Texte intégral
Premier point de presse du 5 mai :
A ce stade, nous avons traité deux sujets. Nous avons écouté la Présidence suédoise nous faire un compte rendu de la visite du Premier ministre suédois en Corée du Nord et nous avons essentiellement discuté sur le Proche-Orient.
Nous avons parlé du Proche-Orient et nous avons écouté un compte rendu assez détaillé de Javier Solana de toutes les initiatives récentes et des contacts auxquels il a participé. Les ministres qui ont été dans la région récemment ont fait également un compte rendu et présenté leurs conclusions. C'est le cas de Louis Michel, de Josep Piqué et de moi-même. Puis un débat général des uns et des autres sur ce que l'Europe doit faire. Ce qui en ressort, ce n'est pas un texte puisque nous sommes dans un Gymnich donc ça reste informel. Il n'y a pas de déclaration ni de décision à la sortie mais simplement des échanges qui préparent ce que nous pourrions dire ou adopter dans un prochain CAG, par exemple. L'idée générale c'est qu'il faut qu'il y ait une position forte commune des Etats-Unis et de l'Europe. Donc nous devons consacrer nos efforts dans ces prochains jours à cette convergence des positions. Cela suppose une position européenne forte et une position américaine forte, c'est nécessaire, si on veut les faire converger sur une position commune qui ait du poids. Je n'entre pas dans le détail, mais nous pensons tous qu'il faut donner le maximum de chances à l'initiative égypto-jordanienne, même si elle a été conçue et présentée dans un contexte très défavorable, mais qui ne doit pas nous inciter à baisser les bras.
Voilà où nous en sommes pour le moment.
Je pense que Mme Lindh va en dire quelques mots. Mais je veux rester dans le ton des Gymnich. C'est-à-dire que ce ne sont pas des décisions, on ne se compte pas, on n'adopte pas de texte mais nous avons des échanges de vues.
Q - Le "roadmap", ce sera précisément l'élaboration de cette position européenne qui est censée être commune ? Ce n'est pas très clair.
R - Ce n'est pas clair parce que la situation est tellement difficile et mouvante qu'on ne peut pas la traiter de façon trop mécanique, trop administrative. L'idée c'est de faire deux mouvements simultanés. C'est de formuler quelque chose, à partir de l'initiative égypto-jordanienne, qui redise aux protagonistes ce qu'ils devraient faire. C'est "roadmap" vers eux, Israéliens et Palestiniens. Et d'autre part c'est l'effort interne, que nous avons entamé il y a longtemps, et qui était je crois particulièrement intense sous la Présidence française et qui se poursuit pour que les Quinze aient une position homogène et forte. Les deux choses ont lieu en même temps. Quand Javier Solana parle de "roadmap", il parle de tous les efforts qu'il fait, au nom des Quinze, pour faire passer le message auprès des Israéliens et des Palestiniens.
Q - Quelle était l'ambiance ?
R - Le fond était pessimiste. En général c'est : analyse lucide, pessimiste, mais on ne baisse pas les bras. On continue inlassablement d'essayer d'agir sur la situation.
Q - Est-ce que vous croyez opportun dans la phase actuelle de l'élargissement de poser des questions, par exemple, sur les fonds structurels ?
R - Ca c'est autre chose. Nous n'en avons pas parlé du tout. C'est une discussion normale dont le CAG fera le point régulièrement.
Ce que je crois c'est que maintenant nous sommes entrés dans les vraies questions difficiles à propos des négociations d'élargissement. C'est une bonne chose. Cela fait plusieurs présidences que nous disons "avançons, avançons" dans les négociations. On le fait tous les uns après les autres : nous l'avons fait, les Portugais avaient commencé, les Suédois continuent. Donc nous sommes dans des vraies questions difficiles. Quand on arrive à ces questions difficiles il faut combiner deux choses. Le fait qu'on voit apparaître certains sujets particuliers qui posent des problèmes difficiles à certains Etats membres. C'est le cas de la libre circulation, par exemple, le problème posé par le chancelier Schröder. Mais la question des fonds structurels va poser des problèmes graves à d'autres pays. La question de la PAC, sous ses multiples aspects, va poser des problèmes compliqués à tout le monde. La question de l'environnement, etc. Nous arrivons au moment où la Commission va devoir combiner finement la négociation par chapitre et la négociation par Etat. Mais au bout du compte ce sont des Etats qui adhèrent à l'Europe, ce ne sont pas des chapitres. Même si nous allons pousser le plus loin possible les négociations sur certains sujets transversaux, nous ne pourrons conclure complètement une négociation d'adhésion que quand nous aurons fait le tour de l'ensemble des sujets et que nous aurons trouvé une solution à tous les problèmes que pose l'entrée de tel ou tel pays. Et tout ça, comme ça s'accélère, c'est de plus en plus proche. Donc nous ne pourrons pas conclure isolément sur un problème particulier. Nous pourrons esquisser ce que serait la solution, mais ce sera toujours sous condition que nous ayons trouvé un accord sur les autres problèmes posés simultanément.
Q - Mais peut-on décider de lier politiquement deux thèmes comme les fonds structurels et la libre circulation ?
R - Nous n'avons pas besoin de décider de les lier, ils le sont. Puisque nous avons adopté le principe de différenciation. Si nous avions adopté à Helsinki le principe que l'on ne négocie que par chapitre, nous négocierons avec les Douze chapitre après chapitre, et nous ferions entrer tout le monde quand nous aurions fini tous les chapitres. Nous avons décidé d'adopter le principe de différenciation, pays par pays, donc la Pologne, la Hongrie, la République tchèque, etc., entrent quand tous les problèmes concernant chaque adhésion sont réglés. C'est pour ça que je dis que dans cette phase il faut que la Commission fasse preuve de tout son talent pour combiner les deux choses : il faut pousser le plus loin possible problème par problème et les problèmes sont liés de facto. Ce n'est pas une inflexion par rapport à Helsinki et ce n'est pas une décision politique arbitraire soit de la Commission soit de la Présidence. C'est comme ça que ça se présente, c'est lié. Ca n'empêche pas d'aller le plus loin possible dans la solution d'un problème particulier pour voir comment on le réglerait si nous nous mettons d'accord pour un pays donné sur l'ensemble des autres sujets.
Q - Justement, est-ce qu'il est opportun maintenant pour la France de parler de la politique agricole commune ?
R - Ce n'est pas nous qui décidons. Bien sûr, tout cela se passe sous le contrôle des Quinze, les CAG sont très vigilants, nous rendons compte régulièrement, mais c'est la Commission qui fait l'essentiel du travail de la négociation quand même. Et elle mène une négociation difficile, avec douze pays en même temps. Donc c'est elle qui nous dit : voilà à quel moment on parle des sujets. Nous, nous sommes prêts à parler de tout ce qu'on veut, dans le cadre normal de la négociation d'adhésion.
Q - On n'a pas un point de vue particulier à faire valoir, là ?
R - Nous avons un point de vue particulier à faire valoir sur chaque sujet. Nous avons nos intérêts à défendre légitimement sur chaque point, comme chaque autre pays. Mais il n'y a pas de raison d'extraire un sujet. Sauf à rappeler ce que j'ai dit il y a une minute : si un pays demande qu'on mette l'accent sur un problème particulier - libre circulation (il se trouve que dans le programme de travail de la Commission, ça venait maintenant, ce n'est donc pas une dérogation à la méthode), nous sommes obligés de dire "très bien, nous allons le plus loin possible dans l'arrangement préparatoire sur ce sujet, mais nous ne pouvons pas aller à la conclusion". C'est sous condition que nous ayons trouvé une solution sur les autres sujets. Aucun pays en particulier n'a besoin de revendiquer ça, c'est la méthode adoptée à quinze.
Le lien est évident. Je crois que quand je dis qu'on ne fait pas entrer un chapitre mais des pays, j'ai tout dit sur la méthode.
Q - On a parlé d'un risque de "prise en otage" de l'élargissement...
R - Ca fait dix ans qu'on dit ça ! Et l'élargissement avance quand même.
Les négociations, ça va durer encore un certains temps et vous aurez encore quelques milliers de déclarations disant "ça avance", "ça se bloque", "ça avance", "ça se bloque", etc. C'est les négociations, ça. Il ne faut pas sur-interpréter chaque déclaration, sinon vous allez vous épuiser. Même vous...
Q - Quel est le degré de compréhension de la France pour la proposition allemande et est-ce que vous pensez que c'est le moment opportun maintenant pour la France de déclarer ses revendications, par exemple dans le domaine de la PAC ?
R - Nous, nous suivrons le programme de négociation proposé par la Commission. Nous disons depuis longtemps maintenant que nous souhaitons que les négociations avancent le plus vite possible pour qu'on traite le plus vite possible les sujets les plus compliqués. Pour avancer l'élargissement n'a pas besoin de déclarations. Les déclarations favorables à l'élargissement ne servent à rien. Les déclarations pour s'inquiéter du retard de l'élargissement ne servent à rien. La seule chose qui est utile ce sont les négociations, donc nous le demandons depuis longtemps. Maintenant nous arrivons dans les sujets compliqués : très bien. Nous ne demandons pas à traiter les problèmes avant ou après les autres. Nous suivons le programme de la Commission et quand les sujets arrivent sur la table, nous faisons part de nos remarques. C'est aussi simple que ça. Ce n'est pas un facteur de complication.
Q - Sur les fonds structurels, ce que dit l'Espagne c'est plus ou moins : il ne faut pas que l'élargissement modifie fondamentalement les transferts en faveur de nos pays. Est-ce que c'est une position tenable ? Est-ce qu'on pourra financer le maintien de l'effort actuel et parallèlement faire un effort considérable des nouveaux pays membres ?
R - C'est ce que nous verrons à la fin de la négociation. Ca ne sert à rien que moi tout seul, ministre d'un des quinze pays, je réponde de façon isolée sur un des problèmes concernant un des autres quinze pays. Ca ne donne aucune indication utile sur l'ensemble. La négociation est faite pour ce cas. Dans la négociation, les pays candidats disent : "je veux entrer le plus vite possible". Très bien mais il faut que vous soyez prêts à reprendre l'acquis communautaire. Ils demandent des dérogations : on les regarde, on discute. Ils demandent des adaptations : on les regarde. Les pays membres disent "moi, je peux accepter cette dérogation, mais pas celle-là" : on discute. C'est la négociation.
Donc je pense qu'il faut vous armer de sang-froid parce que la négociation va encore passer par des tas d'étapes très différentes, dans lesquelles il y aura des apparences de solution qui n'en seront pas, puis des blocages mais qui seront surmontés, puis un pays va dire ça, et le contraire... Au bout du compte, si nous avons décidé politiquement d'ouvrir les négociations d'adhésion, c'est bien pour aller jusqu'au bout. C'est pour ça que la question, qui se posait encore ces dernières années, de savoir qui était pour ou contre était une question qui n'avait plus de signification. Nous sommes tous pour l'élargissement sinon nous n'aurions pas ouvert les négociations d'adhésion. Nous savons tous qu'il y a des contradictions entre les acquis des Etats membres, les politiques communes, les ressources budgétaires, les demandes des Etats candidats,... C'est évident qu'il y a des contradictions. S'il n'y avait pas de contradictions, nous pourrions les faire entrer tout de suite. Mais la négociation est faite pour ça, donc nous ne pouvons pas juger maintenant. Nous jugerons au bout du compte.
Q - Mais il y a deux négociations, parce que l'Espagne demande à avoir des garanties maintenant et dans les négociations avec les candidats on leur dit : on verra ça en 2006.
R. - Il y a plusieurs négociations. Il y a la négociation d'élargissement qui elle-même se décompose en douze négociations : il y a douze négociations d'adhésion. Quand pour des raisons de commodité, disons administrative, la Commission vous parle chapitre par chapitre, ça brouille un peu l'analyse. En fait il y a douze négociations d'adhésion. Donc il y en a déjà beaucoup. Et d'autre part en toile de fond il y a les anticipations sur la future négociation budgétaire de 2006. Avec une anticipation qui est compliquée puisque personne ne sait exactement combien il y aura de pays en plus en 2006. Même si toutes sortes de pays souhaitent être rentrés, qu'on ne leur veut que du bien et qu'ils entrent le plus tôt possible si les problèmes sont réglés, nous ne pouvons pas savoir exactement. Nous arrivons à un moment donné où tout est en train de se nouer. Et c'est plutôt une bonne chose que nous soyons sorti de la rhétorique abstraite, que nous soyons dans la négociation. Ces problèmes sont devant nous, il faut les traiter. Quand il y aura des vraies contradictions nous verrons. Au bout du compte nous arbitrerons, les décisions seront prises. Nous parvenons toujours à décider : regardez à Nice nous avons réussi à prendre des décisions, dans des conditions difficiles et ingrates mais nous les avons prises quand même, sur des sujets qui étaient apparemment bloqués. Donc en matière d'élargissement, nous prendrons le moment venu des décisions. On ne peut surtout pas isoler à l'avance un problème particulier concernant un pays particulier. On peut dans la négociation, mais on ne peut pas vous dire à l'avance ce que sera la conclusion, puisqu'au bout du compte tout est lié. Ca va être comme ça pendant un certain temps.
Q - Que pensez-vous des premières dates d'adhésion pour les pays candidats ?
