Texte intégral
Madame et Messieurs les Présidents, Directeurs généraux, Directeurs et Secrétaires généraux d'organismes internationaux,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Il y a un lien particulier, multiséculaire, entre l'Amérique latine, la France et l'Europe. Si ce lien plonge loin dans le passé, les urgences du présent nous imposent plus que jamais de construire ensemble le monde de demain. Parce que nous partageons une civilisation commune, il nous sera sans doute plus facile d'élaborer les réponses aux défis auxquels la communauté internationale est confrontée, comme nous le voyons aujourd'hui avec la crise financière qui secoue tous les systèmes financiers. C'est pourquoi, à quelques mois des cérémonies qui célèbreront les indépendances latino-américaines, je suis profondément heureuse d'ouvrir cette rencontre de très haut niveau qui va nous permettre d'aborder au prisme de la relation entre l'Europe et l'Amérique latine et Caraïbes les grandes questions globales qui agitent la scène internationale.
Le lien entre ces deux ensembles régionaux ne saurait être banal, car l'Histoire nous a légué plusieurs des langues que nous utilisons, la culture qu'elles expriment, les valeurs politiques et sociales qui sont désormais communes à la plupart d'entre nous.
L'Europe, l'Amérique latine et les Caraïbes représentent une soixantaine d'Etats entre lesquels circulent depuis des siècles des hommes, des marchandises et des idées. Pourtant, ici, en Europe, lorsque l'on parle de "relation transatlantique", on pense immédiatement au Nord. C'est un paradoxe étonnant si l'on songe que cet Océan Atlantique, nous l'avons aussi, de part et d'autre, sillonné bien plus au Sud, pour vivifier cette latinité qui est une composante essentielle de nos deux continents. Au moins autant que la Mer Méditerranée que certains voudraient aujourd'hui poser en ligne de fracture et qui doit retrouver ce qui fonde profondément son union autour de nouveaux projets et des valeurs partagées.
Souvent, on a voulu opposer l'Amérique latine à l'Amérique du Nord en ce qui concerne les relations avec l'Europe. Je préfère parler de complémentarité. Il est normal que l'Amérique latine cherche, grâce à une relation soutenue avec l'Europe, à équilibrer sa relation traditionnellement forte, tant en matière politique qu'économique, avec les Etats-Unis. Il est normal aussi que l'Europe considère l'Amérique latine comme une région partenaire qui n'a pas vocation à rester dans un face-à-face exclusif avec son grand voisin du nord. C'est pourquoi nous avons tous à gagner à considérer l'Amérique latine comme le troisième point du dialogue transatlantique.
Depuis le sommet fondateur de Rio en juin 1999, nous avons progressé dans notre capacité à dialoguer. Après Madrid en 2002, Guadalajara en 2004 et Vienne en 2006, le récent sommet de Lima tenu en mai dernier est parvenu à se concentrer sur deux grands thèmes, la lutte contre la pauvreté, les inégalités et l'exclusion, et le développement durable dans tous ses aspects. Les trois ateliers qui vont structurer votre Forum vont décliner cet agenda, à travers les thèmes de la cohésion sociale, de la sécurité alimentaire et de la lutte contre le changement climatique.
Il est essentiel, j'en suis convaincue, de ne pas nous contenter de réunir une fois tous les deux ans nos chefs d'Etat et de gouvernement, fut-ce avec l'étape ministérielle intermédiaire des rendez-vous entre l'Union européenne et le groupe de Rio, dont la prochaine se tiendra à Prague en 2009. Les experts et les opérateurs, les acteurs des sociétés civiles, doivent participer à l'établissement des bilans et à la définition des objectifs. Je me souviens ainsi avoir participé au "Forum de Biarritz" à Santiago du Chili à l'automne dernier, qui était tout entier consacré à la thématique de la cohésion sociale. Les débats y étaient passionnants, mais je dirais que la passion était à la mesure de l'acuité des problèmes abordés.
