Texte intégral
Je remercie vivement Jean-Pierre CHEVENEMENT d'avoir bien voulu m'inviter devant vous aujourd'hui.
Laction de la police est très directement concernée par la politique de la ville. Nombre dentre vous vous, je le sais, en sont convaincus. La politique de la ville ne constitue pas un département ministériel classique, je veux dire sectoriel. Elle a vocation à sintéresser à tout ce qui concerne la ville - ce qui, dans notre civilisation urbaine - représente beaucoup de domaines dintervention.
Vous le savez, parce que vous êtes en première ligne, la politique de la ville est née de la crise urbaine, des violences qui lont souvent accompagnée, la responsabilité collective - et celle de lEtat en priorité - est en effet engagée quand des situations dexclusion progressent. Le chômage, premier révélateur de cette crise, a contribué à rendre invivable certaines de nos villes, a exespéré les tensions, a renforcé des exclusions.
La prévention de la délinquance occupe une place privilégiée dans la politique de la ville. Elle en constitue un des moteurs historiques, défini dès 1983 par la commission des maires emmenée par M. Gilbert Bonnemaison, qui affirmait déjà que " la sécurité c'est laffaire de tous " et quelle doit reposer sur trois volets indissociables : prévention, répression et solidarité.
Aujourdhui, la prévention de la délinquance sinscrit pleinement dans le dispositif des contrats de ville, là où ils existent. Hors cette géographie prioritaire, la prévention de la délinquance bénéficie doutils spécifiques.
Je crois essentiel de rappeler ici que cette année, nous préparons une nouvelle génération de contrats de ville qui couvrira la période 2000 - 2006.
Lensemble des services de lEtat concernés par la politique de la ville - et la police y occupe une place importante - sont mobilisés pour y participer.
Il ne sagit pas là dune nouvelle procédure imposée aux agents de terrain. Cest au contraire une véritable opportunité qui nous est donnée de réussir la ville ensemble. Il ny a de ville réussie que dans la sécurité. Vous êtes donc au coeur de ce futur dispositif contractuel.
Ce vaste chantier de la formation et de la recherche dans la police nationale devait être ouvert, tant il conditionne tout mouvement de réforme de cette grande institution.
Jean-Pierre Chevènement a choisi de le mener en y associant les partenaires habituels de la police : ce choix est essentiel. En effet, la police cristallise bien souvent les multiples attentes de la population et des autres corps professionnels en matière de sécurité. Cependant, nous savons tous que la sécurité ne peut résulter que dune co-production entre plusieurs acteurs, en concertation avec les habitants.
Réfléchir aux questions de formation et de recherche dans la police nationale, avec ses partenaires, contribue à la diffusion de cette culture commune de sécurité.
" Co-produire la sécurité ", cela signifie que les policiers doivent apprendre à penser leur fonction en articulation avec celle dautres intervenants.
Le policier daujourdhui, et particulièrement le policier de proximité, doit dialoguer avec les gardiens dimmeubles, les agents municipaux dentretien des espaces collectifs, les intervenants associatifs, les habitants et bien dautres encore.
Car nous le savons, la sécurité, et le climat général de tranquillité urbaine, ne se limitent pas à la seule présence des forces de lordre. Elle trouve également son origine dans un sentiment que je qualifierai de " bien être dans la ville ".
Le sentiment d'insécurité nest pas évanescent, il repose sur des faits très concrets, très quotidiens : un éclairage public défectueux, des halls dimmeubles mal entretenus, des espaces verts laissés en friche, des équipements sportifs en mauvais état... Tous ces aspects de la vie quotidienne dans un quartier génèrent de linsécurité.
Jévoque tout autant le sentiment dinsécurité que linsécurité objective : ces circonstances - une rue mal éclairée et déserte par exemple - favorisent la réalisation dinfractions et nincitent pas au respect de sa ville.
Je voudrais revenir un instant sur cette fameuse théorie du " carreau cassé ", car on a trop tendance à ne retenir de cette doctrine américaine que son aspect systématiquement répressif. On oublie trop souvent - et cest au ministre de la ville de le rappeler - que la question nest pas tant de savoir si le carreau a été cassé volontairement ou par accident ; mais quil faut dabord, et rapidement, le réparer.
