Déclaration de M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur l'agriculture de l'après 2013, Talloires le 21 septembre 2008.

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Circonstance : Conseil européen des jeunes agriculteurs (CEJA), à Annecy et Talloires les 21 et 22 septembre 2008

Texte intégral

Je suis heureux d'être parmi vous ce matin, vous qui portez l'avenir de l'agriculture.
Je suis heureux d'être parmi vous, ici, dans ce département.
Je suis, enfin, heureux de vous retrouver à l'occasion de votre congrès et de ce Conseil Informel qui vous concerne directement puisqu'il est consacré à l'avenir de la politique agricole commune.
C'est même un symbole fort que d'ouvrir ce débat avec vous : les jeunes agriculteurs à Talloires. Depuis 16 mois que j'ai pris mes fonctions, je suis convaincu que l'agriculture n'est pas la seule affaire des agriculteurs, même si c'est d'abord la leur. Les débats que nous allons avoir ici autour de ce Conseil Informel en sont le témoignage. Qu'il s'agisse de ceux qui vont exprimer une vision différente et que je rencontrerai, qu'il s'agisse des associations de protection de l'environnement que je recevrai ou encore du Président du COPA, réunissant l'ensemble des organisations agricoles européennes qui s'exprimera. C'est dans le cadre d'un débat le plus large possible que les Ministres de l'agriculture pourront exercer pleinement leurs responsabilités.
Inscrire ce thème de la PAC de l'après 2013 à l'ordre du jour de ce Conseil Informel qui a la responsabilité de conclure le bilan de santé, c'est-à-dire l'adaptation de la PAC d'ici 2013 a surpris.
Alors pourquoi un tel débat maintenant ?
Je suis convaincu que ne pas anticiper, renvoyer à plus tard le débat sur les raisons et les missions d'une politique agricole aurait été une erreur politique .Chacun connait l'agenda communautaire avec les élections européennes et le renouvellement de la Commission en 2009. Et chacun sait que les prochaines discussions seront celles des perspectives financières de l'Union européenne 2013-2020.
Ce qui me frappe quand je jette un regard sur les dernières réformes de la PAC, elles ont toutes été conclues sous la pression des évènements : ce fut tantôt l'OMC, tantôt le budget.
Ouvrir une réflexion stratégique sur l'agriculture est donc une urgence, si l'on ne veut pas que l'agriculture soit la variable d'ajustement du budget européen. Certains Etats-membres ne s'en cachent pas : la PAC est devenue une politique historique, marquée par un passé aujourd'hui révolu. Mais la PAC vaut mieux que l'éternel marchandage budgétaire. C'est la première raison de cette décision de la présidence française d'inscrire ce débat maintenant.
La deuxième raison, c'est l'absence de vision partagée entre les 27. « La semaine genevoise » fin juillet l'a illustré, une fois de plus. Deux conceptions s'y sont exprimées: une agriculture qui doit s'adapter aux règles du commerce international contre des règles du commerce qui doivent s'adapter aux réalités agricoles et alimentaires. Ces deux conceptions, on les retrouve sur la scène internationale. Et c'est parce que les Indiens ont refusé de livrer leurs 800 millions de paysans à des importations massives à bas prix et qu'ils se sont opposés aux Etats-Unis, qu'il y a eu échec à l'OMC.
La troisième raison, c'est que l'agriculture est une question stratégique. Pour notre continent car elle touche notre alimentation, notre mode de développement, notre environnement. Pour le monde, car elle est au coeur de l'insécurité alimentaire identifiée comme une des 4 menaces pour notre monde, à côte de l'insécurité financière, par le World Economic Forum.
Alors ce débat nous allons l'ouvrir avec ambition et ouverture.
* Ambition, car notre objectif est de parvenir à des conclusions communes.
* Ouverture car nous n'arrivons pas avec notre vision mais avec des questions sur lesquelles chaque pays s'exprimera.