Oui, les responsables politiques et diplomatiques ont besoin de l'expertise universitaire comme de l'expérience des opérateurs et acteurs sur le terrain. Leur participation est le signe de l'importance que nous accordons à la relation étroite entre l'analyse de haut niveau et l'action publique. Nous avons besoin d'échanges comme ceux d'aujourd'hui pour prendre des décisions utiles et efficaces.
C'est pourquoi je suis heureuse que cette journée se passe sous les auspices du ministère français des Affaires étrangères et européennes, mais aussi de la Banque interaméricaine de Développement, qui joue depuis longtemps un rôle clé pour le progrès du continent et dont le président, Luis Alberto Moreno, est parmi nous. Je n'oublie pas non plus l'Institut des Amériques, dirigé par le recteur Jean-Michel Blanquer : ce groupement d'intérêt scientifique, créé l'an passé pour mettre en réseau 35 établissements d'enseignement supérieur et de recherche, est l'illustration de la volonté de la France de mobiliser les meilleurs de ses experts pour intégrer l'Amérique latine dans une conception large et renouvelée du dialogue transatlantique au bénéfice de la stabilité du monde.
Nous avons déjà traversé bien des crises, et je crois que dans le contexte tourmenté actuel, il est important que des moments comme celui-ci nous permettent de parler d'une seule voix. La paix et la bonne marche du monde bénéficient d'une relation forte entre l'Europe et l'Amérique latine. Or, les thèmes qui seront traités aujourd'hui sont bien ceux de l'heure : la sauvegarde de notre planète, la lutte contre la faim, la cohésion sociale sont des enjeux majeurs. Pour les aborder, il n'y pas une solution unique, magique, mais il y a une méthode : celle du dialogue entre les Etats pour définir de nouvelles règles du jeu dans le sens de la justice, du progrès social et de la raison.
Un dialogue dont tous les Etats se sentiraient partie prenante, parce que les grands sous-ensembles qu'ils forment seraient représentés de façon pertinente. Pour affronter les problèmes globaux, nous avons en effet besoin d'une gouvernance mondiale rénovée qui passe par l'élargissement du Conseil de sécurité comme du G8.
Grandes puissances, puissances moyennes, pays développés, pays en développement, pays les moins avancés, pays émergents, pays à revenu intermédiaire : je ne résume qu'imparfaitement une typologie baroque et de plus en plus foisonnante au fil des décennies. Nous ne jouons plus sur l'échiquier en noir et blanc des années cinquante, sans pour autant que le "nouvel ordre international" dont nous avons rêvé au début des années quatre-vingt-dix n'ait été en mesure de s'imposer sur le seul fondement de la Charte des Nations unies de 1945. Il nous faudra pourtant impérativement redonner du sens à la notion de communauté internationale si nous voulons être en mesure de résoudre les problèmes qui sont ceux de l'humanité tout entière.
La crise que nous traversons aujourd'hui est d'abord une crise de la mondialisation. D'un côté, les économies et les marchés sont de plus en plus interdépendants, et de l'autre, la gouvernance mondiale est encore embryonnaire malgré l'existence d'organisations internationales comme le FMI, la Banque mondiale ou, dans un domaine différent, le Conseil de sécurité des Nations unies. Il faut mieux associer les pays émergents au règlement des grandes questions mondiales qui sont toutes interconnectées : énergie, changement climatique, sécurité alimentaire, stabilité financière.
Si nos deux régions oeuvrent ensemble, ce chemin ardu et malaisé sera plus facile à parcourir. Et nous avons bien des atouts pour le faire.