R - On en a parlé 36 fois des questions des dates. Nous avons toujours dit que ça nous paraissait un procédé un peu artificiel de fixer des dates à l'avance, avant que la Commission ait pu nous dire que concernant tel ou tel pays on était vraiment proche de la conclusion. Et nous avons toujours dit que nous étions très favorables à ce que les négociations aillent plus vite, ce qui veut dire que les problèmes soient réglés plus vite. Nous avons fait un gros effort en tant que Présidence pour conclure la CIG (ce n'était pas un cadeau de présider la CIG) pour qu'on soit tous prêts à accueillir des pays candidats à partir de janvier 2003. C'est bien pour être prêts assez vite. Maintenant nous avons toujours dit que fixer une date ne peut pas être une décision politique abstraite un peu artificielle. Par contre ça prendra du sens le jour où la Commission pourra nous dire : "voilà, concernant tel pays nous avons tout réglé, nous sommes proches de la conclusion". A ce moment-là c'est un constat rationnel.
Mais nous verrons si les Suédois ont une approche nouvelle. C'est une chose qui a été débattue à plusieurs reprises et il y a quand même trois ou quatre conseils européens qui avaient conclu que c'était en tout cas prématuré.
Q - On prévoit une restriction de la libre circulation pour la main d'oeuvre des nouveaux pays membres vers le reste de l'Europe de cinq ou sept ans, êtes-vous pour ou contre ?
R - Nous ne faisons pas partie des pays qui ont posé ce problème, ça ne nous pose pas un problème particulier. Mais nous sommes toujours attentifs aux intérêts et aux problèmes de l'Allemagne. Donc si l'Allemagne pose ce problème, ainsi que d'autres pays comme l'Autriche, naturellement il faut le prendre en considération, il faut l'étudier. Cela fait partie de la négociation. Maintenant cette demande de libre circulation naturellement ne plaît pas aux pays candidats, qui ont négocié pendant longtemps, qui vont entrer, et qui après auraient un délai long. Donc ils demandent que le délai soit le plus court possible. Nous, nous ne sommes ni sur la ligne de ceux qui veulent un long délai ni sur la ligne de ceux qui disent "il faut l'appliquer tout de suite", c'est un élément de la négociation. Mais comme nous ne sommes pas à la source du problème, je ne peux pas vous donner la réponse à moi tout seul. Je pense que nous trouverons une solution qui tiendra compte des uns et des autres. C'est ça la négociation. vous voyez en ce moment se mettre en place, en réalité, les éléments de la vraie négociation qui va mêler les pays, les chapitres les plus difficiles, avec l'arrière-fond de 2006. Vous voyez se dessiner le théâtre de la phase finale de la négociation d'élargissement. C'est-à-dire que nous ne sommes pas encore tout à fait à la fin.
Q - Comment voyez-vous s'engager le débat sur l'avenir de l'Europe demain ? Est-ce qu'à partir du moment où les pays candidats vont y participer vous n'allez pas vous en tenir à des généralités ? D'autre part est-ce que vous êtes aussi réservé que M. Moscovici sur les propositions de M. Fischer ?
R - Là vous parlez de ce qui se passera au déjeuner demain. Donc je réponds de façon très brève. Pierre Moscovici a exprimé un sentiment général, qui à mon avis est général et pas uniquement en France, en disant que c'était des propositions qui ne semblaient pas se situer exactement au centre de gravité de ce que pensent l'ensemble des Européens. D'autre part en ce qui concerne le débat ici, c'est vrai que la Présidence suédoise a pris l'initiative d'inviter les pays candidats. L'intérêt pour nous à ce moment-là c'est d'écouter les pays candidats. Mais ce n'est pas un lieu de négociation, nous n'avons pas à conclure, c'est un Gymnich, nous n'allons pas adopter une position commune à la sortie. Donc je pense que c'est une initiative bienvenue, qui s'inscrit dans le cadre de ce que nous avons décidé à Nice, qui est que les pays candidats soient associés à ce grand débat qui doit se conclure en 2004. Aujourd'hui où la plupart des membres des Quinze n'ont même pas mis en place leur schéma de débat national (la France est un de ceux qui l'ont fait - qui l'a annoncé en tout cas, beaucoup ne l'ont pas fait), je trouve que c'est bien que sans attendre il y ait des échanges de ce type. Il ne faut pas se tromper sur l'exercice de demain : nous allons écouter les pays candidats dire quelles sont leurs approches sur l'avenir de l'Europe. Dans tous les contacts que la France a eus depuis janvier avec les pays candidats, à quelque niveau que ce soit, nous avons insisté là-dessus. Nous leur avons dit : "A Nice nous avons soutenu cette idée que les pays candidats doivent être associés, quelle que soit la date à laquelle ils vont rentrer". C'est quand même notre Europe commune dont il s'agit. Dans un premier temps les pays candidats nous disent : "Vous savez, nous, c'est un peu abstrait tout ça, ce qui nous intéresse c'est de savoir quand on va entrer, donc c'est la négociation, donc c'est le chapitre X ou Y, ça c'est important" et on peut comprendre ça. Mais nous avons dit partout que nous tenons à ce qu'ils expriment leur avis. Et je vois que depuis janvier ou février dans les pays candidats ils ont commencé à ce dire : "C'est vrai que depuis Nice il y a un changement et que notre avis est attendu". Donc il y a un début de quelque chose. Personnellement, moi ça m'intéresse de savoir quelles seront les réactions lors de ce déjeuner de demain, quelles seront les dominantes.
Q - Est-ce que vous avez réussi à savoir pourquoi les Suédois font venir George W. Bush à Göteborg ?
R - Parce qu'il est président des Etats-Unis, à ce que j'ai compris, parce que eux sont président de l'Europe.
Q - Quel sera l'ordre du jour ?
R - Un échange sur les relations euro-américaines.
Je ne vous cache rien sur le sujet.
Q - Y aura-t-il aussi le président Poutine à Göteborg ?
R - Je crois que c'est une rumeur sans fondement.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 mai 2001)
Deuxième point de presse du 5 mai :
Cet après-midi nous avons eu une discussion très intéressante sur "Démocratie et Droits de l'Homme", la politique de l'Union européenne dans ce domaine, et début d'une discussion sur l'élargissement, pour laquelle nous avons manqué de temps et dont la suite est reportée à demain matin, ce qui nous amènera à raccourcir un peu la discussion sur la partie "Balkans".
Sur la démocratie et les Droits de l'Homme, c'est parti d'une présentation de Chris Patten et d'une présentation d'Anna Lindh. L'idée générale, à laquelle je souscris complètement, est qu'il faut essayer de donner plus de force à la politique de l'Union européenne en matière de Droits de l'Homme, plus de cohérence, plus d'efficacité. A partir de là, il y a eu un échange dans lequel j'ai développé des thèses que vous connaissez, qui en gros sont celles que j'avais développées dans l'article "La diplomatie au service de la démocratisation", en insistant sur les éléments principaux qui ont été repris par presque tous les intervenants après. C'est-à-dire qu'on est assez d'accord. On est plus d'accord que je ne le pensais, les uns et les autres sur cette approche qui consiste à dire que c'est une exigence légitime de nos politiques étrangères. Nous traduisons les valeurs des pays européens d'aujourd'hui et de l'Union en tant que telle, ça doit être présent dans toutes nos politiques. Mais en même temps on ne peut pas oublier le sens de l'Histoire et on ne peut pas faire comme si la démocratie pouvait s'obtenir instantanément. Je ne l'ai pas rappelée mais ils ont été plusieurs à rappeler ma formule disant que ce n'est pas comme de faire du Nescafé. C'est un processus. J'ai réinsisté sur l'idée qu'il fallait dans chaque pays, à un moment donné, déterminer le potentiel de démocratisation contenu dans chaque société, en insistant sur l'intérêt d'une démocratisation endogène plutôt qu'imposée par les contraintes, si on veut qu'elle soit solide et profonde.
Et j'ai rappelé ma distinction entre les démocraties que l'on restaure dans les pays qui ont été démocratiques et qui à un moment donné sont tombés sous le joug d'une dictature, et d'autre part les démocraties émergentes, processus de construction qui est aussi long et complexe que l'est une économie émergente. Et j'ai trouvé un large écho à cela de la part de la plupart des intervenants. Je disais qu'il faut à la fois donc plus de force et plus de réalisme historique pour être plus efficaces dans nos approches, puisque chacun au sein de l'Union européenne affirme qu'il ne recherche pas simplement des effets de posture mais un vrai effet.
Plusieurs ont dit que ça n'avait pas de sens de reprendre les accords qui ont été signés dans le passé pour y introduire à posteriori des clauses qui n'étaient pas là au début, mais qu'il fallait avoir une politique d'ensemble qui encourage ces processus. Plusieurs ont insisté sur le fait qu'il fallait plutôt des politiques de partenariat et de dialogue que des politiques punitives de coercition. J'ai également rappelé que quand on veut démocratiser un pays qui est un partenaire de l'Union européenne, il faut la meilleure combinaison possible des moyens dont on dispose : les moyens de contrainte, les moyens positifs d'encouragement, d'incitation, d'aide, de coopération.
Donc c'était vraiment un moment intéressant et c'était une très bonne idée de la part d'Anna Lindh d'avoir mis ce sujet en tant que tel. C'est un sujet qu'on a abordé de très nombreuses fois en réalité, mais par un biais : par le biais d'une discussion sur ce qu'on va voter ou pas à la Commission des Droits de l'Homme à Genève, ou par le biais d'une discussion sur la Birmanie, ou d'autres sujets. En fait on en parle tout le temps, mais en tant que tel c'était la première fois sous cette forme synthétique.
Dans ce débat il y a eu également un tour de table sur la question des ONG, c'est-à-dire la façon dont on travaille avec les partenaires nouveaux en général, mais avec les ONG en particulier. Là, la dominante était aussi : il est évident que nous devons travailler et travailler plus avec les ONG, mais il est évident aussi que les ONG doivent accepter de s'appliquer à elles-mêmes les principes qu'on exige, à juste titre, des gouvernements modernes, c'est-à-dire transparence, visibilité, responsabilité. Chacun a fait part du mode de coopération avec les ONG dans son pays, dans les différents domaines. Là il y a un grand accord entre les différents participants et ce que proposait M. Patten. Plusieurs intervenants - les plus nets étant Louis Michel et moi mais ça a été dit par cinq ou six ministres - ont vraiment insisté sur le fait qu'il ne fallait pas admettre l'idée que les gouvernements aient une légitimité moindre. Les gouvernements doivent être ouverts, ils doivent coopérer avec tous les nouveaux partenaires, mais ils ont - en tout cas quand ce sont des gouvernements démocratiques - une légitimité démocratique qu'aucun autre acteur n'a en tant que tel.
Louis Michel a beaucoup développé un thème qui m'est cher aussi, je l'ai moins développé cette fois-ci, qui est que beaucoup des problèmes qu'on rencontre dans les autres pays du monde ne tiennent pas au fait que les Etats y soient trop forts mais qu'ils soient trop faibles, inexistants. Et que dans la plupart des cas les exhortations à la démocratisation n'ont pas d'effet, dans des dizaines de pays dans le monde, simplement parce qu'on a affaire à des Etats, des administrations, qui sont absolument incapables d'exercer les fonctions de base et de garantir le début des conditions qui permettent de bâtir, étape après étape, des sociétés démocratiques.
C'était vraiment intéressant, c'était une vraie discussion et l'on s'est trouvé au total très convergents. Ce n'était pas évident. En général : je parle du débat intellectuel et puis de l'arrangement sur le papier Patten.
Ca c'était le premier sujet.
Sur l'élargissement c'est juste le début. Vous ne serez pas étonnés en apprenant que le débat s'est concentré tout de suite sur la question de la libre circulation, voir comment les uns et les autres réagissaient, et sur ce point particulier, sur la méthode, sur la combinaison entre une discussion approfondie sur un problème spécifique et l'articulation avec la négociation plus générale pays par pays. On en est là, il y a eu cinq ou six points de vue exprimés, on continue demain.
C'est une discussion exploratoire, préparatoire.
Q - Est-ce que la Suède veut toujours une date sur les fins de négociation ?
R - Non, la question de la date n'a pas été abordée par Anna Lindh. Cela a été évoqué par Romano Prodi qui estimait que nos dernières conclusions étaient bonnes, qu'il n'y avait pas tellement à les changer, et évoqué par Louis Michel puisque cela avait été évoqué par Romano Prodi, pour signifier qu'il n'y avait pas à changer sur ce point. Mais les Suédois n'ont pas mis en discussion le fait que nous ayons à changer là-dessus. Par contre, tous les intervenants ont reconnu que vraiment les négociations s'étaient maintenant toutes accélérées, qu'on était vraiment dans le cur des problèmes. Beaucoup d'intervenants disant que ça se passait d'ailleurs au total mieux que prévu et que ça allait maintenant plus vite que ce qu'on pensait. Tant mieux. Et chacun sait que les sujets difficiles vont se concentrer jusqu'à la fin et se lier entre eux : libre circulation, agriculture, environnement et fonds structurels.
Q - Sur l'élargissement, ça vous arrange : on a sorti la question agricole, chacun sort son problème de sa poche, et c'est très bien comme ça. Vous faites expressément un lien.