C'est donc sur des questions que la Présidence va organiser le débat. Et chaque pays s'exprimera :
* Partageons-nous le diagnostic sur l'évolution de notre agriculture : la faim dans le monde, la volatilité des prix, la montée des risques climatiques et sanitaires , des pressions grandissantes sur les modes de production ?
* Nous retrouvons-nous sur les objectifs de la PAC du futur : la sécurité la sécurité alimentaire de 500 millions d'européens, la préservation des équilibres économiques, sociaux, écologiques de nos territoires, la participation à la réduction de la fracture alimentaire mondiale ?
* Quelles conséquences en tirons-nous sur les outils de politique agricole : la préférence européenne, le type de soutien, en d'autres termes tout découplage ou des outils moins statiques....?
Je ne suis pas naïf. Je sais que ce débat va être difficile. Mais nous allons le porter avec détermination pour présenter dans le cadre d'un Conseil des ministres de fin d'année une position partagée.
Quel avenir pour la PAC ?
L'agriculture constitue un actif stratégique pour l'Europe parce que nous sommes rentrés dans l'ère de l'urgence alimentaire et de l'exigence écologique.
* nous devrons doubler la production agricole dans le monde pour nourrir les 9 milliards d'individus que comptera la planète d'ici 2050,
* nous devrons vivre avec une volatilité des marchés dans un contexte de prix des matières premières plus élevés qu'au cours des dernières décennies,
* nous devrons faire face à des incidents climatiques et des risques sanitaires plus fréquents, parce que les produits s'échangent, parce que le climat se réchauffe,
* nous devrons répondre à l'épuisement de nos ressources naturelles,
* nous devrons construire une croissance qui fait de l'écologie une des composantes de notre développement.
Ce monde qui change exige que notre agriculture produise plus et produise mieux, c'est-à-dire en consommant moins. Elle devra désormais concilier performance économique et efficacité écologique.
Cette analyse n'est pas une analyse franco-française qui serait orientée par la puissance de notre agriculture. Il ne se passe pas de semaines, voire de jours, depuis quelques mois sans que l'on parle de l'agriculture, alors que certains l'avaient un peu facilement classée dans la catégorie des activités du passé. Mais il a fallu les dernières émeutes de la faim pour réveiller les consciences.
C'est cette analyse qui a fondé ma conviction : l'agriculture constitue un actif stratégique majeur de l'Union européenne et la politique agricole doit rester une politique économique et commune. Elle a également fondé mon ambition de construire avec la Commission, le Parlement européen, avec les forces vives de notre pays, et les agriculteurs bien sûr, une politique alimentaire, agricole et territoriale renouvelée dans ses objectifs.
Je n'ai pas d'état d'âme pour démontrer que l'agriculture ne peut être livrée aux seules lois du marché et a besoin d'une politique agricole. Les Etats-Unis qui viennent de voter leur nouveau Farm Bill n'ont pas d'état d'âme. Leur stratégie est simple : augmenter la capacité de leur agriculture à produire.
Je n'ai non plus pas d'état d'âme pour défendre une politique agricole différente de celle d'aujourd'hui: une politique agricole commune préventive, équitable au service d'une agriculture durable.
Préventive, cela signifie que face à la volatilité des prix et à la montée des risques, il est indispensable de conserver des outils de stabilisation des marchés et de mettre en place des outils de couverture de risques climatiques et sanitaires. Il n'y a pas de fatalité à tout démanteler. Ce qui se passe aujourd'hui sur les marchés financiers est éclairant.
Sans outil de régulation, on concentre, on aseptise, on pollue plus, on prend des risques et on importe. On échange la diversité humaine de notre modèle alimentaire et territorial contre l'uniformisation.