Tout d'abord, nous avons la claire conscience de la nécessité de former des ensembles unis, pouvant jouer un rôle dans la mondialisation. Quelles que soient les vicissitudes et le rythme propre à chaque processus d'intégration, l'Europe et l'Amérique latine sont les deux régions du monde qui ont fait le plus dans cette voie. Dès les années soixante, on a vu les pays andins définir une communauté dont la logique institutionnelle ressemblait fortement à celle de l'Europe en formation. Et, depuis les années quatre-vingt-dix, nous assistons à la naissance d'initiatives que nous avons encouragées, car elles correspondent à notre vision de la paix, de la démocratie et de l'économie.
Dernièrement encore s'est tenue au Brésil, le 23 mai, la réunion des chefs d'Etat de tous les pays d'Amérique du Sud pour fonder l'Union des nations sud-américaines (UNASUR). Nous voyons bien que c'est par une coopération accrue en matière de coopération intergouvernementale et économique que nous répondrons aux défis collectifs actuels. Le monde d'aujourd'hui doit être plus que jamais celui de la solidarité et de la coopération, pas celui du cavalier seul ou des solutions nationales.
L'unité européenne et l'unité latino-américaine ne sont pas des utopies, mais des horizons concrets, bénéfiques pour la paix et la prospérité de tous.
L'Europe et l'Amérique latine ont aussi en commun une tradition juridique commune qui fait que, avec l'Amérique du Nord, nous sommes les trois pôles qui émettent le plus grand nombre de normes de régulation.
Pour aborder des thèmes aussi primordiaux que le développement durable ou la cohésion sociale, le droit international public et le droit international privé pourront s'enrichir à l'avenir d'une plus grande cohérence de nos appareils juridiques. Nous devons ensemble travailler à l'édiction de règles nouvelles, pour progresser dans le domaine financier comme dans les questions de préservation de la planète.
Mesdames et Messieurs,
Le récent Sommet de Lima a adopté un programme d'actions qui associe lutte contre la pauvreté et développement durable, notamment la lutte contre le réchauffement climatique. Il faut souligner le lien entre ces deux volets, car il n'y a pas de développement durable sans justice sociale. Le travail que nous devons maintenant mener à bien, et auquel la Présidence française de l'Union européenne, aux côtés de la Commission et du Secrétariat général du Conseil, sera très attentive, c'est d'articuler les programmes d'assistance communautaire existants avec ces objectifs conjointement définis entre partenaires latino-américains et européens. Je souhaite également que la France joue tout son rôle dans le travail qui doit être accompli au travers de la Fondation Eurolac qui sera prochainement créée et la mise en place du programme Euroclima.
Les objectifs de la déclaration finale sont rendus encore plus urgents par la crise financière qui se développe actuellement. Je souhaite que nous puissions nous entendre sur des stratégies communes.
Comme l'a souligné le président Sarkozy lors de son intervention devant l'Assemblée générale des Nations unies à New York, il faut rénover profondément le système international de gouvernance et de régulation, car la faillite bancaire qui vient de se produire est d'abord la faillite d'un système de supervision, donc de gouvernance, inadapté à la mondialisation des échanges. Des consultations viennent de se tenir avec nos partenaires européens du G8 pour préparer dans les meilleures conditions la tenue d'ici à la fin de l'année de ce sommet mondial de refondation du système financier international.
Tout ceci constitue une "feuille de route" remarquablement dense et ambitieuse. Mais je ne voudrais surtout pas en achever la description sans y ajouter un volet qui me tient à coeur, puisque lié à la mission dont m'a investi le président de la République, aux côtés de Bernard Kouchner. Si l'Europe, et notamment la France, a pu s'enorgueillir d'offrir pendant longtemps l'asile aux opposants et militants latino-américains victimes de la dictature, ces temps sont heureusement révolus dans un continent qui fournit, presque partout, l'exemple d'une transition réussie vers la démocratie, le pluralisme et l'Etat de droit. Il nous faut donc maintenant faire fructifier dans les enceintes internationales les valeurs qui nous sont communes.
