Texte intégral
2008 est une date symbolique. Elle marque les dix ans de la libéralisation du secteur des télécommunications en Europe. Dix ans, c'est court à l'échelle de l'histoire européenne mais c'est énorme pour un secteur qui dans ce laps de temps a connu plusieurs révolutions. Depuis 1998 le taux de pénétration de la téléphonie mobile est passé de 13 % à 112 %. Même tendance spectaculaire pour internet, dont le nombre de foyers abonnés a triplé ces trois dernières années en Europe, passant de 14 à 42 %. Jamais des biens n'étaient passés aussi rapidement du statut de « produit de pointe » à celui de « produit de masse ».
Ce qui justifie toute l'attention des pouvoirs publics et de l'Europe portée aux télécommunications, c'est que votre secteur a clairement prouvé son caractère stratégique et même « d'utilité publique » au cours de la dernière décennie : d'abord parce qu'il a rendu accessible à une large population des produits et services innovants, à des prix toujours plus faibles et qu'il a démocratisé l'accès à la connaissance et aux loisirs. Ensuite parce qu'il a permis aux citoyens européens d'entrevoir de manière concrète les bénéfices du marché commun et des politiques européennes. Les télécoms sont l''exemple d''une Europe à visage humain. Enfin parce que les TIC sont parmi les principaux contributeurs de la croissance européenne depuis 10 ans. Les TIC représentent un quart de la croissance et 40 % des gains de productivité enregistrés dans l'ensemble de l'économie. Elles sont au coeur de l'économie de la connaissance et de la création, voulue par la stratégie de Lisbonne.
Un développement permis par un cadre réglementaire favorable
Le cadre réglementaire s'est toujours fondé sur la volonté de trouver le bon équilibre entre concurrence / investissement et bénéfices pour les consommateurs. Les avantages structurels dont bénéficiaient les opérateurs historiques ont progressivement été remis en cause. Mais ce processus a été conduit avec le souci constant des régulateurs nationaux de préserver l'incitation à investir, notamment grâce à une tarification des offres d'accès qui reflète les coûts, en intégrant le cas échéant une prime de risque.
Au final, les objectifs ont été atteints : une concurrence stimulée a apporté aux consommateurs des baisses de tarifs, ainsi que des services diversifiés et innovants. Dans le même temps, un cadre favorable à l'investissement a permis la poursuite du progrès technologique, le renouvellement des infrastructures et même l'accroissement des capacités de transmission.
Paquet telecom : nouvelle problématique pour garantir l'équilibre entre investissement et concurrence
Aujourd'hui, un nouveau chapitre s'ouvre avec le paquet telecom, qui sera ma principale priorité en tant que Président du Conseil Télécom pour ce semestre. J'ai décidé de faire le tour d'Europe afin d'aboutir à un accord d'ici le 27 novembre entre Etats-membres. Je profiterai d'ailleurs de la présence de Paolo Romani, mon cher collègue italien, pour m'entretenir avec lui de ces sujets.
Même si les objectifs fixés en 98 restent globalement valides, la donne a changé. Depuis 30 ans, toutes les technologies reposent sur les réseaux en cuivre. Nous entrons dans une nouvelle ère, avec l'avènement du très haut débit et de la fibre optique. Les coûts de construction de ces nouveaux réseaux se compteront en dizaine de milliards d'euros pour chaque pays. C'est un investissement lourd mais également risquée : qui peut dire comment va évoluer la demande en nouvelles capacités et le besoin en débits plus élevés ?
Ceci explique que certains opérateurs aient réclamé un nouvel équilibre entre concurrence et incitation à investir. Leur questionnement est légitime : peut-on d'un côté pousser des opérateurs à investir massivement dans des nouvelles infrastructures et les soumettre ensuite à la concurrence de nouveaux opérateurs qui ne subiraient pas les mêmes contraintes ?
La première observation que l'on peut faire, c'est que les opérateurs historiques ne sont plus les seuls à consentir ces investissements, comme en témoignent en Europe les annonces de déploiement de fibre optique d'opérateurs alternatifs. La question de la régulation de l'accès à ces nouveaux réseaux ne peut donc pas se poser dans les mêmes termes que pour l'accès au réseau en cuivre, héritage du monopole.
Deux sujets principaux sont actuellement débattus : Comment réguler l'accès aux réseaux ? Comment assurer la cohérence de cette régulation en Europe ?
Comment réguler l'accès aux réseaux ?
1- Première certitude : nous ne suspendrons pas la régulation dite « regulatory holidays » pour garantir aux opérateurs ayant consenti ces investissements de les utiliser de manière exclusive.
2- En revanche, le principe d'une rémunération du risque, sous la forme d'une prime de risque par exemple, pourrait être favorisé. J'observe que cela est d'ailleurs déjà possible sous le régime actuel.