Equitable, cela signifie que la politique agricole doit prendre en compte la réalité des marchés et des productions. Or aujourd'hui, elle ne le permet pas. Le découplage des aides ne peut être la seule réponse à des agricultures en Europe riches de leur diversité. Nous avons dans nos pays des productions qui vont mal et pourtant elles sont essentielles aux équilibres de nos économies et de nos sociétés. On ne peut le balayer d'un revers de main. On ne peut accepter le déménagement de nos agricultures. On ne peut accepter la destruction de richesse et d'emplois.
Durable, cela signifie que nous devons davantage soutenir certains systèmes de production essentiels aux équilibres économiques et écologiques de nos territoires.
Cette réorientation de la PAC participe à l'objectif d'équité ainsi qu'à l'objectif d'efficacité économique et environnementale. Elle redonne sens et légitimité à la politique agricole. C'est la seule voie pour conserver une agriculture performante, reposant sur des hommes et des femmes responsables dans leurs entreprises. C'est la seule voie pour apporter des perspectives et de la lisibilité aux jeunes qui ont fait le choix de ce métier. C'est la seule voie pour attirer des jeunes.
Cette politique, elle requiert un budget. Ici ou là, on entend parler de son coût qui serait excessif : Près de 35% aujourd'hui. Mais moins de 100euros par européen et par an, est-ce trop cher pour la sécurité alimentaire de nos consommateurs ? Et regardons ce qui se passe : l'huile frelatée d'Ukraine, le lait à la mélamine en Chine...et on pourrait en citer d'autres .Cette sécurité a un coût tout comme la diversité de notre alimentation, nos paysages entretenus. Et j'ai une conviction, l'absence de PAC aurait un coût bien supérieur à la PAC actuelle. N'en doutons pas.
Cette politique, elle a comme corollaire une préférence communautaire que nous devons revendiquer, défendre sans complexe et sans naïveté. Les négociations à Genève ont échoué. La présidence française est très vigilante. Son analyse qui est aussi celle de la très grande majorité des Etats-membres reste la même. Le projet d'accord sur la table reste toujours déséquilibré sur le volet agricole. L'Union européenne est allée au bout des concessions. Et il ne comporte aucune avancée sur les biens industriels et les services.
Ces principes pour refonder la PAC pour 2013, ils m'animeront également pour conduire le bilan de santé de la PAC. Il n'y a pas d'un côté de grandes ambitions pour demain et une négociation au rabais pour la fin de l'année. Et c'est un compromis ambitieux que je vise, un compromis qui permette à chacun de nos pays, en fonction de leurs particularités, de tracer l'avenir de leur agriculture.
Et si la PAC, c'était plus que la PAC.
Au-delà de l'agriculture, c'est une certaine idée de l'Europe qui se dessine :
- ou bien, l'Europe deviendra, comme le souhaitent certains une zone de libre échange, sous-traitant des grandes puissances du monde dont elle ne fera pas partie,
- ou bien, l'Union européenne restera une communauté de nations solidaires avec des politiques intégrées : la PAC et d'autres encore sur l'énergie, la recherche ...
Derrière cette vision de l'Europe, il y a aussi une vision de la mondialisation. Notre monde a besoin de régulation. Ce n'est pas la libéralisation des échanges qui nourrira l'Afrique, c'est la production en Afrique qui nourrira l'Afrique. En ce domaine, et un large consensus s'est dégagé lors de la Conférence que j'ai organisée avec la Commission européenne pour ouvrir la présidence française, début juillet à Bruxelles « Qui va nourrir le monde ? » : la seule voie est la construction de projets agricoles régionaux sur des espaces solidaires dans lesquels la priorité est le développement des productions locales. C'est la seule voie dans un monde où les écarts de compétitivité entre les agricultures vont de 1 à 1000.
Vous qui serez les agriculteurs de demain, réfléchissez à l'Europe que vous voulez. Pour ma part, je me battrai pour une Europe qui nous permette d'être acteur et non spectateur de notre avenir. Ce débat sur l'agriculture aujourd'hui n'est pas un débat subalterne. Il vaut la peine d'être mené.
Source http://www.cnja.com, le 25 septembre 2008