C'est ensemble que nous avons réussi à faire adopter par l'Assemblée générale des Nations unies la convention sur les disparitions forcées en décembre 2006, ou encore la déclaration sur les droits des peuples autochtones en septembre 2007. C'est ensemble que nous devons préparer la conférence de Durban II au printemps prochain, ensemble que nous devons oeuvrer à un moratoire universel sur la peine de mort, ensemble que nous devons veiller quotidiennement à faire du Conseil des Droits de l'Homme une institution efficace et crédible.
Et c'est également ensemble que nous allons commémorer le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, que les pays latino-américains furent parmi les premiers à soutenir et adopter.
Comment enfin ne pas rappeler que nos références philosophiques et politiques sont aussi culturelles, même si la Bibliothèque nationale de France qui nous abrite aujourd'hui, avec ses quelques millions d'ouvrages, doit vous sembler quelque peu exiguë au regard de la "Bibliothèque de Babel" imaginée par Borgès ?
Pour la seule France, le lien culturel est ancien et solide, au moins au plan des élites. Fernand Braudel ou Claude Lévi-Strauss, l'un jeune historien et l'autre jeune philosophe, ont commencé leur carrière à Sao Paulo au sein de la Mission universitaire française, et aujourd'hui, Ingrid Betancourt est la face radieuse d'une double appartenance nationale et culturelle vécue dans l'harmonie. Ce n'est pas un hasard si le réseau des Alliances françaises le plus ramifié au monde est celui de l'Amérique latine et si le système universitaire français accueille encore aujourd'hui près de 12.000 étudiants latino-américains. L'année de l'Amérique latine en France, en 2010, sera l'occasion de magnifier cette relation dans toutes ses facettes.
Ce lien culturel que plusieurs pays membres de l'Union européenne entretiennent depuis fort longtemps avec votre continent pourrait à l'avenir s'européaniser. Le mouvement est d'ailleurs déjà lancé, si j'en juge par l'alliance franco-allemande que nous avons mise en place à Santa Cruz, en Bolivie.
Je vous souhaite des échanges fructueux et éclairants : nous ne manquerons pas de regarder avec attention vos conclusions.
Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 octobre 2008
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Il y a un lien particulier, multiséculaire, entre l'Amérique latine, la France et l'Europe. Si ce lien plonge loin dans le passé, les urgences du présent nous imposent plus que jamais de construire ensemble le monde de demain. Parce que nous partageons une civilisation commune, il nous sera sans doute plus facile d'élaborer les réponses aux défis auxquels la communauté internationale est confrontée, comme nous le voyons aujourd'hui avec la crise financière qui secoue tous les systèmes financiers. C'est pourquoi, à quelques mois des cérémonies qui célèbreront les indépendances latino-américaines, je suis profondément heureuse d'ouvrir cette rencontre de très haut niveau qui va nous permettre d'aborder au prisme de la relation entre l'Europe et l'Amérique latine et Caraïbes les grandes questions globales qui agitent la scène internationale.
Le lien entre ces deux ensembles régionaux ne saurait être banal, car l'Histoire nous a légué plusieurs des langues que nous utilisons, la culture qu'elles expriment, les valeurs politiques et sociales qui sont désormais communes à la plupart d'entre nous.
L'Europe, l'Amérique latine et les Caraïbes représentent une soixantaine d'Etats entre lesquels circulent depuis des siècles des hommes, des marchandises et des idées. Pourtant, ici, en Europe, lorsque l'on parle de "relation transatlantique", on pense immédiatement au Nord. C'est un paradoxe étonnant si l'on songe que cet Océan Atlantique, nous l'avons aussi, de part et d'autre, sillonné bien plus au Sud, pour vivifier cette latinité qui est une composante essentielle de nos deux continents. Au moins autant que la Mer Méditerranée que certains voudraient aujourd'hui poser en ligne de fracture et qui doit retrouver ce qui fonde profondément son union autour de nouveaux projets et des valeurs partagées.