Cest en effet la dynamique créée par ce carreau cassé qui importe : Sil nest pas remplacé, ce sont les carreaux des vitres dà côté qui seront progressivement détériorés, et cest immédiatement, et légitimement, que les habitants ressentiront un sentiment dabandon.
Etre en mesure dassurer un bon entretien des lieux de vie collectifs, être en capacité de réparer ce qui a été cassé, voilà qui contribue efficacement à générer de la sécurité quotidienne pour nos concitoyens. C'est d'ailleurs pourquoi avec Louis BESSON, Secrétaire d'Etat au Logement, nous incitons les organismes HLM à s'engager dans une meilleure gestion urbaine de proximité. C'est aussi la responsabilité des maires que de s'engager dans cette voie. Nous voyons encore trop de différence de traitement en matière de gestion urbaine entre les centres villes ou les quartiers privilégiés et les quartiers populaires, les grands ensembles.
Mesdames et messieurs, je me suis volontairement attardé sur cet exemple pour insister sur la nécessité dans la pratique quotidienne de la police, de prendre en compte cette dimension large de la notion de sécurité.
Je vous le disais : La sécurité est une co-production ; cest pourquoi elle doit pouvoir être discutée et élaborée collectivement. Cette approche partenariale se concrétise dans le cadre des conseils de prévention de la délinquance, elle se met en oeuvre à travers les contrats locaux de sécurité et les contrats de ville.
Bien sûr, les services de lEtat, comme la police ou la justice, exercent certaines des fonctions régaliennes qui ne relèvent pas du contrat.
De même, agir ensemble ne signifie pas faire tous la même chose. La définition commune dune politique locale de sécurité ne doit pas entraîner de confusion dans les rôles des uns et des autres.
Je le rappelle souvent : Le policier nest ni un juge, ni un éducateur, ni un médecin. Si lexercice de sa fonction le conduit à répondre aux situations de détresse, celles-ci ne relèvent pas de sa compétence première ni exclusive. Cest pour cela que nous devons nous enrichir des expriences les plus abouties.
" Les correspondants de nuit ", par exemple, qui ont été mis en place dans un certain nombre de collectivités locales, constituent un exemple de prise en charge de conflits de la vie quotidienne relayant efficacement la mission de la police. Ces initiatives trouvent souvent leur origine dans la plainte des habitants qui considèrent que la police ne répond pas à tous leurs appels.
Or, si lon prend la peine danalyser la nature de ces appels - avec les habitants, cest indispensable de les associer à ce stade - force est de constater que la plupart des demandes ne relèvent effectivement pas de la compétence de la police.
Pourtant les angoisses sont là et il faut y répondre. Les troubles de voisinage, les peurs liées à lisolement, une simple ampoule électrique manquante dans une cage descalier, constituent autant dexemple où lintervention de ces correspondants de nuit est beaucoup plus à même de répondre à la demande des habitants, que la police que lon attend dans bien dautres missions.
Cest cette complémentarité dans laction quil faut savoir mettre en oeuvre. Pour être valables, ces actions doivent avoir été conçues avec lensemble des partenaires concernés, et notamment la police et la justice ; elles doivent sappuyer aussi sur une véritable implication des habitants.
Vous l'aurez compris, la formation des policiers ne peut se limiter aux seules techniques policières. Elle doit leur permettre de mieux connaître leur environnement, et de mieux inscrire leur mission dans le réseau, forcément complexe, d'acteurs qui font vivre la ville.
Nous savons tous que le méfier de policier est un métier difficile, soumis à des tensions fréquentes. Ces tensions doivent se réguler, quotidiennement, dans la pratique ; le policier doit y être préparé.
A ce titre, la formation et la recherche jouent un rôle fondamental.
On pourrait croire, à première vue, que la recherche est éloignée de cette préoccupation, que son utilité immédiate est difficilement perceptible dans lexercice du métier. Cette impression est trompeuse. Il ne faut pas considérer la recherche comme une spéculation intellectuelle inappropriée à laction, même si trop souvent encore, en France, nous manquons de liens entre recherche et action publique.