R - Tout à l'heure j'ai expliqué que je n'avais pas à faire un lien puisque le lien existe. On n'a pas à décréter qu'il y a un lien ou pas. Ceux qui diraient qu'il n'y a pas de lien ne sont pas sérieux. Le lien existe dans le choix de la négociation par différenciation, pays par pays. Il y a forcément un lien : on ne peut pas faire adhérer un pays si vous n'avez pas résolu tous les problèmes concernant ce pays. Il y a un lien. Ce n'est pas moi qui l'ai inventé aujourd'hui, c'était le cas avant, ce n'est pas nouveau. D'autre part, moi ça ne m'arrange pas : je n'ai pas de problème. Nous disons simplement que les pays entrent à partir du moment où tous les problèmes les concernant sont réglés. Et nous sommes le pays qui a le moins changé sur l'élargissement. Ca fait des années que nous disons la même chose, ça fait des années que nous sommes sérieux, ça fait des années que nous souffrons en silence de certaines démagogies sur le sujet. Et nous nous apercevons maintenant qu'au moment où il faut négocier sérieusement pour déboucher sérieusement, grâce à l'effort fait à Nice pour pouvoir se préoccuper de la suite, eh bien tout le monde parle de problèmes sérieux maintenant. Disons qu'on est plus à l'aise dans ce contexte où tout le monde parle sérieusement de la question des adhésions qu'il y a quelques années.
Je ne me réjouis pas que ce soit compliqué. D'une façon ou d'une autre il s'agit d'aboutir, quand même.
Q - La PAC n'est pas encore sur la table...
R - Elle n'est pas sur la table au sens précis de la négociation mais tout cela est dans les esprits. Les quatre sujets les plus difficiles, tout le monde les connaît. Ce dont on commence à débattre, c'est plutôt de la libre circulation que le reste.
Q - ...pour l'instant la France n'a pas de problèmes, alors que pour d'autres partenaires c'est déjà sur la table.
R - J'ai dit ce matin que nous suivions le calendrier de négociation fixé par la Commission. Nous n'avons pas à l'intervertir ou à le modifier artificiellement. On suit l'ordre de négociation normale : la libre circulation vient en débat parce que c'est discuté maintenant.
Q - Mais les Espagnols parlent des fonds structurels.
R - Oui, parce que les Espagnols ont dit qu'il y a un lien évident pour eux entre les deux. Mais il ne faut pas jouer sur les mots : tout va se lier dans la phase à venir, indépendamment des sujets relativement faciles à propos desquels on a clos provisoirement quelques chapitres, les autres questions sont liées entre elles. Vous pensez bien qu'au bout du compte il n'y aura d'accord sur rien s'il n'y a pas d'accord sur tout, pays par pays. Comme je disais tout à l'heure, on est entré dans la phase de la vraie négociation, où l'on va voir se nouer les problèmes à la fois sur un thème particulier, pays par pays, et cela va se renforcer maintenant. Le tableau apparaît dans toute sa complexité. Il ne peut pas y avoir un règlement définitif séparé sur libre circulation et même pas sur libre circulation et cohésion. Il ne pourrait pas y avoir un règlement séparé sur libre circulation, cohésion et agriculture. Il faut vraiment que, pays par pays, on ait tout complètement traité. C'est ça la négociation sérieuse. Tout cela est contenu dans les décisions de Conseils européens antérieurs.
Q - Mais les pays candidats craignent d'être liés entre eux : est-ce qu'on peut avoir l'idée qu'on va fermer le chapitre agricole pour la Slovénie et pas pour la Pologne, par exemple ?
R - On n'en sait rien. Ce sont des problèmes qu'on apercevra tout à fait à la fin. Ce n'est pas plus réaliste de spéculer là-dessus, sur une situation qui se produira peut-être dans le courant de l'année prochaine, que de spéculer sur les dates. Peut-être que ça va se lier, peut-être pas. Ce que je sais c'est ce que je répète sans arrêt : on fait entrer des pays, pas des chapitres. On ne peut pas dire : tout est réglé sur l'agriculture donc on fait entrer le chapitre agricole. On peut dire, par hypothèse : tout est réglé pour la Slovénie, elle peut entrer. Après il peut y avoir des notions politiques qui interviennent sur : quand rentre tel pays par rapport à tel autre. Mais ça c'est indépendant du mandat de négociation donné à la Commission.
Q - Mais certains pays candidats sont dans une situation où ils ne peuvent pas attendre.
R - Alors qu'est-ce qu'ils vont faire ? Ils vont entrer par la fenêtre ?
Q - Ils font du forcing.
R - Le forcing consiste à répéter les mêmes arguments tout le temps mais ça ne change rien. Ce ne sont pas des choses à traiter sur un plan psychologique. C'est comme ceux qui parlent des opinions publiques qui vont dans un sens ou dans l'autre. Oui, il y a des opinions publiques dans les pays candidats, il y en a aussi dans les pays membres, bien sûr. La bonne réponse aux opinions publiques des uns et des autres c'est de bien traiter le problème posé et de dire à un moment donné : "nous avons trouvé l'accord qui répond bien à l'impatience des candidats, à l'inquiétude des membres, voilà, cet accord doit satisfaire tout le monde". On ne va pas à chaque étape, chaque jour, matin et soir se préoccuper parce que tel pays défend légitimement ses intérêts, c'est normal cela.
Il faut beaucoup d'énergie et beaucoup de flegme dans la réaction aux étapes variées de la négociation. C'est un processus normal. C'est ça l'idée dominante. C'est un processus normal de négociation, il est conforme aux Conseils européens antérieurs, l'accélération est une donnée depuis la présidence portugaise, et la française et encore plus celle-ci. Cela se passe plutôt mieux et plus vite que prévu et les problèmes principaux qui vont devoir être tranchés après apparaissent maintenant les uns après les autres.
Q - Comment vous voyez le lien de l'élargissement avec la discussion budgétaire ?
R - Normalement il n'y pas de lien. La perspective financière a été calculée en tenant compte de la préparation des pays candidats et de certaines hypothèses d'entrée avant qui normalement ne devraient pas remettre en cause les perspectives fixées à Berlin.
Q - Cela n'entre pas dans les négociations ?
R. - Non. Cela entre dans les arrière-pensées, dans les calculs, dans les psychologies, c'est un peu compliqué, mais on ne peut pas dire que ça entre dans la négociation. C'est difficile pour un pays de dire aujourd'hui "je suis d'accord avec ça ou je ne suis pas d'accord avec ça" en fonction d'une position que je vais prendre en 2005. Personne ne sait combien il y aura de pays en 2006... Cela devient ingérable. On ne peut pas faire ce lien.
(source http://www.dipomatie.gouv.fr, le 7 mai 2001)
Entretien avec la télévision allemande le 5 mai :
Q - Fixera-t-on une date pour les premières adhésions pendant la Présidence suédoise ?
R - Nous avons commencé la discussion sur l'élargissement mais elle n'est pas terminée. Elle doit continuer demain matin. Nous avons parlé d'un problème particulier qui est la question de la libre circulation. Nous n'avons pas parlé de dates dans la discussion.
Sur la question de la date, moi je pense que ce que nous avons décidé jusqu'ici est raisonnable. Il ne faut pas fixer de façon artificielle et arbitraire des dates à l'avance. Ce serait très compliqué de fixer une date pour tout le monde. Ce serait compliqué de choisir entre ceux qui auraient une date et ceux qui n'en auraient pas. Ça serait compliqué, et un peu décourageant pour certains pays. Quand la Commission pourra nous dire "Les négociations ont tellement bien avancé que nous sommes proches de la conclusion pour tel ou tel pays", à ce moment-là on pourra parler d'un calendrier plus précis. Mais ce n'était pas la préoccupation principale dans la discussion. La préoccupation c'était : "Avançons !".
Q - Et sur la période de transition, quelle est la vue de la France ?
R - On en parle demain.
(Nykoeping, 6 mai 2001)
Q - (sur les propositions du chancelier Schroeder)
R - D'après ce que j'ai compris, c'est une proposition interne au SPD, le parti socialiste allemand, pour préparer une discussion entre les socialistes. Ce sont des positions qui sont dans la ligne de ce qu'on connaît déjà de la position des socialistes allemands. Mais je ne sais pas encore si ce sera la position allemande dans les futures discussions. En plus ces discussions dureront jusqu'en 2004.
C'est un élément important qui vient s'ajouter à une série d'éléments et de propositions qui ont déjà été faites dans ce débat sur l'avenir de l'Europe. Mais on est encore très loin de la conclusion.
Q - Pour la France, c'est possible d'accepter ces propositions ?
R - Je ne sais pas, je ne sais pas quel est le statut de cette proposition. Ce n'est pas une proposition de l'Allemagne adressée à ses partenaires européens, c'est une discussion à l'intérieur du parti socialiste allemand. Donc la France n'a pas de raison de réagir à ce stade. Nous allons participer à la discussion nous aussi.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 mai 2001)
Point de presse du 6 mai :
Je résume : c'était un Gymnich agréable et utile.
La discussion sur la politique européenne en matière de Droits de l'Homme était utile, intéressante. Louis Michel a eu une excellente formule que je reprends à mon compte : il dit qu'il faut encore mieux donner l'exemple que de donner des leçons. Il y a eu une réflexion sur l'approche de chaque pays, sur l'approche de l'Union européenne, sur l'approche de la Commission. Chris Patten doit faire prochainement une proposition dans ce domaine ; je pense qu'il s'inspirera de ce débat. Nous discuterons sur cette proposition. Bref, c'était important car cette discussion n'avait pas eu lieu jusqu'à présent sous cette forme. Pas sous cette forme globale et synthétique en tout cas, toujours à propos de tel ou tel cas particulier.
Je souligne deux points que je n'ai pas soulignés hier. D'abord j'ai demandé que l'on fasse un bilan des effets des actions de l'Union européenne dans ce domaine depuis le début. Quels ont été les effets sur l'évolution des pays ? Est-ce que cela a facilité la démocratisation ? Est-ce que cela l'a renforcée ? Est-ce que cela a fait apparaître des problèmes ? Je pense qu'au moment où nous voulons améliorer cette politique il faut avoir une claire vision de cette réalité passée.
En ce qui concerne le Proche-Orient nous avons travaillé essentiellement sur l'harmonisation et le renforcement des positions européennes et sur la convergence Europe-Etats-Unis.
En ce qui concerne les Balkans nous avons pu constater ce matin que nos analyses sur les situations (Monténégro, Macédoine, Kosovo, etc.) sont les mêmes. Nous avons réexprimé notre plein soutien à l'action très remarquable que mène Javier Solana avec ténacité, notamment à propos du dialogue en Macédoine entre les différentes composantes. L'idée générale reste la même : donner un coup d'arrêt aux actions des divers groupes extrémistes, les isoler, et faire prévaloir notre vision de l'avenir de cette région qui est celle que vous connaissez, qui a été exprimée à Zagreb et dans de nombreuses circonstances.
En ce qui concerne l'élargissement, c'était très intéressant parce qu'on voit que les éléments finaux des négociations d'adhésion se mettent en place peu à peu. Parce que les négociations avancent bien. C'est un bon signe, cela ne veut pas dire que les choses se compliquent, cela ne veut pas dire que les négociations perdent du temps, qu'il y a un effet de retardement. C'est l'inverse : c'est parce que nous avons avancé vite et bien, dans les deux ou trois dernières présidences et encore dans celle-ci, que nous sommes maintenant dans le cur du sujet. Et c'est une bonne chose que les vrais problèmes apparaissent, parce que ce n'est que comme cela que l'on arrivera à les circonscrire, à les traiter et à trouver des compromis pour trouver des solutions.
Donc pour le moment le débat a démarré sur la libre circulation parce que c'est dans cet ordre-là que les choses ont été prises par la Commission, c'est là-dessus qu'il y a des propositions allemandes et on voit apparaître le lien avec les différents sujets. Tout est lié. Nous aurons l'occasion d'en reparler au prochain COREPER, au prochain CAG et à de nombreuses reprises.
Voilà pour ces différents sujets. Comme vous le savez il n'y a pas de déclaration, de décision officielle, cela reste un Gymnich. Donc la Présidence vous donnera son appréciation d'ensemble et je contribue à cette appréciation. Mais tous ces sujets, bien sûr, seront repris dans des enceintes plus formelles.
Je ne vous parle pas des pays candidats puisque je ne les ai pas vus encore. Je pars au déjeuner maintenant.
Q - Sur l'élargissement : est-ce que vous pensez obtenir une position commune sur la libre circulation en même temps que d'autres, en tenant compte de la sensibilité d'autres Etats membres, la France sur la PAC ou l'Espagne sur les fonds structurels ?
R - A partir de maintenant dans les négociations, pour qu'on se déclare d'accord sur n'importe quel chapitre, on sera obligé de rappeler à chaque fois que l'accord est sous réserve d'un accord d'ensemble sur l'ensemble des sujets. Concernant un pays particulier, il n'y a pas d'accord tant qu'il n'y a pas d'accord sur tout. Donc même si on note, dans une étape intermédiaire de la négociation, une sorte d'accord de principe sur un mécanisme, encore une fois c'est "sous réserve de...". Je ne sais pas s'il faudra le faire sous forme de déclaration spéciale, c'est simplement un rappel de bon sens de la méthode adoptée par les Quinze à partir du principe de la différenciation. Rien ne sera complètement acquis, sur tel ou tel domaine particulier, tel ou tel chapitre particulier, tant qu'on n'aura pas fait l'accord global final pour l'entrée d'un pays. Pour des raisons de méthode on peut dire : "Bon, voilà, on a une sorte d'accord de principe là-dessus, maintenant on va voir le reste. Et puis à la fin on récapitulera tout."
Q - Monsieur le Ministre, derrière ces discussions qui ont commencé tout récemment et qui se sont continuées ici, est-ce que vous avez l'impression que se dessine une sorte de discussion sur l'après-Agenda 2000, c'est-à-dire un préambule à la discussion budgétaire pour l'Europe élargie ?