Souvent, on a voulu opposer l'Amérique latine à l'Amérique du Nord en ce qui concerne les relations avec l'Europe. Je préfère parler de complémentarité. Il est normal que l'Amérique latine cherche, grâce à une relation soutenue avec l'Europe, à équilibrer sa relation traditionnellement forte, tant en matière politique qu'économique, avec les Etats-Unis. Il est normal aussi que l'Europe considère l'Amérique latine comme une région partenaire qui n'a pas vocation à rester dans un face-à-face exclusif avec son grand voisin du nord. C'est pourquoi nous avons tous à gagner à considérer l'Amérique latine comme le troisième point du dialogue transatlantique.
Depuis le sommet fondateur de Rio en juin 1999, nous avons progressé dans notre capacité à dialoguer. Après Madrid en 2002, Guadalajara en 2004 et Vienne en 2006, le récent sommet de Lima tenu en mai dernier est parvenu à se concentrer sur deux grands thèmes, la lutte contre la pauvreté, les inégalités et l'exclusion, et le développement durable dans tous ses aspects. Les trois ateliers qui vont structurer votre Forum vont décliner cet agenda, à travers les thèmes de la cohésion sociale, de la sécurité alimentaire et de la lutte contre le changement climatique.
Il est essentiel, j'en suis convaincue, de ne pas nous contenter de réunir une fois tous les deux ans nos chefs d'Etat et de gouvernement, fut-ce avec l'étape ministérielle intermédiaire des rendez-vous entre l'Union européenne et le groupe de Rio, dont la prochaine se tiendra à Prague en 2009. Les experts et les opérateurs, les acteurs des sociétés civiles, doivent participer à l'établissement des bilans et à la définition des objectifs. Je me souviens ainsi avoir participé au "Forum de Biarritz" à Santiago du Chili à l'automne dernier, qui était tout entier consacré à la thématique de la cohésion sociale. Les débats y étaient passionnants, mais je dirais que la passion était à la mesure de l'acuité des problèmes abordés.
Oui, les responsables politiques et diplomatiques ont besoin de l'expertise universitaire comme de l'expérience des opérateurs et acteurs sur le terrain. Leur participation est le signe de l'importance que nous accordons à la relation étroite entre l'analyse de haut niveau et l'action publique. Nous avons besoin d'échanges comme ceux d'aujourd'hui pour prendre des décisions utiles et efficaces.
C'est pourquoi je suis heureuse que cette journée se passe sous les auspices du ministère français des Affaires étrangères et européennes, mais aussi de la Banque interaméricaine de Développement, qui joue depuis longtemps un rôle clé pour le progrès du continent et dont le président, Luis Alberto Moreno, est parmi nous. Je n'oublie pas non plus l'Institut des Amériques, dirigé par le recteur Jean-Michel Blanquer : ce groupement d'intérêt scientifique, créé l'an passé pour mettre en réseau 35 établissements d'enseignement supérieur et de recherche, est l'illustration de la volonté de la France de mobiliser les meilleurs de ses experts pour intégrer l'Amérique latine dans une conception large et renouvelée du dialogue transatlantique au bénéfice de la stabilité du monde.
Nous avons déjà traversé bien des crises, et je crois que dans le contexte tourmenté actuel, il est important que des moments comme celui-ci nous permettent de parler d'une seule voix. La paix et la bonne marche du monde bénéficient d'une relation forte entre l'Europe et l'Amérique latine. Or, les thèmes qui seront traités aujourd'hui sont bien ceux de l'heure : la sauvegarde de notre planète, la lutte contre la faim, la cohésion sociale sont des enjeux majeurs. Pour les aborder, il n'y pas une solution unique, magique, mais il y a une méthode : celle du dialogue entre les Etats pour définir de nouvelles règles du jeu dans le sens de la justice, du progrès social et de la raison.