Les travaux de recherche menés de façon indépendante offrent le recul nécessaire à une analyse approfondie du rôle du policier, au-delà des seuls comportements individuels.
Cette approche est essentielle : elle permet de décrypter les modes de fonctionnement de linstitution policière. Et à ce titre, je tiens à saluer la volonté de lInstitut des hautes études de la sécurité intérieure, délaborer de véritables programmes de recherche, aux côtés détudes plus ponctuelles.
La sociologie de la police permet quant à elle de mieux identifier les sources de dynamique comme de résistance aux réformes. Elle contribue également à la conception de nouvelles missions.
Ainsi, la compréhension de la police de proximité sest considérablement améliorée grâce aux travaux de recherche déjà réalisés. Le lien entre la mise en oeuvre dune police de proximité et la politique daffectation des personnels, apparaît ainsi plus clairement.
De même, lévolution dune police dordre vers une police de sécurité, quappelle de ses voeux le ministre de l'Intérieur, requiert une analyse approfondie des missions attribuées aux policiers : sécurisation, visibilité, maintien de lordre, activité judiciaire, accueil du public,
etc ...
Ces différentes tâches de lactivité policière, doivent être " décortiquées " et comprises pour organiser les services dans le sens dune police de sécurité.
Les travaux de recherche nous y aident. Jai noté quau cours de vos travaux préparatoires, vous souhaitiez que larticulation entre recherche et terrain se perfectionne. Et vous avez raison . La formation constitue la courroie de transmission naturelle - même si ce nest pas la seule - entre ces études, leurs enseignements, et leur opérationnalité.
La formation ne peut être conçue comme une formalité dont on sacquitterait en début de carrière, puis, quelques jours par an.
Apprendre, réfléchir, comparer, discuter, interroger : toutes ces activités ne sont pas une perte de temps, mais au contraire, elles fournissent le moyen de mieux travailler.
Les temps de formation ne doivent pas correspondre à de seuls moments dapprentissage de connaissances. Ils permettent aussi de saffranchir du poids du quotidien, et de sinterroger sur sa pratique professionnelle.
Chaque étape de formation recouvre des fonctions particulières. La formation initiale donne les principaux repères ; la formation continue permet lactualisation des connaissances et la réflexion sur lexercice de son métier. Mais, je voudrais surtout insister sur limportance dune approche pluridisciplinaire et territorialisé des formations.
En effet, la pluridisciplinarité ne constitue pas une ligne de fuite commode pour ceux qui refusent dassumer leur fonction.
Appréhender un même objet détude à plusieurs, entre personnes venant dhorizons professionnels différents, enrichit lapproche. La confrontation des points de vue entre acteurs multiples - loin de brouiller les missions de chacun - clarifie les lignes de séparation entre les métiers ; elle favorise surtout le dialogue.
Cest cette approche que jai soutenue - entre autres - au conseil de sécurité intérieure de juin dernier. Jai en effet observé une grande incompréhension, souvent décrite sur le terrain, entre les professionnels intervenant auprès des jeunes, et les policiers, mais également avec les travailleurs sociaux.
Or, si chacun exerce des fonctions bien distinctes - et qui doivent absolument le rester - il est cependant indispensable que tous puissent se comprendre et articuler efficacement leur action.
Dun côté comme de lautre, je constate que la déontologie professionnelle est mal connue, que les principes et modalités dintervention sont mal appréciées et que demeure une suspicion réciproque porteuse didées fausses.
Je noircis volontairement le tableau à des fins pédagogiques. Il sagit là dune réalité que vous connaissez. Elle ma donc conduit à proposer que certaines formations sur les questions de délinquance des mineurs soient organisées au niveau déconcentré, entre les acteurs locaux.
Ces formations offriront ainsi aux partenaires loccasion de dialoguer et de constituer une culture commune, discutée, sur un même sujet.
Presque tous les jours, au cours de mes déplacements et des rencontres que j'effectue sur le terrain, je vois combien il est nécessaire dorganiser, au niveau local, ces occasions déchanges et de débats.
Le travail des policiers est difficile, je le repète. Il en est de même pour bien dautres métiers du service public. Parfois, le contact avec le public nest plus ressenti par les agents comme lessence même de leur fonction : être au service du public. Il est hélas perçu comme une charge, voire une source dinquiétude que lon cherche à éviter.
