions que nous avons votées. M. Vuk Jeremic et M. Olli Rehn ont raison ; plus vite cela sera fait et mieux ce sera.
Q - Monsieur le Ministre, considérez-vous qu'avec cette arrestation de M. Karadzic, la coopération pleine et entière avec le TPIY, condition sine qua non pour l'ensemble des Européens, est parfaitement remplie ou cela suppose-t-il ensuite de nouvelles démarches de la part de l'Union européenne ?
R - Cette coopération est heureusement accomplie à moitié ou du moins au tiers. Il reste encore deux autres criminels qu'il faut arrêter, dont le général Mladic. C'est néanmoins une très bonne nouvelle et je félicite nos amis serbes, ce nouveau gouvernement et le président Tadic que nous avons soutenu. Nous avons toujours dit, et ce n'était pas un choix politique, c'était un choix qui concernait les sentiments, les Droits de l'Homme et l'histoire, que les nationalistes n'étaient pas capables de fournir à la Serbie, qui en a bien besoin, l'élan nécessaire pour venir dans l'Union européenne. Ils étaient repliés sur eux-mêmes ce qui était défavorable pour la Serbie. Ce gouvernement, manifestement pro-européen, nous fait plaisir et j'espère que nous pourrons l'accueillir bientôt. Il y a d'autres conditions à remplir, la Serbie suivra le même chemin que les autres, comme la Croatie en particulier. Nous sommes contents.
Q - Cela relance-t-il l'ASA qui est une première démarche vers l'adhésion à l'Union européenne.
R - Il faut y travailler, il faut pour cela, l'unanimité de tous les membres de l'Union européenne. Nous ne l'avons pas sollicité, nous verrons bien, nous allons travailler au Coreper, comme on l'a vu et puis très vite nous aurons une position à ce propos. Il y a eu un accord de stabilisation et d'association intérimaire, qui a été proposé pour montrer combien nous étions enthousiastes à l'idée de recevoir la Serbie mais ce n'est pas suffisant, il faut que les choses aillent comme les autres, suivant le même chemin et le même processus. Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 juillet 2008