R - C'est l'impression que cela a pu donner, mais je ne crois pas que ce soit le cas. Puisque par exemple plusieurs intervenants aujourd'hui, dont le président Prodi mais également le ministre espagnol, ont dit "certes" (l'Espagnol) "il y a un lien entre les différents sujets : libre circulation, cohésion. Mais nous savons bien que nous avons pris des dispositions budgétaires jusqu'en 2006." Et les négociations d'adhésion se font sur la base de ces décisions, sans remise en cause de Berlin. C'est vrai sur chacun des chapitres. Donc les différents pays commencent à penser à l'avenir et se demandent quelles seront les conséquences de l'élargissement sur la situation budgétaire de l'Union européenne après 2006. Ils y pensent, c'est normal, c'est un travail de réflexion prospective. Mais cela n'interfère pas pour le moment avec les discussions. Donc normalement, si tout le monde est raisonnable, on devrait pouvoir aller jusqu'au bout des négociations d'adhésion dans ce contexte : reprise des acquis d'aujourd'hui, à partir des politiques d'aujourd'hui, dans le cadre budgétaire d'aujourd'hui. Cela vaudrait mieux parce que sinon cela va devenir trop compliqué.
Q - Quelle sera votre contribution au débat sur l'avenir de l'Europe au cours du déjeuner ?
R - Je crois que la Présidence suédoise a surtout prévu de donner la parole aux pays candidats. Il s'agit de leur montrer qu'on les appelle à participer vraiment au débat sur l'avenir de l'Europe, on ne les fait pas venir pour leur infliger quinze discours.
Q - Et si on vous donne la parole ?
R - Eh bien, je dirai ce que j'ai à dire.
Q - Hier vous avez dit que les propositions des sociaux-démocrates allemands n'étaient pas au centre de gravité de l'Europe. Joshka Fischer, lui, a dit au contraire qu'il y a beaucoup de pays qui se reconnaissent dans les idées allemandes en général, les siennes et celles du parti social-démocrate. Où est la vérité ?
R - Il y a plusieurs idées allemandes. Il y a des propositions dans lesquelles il y a une avant-garde d'autres dans lesquelles il n'y en a pas, par exemple. Il y a beaucoup de différences. Et puis on ne peut pas non plus faire d'un avant-projet de position pour le parti socialiste allemand un élément de discussion entre les Quinze et encore moins entre les Vingt-sept. On ne peut pas mélanger les exercices. C'est ce qu'avait dit Pierre Moscovici il y a quelques jours - vous m'avez demandé hier si j'étais d'accord avec lui, j'ai dit que j'étais d'accord avec lui : il nous a semblé en voyant les réactions des uns et des autres en Europe par rapport à ces avant-projets qu'elles ne se situaient pas au point d'équilibre. Et qu'un pays a le droit de défendre des propositions qui lui sont propres. Vous savez, c'est un long débat, gardons nos forces. Un long débat qui va durer pendant très longtemps. Il faudra distinguer dans chaque pays les positions de tel ou tel parti, de tel ou tel groupe, de telle ou telle personnalité, la position ensuite du pays en tant que tel. Il y a un cheminement, il y a les débats nationaux, d'autres formes que nous n'avons pas encore arrêtées après la période des débats nationaux, etc. Il ne faut rien figer.
Q - Si j'ai bien compris un accord sur la durée de la libre circulation avec une contre-partie politique pour l'Espagne sur les fonds de cohésion à Göteborg n'est pas en contradiction avec votre philosophie "Il n'y a pas d'accord s'il n'y a pas d'accord sur tout" ?
R - Cela dépend de ce qu'on met dedans. Cela dépend de ce que demande l'Espagne. On verra, ce n'est pas fait encore. Il faut bien que la négociation avance aussi. Dans le principe il doit être possible de dire : "Voilà, à quinze nous pourrions nous mettre d'accord sur telle chose en ce qui concerne la libre circulation. Nous pourrions nous mettre d'accord sur tel mécanisme en ce qui concerne les fonds de cohésion. Nous pourrions nous mettre d'accord, en ce qui concerne les questions agricoles, sur telle et telle chose." On peut procéder par étape tout en disant à chaque fois que ce sont des accords qui sont subordonnés à l'accord final. C'est possible. Et je ne peux pas vous dire si à Göteborg on sera d'accord précisément sur la question de la libre circulation ni sur la question des fonds structurels et si d'autres problèmes apparaîtront. Je ne peux pas vous le dire à l'avance. En termes de méthode, ce n'est pas impossible.
Q - Le problème c'est que les Allemands disent que le débat n'est pas seulement sur les fonds de cohésion mais que l'étape dans laquelle ils payent est finie complètement.
R - Je ne veux pas entrer dans le détail de la négociation. Le Gymnich ce n'est pas une réunion de négociation. C'est un sujet parmi d'autres, pour un pays parmi d'autres, etc. Laissez la négociation avancer normalement et sérieusement : elle avance bien en ce moment.
Q - Pratiquement, Monsieur le Ministre, ces négociations sur la libre circulation, sur les fonds structurels, si elles aboutissent à Göteborg, ou en 2004, en tout état de cause elles se dérouleront en dehors de l'opinion des pays candidats. Elles se déroulent à quinze. Est-ce qu'il n'y a pas un problème ?
R - Non. Il y a deux choses différentes. Il y a d'une part les négociations d'adhésion que nous menons : c'est normal que les négociations aient lieu entre les Quinze et chaque pays candidat. Avec la combinaison dont nous parlons depuis hier sur le fait d'avancer très loin dans le règlement de certains chapitres tout en réservant la décision finale au moment où on a résolu l'ensemble des questions. C'est normal que cela se passe à quinze avec chaque pays candidat.
D'autre part il y a une volonté de la part des Quinze d'associer les pays candidats à la réflexion sur l'avenir de l'Europe. C'est autre chose. Juridiquement, on pourrait ne pas le faire. On pourrait dire : la réflexion sur l'avenir de l'Union européenne est menée par les membres de l'Union européenne, ceux-là qui ont un droit juridique réel à participer cette réflexion. Pour des raisons politiques, pour des raisons d'ouverture, pour des raisons d'anticipation positives, nous estimons que ce n'est pas possible de ne parler de cela qu'à quinze. Donc tout en négociant au mieux chaque adhésion nous avons commencé à associer les douze autres à cette réflexion sur l'avenir. Pour qu'ils se sentent dans le coup. Je disais hier que, dans un premier temps, quand on leur en parlait ils disaient : "nous ce qui nous intéresse c'est l'adhésion, l'avenir de l'Union on verra plus tard". Et nous avons dit à plusieurs de ces pays, depuis deux ou trois mois : "Non, il faut vous y intéresser tout de suite. Les débats qui ont lieu sur l'avenir de l'Union, c'est votre Union. Puisque, personne ne sait exactement quand, mais vous y serez bientôt. Donc commencez à vous mettre dans cette discussion." Pour moi ce sont deux processus tout à fait complémentaires et je ne trouve pas qu'il y ait de confusion entre les deux.
Q - Pratiquement : l'Espagne demande des garanties politiques sur les fonds structurels, si accord il y a sur cette question-là, cela se passera bien sans l'avis des pays candidats.
R - Formellement et juridiquement, oui. La décision se passe à quinze. Comme la négociation de Nice s'est passée à quinze. Les seuls qui ont juridiquement et politiquement à s'exprimer dans un conseil européen et à participer à la décision ce sont les membres. Mais cela n'empêche pas d'écouter, cela n'empêche pas d'avoir des échanges, cela n'empêche pas d'essayer de tenir compte par avance des problèmes dont on sait qu'ils vont se poser. On ne peut pas mettre tout le monde sur le même plan : tant qu'un Etat n'est pas membre, il n'est pas membre. Le jour où il est membre, il a la plénitude de ses responsabilités. Il faut combiner les deux.
Vous décrivez une situation que l'on connaît très bien. On est face à cette difficulté, nous essayons de la résoudre comme je vous l'ai indiqué. D'où ces dialogues, d'où ces rencontres. Il ne faut pas non plus que ce soient deux mondes séparés : les Etats membres et puis les autres dont les idées ne sont pas connues, avec lesquels il n'y a pas d'échanges. Il faut qu'on apprenne à travailler ensemble, qu'on devine ce que vont être les positions des futurs candidats dans les années qui vont suivre. On essaye de combiner tout cela. Tous les exercices auxquels vous assistez, et que vous suivez, que vous analysez, où il y a d'une part les Etats membres qui négocient, qui décident sur tel ou tel point, et d'autre part un développement de cette concertation avec les pays candidats, c'est pour surmonter cette apparente contradiction. Donc ce déjeuner est une bonne idée, par exemple. Si je ne le rate pas.
Q - Est-ce qu'on n'est pas aussi en train d'envoyer un message un petit peu négatif aux pays candidats en disant que tout ce qu'ils ont négocié reste sur la table et peut encore être ouvert au moment du grand marchandage final ?
R - Mais vous opposez cela à quelle autre méthode de négociation ? Si vous trouvez cela négatif, c'est que vous pensez qu'il y a une autre façon de procéder.
Q - Est-ce que ce n'est pas les maintenir dans une incertitude dont ils aimeraient bien être débarrassés ?
R - Mais pour qu'ils sortent de l'incertitude il faut que la négociation ait été complète. Comment voulez-vous qu'elle soit complète d'une autre façon. Non, je pense que chez les pays candidats aussi on est sorti de la rhétorique. On est sorti du temps des postures un peu artificielles, un peu abstraites, des déclarations un peu creuses, et que tout le monde fait un travail très sérieux maintenant. Quand un pays candidat souhaite entrer vite, il sait bien que pour entrer il faut que tous les problèmes le concernant aient été réglés, chapitre après chapitre. Les pays candidats savent très bien qu'il y a des inter-réactions entre les différents chapitres et entre les différents pays. Moi je n'ai pas vu de pays candidat qui fasse sérieusement cette remarque. Alors l'opinion publique dans tel ou tel pays se pose des questions, mais dans les pays membres aussi. Il y a des opinions publiques partout. Je crois que la seule bonne réponse à l'impatience des pays candidats, à l'inquiétude de certains pays membres sur certains points, c'est la négociation. C'est la seule bonne réponse. C'est la négociation qui traite sérieusement les problèmes, sans les escamoter. C'est pour cela que c'est une très bonne chose que l'on parle maintenant des problèmes les plus difficiles et qu'on arrive à un bon accord qui soit capable de satisfaire les opinions des pays membres et des pays candidats. C'est la seule bonne réponse. Il faut essayer de se dire : on est sur un terrain sérieux maintenant.
Q - Après-demain le gouvernement macédonien va proposer au parlement l'état de siège. M. Solana, en allant à Skopje demain, va-t-il soutenir cette proposition du gouvernement macédonien ou bien demander de ne pas voter l'état de siège ?
R - Nous n'avons pas fini notre concertation sur ce point particulier. Mais ce que je peux vous dire c'est que notre approche de la question des Balkans, de la question de la Macédoine, ne peut être que globale. C'est que nous voulons à la fois bloquer l'action des groupes extrémistes, dont on voit bien le type d'engrenage qu'ils peuvent provoquer, et obtenir des évolutions politiques sur la façon de prendre en compte, par exemple en Macédoine, les droits et les intérêts légitimes de la communauté albanaise de Macédoine il faut que l'on ait une réaction sur ces deux plans. Nous continuerons à avoir des demandes sur ces deux terrains. Ce sera à M. Solana de voir sur place comment les choses s'équilibrent entre les deux approches.
Q - Là où effectivement les Etats membres sont en position de fragilité, c'est quand on voit par exemple l'Allemagne ou l'Autriche remettre en cause un chapitre qui a été théoriquement clos avec plusieurs pays, sur la libre circulation et les services. A partir du moment où l'on clôt les chapitres mais qu'on leur dit "de toute façon cela n'est que provisoire et on peut le remettre en cause", ce que fait l'Allemagne, on est dans une situation extrêmement difficile.
R - Mais il faut que vous pensiez aux Etats membres aussi. Vous avez l'air de ne parler qu'au nom des Etats candidats. Les Etats membres ont également des droits, ils ont des obligations politiques, ils ont également des opinions publiques, et puisqu'on s'est engagé à juste titre dans ce processus d'élargissement, ils ont aussi l'obligation de réussir l'élargissement. Il vaut mieux que les problèmes soient posés avant, même si cela aboutit à des négociations compliquées, plutôt que de faire entrer les pays en faisant l'impasse sur certains problèmes qui se poseraient après et qui mettraient le fonctionnement de l'Union élargie en péril. Donc je pense qu'il vaut mieux que tout soit dit clairement à l'avance. Dans l'histoire des élargissements depuis l'Union européenne à six, vous vous les rappelez vous-mêmes, on peut avoir à l'esprit des négociations qui ont été bien menées parce que tous les problèmes ont été traités. Cela a parfois été très compliqué, cela a parfois été assez long, mais quand les problèmes ont tous été traités avant, après cela a bien marché. Et vous pouvez penser vous-mêmes à certains pays qui sont entrés après des négociations qui n'avaient pas été assez complètes ou pas assez bien menées, et qu'il y a eu des problèmes qui ont duré des années et des années après. On ne peut pas se permettre cela. L'élargissement pour passer de quinze à vingt-sept c'est une mutation, ce n'est pas un élargissement comme quand on augmente de deux ou trois pays. Donc il faut que vous compreniez qu'il peut y avoir des raisons supérieures qui font qu'un Etat membre dit : "J'avais donné mon accord à cela mais je suis devant un problème terrible, il faut le régler autrement". Les pays candidats peuvent le comprendre aussi. Ce qui est intéressant, c'est qu'on ait en tête l'objectif, qu'on y parvienne, et qu'on ait tout bien surmonté. Mais cela avance. Il y a eu une période d'exhortation en disant "il faut que les négociations avancent" et finalement, elles avancent vraiment. Tous les problèmes dont nous parlons, sur lesquels vous m'interrogez, c'est précisément qu'on est dans le coeur de la discussion. Ces questions ne viendraient pas si on avait piétiné. Ou si on n'avait pas réussi à Nice.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 mai 2001)
A ce stade, nous avons traité deux sujets. Nous avons écouté la Présidence suédoise nous faire un compte rendu de la visite du Premier ministre suédois en Corée du Nord et nous avons essentiellement discuté sur le Proche-Orient.