Rapidement, la lassitude et lagressivité sinstallent ; les risques de dérive apparaissent, les conditions de travail deviennent insoutenables.
Ce scénario existe partout ; je lobserve malheureusement trop souvent dans les quartiers populaires de nos villes.
Face aux difficultés que lagent éprouve à exercer son métier, le service public doit animer une mobilisation collective.
Je souhaite développer dès les prochains mois les pratiques issues des groupes de services publics de quartier, notamment face aux situations de violence.
De quoi s'agit-il ? Tout d'abord, de rompre l'isolement des fonctionnaires de terrain, pour qu'ils puissent se retrouver régulièrement, échanger leurs expériences, leurs problèmes, et s'apercevoir ainsi qu'ils ne sont pas seuls, comme on le lit trop souvent : le préposé de la poste, l'îlotier, le gardien d'immeuble, le professeur de l'école primaire, l'agent d'entretien de la voirie, tous ont intérêt à mettre en commun leurs savoir-faire. Un tel outil constitue - l'expérience l'a montré - un moyen de mieux vivre sa fonction dans le quartier.
Il s'agit ensuite de formuler des suggestions d'amélioration du service rendu au public, et qui pourront être relayées auprès des différentes hiérarchies, et mises en oeuvre, soit en commun, soit par chacune des institutions ou organismes concernés.
Les récentes crises urbaines ont bien montré quà lintervention des forces de lordre, doit toujours succéder la reprise du dialogue entre institutions et toute la population.
Quelle quen soit lorigine exacte, la crise urbaine est ressentie durement par lensemble des habitants, qui se sentent souvent abandonnés par lEtat et ses services.
Le fossé qui se creuse, parfois dangereusement, entre les services de lEtat et les habitants, aggravent encore les conditions de travail des agents publics et accroîssent le ressentiment de part et dautre.
Le groupe local de service public, avec lappui dun intervenant extérieur, permet de renouer les liens entre les acteurs et évitent le repli sur soi.
Jai abordé déjà - en filigrane - les questions de déontologie, dont vous avez fait un de vos thèmes détude.
Là plus encore que pour dautres domaines, la formation et la recherche ne peuvent être conçues comme des activités coupées de la pratique professionnelle quotidienne.
La déontologie nest pas une contrainte, ni une suspicion. Elle constitue lexpression même de votre rôle au sein du pacte républicain.
Lordre et la loi ne se font pas respecter dans une logique daffrontement, où les policiers auraient à lutter contre des " ennemis ". La légitimité de l'intervention policière repose dabord sur un sentiment de justice.
Vous représentez la puissance publique qui vous confère dimportants pouvoirs. Cette légitimité à user de la contrainte à légard de vos concitoyens, ne peut, bien évidemment, résister à larbitraire.
Les discriminations, les comportements incorrects, les attitudes vexatoires, disqualifient le fonctionnaire et disqualifient laction publique dans son ensemble.
La déontologie nest pas un luxe quune démocratie soffrirait ; elle est au coeur de la cohésion sociale et républicaine.
En choisissant de retenir les thèmes de la police de proximité et de la déontologie, vous avez marqué votre intérêt pour la sécurité au quotidien.
Cette sécurité est au centre de mes préoccupations. Elle concerne plus particulièrement les plus faibles, comme Jean-Pierre Chevènement le soulignait à Villepinte.
Ces assises de la formation et de la recherche dans la police nationale contribuent à la définition de la politique de sécurité du gouvernement. En posant la nécessité de faire évoluer linstitution policière, de ladapter aux évolutions de la société elle-même, de lamener à insérer son action, plus fortement encore, au sein dune action plus globale, vous oeuvrez en faveur de la sécurité.
Je souhaite poursuivre ce mouvement et jengage une nouvelle étape qui nous conduira à mieux articuler prévention et sécurité, à rénover nos programmes de prévention.
La sécurité au quotidien se construit avec des policiers bien formés, soucieux de leur mission et de leurs responsabilités. Ces assises, et le travail qui les a entourées, en constituent les fondations nécessaires.
Je vous remercie.