Un dialogue dont tous les Etats se sentiraient partie prenante, parce que les grands sous-ensembles qu'ils forment seraient représentés de façon pertinente. Pour affronter les problèmes globaux, nous avons en effet besoin d'une gouvernance mondiale rénovée qui passe par l'élargissement du Conseil de sécurité comme du G8.
Grandes puissances, puissances moyennes, pays développés, pays en développement, pays les moins avancés, pays émergents, pays à revenu intermédiaire : je ne résume qu'imparfaitement une typologie baroque et de plus en plus foisonnante au fil des décennies. Nous ne jouons plus sur l'échiquier en noir et blanc des années cinquante, sans pour autant que le "nouvel ordre international" dont nous avons rêvé au début des années quatre-vingt-dix n'ait été en mesure de s'imposer sur le seul fondement de la Charte des Nations unies de 1945. Il nous faudra pourtant impérativement redonner du sens à la notion de communauté internationale si nous voulons être en mesure de résoudre les problèmes qui sont ceux de l'humanité tout entière.
La crise que nous traversons aujourd'hui est d'abord une crise de la mondialisation. D'un côté, les économies et les marchés sont de plus en plus interdépendants, et de l'autre, la gouvernance mondiale est encore embryonnaire malgré l'existence d'organisations internationales comme le FMI, la Banque mondiale ou, dans un domaine différent, le Conseil de sécurité des Nations unies. Il faut mieux associer les pays émergents au règlement des grandes questions mondiales qui sont toutes interconnectées : énergie, changement climatique, sécurité alimentaire, stabilité financière.
Si nos deux régions oeuvrent ensemble, ce chemin ardu et malaisé sera plus facile à parcourir. Et nous avons bien des atouts pour le faire.
Tout d'abord, nous avons la claire conscience de la nécessité de former des ensembles unis, pouvant jouer un rôle dans la mondialisation. Quelles que soient les vicissitudes et le rythme propre à chaque processus d'intégration, l'Europe et l'Amérique latine sont les deux régions du monde qui ont fait le plus dans cette voie. Dès les années soixante, on a vu les pays andins définir une communauté dont la logique institutionnelle ressemblait fortement à celle de l'Europe en formation. Et, depuis les années quatre-vingt-dix, nous assistons à la naissance d'initiatives que nous avons encouragées, car elles correspondent à notre vision de la paix, de la démocratie et de l'économie.
Dernièrement encore s'est tenue au Brésil, le 23 mai, la réunion des chefs d'Etat de tous les pays d'Amérique du Sud pour fonder l'Union des nations sud-américaines (UNASUR). Nous voyons bien que c'est par une coopération accrue en matière de coopération intergouvernementale et économique que nous répondrons aux défis collectifs actuels. Le monde d'aujourd'hui doit être plus que jamais celui de la solidarité et de la coopération, pas celui du cavalier seul ou des solutions nationales.
L'unité européenne et l'unité latino-américaine ne sont pas des utopies, mais des horizons concrets, bénéfiques pour la paix et la prospérité de tous.
L'Europe et l'Amérique latine ont aussi en commun une tradition juridique commune qui fait que, avec l'Amérique du Nord, nous sommes les trois pôles qui émettent le plus grand nombre de normes de régulation.
Pour aborder des thèmes aussi primordiaux que le développement durable ou la cohésion sociale, le droit international public et le droit international privé pourront s'enrichir à l'avenir d'une plus grande cohérence de nos appareils juridiques. Nous devons ensemble travailler à l'édiction de règles nouvelles, pour progresser dans le domaine financier comme dans les questions de préservation de la planète.
Mesdames et Messieurs,
Le récent Sommet de Lima a adopté un programme d'actions qui associe lutte contre la pauvreté et développement durable, notamment la lutte contre le réchauffement climatique. Il faut souligner le lien entre ces deux volets, car il n'y a pas de développement durable sans justice sociale. Le travail que nous devons maintenant mener à bien, et auquel la Présidence française de l'Union européenne, aux côtés de la Commission et du Secrétariat général du Conseil, sera très attentive, c'est d'articuler les programmes d'assistance communautaire existants avec ces objectifs conjointement définis entre partenaires latino-américains et européens. Je souhaite également que la France joue tout son rôle dans le travail qui doit être accompli au travers de la Fondation Eurolac qui sera prochainement créée et la mise en place du programme Euroclima.