Nous avons parlé du Proche-Orient et nous avons écouté un compte rendu assez détaillé de Javier Solana de toutes les initiatives récentes et des contacts auxquels il a participé. Les ministres qui ont été dans la région récemment ont fait également un compte rendu et présenté leurs conclusions. C'est le cas de Louis Michel, de Josep Piqué et de moi-même. Puis un débat général des uns et des autres sur ce que l'Europe doit faire. Ce qui en ressort, ce n'est pas un texte puisque nous sommes dans un Gymnich donc ça reste informel. Il n'y a pas de déclaration ni de décision à la sortie mais simplement des échanges qui préparent ce que nous pourrions dire ou adopter dans un prochain CAG, par exemple. L'idée générale c'est qu'il faut qu'il y ait une position forte commune des Etats-Unis et de l'Europe. Donc nous devons consacrer nos efforts dans ces prochains jours à cette convergence des positions. Cela suppose une position européenne forte et une position américaine forte, c'est nécessaire, si on veut les faire converger sur une position commune qui ait du poids. Je n'entre pas dans le détail, mais nous pensons tous qu'il faut donner le maximum de chances à l'initiative égypto-jordanienne, même si elle a été conçue et présentée dans un contexte très défavorable, mais qui ne doit pas nous inciter à baisser les bras.
Voilà où nous en sommes pour le moment.
Je pense que Mme Lindh va en dire quelques mots. Mais je veux rester dans le ton des Gymnich. C'est-à-dire que ce ne sont pas des décisions, on ne se compte pas, on n'adopte pas de texte mais nous avons des échanges de vues.
Q - Le "roadmap", ce sera précisément l'élaboration de cette position européenne qui est censée être commune ? Ce n'est pas très clair.
R - Ce n'est pas clair parce que la situation est tellement difficile et mouvante qu'on ne peut pas la traiter de façon trop mécanique, trop administrative. L'idée c'est de faire deux mouvements simultanés. C'est de formuler quelque chose, à partir de l'initiative égypto-jordanienne, qui redise aux protagonistes ce qu'ils devraient faire. C'est "roadmap" vers eux, Israéliens et Palestiniens. Et d'autre part c'est l'effort interne, que nous avons entamé il y a longtemps, et qui était je crois particulièrement intense sous la Présidence française et qui se poursuit pour que les Quinze aient une position homogène et forte. Les deux choses ont lieu en même temps. Quand Javier Solana parle de "roadmap", il parle de tous les efforts qu'il fait, au nom des Quinze, pour faire passer le message auprès des Israéliens et des Palestiniens.
Q - Quelle était l'ambiance ?
R - Le fond était pessimiste. En général c'est : analyse lucide, pessimiste, mais on ne baisse pas les bras. On continue inlassablement d'essayer d'agir sur la situation.
Q - Est-ce que vous croyez opportun dans la phase actuelle de l'élargissement de poser des questions, par exemple, sur les fonds structurels ?
R - Ca c'est autre chose. Nous n'en avons pas parlé du tout. C'est une discussion normale dont le CAG fera le point régulièrement.
Ce que je crois c'est que maintenant nous sommes entrés dans les vraies questions difficiles à propos des négociations d'élargissement. C'est une bonne chose. Cela fait plusieurs présidences que nous disons "avançons, avançons" dans les négociations. On le fait tous les uns après les autres : nous l'avons fait, les Portugais avaient commencé, les Suédois continuent. Donc nous sommes dans des vraies questions difficiles. Quand on arrive à ces questions difficiles il faut combiner deux choses. Le fait qu'on voit apparaître certains sujets particuliers qui posent des problèmes difficiles à certains Etats membres. C'est le cas de la libre circulation, par exemple, le problème posé par le chancelier Schröder. Mais la question des fonds structurels va poser des problèmes graves à d'autres pays. La question de la PAC, sous ses multiples aspects, va poser des problèmes compliqués à tout le monde. La question de l'environnement, etc. Nous arrivons au moment où la Commission va devoir combiner finement la négociation par chapitre et la négociation par Etat. Mais au bout du compte ce sont des Etats qui adhèrent à l'Europe, ce ne sont pas des chapitres. Même si nous allons pousser le plus loin possible les négociations sur certains sujets transversaux, nous ne pourrons conclure complètement une négociation d'adhésion que quand nous aurons fait le tour de l'ensemble des sujets et que nous aurons trouvé une solution à tous les problèmes que pose l'entrée de tel ou tel pays. Et tout ça, comme ça s'accélère, c'est de plus en plus proche. Donc nous ne pourrons pas conclure isolément sur un problème particulier. Nous pourrons esquisser ce que serait la solution, mais ce sera toujours sous condition que nous ayons trouvé un accord sur les autres problèmes posés simultanément.
Q - Mais peut-on décider de lier politiquement deux thèmes comme les fonds structurels et la libre circulation ?
R - Nous n'avons pas besoin de décider de les lier, ils le sont. Puisque nous avons adopté le principe de différenciation. Si nous avions adopté à Helsinki le principe que l'on ne négocie que par chapitre, nous négocierons avec les Douze chapitre après chapitre, et nous ferions entrer tout le monde quand nous aurions fini tous les chapitres. Nous avons décidé d'adopter le principe de différenciation, pays par pays, donc la Pologne, la Hongrie, la République tchèque, etc., entrent quand tous les problèmes concernant chaque adhésion sont réglés. C'est pour ça que je dis que dans cette phase il faut que la Commission fasse preuve de tout son talent pour combiner les deux choses : il faut pousser le plus loin possible problème par problème et les problèmes sont liés de facto. Ce n'est pas une inflexion par rapport à Helsinki et ce n'est pas une décision politique arbitraire soit de la Commission soit de la Présidence. C'est comme ça que ça se présente, c'est lié. Ca n'empêche pas d'aller le plus loin possible dans la solution d'un problème particulier pour voir comment on le réglerait si nous nous mettons d'accord pour un pays donné sur l'ensemble des autres sujets.
Q - Justement, est-ce qu'il est opportun maintenant pour la France de parler de la politique agricole commune ?
R - Ce n'est pas nous qui décidons. Bien sûr, tout cela se passe sous le contrôle des Quinze, les CAG sont très vigilants, nous rendons compte régulièrement, mais c'est la Commission qui fait l'essentiel du travail de la négociation quand même. Et elle mène une négociation difficile, avec douze pays en même temps. Donc c'est elle qui nous dit : voilà à quel moment on parle des sujets. Nous, nous sommes prêts à parler de tout ce qu'on veut, dans le cadre normal de la négociation d'adhésion.
Q - On n'a pas un point de vue particulier à faire valoir, là ?
R - Nous avons un point de vue particulier à faire valoir sur chaque sujet. Nous avons nos intérêts à défendre légitimement sur chaque point, comme chaque autre pays. Mais il n'y a pas de raison d'extraire un sujet. Sauf à rappeler ce que j'ai dit il y a une minute : si un pays demande qu'on mette l'accent sur un problème particulier - libre circulation (il se trouve que dans le programme de travail de la Commission, ça venait maintenant, ce n'est donc pas une dérogation à la méthode), nous sommes obligés de dire "très bien, nous allons le plus loin possible dans l'arrangement préparatoire sur ce sujet, mais nous ne pouvons pas aller à la conclusion". C'est sous condition que nous ayons trouvé une solution sur les autres sujets. Aucun pays en particulier n'a besoin de revendiquer ça, c'est la méthode adoptée à quinze.
Le lien est évident. Je crois que quand je dis qu'on ne fait pas entrer un chapitre mais des pays, j'ai tout dit sur la méthode.
Q - On a parlé d'un risque de "prise en otage" de l'élargissement...
R - Ca fait dix ans qu'on dit ça ! Et l'élargissement avance quand même.
Les négociations, ça va durer encore un certains temps et vous aurez encore quelques milliers de déclarations disant "ça avance", "ça se bloque", "ça avance", "ça se bloque", etc. C'est les négociations, ça. Il ne faut pas sur-interpréter chaque déclaration, sinon vous allez vous épuiser. Même vous...
Q - Quel est le degré de compréhension de la France pour la proposition allemande et est-ce que vous pensez que c'est le moment opportun maintenant pour la France de déclarer ses revendications, par exemple dans le domaine de la PAC ?
R - Nous, nous suivrons le programme de négociation proposé par la Commission. Nous disons depuis longtemps maintenant que nous souhaitons que les négociations avancent le plus vite possible pour qu'on traite le plus vite possible les sujets les plus compliqués. Pour avancer l'élargissement n'a pas besoin de déclarations. Les déclarations favorables à l'élargissement ne servent à rien. Les déclarations pour s'inquiéter du retard de l'élargissement ne servent à rien. La seule chose qui est utile ce sont les négociations, donc nous le demandons depuis longtemps. Maintenant nous arrivons dans les sujets compliqués : très bien. Nous ne demandons pas à traiter les problèmes avant ou après les autres. Nous suivons le programme de la Commission et quand les sujets arrivent sur la table, nous faisons part de nos remarques. C'est aussi simple que ça. Ce n'est pas un facteur de complication.
Q - Sur les fonds structurels, ce que dit l'Espagne c'est plus ou moins : il ne faut pas que l'élargissement modifie fondamentalement les transferts en faveur de nos pays. Est-ce que c'est une position tenable ? Est-ce qu'on pourra financer le maintien de l'effort actuel et parallèlement faire un effort considérable des nouveaux pays membres ?
R - C'est ce que nous verrons à la fin de la négociation. Ca ne sert à rien que moi tout seul, ministre d'un des quinze pays, je réponde de façon isolée sur un des problèmes concernant un des autres quinze pays. Ca ne donne aucune indication utile sur l'ensemble. La négociation est faite pour ce cas. Dans la négociation, les pays candidats disent : "je veux entrer le plus vite possible". Très bien mais il faut que vous soyez prêts à reprendre l'acquis communautaire. Ils demandent des dérogations : on les regarde, on discute. Ils demandent des adaptations : on les regarde. Les pays membres disent "moi, je peux accepter cette dérogation, mais pas celle-là" : on discute. C'est la négociation.
Donc je pense qu'il faut vous armer de sang-froid parce que la négociation va encore passer par des tas d'étapes très différentes, dans lesquelles il y aura des apparences de solution qui n'en seront pas, puis des blocages mais qui seront surmontés, puis un pays va dire ça, et le contraire... Au bout du compte, si nous avons décidé politiquement d'ouvrir les négociations d'adhésion, c'est bien pour aller jusqu'au bout. C'est pour ça que la question, qui se posait encore ces dernières années, de savoir qui était pour ou contre était une question qui n'avait plus de signification. Nous sommes tous pour l'élargissement sinon nous n'aurions pas ouvert les négociations d'adhésion. Nous savons tous qu'il y a des contradictions entre les acquis des Etats membres, les politiques communes, les ressources budgétaires, les demandes des Etats candidats,... C'est évident qu'il y a des contradictions. S'il n'y avait pas de contradictions, nous pourrions les faire entrer tout de suite. Mais la négociation est faite pour ça, donc nous ne pouvons pas juger maintenant. Nous jugerons au bout du compte.
Q - Mais il y a deux négociations, parce que l'Espagne demande à avoir des garanties maintenant et dans les négociations avec les candidats on leur dit : on verra ça en 2006.
R. - Il y a plusieurs négociations. Il y a la négociation d'élargissement qui elle-même se décompose en douze négociations : il y a douze négociations d'adhésion. Quand pour des raisons de commodité, disons administrative, la Commission vous parle chapitre par chapitre, ça brouille un peu l'analyse. En fait il y a douze négociations d'adhésion. Donc il y en a déjà beaucoup. Et d'autre part en toile de fond il y a les anticipations sur la future négociation budgétaire de 2006. Avec une anticipation qui est compliquée puisque personne ne sait exactement combien il y aura de pays en plus en 2006. Même si toutes sortes de pays souhaitent être rentrés, qu'on ne leur veut que du bien et qu'ils entrent le plus tôt possible si les problèmes sont réglés, nous ne pouvons pas savoir exactement. Nous arrivons à un moment donné où tout est en train de se nouer. Et c'est plutôt une bonne chose que nous soyons sorti de la rhétorique abstraite, que nous soyons dans la négociation. Ces problèmes sont devant nous, il faut les traiter. Quand il y aura des vraies contradictions nous verrons. Au bout du compte nous arbitrerons, les décisions seront prises. Nous parvenons toujours à décider : regardez à Nice nous avons réussi à prendre des décisions, dans des conditions difficiles et ingrates mais nous les avons prises quand même, sur des sujets qui étaient apparemment bloqués. Donc en matière d'élargissement, nous prendrons le moment venu des décisions. On ne peut surtout pas isoler à l'avance un problème particulier concernant un pays particulier. On peut dans la négociation, mais on ne peut pas vous dire à l'avance ce que sera la conclusion, puisqu'au bout du compte tout est lié. Ca va être comme ça pendant un certain temps.