(Source http://www.ville.gouv.fr, le 9 février 1999)
Laction de la police est très directement concernée par la politique de la ville. Nombre dentre vous vous, je le sais, en sont convaincus. La politique de la ville ne constitue pas un département ministériel classique, je veux dire sectoriel. Elle a vocation à sintéresser à tout ce qui concerne la ville - ce qui, dans notre civilisation urbaine - représente beaucoup de domaines dintervention.
Vous le savez, parce que vous êtes en première ligne, la politique de la ville est née de la crise urbaine, des violences qui lont souvent accompagnée, la responsabilité collective - et celle de lEtat en priorité - est en effet engagée quand des situations dexclusion progressent. Le chômage, premier révélateur de cette crise, a contribué à rendre invivable certaines de nos villes, a exespéré les tensions, a renforcé des exclusions.
La prévention de la délinquance occupe une place privilégiée dans la politique de la ville. Elle en constitue un des moteurs historiques, défini dès 1983 par la commission des maires emmenée par M. Gilbert Bonnemaison, qui affirmait déjà que " la sécurité c'est laffaire de tous " et quelle doit reposer sur trois volets indissociables : prévention, répression et solidarité.
Aujourdhui, la prévention de la délinquance sinscrit pleinement dans le dispositif des contrats de ville, là où ils existent. Hors cette géographie prioritaire, la prévention de la délinquance bénéficie doutils spécifiques.
Je crois essentiel de rappeler ici que cette année, nous préparons une nouvelle génération de contrats de ville qui couvrira la période 2000 - 2006.
Lensemble des services de lEtat concernés par la politique de la ville - et la police y occupe une place importante - sont mobilisés pour y participer.
Il ne sagit pas là dune nouvelle procédure imposée aux agents de terrain. Cest au contraire une véritable opportunité qui nous est donnée de réussir la ville ensemble. Il ny a de ville réussie que dans la sécurité. Vous êtes donc au coeur de ce futur dispositif contractuel.
Ce vaste chantier de la formation et de la recherche dans la police nationale devait être ouvert, tant il conditionne tout mouvement de réforme de cette grande institution.
Jean-Pierre Chevènement a choisi de le mener en y associant les partenaires habituels de la police : ce choix est essentiel. En effet, la police cristallise bien souvent les multiples attentes de la population et des autres corps professionnels en matière de sécurité. Cependant, nous savons tous que la sécurité ne peut résulter que dune co-production entre plusieurs acteurs, en concertation avec les habitants.
Réfléchir aux questions de formation et de recherche dans la police nationale, avec ses partenaires, contribue à la diffusion de cette culture commune de sécurité.
" Co-produire la sécurité ", cela signifie que les policiers doivent apprendre à penser leur fonction en articulation avec celle dautres intervenants.
Le policier daujourdhui, et particulièrement le policier de proximité, doit dialoguer avec les gardiens dimmeubles, les agents municipaux dentretien des espaces collectifs, les intervenants associatifs, les habitants et bien dautres encore.
Car nous le savons, la sécurité, et le climat général de tranquillité urbaine, ne se limitent pas à la seule présence des forces de lordre. Elle trouve également son origine dans un sentiment que je qualifierai de " bien être dans la ville ".
Le sentiment d'insécurité nest pas évanescent, il repose sur des faits très concrets, très quotidiens : un éclairage public défectueux, des halls dimmeubles mal entretenus, des espaces verts laissés en friche, des équipements sportifs en mauvais état... Tous ces aspects de la vie quotidienne dans un quartier génèrent de linsécurité.
Jévoque tout autant le sentiment dinsécurité que linsécurité objective : ces circonstances - une rue mal éclairée et déserte par exemple - favorisent la réalisation dinfractions et nincitent pas au respect de sa ville.
Je voudrais revenir un instant sur cette fameuse théorie du " carreau cassé ", car on a trop tendance à ne retenir de cette doctrine américaine que son aspect systématiquement répressif. On oublie trop souvent - et cest au ministre de la ville de le rappeler - que la question nest pas tant de savoir si le carreau a été cassé volontairement ou par accident ; mais quil faut dabord, et rapidement, le réparer.