3- Reste en débat l'opportunité d'introduire parmi les objectifs de la régulation le concept de partage du risque entre les opérateurs. Une majorité d'Etats membres y sont aujourd'hui défavorables, estimant que cela pourrait de fait revenir à différer la régulation pour inciter l'opérateur sollicitant l'accès à un réseau à s'engager pour une durée et une zone donnée et à prendre ainsi à sa charge une part du risque.
4- Par ailleurs, il convient d'établir les conditions d'une concurrence équitable entre opérateurs, le cas échéant à travers des obligations d'accès : c'est l'objet de la recommandation qu'adoptera la Commission d'ici la fin de l'année. La régulation de la fibre ne semble pas s'imposer pas immédiatement. Elle pourrait en revanche intervenir ultérieurement si des positions dominantes apparaissent.
5- En complément, des mesures pour réduire les coûts de déploiement par la mutualisation de certaines infrastructures sont essentielles. C'est notamment le sens de dispositions adoptées récemment en France (dans la LME). Les dispositions introduites par le Parlement européen dans le « paquet télécom » sur le partage physique des infrastructures entre acteurs vont aussi dans ce sens.
Deuxième question : comment renforcer la cohérence européenne de la régulation à l'avenir ? La Commission s'était prononcée pour un « grand régulateur européen ». L'harmonisation de la régulation en Europe est en effet un sujet essentiel et les Etats membres, qui se sont penchés en détail sur cette question, considèrent qu'elle doit passer par un renforcement de la coordination et de la coopération entre les différents régulateurs nationaux. Ils privilégient ainsi à ce jour un renforcement des pouvoirs du groupe existant des régulateurs européens, dont le statut devra garantir un haut niveau d'indépendance tant vis-à-vis des gouvernements que de la Commission.
Au-delà des strictes questions industrielles, il est évident que le développement des télécommunications ne pourra se faire que si le consommateur reste au centre de nos préoccupations
Une meilleure diffusion des TIC ne pourra se faire que si les citoyens ont confiance dans ces nouvelles technologies. Or :
Première observation : il y a une sensibilité accrue des consommateurs aux dépenses de télécommunications car celles-ci sont désormais considérées comme des dépenses « nécessaires ». La preuve en est que malgré les tensions sur le pouvoir d'achat, le budget des ménages consacré aux communications ne cesse de croître : il est passé de 45euros en 1998 à 93euros en 2007.
Deuxième observation : si les évolutions technologiques permanentes et la diversité des offres permettent d'augmenter le choix des consommateurs, elles sont aussi à l'évidence source de complexité, voire d'angoisse pour les consommateurs. Une demande toujours plus forte de transparence et de lisibilité émerge.
Troisième observation : l'omniprésence dans la vie quotidienne de ces services et technologies pourraient menacer, si l'on n'y prenait garde, la vie privée. Elles peuvent également être source de nuisances, comme le prouve l'explosion des spams, des arnaques par SMS ou la diffusion de certaines données personnelles sensibles.
Quatrième observation : si la grande majorité des biens et des services ont vu leur prix baisser, force est de constater que le libre jeu de la concurrence ne permet pas toujours de baisses suffisantes de tarifs. Dès lors, le législateur est dans son rôle lorsqu'il intervient directement sur les niveaux de prix, c'est ce qui motive le projet de règlement relatif à l'itinérance pour les SMS ou les données, dont je souhaite un examen approfondi au prochain Conseil tant ces sujets sont sensibles pour les consommateurs européens.
Tirant les leçons de ces observations, nous envisageons dans le cadre du « paquet télécom », un ensemble de dispositions pour renforcer la protection des consommateurs :
- l'amélioration de l'information, notamment en matière tarifaire, des consommateurs, avant signature des contrats, afin qu'ils puissent réellement comparer les offres des opérateurs.
- le renforcement de la protection des données personnelles avec une procédure de notification en cas de perte de ces données ;
- l'amélioration de la lutte contre le spam, notamment par SMS ;
un renforcement des informations fournies par les opérateurs sur les activités illégales ou sur la distribution de contenus malveillants ou ne respectant pas les droits d'auteurs.
- la réduction des délais de portabilité du numéro. Les Etats membres examinent la faisabilité de réduire ce délai autour de 1 jour.
Mesdames, Messieurs,
Je veux conclure en vous confiant le sentiment de responsabilité qui m'anime. Nous sommes face à un champ partiellement vierge et il nous appartient aujourd'hui de poser les fondations pour répondre à des problématiques nouvelles. Les décisions qui seront prises dans le cadre du paquet telecom vont structurer l'avenir du secteur des télécommunications. Mon objectif est d'atteindre un accord politique au Conseil des ministres de novembre, pour que cette réforme soit définitivement adoptée mi-2009. Je suis convaincu qu'elle contribuera efficacement au développement des réseaux de nouvelle génération et des services du futur, dans l'intérêt des opérateurs et au bénéfice des consommateurs européens.
Source http://www.minefe.gouv.fr, le 4 novembre 2008