Q - Que pensez-vous des premières dates d'adhésion pour les pays candidats ?
R - On en a parlé 36 fois des questions des dates. Nous avons toujours dit que ça nous paraissait un procédé un peu artificiel de fixer des dates à l'avance, avant que la Commission ait pu nous dire que concernant tel ou tel pays on était vraiment proche de la conclusion. Et nous avons toujours dit que nous étions très favorables à ce que les négociations aillent plus vite, ce qui veut dire que les problèmes soient réglés plus vite. Nous avons fait un gros effort en tant que Présidence pour conclure la CIG (ce n'était pas un cadeau de présider la CIG) pour qu'on soit tous prêts à accueillir des pays candidats à partir de janvier 2003. C'est bien pour être prêts assez vite. Maintenant nous avons toujours dit que fixer une date ne peut pas être une décision politique abstraite un peu artificielle. Par contre ça prendra du sens le jour où la Commission pourra nous dire : "voilà, concernant tel pays nous avons tout réglé, nous sommes proches de la conclusion". A ce moment-là c'est un constat rationnel.
Mais nous verrons si les Suédois ont une approche nouvelle. C'est une chose qui a été débattue à plusieurs reprises et il y a quand même trois ou quatre conseils européens qui avaient conclu que c'était en tout cas prématuré.
Q - On prévoit une restriction de la libre circulation pour la main d'oeuvre des nouveaux pays membres vers le reste de l'Europe de cinq ou sept ans, êtes-vous pour ou contre ?
R - Nous ne faisons pas partie des pays qui ont posé ce problème, ça ne nous pose pas un problème particulier. Mais nous sommes toujours attentifs aux intérêts et aux problèmes de l'Allemagne. Donc si l'Allemagne pose ce problème, ainsi que d'autres pays comme l'Autriche, naturellement il faut le prendre en considération, il faut l'étudier. Cela fait partie de la négociation. Maintenant cette demande de libre circulation naturellement ne plaît pas aux pays candidats, qui ont négocié pendant longtemps, qui vont entrer, et qui après auraient un délai long. Donc ils demandent que le délai soit le plus court possible. Nous, nous ne sommes ni sur la ligne de ceux qui veulent un long délai ni sur la ligne de ceux qui disent "il faut l'appliquer tout de suite", c'est un élément de la négociation. Mais comme nous ne sommes pas à la source du problème, je ne peux pas vous donner la réponse à moi tout seul. Je pense que nous trouverons une solution qui tiendra compte des uns et des autres. C'est ça la négociation. vous voyez en ce moment se mettre en place, en réalité, les éléments de la vraie négociation qui va mêler les pays, les chapitres les plus difficiles, avec l'arrière-fond de 2006. Vous voyez se dessiner le théâtre de la phase finale de la négociation d'élargissement. C'est-à-dire que nous ne sommes pas encore tout à fait à la fin.
Q - Comment voyez-vous s'engager le débat sur l'avenir de l'Europe demain ? Est-ce qu'à partir du moment où les pays candidats vont y participer vous n'allez pas vous en tenir à des généralités ? D'autre part est-ce que vous êtes aussi réservé que M. Moscovici sur les propositions de M. Fischer ?
R - Là vous parlez de ce qui se passera au déjeuner demain. Donc je réponds de façon très brève. Pierre Moscovici a exprimé un sentiment général, qui à mon avis est général et pas uniquement en France, en disant que c'était des propositions qui ne semblaient pas se situer exactement au centre de gravité de ce que pensent l'ensemble des Européens. D'autre part en ce qui concerne le débat ici, c'est vrai que la Présidence suédoise a pris l'initiative d'inviter les pays candidats. L'intérêt pour nous à ce moment-là c'est d'écouter les pays candidats. Mais ce n'est pas un lieu de négociation, nous n'avons pas à conclure, c'est un Gymnich, nous n'allons pas adopter une position commune à la sortie. Donc je pense que c'est une initiative bienvenue, qui s'inscrit dans le cadre de ce que nous avons décidé à Nice, qui est que les pays candidats soient associés à ce grand débat qui doit se conclure en 2004. Aujourd'hui où la plupart des membres des Quinze n'ont même pas mis en place leur schéma de débat national (la France est un de ceux qui l'ont fait - qui l'a annoncé en tout cas, beaucoup ne l'ont pas fait), je trouve que c'est bien que sans attendre il y ait des échanges de ce type. Il ne faut pas se tromper sur l'exercice de demain : nous allons écouter les pays candidats dire quelles sont leurs approches sur l'avenir de l'Europe. Dans tous les contacts que la France a eus depuis janvier avec les pays candidats, à quelque niveau que ce soit, nous avons insisté là-dessus. Nous leur avons dit : "A Nice nous avons soutenu cette idée que les pays candidats doivent être associés, quelle que soit la date à laquelle ils vont rentrer". C'est quand même notre Europe commune dont il s'agit. Dans un premier temps les pays candidats nous disent : "Vous savez, nous, c'est un peu abstrait tout ça, ce qui nous intéresse c'est de savoir quand on va entrer, donc c'est la négociation, donc c'est le chapitre X ou Y, ça c'est important" et on peut comprendre ça. Mais nous avons dit partout que nous tenons à ce qu'ils expriment leur avis. Et je vois que depuis janvier ou février dans les pays candidats ils ont commencé à ce dire : "C'est vrai que depuis Nice il y a un changement et que notre avis est attendu". Donc il y a un début de quelque chose. Personnellement, moi ça m'intéresse de savoir quelles seront les réactions lors de ce déjeuner de demain, quelles seront les dominantes.
Q - Est-ce que vous avez réussi à savoir pourquoi les Suédois font venir George W. Bush à Göteborg ?
R - Parce qu'il est président des Etats-Unis, à ce que j'ai compris, parce que eux sont président de l'Europe.
Q - Quel sera l'ordre du jour ?
R - Un échange sur les relations euro-américaines.
Je ne vous cache rien sur le sujet.
Q - Y aura-t-il aussi le président Poutine à Göteborg ?
R - Je crois que c'est une rumeur sans fondement.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 mai 2001)
Deuxième point de presse du 5 mai :
Cet après-midi nous avons eu une discussion très intéressante sur "Démocratie et Droits de l'Homme", la politique de l'Union européenne dans ce domaine, et début d'une discussion sur l'élargissement, pour laquelle nous avons manqué de temps et dont la suite est reportée à demain matin, ce qui nous amènera à raccourcir un peu la discussion sur la partie "Balkans".
Sur la démocratie et les Droits de l'Homme, c'est parti d'une présentation de Chris Patten et d'une présentation d'Anna Lindh. L'idée générale, à laquelle je souscris complètement, est qu'il faut essayer de donner plus de force à la politique de l'Union européenne en matière de Droits de l'Homme, plus de cohérence, plus d'efficacité. A partir de là, il y a eu un échange dans lequel j'ai développé des thèses que vous connaissez, qui en gros sont celles que j'avais développées dans l'article "La diplomatie au service de la démocratisation", en insistant sur les éléments principaux qui ont été repris par presque tous les intervenants après. C'est-à-dire qu'on est assez d'accord. On est plus d'accord que je ne le pensais, les uns et les autres sur cette approche qui consiste à dire que c'est une exigence légitime de nos politiques étrangères. Nous traduisons les valeurs des pays européens d'aujourd'hui et de l'Union en tant que telle, ça doit être présent dans toutes nos politiques. Mais en même temps on ne peut pas oublier le sens de l'Histoire et on ne peut pas faire comme si la démocratie pouvait s'obtenir instantanément. Je ne l'ai pas rappelée mais ils ont été plusieurs à rappeler ma formule disant que ce n'est pas comme de faire du Nescafé. C'est un processus. J'ai réinsisté sur l'idée qu'il fallait dans chaque pays, à un moment donné, déterminer le potentiel de démocratisation contenu dans chaque société, en insistant sur l'intérêt d'une démocratisation endogène plutôt qu'imposée par les contraintes, si on veut qu'elle soit solide et profonde.
Et j'ai rappelé ma distinction entre les démocraties que l'on restaure dans les pays qui ont été démocratiques et qui à un moment donné sont tombés sous le joug d'une dictature, et d'autre part les démocraties émergentes, processus de construction qui est aussi long et complexe que l'est une économie émergente. Et j'ai trouvé un large écho à cela de la part de la plupart des intervenants. Je disais qu'il faut à la fois donc plus de force et plus de réalisme historique pour être plus efficaces dans nos approches, puisque chacun au sein de l'Union européenne affirme qu'il ne recherche pas simplement des effets de posture mais un vrai effet.
Plusieurs ont dit que ça n'avait pas de sens de reprendre les accords qui ont été signés dans le passé pour y introduire à posteriori des clauses qui n'étaient pas là au début, mais qu'il fallait avoir une politique d'ensemble qui encourage ces processus. Plusieurs ont insisté sur le fait qu'il fallait plutôt des politiques de partenariat et de dialogue que des politiques punitives de coercition. J'ai également rappelé que quand on veut démocratiser un pays qui est un partenaire de l'Union européenne, il faut la meilleure combinaison possible des moyens dont on dispose : les moyens de contrainte, les moyens positifs d'encouragement, d'incitation, d'aide, de coopération.
Donc c'était vraiment un moment intéressant et c'était une très bonne idée de la part d'Anna Lindh d'avoir mis ce sujet en tant que tel. C'est un sujet qu'on a abordé de très nombreuses fois en réalité, mais par un biais : par le biais d'une discussion sur ce qu'on va voter ou pas à la Commission des Droits de l'Homme à Genève, ou par le biais d'une discussion sur la Birmanie, ou d'autres sujets. En fait on en parle tout le temps, mais en tant que tel c'était la première fois sous cette forme synthétique.
Dans ce débat il y a eu également un tour de table sur la question des ONG, c'est-à-dire la façon dont on travaille avec les partenaires nouveaux en général, mais avec les ONG en particulier. Là, la dominante était aussi : il est évident que nous devons travailler et travailler plus avec les ONG, mais il est évident aussi que les ONG doivent accepter de s'appliquer à elles-mêmes les principes qu'on exige, à juste titre, des gouvernements modernes, c'est-à-dire transparence, visibilité, responsabilité. Chacun a fait part du mode de coopération avec les ONG dans son pays, dans les différents domaines. Là il y a un grand accord entre les différents participants et ce que proposait M. Patten. Plusieurs intervenants - les plus nets étant Louis Michel et moi mais ça a été dit par cinq ou six ministres - ont vraiment insisté sur le fait qu'il ne fallait pas admettre l'idée que les gouvernements aient une légitimité moindre. Les gouvernements doivent être ouverts, ils doivent coopérer avec tous les nouveaux partenaires, mais ils ont - en tout cas quand ce sont des gouvernements démocratiques - une légitimité démocratique qu'aucun autre acteur n'a en tant que tel.
Louis Michel a beaucoup développé un thème qui m'est cher aussi, je l'ai moins développé cette fois-ci, qui est que beaucoup des problèmes qu'on rencontre dans les autres pays du monde ne tiennent pas au fait que les Etats y soient trop forts mais qu'ils soient trop faibles, inexistants. Et que dans la plupart des cas les exhortations à la démocratisation n'ont pas d'effet, dans des dizaines de pays dans le monde, simplement parce qu'on a affaire à des Etats, des administrations, qui sont absolument incapables d'exercer les fonctions de base et de garantir le début des conditions qui permettent de bâtir, étape après étape, des sociétés démocratiques.
C'était vraiment intéressant, c'était une vraie discussion et l'on s'est trouvé au total très convergents. Ce n'était pas évident. En général : je parle du débat intellectuel et puis de l'arrangement sur le papier Patten.
Ca c'était le premier sujet.
Sur l'élargissement c'est juste le début. Vous ne serez pas étonnés en apprenant que le débat s'est concentré tout de suite sur la question de la libre circulation, voir comment les uns et les autres réagissaient, et sur ce point particulier, sur la méthode, sur la combinaison entre une discussion approfondie sur un problème spécifique et l'articulation avec la négociation plus générale pays par pays. On en est là, il y a eu cinq ou six points de vue exprimés, on continue demain.
C'est une discussion exploratoire, préparatoire.
Q - Est-ce que la Suède veut toujours une date sur les fins de négociation ?
R - Non, la question de la date n'a pas été abordée par Anna Lindh. Cela a été évoqué par Romano Prodi qui estimait que nos dernières conclusions étaient bonnes, qu'il n'y avait pas tellement à les changer, et évoqué par Louis Michel puisque cela avait été évoqué par Romano Prodi, pour signifier qu'il n'y avait pas à changer sur ce point. Mais les Suédois n'ont pas mis en discussion le fait que nous ayons à changer là-dessus. Par contre, tous les intervenants ont reconnu que vraiment les négociations s'étaient maintenant toutes accélérées, qu'on était vraiment dans le cur des problèmes. Beaucoup d'intervenants disant que ça se passait d'ailleurs au total mieux que prévu et que ça allait maintenant plus vite que ce qu'on pensait. Tant mieux. Et chacun sait que les sujets difficiles vont se concentrer jusqu'à la fin et se lier entre eux : libre circulation, agriculture, environnement et fonds structurels.
Q - Sur l'élargissement, ça vous arrange : on a sorti la question agricole, chacun sort son problème de sa poche, et c'est très bien comme ça. Vous faites expressément un lien.