Cest en effet la dynamique créée par ce carreau cassé qui importe : Sil nest pas remplacé, ce sont les carreaux des vitres dà côté qui seront progressivement détériorés, et cest immédiatement, et légitimement, que les habitants ressentiront un sentiment dabandon.
Etre en mesure dassurer un bon entretien des lieux de vie collectifs, être en capacité de réparer ce qui a été cassé, voilà qui contribue efficacement à générer de la sécurité quotidienne pour nos concitoyens. C'est d'ailleurs pourquoi avec Louis BESSON, Secrétaire d'Etat au Logement, nous incitons les organismes HLM à s'engager dans une meilleure gestion urbaine de proximité. C'est aussi la responsabilité des maires que de s'engager dans cette voie. Nous voyons encore trop de différence de traitement en matière de gestion urbaine entre les centres villes ou les quartiers privilégiés et les quartiers populaires, les grands ensembles.
Mesdames et messieurs, je me suis volontairement attardé sur cet exemple pour insister sur la nécessité dans la pratique quotidienne de la police, de prendre en compte cette dimension large de la notion de sécurité.
Je vous le disais : La sécurité est une co-production ; cest pourquoi elle doit pouvoir être discutée et élaborée collectivement. Cette approche partenariale se concrétise dans le cadre des conseils de prévention de la délinquance, elle se met en oeuvre à travers les contrats locaux de sécurité et les contrats de ville.
Bien sûr, les services de lEtat, comme la police ou la justice, exercent certaines des fonctions régaliennes qui ne relèvent pas du contrat.
De même, agir ensemble ne signifie pas faire tous la même chose. La définition commune dune politique locale de sécurité ne doit pas entraîner de confusion dans les rôles des uns et des autres.
Je le rappelle souvent : Le policier nest ni un juge, ni un éducateur, ni un médecin. Si lexercice de sa fonction le conduit à répondre aux situations de détresse, celles-ci ne relèvent pas de sa compétence première ni exclusive. Cest pour cela que nous devons nous enrichir des expriences les plus abouties.
" Les correspondants de nuit ", par exemple, qui ont été mis en place dans un certain nombre de collectivités locales, constituent un exemple de prise en charge de conflits de la vie quotidienne relayant efficacement la mission de la police. Ces initiatives trouvent souvent leur origine dans la plainte des habitants qui considèrent que la police ne répond pas à tous leurs appels.
Or, si lon prend la peine danalyser la nature de ces appels - avec les habitants, cest indispensable de les associer à ce stade - force est de constater que la plupart des demandes ne relèvent effectivement pas de la compétence de la police.
Pourtant les angoisses sont là et il faut y répondre. Les troubles de voisinage, les peurs liées à lisolement, une simple ampoule électrique manquante dans une cage descalier, constituent autant dexemple où lintervention de ces correspondants de nuit est beaucoup plus à même de répondre à la demande des habitants, que la police que lon attend dans bien dautres missions.
Cest cette complémentarité dans laction quil faut savoir mettre en oeuvre. Pour être valables, ces actions doivent avoir été conçues avec lensemble des partenaires concernés, et notamment la police et la justice ; elles doivent sappuyer aussi sur une véritable implication des habitants.
Vous l'aurez compris, la formation des policiers ne peut se limiter aux seules techniques policières. Elle doit leur permettre de mieux connaître leur environnement, et de mieux inscrire leur mission dans le réseau, forcément complexe, d'acteurs qui font vivre la ville.
Nous savons tous que le méfier de policier est un métier difficile, soumis à des tensions fréquentes. Ces tensions doivent se réguler, quotidiennement, dans la pratique ; le policier doit y être préparé.
A ce titre, la formation et la recherche jouent un rôle fondamental.
On pourrait croire, à première vue, que la recherche est éloignée de cette préoccupation, que son utilité immédiate est difficilement perceptible dans lexercice du métier. Cette impression est trompeuse. Il ne faut pas considérer la recherche comme une spéculation intellectuelle inappropriée à laction, même si trop souvent encore, en France, nous manquons de liens entre recherche et action publique.
Les travaux de recherche menés de façon indépendante offrent le recul nécessaire à une analyse approfondie du rôle du policier, au-delà des seuls comportements individuels.