Les objectifs de la déclaration finale sont rendus encore plus urgents par la crise financière qui se développe actuellement. Je souhaite que nous puissions nous entendre sur des stratégies communes.
Comme l'a souligné le président Sarkozy lors de son intervention devant l'Assemblée générale des Nations unies à New York, il faut rénover profondément le système international de gouvernance et de régulation, car la faillite bancaire qui vient de se produire est d'abord la faillite d'un système de supervision, donc de gouvernance, inadapté à la mondialisation des échanges. Des consultations viennent de se tenir avec nos partenaires européens du G8 pour préparer dans les meilleures conditions la tenue d'ici à la fin de l'année de ce sommet mondial de refondation du système financier international.
Tout ceci constitue une "feuille de route" remarquablement dense et ambitieuse. Mais je ne voudrais surtout pas en achever la description sans y ajouter un volet qui me tient à coeur, puisque lié à la mission dont m'a investi le président de la République, aux côtés de Bernard Kouchner. Si l'Europe, et notamment la France, a pu s'enorgueillir d'offrir pendant longtemps l'asile aux opposants et militants latino-américains victimes de la dictature, ces temps sont heureusement révolus dans un continent qui fournit, presque partout, l'exemple d'une transition réussie vers la démocratie, le pluralisme et l'Etat de droit. Il nous faut donc maintenant faire fructifier dans les enceintes internationales les valeurs qui nous sont communes.
C'est ensemble que nous avons réussi à faire adopter par l'Assemblée générale des Nations unies la convention sur les disparitions forcées en décembre 2006, ou encore la déclaration sur les droits des peuples autochtones en septembre 2007. C'est ensemble que nous devons préparer la conférence de Durban II au printemps prochain, ensemble que nous devons oeuvrer à un moratoire universel sur la peine de mort, ensemble que nous devons veiller quotidiennement à faire du Conseil des Droits de l'Homme une institution efficace et crédible.
Et c'est également ensemble que nous allons commémorer le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, que les pays latino-américains furent parmi les premiers à soutenir et adopter.
Comment enfin ne pas rappeler que nos références philosophiques et politiques sont aussi culturelles, même si la Bibliothèque nationale de France qui nous abrite aujourd'hui, avec ses quelques millions d'ouvrages, doit vous sembler quelque peu exiguë au regard de la "Bibliothèque de Babel" imaginée par Borgès ?
Pour la seule France, le lien culturel est ancien et solide, au moins au plan des élites. Fernand Braudel ou Claude Lévi-Strauss, l'un jeune historien et l'autre jeune philosophe, ont commencé leur carrière à Sao Paulo au sein de la Mission universitaire française, et aujourd'hui, Ingrid Betancourt est la face radieuse d'une double appartenance nationale et culturelle vécue dans l'harmonie. Ce n'est pas un hasard si le réseau des Alliances françaises le plus ramifié au monde est celui de l'Amérique latine et si le système universitaire français accueille encore aujourd'hui près de 12.000 étudiants latino-américains. L'année de l'Amérique latine en France, en 2010, sera l'occasion de magnifier cette relation dans toutes ses facettes.
Ce lien culturel que plusieurs pays membres de l'Union européenne entretiennent depuis fort longtemps avec votre continent pourrait à l'avenir s'européaniser. Le mouvement est d'ailleurs déjà lancé, si j'en juge par l'alliance franco-allemande que nous avons mise en place à Santa Cruz, en Bolivie.
Je vous souhaite des échanges fructueux et éclairants : nous ne manquerons pas de regarder avec attention vos conclusions.
Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 octobre 2008