R - Tout à l'heure j'ai expliqué que je n'avais pas à faire un lien puisque le lien existe. On n'a pas à décréter qu'il y a un lien ou pas. Ceux qui diraient qu'il n'y a pas de lien ne sont pas sérieux. Le lien existe dans le choix de la négociation par différenciation, pays par pays. Il y a forcément un lien : on ne peut pas faire adhérer un pays si vous n'avez pas résolu tous les problèmes concernant ce pays. Il y a un lien. Ce n'est pas moi qui l'ai inventé aujourd'hui, c'était le cas avant, ce n'est pas nouveau. D'autre part, moi ça ne m'arrange pas : je n'ai pas de problème. Nous disons simplement que les pays entrent à partir du moment où tous les problèmes les concernant sont réglés. Et nous sommes le pays qui a le moins changé sur l'élargissement. Ca fait des années que nous disons la même chose, ça fait des années que nous sommes sérieux, ça fait des années que nous souffrons en silence de certaines démagogies sur le sujet. Et nous nous apercevons maintenant qu'au moment où il faut négocier sérieusement pour déboucher sérieusement, grâce à l'effort fait à Nice pour pouvoir se préoccuper de la suite, eh bien tout le monde parle de problèmes sérieux maintenant. Disons qu'on est plus à l'aise dans ce contexte où tout le monde parle sérieusement de la question des adhésions qu'il y a quelques années.
Je ne me réjouis pas que ce soit compliqué. D'une façon ou d'une autre il s'agit d'aboutir, quand même.
Q - La PAC n'est pas encore sur la table...
R - Elle n'est pas sur la table au sens précis de la négociation mais tout cela est dans les esprits. Les quatre sujets les plus difficiles, tout le monde les connaît. Ce dont on commence à débattre, c'est plutôt de la libre circulation que le reste.
Q - ...pour l'instant la France n'a pas de problèmes, alors que pour d'autres partenaires c'est déjà sur la table.
R - J'ai dit ce matin que nous suivions le calendrier de négociation fixé par la Commission. Nous n'avons pas à l'intervertir ou à le modifier artificiellement. On suit l'ordre de négociation normale : la libre circulation vient en débat parce que c'est discuté maintenant.
Q - Mais les Espagnols parlent des fonds structurels.
R - Oui, parce que les Espagnols ont dit qu'il y a un lien évident pour eux entre les deux. Mais il ne faut pas jouer sur les mots : tout va se lier dans la phase à venir, indépendamment des sujets relativement faciles à propos desquels on a clos provisoirement quelques chapitres, les autres questions sont liées entre elles. Vous pensez bien qu'au bout du compte il n'y aura d'accord sur rien s'il n'y a pas d'accord sur tout, pays par pays. Comme je disais tout à l'heure, on est entré dans la phase de la vraie négociation, où l'on va voir se nouer les problèmes à la fois sur un thème particulier, pays par pays, et cela va se renforcer maintenant. Le tableau apparaît dans toute sa complexité. Il ne peut pas y avoir un règlement définitif séparé sur libre circulation et même pas sur libre circulation et cohésion. Il ne pourrait pas y avoir un règlement séparé sur libre circulation, cohésion et agriculture. Il faut vraiment que, pays par pays, on ait tout complètement traité. C'est ça la négociation sérieuse. Tout cela est contenu dans les décisions de Conseils européens antérieurs.
Q - Mais les pays candidats craignent d'être liés entre eux : est-ce qu'on peut avoir l'idée qu'on va fermer le chapitre agricole pour la Slovénie et pas pour la Pologne, par exemple ?
R - On n'en sait rien. Ce sont des problèmes qu'on apercevra tout à fait à la fin. Ce n'est pas plus réaliste de spéculer là-dessus, sur une situation qui se produira peut-être dans le courant de l'année prochaine, que de spéculer sur les dates. Peut-être que ça va se lier, peut-être pas. Ce que je sais c'est ce que je répète sans arrêt : on fait entrer des pays, pas des chapitres. On ne peut pas dire : tout est réglé sur l'agriculture donc on fait entrer le chapitre agricole. On peut dire, par hypothèse : tout est réglé pour la Slovénie, elle peut entrer. Après il peut y avoir des notions politiques qui interviennent sur : quand rentre tel pays par rapport à tel autre. Mais ça c'est indépendant du mandat de négociation donné à la Commission.
Q - Mais certains pays candidats sont dans une situation où ils ne peuvent pas attendre.
R - Alors qu'est-ce qu'ils vont faire ? Ils vont entrer par la fenêtre ?
Q - Ils font du forcing.
R - Le forcing consiste à répéter les mêmes arguments tout le temps mais ça ne change rien. Ce ne sont pas des choses à traiter sur un plan psychologique. C'est comme ceux qui parlent des opinions publiques qui vont dans un sens ou dans l'autre. Oui, il y a des opinions publiques dans les pays candidats, il y en a aussi dans les pays membres, bien sûr. La bonne réponse aux opinions publiques des uns et des autres c'est de bien traiter le problème posé et de dire à un moment donné : "nous avons trouvé l'accord qui répond bien à l'impatience des candidats, à l'inquiétude des membres, voilà, cet accord doit satisfaire tout le monde". On ne va pas à chaque étape, chaque jour, matin et soir se préoccuper parce que tel pays défend légitimement ses intérêts, c'est normal cela.
Il faut beaucoup d'énergie et beaucoup de flegme dans la réaction aux étapes variées de la négociation. C'est un processus normal. C'est ça l'idée dominante. C'est un processus normal de négociation, il est conforme aux Conseils européens antérieurs, l'accélération est une donnée depuis la présidence portugaise, et la française et encore plus celle-ci. Cela se passe plutôt mieux et plus vite que prévu et les problèmes principaux qui vont devoir être tranchés après apparaissent maintenant les uns après les autres.
Q - Comment vous voyez le lien de l'élargissement avec la discussion budgétaire ?
R - Normalement il n'y pas de lien. La perspective financière a été calculée en tenant compte de la préparation des pays candidats et de certaines hypothèses d'entrée avant qui normalement ne devraient pas remettre en cause les perspectives fixées à Berlin.
Q - Cela n'entre pas dans les négociations ?
R. - Non. Cela entre dans les arrière-pensées, dans les calculs, dans les psychologies, c'est un peu compliqué, mais on ne peut pas dire que ça entre dans la négociation. C'est difficile pour un pays de dire aujourd'hui "je suis d'accord avec ça ou je ne suis pas d'accord avec ça" en fonction d'une position que je vais prendre en 2005. Personne ne sait combien il y aura de pays en 2006... Cela devient ingérable. On ne peut pas faire ce lien.
(source http://www.dipomatie.gouv.fr, le 7 mai 2001)
Entretien avec la télévision allemande le 5 mai :
Q - Fixera-t-on une date pour les premières adhésions pendant la Présidence suédoise ?
R - Nous avons commencé la discussion sur l'élargissement mais elle n'est pas terminée. Elle doit continuer demain matin. Nous avons parlé d'un problème particulier qui est la question de la libre circulation. Nous n'avons pas parlé de dates dans la discussion.
Sur la question de la date, moi je pense que ce que nous avons décidé jusqu'ici est raisonnable. Il ne faut pas fixer de façon artificielle et arbitraire des dates à l'avance. Ce serait très compliqué de fixer une date pour tout le monde. Ce serait compliqué de choisir entre ceux qui auraient une date et ceux qui n'en auraient pas. Ça serait compliqué, et un peu décourageant pour certains pays. Quand la Commission pourra nous dire "Les négociations ont tellement bien avancé que nous sommes proches de la conclusion pour tel ou tel pays", à ce moment-là on pourra parler d'un calendrier plus précis. Mais ce n'était pas la préoccupation principale dans la discussion. La préoccupation c'était : "Avançons !".
Q - Et sur la période de transition, quelle est la vue de la France ?
R - On en parle demain.
(Nykoeping, 6 mai 2001)
Q - (sur les propositions du chancelier Schroeder)
R - D'après ce que j'ai compris, c'est une proposition interne au SPD, le parti socialiste allemand, pour préparer une discussion entre les socialistes. Ce sont des positions qui sont dans la ligne de ce qu'on connaît déjà de la position des socialistes allemands. Mais je ne sais pas encore si ce sera la position allemande dans les futures discussions. En plus ces discussions dureront jusqu'en 2004.
C'est un élément important qui vient s'ajouter à une série d'éléments et de propositions qui ont déjà été faites dans ce débat sur l'avenir de l'Europe. Mais on est encore très loin de la conclusion.
Q - Pour la France, c'est possible d'accepter ces propositions ?
R - Je ne sais pas, je ne sais pas quel est le statut de cette proposition. Ce n'est pas une proposition de l'Allemagne adressée à ses partenaires européens, c'est une discussion à l'intérieur du parti socialiste allemand. Donc la France n'a pas de raison de réagir à ce stade. Nous allons participer à la discussion nous aussi.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 mai 2001)
Point de presse du 6 mai :
Je résume : c'était un Gymnich agréable et utile.
La discussion sur la politique européenne en matière de Droits de l'Homme était utile, intéressante. Louis Michel a eu une excellente formule que je reprends à mon compte : il dit qu'il faut encore mieux donner l'exemple que de donner des leçons. Il y a eu une réflexion sur l'approche de chaque pays, sur l'approche de l'Union européenne, sur l'approche de la Commission. Chris Patten doit faire prochainement une proposition dans ce domaine ; je pense qu'il s'inspirera de ce débat. Nous discuterons sur cette proposition. Bref, c'était important car cette discussion n'avait pas eu lieu jusqu'à présent sous cette forme. Pas sous cette forme globale et synthétique en tout cas, toujours à propos de tel ou tel cas particulier.
Je souligne deux points que je n'ai pas soulignés hier. D'abord j'ai demandé que l'on fasse un bilan des effets des actions de l'Union européenne dans ce domaine depuis le début. Quels ont été les effets sur l'évolution des pays ? Est-ce que cela a facilité la démocratisation ? Est-ce que cela l'a renforcée ? Est-ce que cela a fait apparaître des problèmes ? Je pense qu'au moment où nous voulons améliorer cette politique il faut avoir une claire vision de cette réalité passée.
En ce qui concerne le Proche-Orient nous avons travaillé essentiellement sur l'harmonisation et le renforcement des positions européennes et sur la convergence Europe-Etats-Unis.
En ce qui concerne les Balkans nous avons pu constater ce matin que nos analyses sur les situations (Monténégro, Macédoine, Kosovo, etc.) sont les mêmes. Nous avons réexprimé notre plein soutien à l'action très remarquable que mène Javier Solana avec ténacité, notamment à propos du dialogue en Macédoine entre les différentes composantes. L'idée générale reste la même : donner un coup d'arrêt aux actions des divers groupes extrémistes, les isoler, et faire prévaloir notre vision de l'avenir de cette région qui est celle que vous connaissez, qui a été exprimée à Zagreb et dans de nombreuses circonstances.
En ce qui concerne l'élargissement, c'était très intéressant parce qu'on voit que les éléments finaux des négociations d'adhésion se mettent en place peu à peu. Parce que les négociations avancent bien. C'est un bon signe, cela ne veut pas dire que les choses se compliquent, cela ne veut pas dire que les négociations perdent du temps, qu'il y a un effet de retardement. C'est l'inverse : c'est parce que nous avons avancé vite et bien, dans les deux ou trois dernières présidences et encore dans celle-ci, que nous sommes maintenant dans le cur du sujet. Et c'est une bonne chose que les vrais problèmes apparaissent, parce que ce n'est que comme cela que l'on arrivera à les circonscrire, à les traiter et à trouver des compromis pour trouver des solutions.
Donc pour le moment le débat a démarré sur la libre circulation parce que c'est dans cet ordre-là que les choses ont été prises par la Commission, c'est là-dessus qu'il y a des propositions allemandes et on voit apparaître le lien avec les différents sujets. Tout est lié. Nous aurons l'occasion d'en reparler au prochain COREPER, au prochain CAG et à de nombreuses reprises.
Voilà pour ces différents sujets. Comme vous le savez il n'y a pas de déclaration, de décision officielle, cela reste un Gymnich. Donc la Présidence vous donnera son appréciation d'ensemble et je contribue à cette appréciation. Mais tous ces sujets, bien sûr, seront repris dans des enceintes plus formelles.
Je ne vous parle pas des pays candidats puisque je ne les ai pas vus encore. Je pars au déjeuner maintenant.
Q - Sur l'élargissement : est-ce que vous pensez obtenir une position commune sur la libre circulation en même temps que d'autres, en tenant compte de la sensibilité d'autres Etats membres, la France sur la PAC ou l'Espagne sur les fonds structurels ?
R - A partir de maintenant dans les négociations, pour qu'on se déclare d'accord sur n'importe quel chapitre, on sera obligé de rappeler à chaque fois que l'accord est sous réserve d'un accord d'ensemble sur l'ensemble des sujets. Concernant un pays particulier, il n'y a pas d'accord tant qu'il n'y a pas d'accord sur tout. Donc même si on note, dans une étape intermédiaire de la négociation, une sorte d'accord de principe sur un mécanisme, encore une fois c'est "sous réserve de...". Je ne sais pas s'il faudra le faire sous forme de déclaration spéciale, c'est simplement un rappel de bon sens de la méthode adoptée par les Quinze à partir du principe de la différenciation. Rien ne sera complètement acquis, sur tel ou tel domaine particulier, tel ou tel chapitre particulier, tant qu'on n'aura pas fait l'accord global final pour l'entrée d'un pays. Pour des raisons de méthode on peut dire : "Bon, voilà, on a une sorte d'accord de principe là-dessus, maintenant on va voir le reste. Et puis à la fin on récapitulera tout."