Cette approche est essentielle : elle permet de décrypter les modes de fonctionnement de linstitution policière. Et à ce titre, je tiens à saluer la volonté de lInstitut des hautes études de la sécurité intérieure, délaborer de véritables programmes de recherche, aux côtés détudes plus ponctuelles.
La sociologie de la police permet quant à elle de mieux identifier les sources de dynamique comme de résistance aux réformes. Elle contribue également à la conception de nouvelles missions.
Ainsi, la compréhension de la police de proximité sest considérablement améliorée grâce aux travaux de recherche déjà réalisés. Le lien entre la mise en oeuvre dune police de proximité et la politique daffectation des personnels, apparaît ainsi plus clairement.
De même, lévolution dune police dordre vers une police de sécurité, quappelle de ses voeux le ministre de l'Intérieur, requiert une analyse approfondie des missions attribuées aux policiers : sécurisation, visibilité, maintien de lordre, activité judiciaire, accueil du public,
etc ...
Ces différentes tâches de lactivité policière, doivent être " décortiquées " et comprises pour organiser les services dans le sens dune police de sécurité.
Les travaux de recherche nous y aident. Jai noté quau cours de vos travaux préparatoires, vous souhaitiez que larticulation entre recherche et terrain se perfectionne. Et vous avez raison . La formation constitue la courroie de transmission naturelle - même si ce nest pas la seule - entre ces études, leurs enseignements, et leur opérationnalité.
La formation ne peut être conçue comme une formalité dont on sacquitterait en début de carrière, puis, quelques jours par an.
Apprendre, réfléchir, comparer, discuter, interroger : toutes ces activités ne sont pas une perte de temps, mais au contraire, elles fournissent le moyen de mieux travailler.
Les temps de formation ne doivent pas correspondre à de seuls moments dapprentissage de connaissances. Ils permettent aussi de saffranchir du poids du quotidien, et de sinterroger sur sa pratique professionnelle.
Chaque étape de formation recouvre des fonctions particulières. La formation initiale donne les principaux repères ; la formation continue permet lactualisation des connaissances et la réflexion sur lexercice de son métier. Mais, je voudrais surtout insister sur limportance dune approche pluridisciplinaire et territorialisé des formations.
En effet, la pluridisciplinarité ne constitue pas une ligne de fuite commode pour ceux qui refusent dassumer leur fonction.
Appréhender un même objet détude à plusieurs, entre personnes venant dhorizons professionnels différents, enrichit lapproche. La confrontation des points de vue entre acteurs multiples - loin de brouiller les missions de chacun - clarifie les lignes de séparation entre les métiers ; elle favorise surtout le dialogue.
Cest cette approche que jai soutenue - entre autres - au conseil de sécurité intérieure de juin dernier. Jai en effet observé une grande incompréhension, souvent décrite sur le terrain, entre les professionnels intervenant auprès des jeunes, et les policiers, mais également avec les travailleurs sociaux.
Or, si chacun exerce des fonctions bien distinctes - et qui doivent absolument le rester - il est cependant indispensable que tous puissent se comprendre et articuler efficacement leur action.
Dun côté comme de lautre, je constate que la déontologie professionnelle est mal connue, que les principes et modalités dintervention sont mal appréciées et que demeure une suspicion réciproque porteuse didées fausses.
Je noircis volontairement le tableau à des fins pédagogiques. Il sagit là dune réalité que vous connaissez. Elle ma donc conduit à proposer que certaines formations sur les questions de délinquance des mineurs soient organisées au niveau déconcentré, entre les acteurs locaux.
Ces formations offriront ainsi aux partenaires loccasion de dialoguer et de constituer une culture commune, discutée, sur un même sujet.
Presque tous les jours, au cours de mes déplacements et des rencontres que j'effectue sur le terrain, je vois combien il est nécessaire dorganiser, au niveau local, ces occasions déchanges et de débats.
Le travail des policiers est difficile, je le repète. Il en est de même pour bien dautres métiers du service public. Parfois, le contact avec le public nest plus ressenti par les agents comme lessence même de leur fonction : être au service du public. Il est hélas perçu comme une charge, voire une source dinquiétude que lon cherche à éviter.
Rapidement, la lassitude et lagressivité sinstallent ; les risques de dérive apparaissent, les conditions de travail deviennent insoutenables.
Ce scénario existe partout ; je lobserve malheureusement trop souvent dans les quartiers populaires de nos villes.
Face aux difficultés que lagent éprouve à exercer son métier, le service public doit animer une mobilisation collective.
Je souhaite développer dès les prochains mois les pratiques issues des groupes de services publics de quartier, notamment face aux situations de violence.
De quoi s'agit-il ? Tout d'abord, de rompre l'isolement des fonctionnaires de terrain, pour qu'ils puissent se retrouver régulièrement, échanger leurs expériences, leurs problèmes, et s'apercevoir ainsi qu'ils ne sont pas seuls, comme on le lit trop souvent : le préposé de la poste, l'îlotier, le gardien d'immeuble, le professeur de l'école primaire, l'agent d'entretien de la voirie, tous ont intérêt à mettre en commun leurs savoir-faire. Un tel outil constitue - l'expérience l'a montré - un moyen de mieux vivre sa fonction dans le quartier.
Il s'agit ensuite de formuler des suggestions d'amélioration du service rendu au public, et qui pourront être relayées auprès des différentes hiérarchies, et mises en oeuvre, soit en commun, soit par chacune des institutions ou organismes concernés.
Les récentes crises urbaines ont bien montré quà lintervention des forces de lordre, doit toujours succéder la reprise du dialogue entre institutions et toute la population.
Quelle quen soit lorigine exacte, la crise urbaine est ressentie durement par lensemble des habitants, qui se sentent souvent abandonnés par lEtat et ses services.
Le fossé qui se creuse, parfois dangereusement, entre les services de lEtat et les habitants, aggravent encore les conditions de travail des agents publics et accroîssent le ressentiment de part et dautre.
Le groupe local de service public, avec lappui dun intervenant extérieur, permet de renouer les liens entre les acteurs et évitent le repli sur soi.
Jai abordé déjà - en filigrane - les questions de déontologie, dont vous avez fait un de vos thèmes détude.
Là plus encore que pour dautres domaines, la formation et la recherche ne peuvent être conçues comme des activités coupées de la pratique professionnelle quotidienne.
La déontologie nest pas une contrainte, ni une suspicion. Elle constitue lexpression même de votre rôle au sein du pacte républicain.
Lordre et la loi ne se font pas respecter dans une logique daffrontement, où les policiers auraient à lutter contre des " ennemis ". La légitimité de l'intervention policière repose dabord sur un sentiment de justice.
Vous représentez la puissance publique qui vous confère dimportants pouvoirs. Cette légitimité à user de la contrainte à légard de vos concitoyens, ne peut, bien évidemment, résister à larbitraire.
Les discriminations, les comportements incorrects, les attitudes vexatoires, disqualifient le fonctionnaire et disqualifient laction publique dans son ensemble.
La déontologie nest pas un luxe quune démocratie soffrirait ; elle est au coeur de la cohésion sociale et républicaine.
En choisissant de retenir les thèmes de la police de proximité et de la déontologie, vous avez marqué votre intérêt pour la sécurité au quotidien.
Cette sécurité est au centre de mes préoccupations. Elle concerne plus particulièrement les plus faibles, comme Jean-Pierre Chevènement le soulignait à Villepinte.
Ces assises de la formation et de la recherche dans la police nationale contribuent à la définition de la politique de sécurité du gouvernement. En posant la nécessité de faire évoluer linstitution policière, de ladapter aux évolutions de la société elle-même, de lamener à insérer son action, plus fortement encore, au sein dune action plus globale, vous oeuvrez en faveur de la sécurité.
Je souhaite poursuivre ce mouvement et jengage une nouvelle étape qui nous conduira à mieux articuler prévention et sécurité, à rénover nos programmes de prévention.
La sécurité au quotidien se construit avec des policiers bien formés, soucieux de leur mission et de leurs responsabilités. Ces assises, et le travail qui les a entourées, en constituent les fondations nécessaires.
Je vous remercie.
(Source http://www.ville.gouv.fr, le 9 février 1999)