Q - Monsieur le Ministre, derrière ces discussions qui ont commencé tout récemment et qui se sont continuées ici, est-ce que vous avez l'impression que se dessine une sorte de discussion sur l'après-Agenda 2000, c'est-à-dire un préambule à la discussion budgétaire pour l'Europe élargie ?
R - C'est l'impression que cela a pu donner, mais je ne crois pas que ce soit le cas. Puisque par exemple plusieurs intervenants aujourd'hui, dont le président Prodi mais également le ministre espagnol, ont dit "certes" (l'Espagnol) "il y a un lien entre les différents sujets : libre circulation, cohésion. Mais nous savons bien que nous avons pris des dispositions budgétaires jusqu'en 2006." Et les négociations d'adhésion se font sur la base de ces décisions, sans remise en cause de Berlin. C'est vrai sur chacun des chapitres. Donc les différents pays commencent à penser à l'avenir et se demandent quelles seront les conséquences de l'élargissement sur la situation budgétaire de l'Union européenne après 2006. Ils y pensent, c'est normal, c'est un travail de réflexion prospective. Mais cela n'interfère pas pour le moment avec les discussions. Donc normalement, si tout le monde est raisonnable, on devrait pouvoir aller jusqu'au bout des négociations d'adhésion dans ce contexte : reprise des acquis d'aujourd'hui, à partir des politiques d'aujourd'hui, dans le cadre budgétaire d'aujourd'hui. Cela vaudrait mieux parce que sinon cela va devenir trop compliqué.
Q - Quelle sera votre contribution au débat sur l'avenir de l'Europe au cours du déjeuner ?
R - Je crois que la Présidence suédoise a surtout prévu de donner la parole aux pays candidats. Il s'agit de leur montrer qu'on les appelle à participer vraiment au débat sur l'avenir de l'Europe, on ne les fait pas venir pour leur infliger quinze discours.
Q - Et si on vous donne la parole ?
R - Eh bien, je dirai ce que j'ai à dire.
Q - Hier vous avez dit que les propositions des sociaux-démocrates allemands n'étaient pas au centre de gravité de l'Europe. Joshka Fischer, lui, a dit au contraire qu'il y a beaucoup de pays qui se reconnaissent dans les idées allemandes en général, les siennes et celles du parti social-démocrate. Où est la vérité ?
R - Il y a plusieurs idées allemandes. Il y a des propositions dans lesquelles il y a une avant-garde d'autres dans lesquelles il n'y en a pas, par exemple. Il y a beaucoup de différences. Et puis on ne peut pas non plus faire d'un avant-projet de position pour le parti socialiste allemand un élément de discussion entre les Quinze et encore moins entre les Vingt-sept. On ne peut pas mélanger les exercices. C'est ce qu'avait dit Pierre Moscovici il y a quelques jours - vous m'avez demandé hier si j'étais d'accord avec lui, j'ai dit que j'étais d'accord avec lui : il nous a semblé en voyant les réactions des uns et des autres en Europe par rapport à ces avant-projets qu'elles ne se situaient pas au point d'équilibre. Et qu'un pays a le droit de défendre des propositions qui lui sont propres. Vous savez, c'est un long débat, gardons nos forces. Un long débat qui va durer pendant très longtemps. Il faudra distinguer dans chaque pays les positions de tel ou tel parti, de tel ou tel groupe, de telle ou telle personnalité, la position ensuite du pays en tant que tel. Il y a un cheminement, il y a les débats nationaux, d'autres formes que nous n'avons pas encore arrêtées après la période des débats nationaux, etc. Il ne faut rien figer.
Q - Si j'ai bien compris un accord sur la durée de la libre circulation avec une contre-partie politique pour l'Espagne sur les fonds de cohésion à Göteborg n'est pas en contradiction avec votre philosophie "Il n'y a pas d'accord s'il n'y a pas d'accord sur tout" ?
R - Cela dépend de ce qu'on met dedans. Cela dépend de ce que demande l'Espagne. On verra, ce n'est pas fait encore. Il faut bien que la négociation avance aussi. Dans le principe il doit être possible de dire : "Voilà, à quinze nous pourrions nous mettre d'accord sur telle chose en ce qui concerne la libre circulation. Nous pourrions nous mettre d'accord sur tel mécanisme en ce qui concerne les fonds de cohésion. Nous pourrions nous mettre d'accord, en ce qui concerne les questions agricoles, sur telle et telle chose." On peut procéder par étape tout en disant à chaque fois que ce sont des accords qui sont subordonnés à l'accord final. C'est possible. Et je ne peux pas vous dire si à Göteborg on sera d'accord précisément sur la question de la libre circulation ni sur la question des fonds structurels et si d'autres problèmes apparaîtront. Je ne peux pas vous le dire à l'avance. En termes de méthode, ce n'est pas impossible.
Q - Le problème c'est que les Allemands disent que le débat n'est pas seulement sur les fonds de cohésion mais que l'étape dans laquelle ils payent est finie complètement.
R - Je ne veux pas entrer dans le détail de la négociation. Le Gymnich ce n'est pas une réunion de négociation. C'est un sujet parmi d'autres, pour un pays parmi d'autres, etc. Laissez la négociation avancer normalement et sérieusement : elle avance bien en ce moment.
Q - Pratiquement, Monsieur le Ministre, ces négociations sur la libre circulation, sur les fonds structurels, si elles aboutissent à Göteborg, ou en 2004, en tout état de cause elles se dérouleront en dehors de l'opinion des pays candidats. Elles se déroulent à quinze. Est-ce qu'il n'y a pas un problème ?
R - Non. Il y a deux choses différentes. Il y a d'une part les négociations d'adhésion que nous menons : c'est normal que les négociations aient lieu entre les Quinze et chaque pays candidat. Avec la combinaison dont nous parlons depuis hier sur le fait d'avancer très loin dans le règlement de certains chapitres tout en réservant la décision finale au moment où on a résolu l'ensemble des questions. C'est normal que cela se passe à quinze avec chaque pays candidat.
D'autre part il y a une volonté de la part des Quinze d'associer les pays candidats à la réflexion sur l'avenir de l'Europe. C'est autre chose. Juridiquement, on pourrait ne pas le faire. On pourrait dire : la réflexion sur l'avenir de l'Union européenne est menée par les membres de l'Union européenne, ceux-là qui ont un droit juridique réel à participer cette réflexion. Pour des raisons politiques, pour des raisons d'ouverture, pour des raisons d'anticipation positives, nous estimons que ce n'est pas possible de ne parler de cela qu'à quinze. Donc tout en négociant au mieux chaque adhésion nous avons commencé à associer les douze autres à cette réflexion sur l'avenir. Pour qu'ils se sentent dans le coup. Je disais hier que, dans un premier temps, quand on leur en parlait ils disaient : "nous ce qui nous intéresse c'est l'adhésion, l'avenir de l'Union on verra plus tard". Et nous avons dit à plusieurs de ces pays, depuis deux ou trois mois : "Non, il faut vous y intéresser tout de suite. Les débats qui ont lieu sur l'avenir de l'Union, c'est votre Union. Puisque, personne ne sait exactement quand, mais vous y serez bientôt. Donc commencez à vous mettre dans cette discussion." Pour moi ce sont deux processus tout à fait complémentaires et je ne trouve pas qu'il y ait de confusion entre les deux.
Q - Pratiquement : l'Espagne demande des garanties politiques sur les fonds structurels, si accord il y a sur cette question-là, cela se passera bien sans l'avis des pays candidats.
R - Formellement et juridiquement, oui. La décision se passe à quinze. Comme la négociation de Nice s'est passée à quinze. Les seuls qui ont juridiquement et politiquement à s'exprimer dans un conseil européen et à participer à la décision ce sont les membres. Mais cela n'empêche pas d'écouter, cela n'empêche pas d'avoir des échanges, cela n'empêche pas d'essayer de tenir compte par avance des problèmes dont on sait qu'ils vont se poser. On ne peut pas mettre tout le monde sur le même plan : tant qu'un Etat n'est pas membre, il n'est pas membre. Le jour où il est membre, il a la plénitude de ses responsabilités. Il faut combiner les deux.
Vous décrivez une situation que l'on connaît très bien. On est face à cette difficulté, nous essayons de la résoudre comme je vous l'ai indiqué. D'où ces dialogues, d'où ces rencontres. Il ne faut pas non plus que ce soient deux mondes séparés : les Etats membres et puis les autres dont les idées ne sont pas connues, avec lesquels il n'y a pas d'échanges. Il faut qu'on apprenne à travailler ensemble, qu'on devine ce que vont être les positions des futurs candidats dans les années qui vont suivre. On essaye de combiner tout cela. Tous les exercices auxquels vous assistez, et que vous suivez, que vous analysez, où il y a d'une part les Etats membres qui négocient, qui décident sur tel ou tel point, et d'autre part un développement de cette concertation avec les pays candidats, c'est pour surmonter cette apparente contradiction. Donc ce déjeuner est une bonne idée, par exemple. Si je ne le rate pas.
Q - Est-ce qu'on n'est pas aussi en train d'envoyer un message un petit peu négatif aux pays candidats en disant que tout ce qu'ils ont négocié reste sur la table et peut encore être ouvert au moment du grand marchandage final ?
R - Mais vous opposez cela à quelle autre méthode de négociation ? Si vous trouvez cela négatif, c'est que vous pensez qu'il y a une autre façon de procéder.
Q - Est-ce que ce n'est pas les maintenir dans une incertitude dont ils aimeraient bien être débarrassés ?
R - Mais pour qu'ils sortent de l'incertitude il faut que la négociation ait été complète. Comment voulez-vous qu'elle soit complète d'une autre façon. Non, je pense que chez les pays candidats aussi on est sorti de la rhétorique. On est sorti du temps des postures un peu artificielles, un peu abstraites, des déclarations un peu creuses, et que tout le monde fait un travail très sérieux maintenant. Quand un pays candidat souhaite entrer vite, il sait bien que pour entrer il faut que tous les problèmes le concernant aient été réglés, chapitre après chapitre. Les pays candidats savent très bien qu'il y a des inter-réactions entre les différents chapitres et entre les différents pays. Moi je n'ai pas vu de pays candidat qui fasse sérieusement cette remarque. Alors l'opinion publique dans tel ou tel pays se pose des questions, mais dans les pays membres aussi. Il y a des opinions publiques partout. Je crois que la seule bonne réponse à l'impatience des pays candidats, à l'inquiétude de certains pays membres sur certains points, c'est la négociation. C'est la seule bonne réponse. C'est la négociation qui traite sérieusement les problèmes, sans les escamoter. C'est pour cela que c'est une très bonne chose que l'on parle maintenant des problèmes les plus difficiles et qu'on arrive à un bon accord qui soit capable de satisfaire les opinions des pays membres et des pays candidats. C'est la seule bonne réponse. Il faut essayer de se dire : on est sur un terrain sérieux maintenant.
Q - Après-demain le gouvernement macédonien va proposer au parlement l'état de siège. M. Solana, en allant à Skopje demain, va-t-il soutenir cette proposition du gouvernement macédonien ou bien demander de ne pas voter l'état de siège ?
R - Nous n'avons pas fini notre concertation sur ce point particulier. Mais ce que je peux vous dire c'est que notre approche de la question des Balkans, de la question de la Macédoine, ne peut être que globale. C'est que nous voulons à la fois bloquer l'action des groupes extrémistes, dont on voit bien le type d'engrenage qu'ils peuvent provoquer, et obtenir des évolutions politiques sur la façon de prendre en compte, par exemple en Macédoine, les droits et les intérêts légitimes de la communauté albanaise de Macédoine il faut que l'on ait une réaction sur ces deux plans. Nous continuerons à avoir des demandes sur ces deux terrains. Ce sera à M. Solana de voir sur place comment les choses s'équilibrent entre les deux approches.
Q - Là où effectivement les Etats membres sont en position de fragilité, c'est quand on voit par exemple l'Allemagne ou l'Autriche remettre en cause un chapitre qui a été théoriquement clos avec plusieurs pays, sur la libre circulation et les services. A partir du moment où l'on clôt les chapitres mais qu'on leur dit "de toute façon cela n'est que provisoire et on peut le remettre en cause", ce que fait l'Allemagne, on est dans une situation extrêmement difficile.
R - Mais il faut que vous pensiez aux Etats membres aussi. Vous avez l'air de ne parler qu'au nom des Etats candidats. Les Etats membres ont également des droits, ils ont des obligations politiques, ils ont également des opinions publiques, et puisqu'on s'est engagé à juste titre dans ce processus d'élargissement, ils ont aussi l'obligation de réussir l'élargissement. Il vaut mieux que les problèmes soient posés avant, même si cela aboutit à des négociations compliquées, plutôt que de faire entrer les pays en faisant l'impasse sur certains problèmes qui se poseraient après et qui mettraient le fonctionnement de l'Union élargie en péril. Donc je pense qu'il vaut mieux que tout soit dit clairement à l'avance. Dans l'histoire des élargissements depuis l'Union européenne à six, vous vous les rappelez vous-mêmes, on peut avoir à l'esprit des négociations qui ont été bien menées parce que tous les problèmes ont été traités. Cela a parfois été très compliqué, cela a parfois été assez long, mais quand les problèmes ont tous été traités avant, après cela a bien marché. Et vous pouvez penser vous-mêmes à certains pays qui sont entrés après des négociations qui n'avaient pas été assez complètes ou pas assez bien menées, et qu'il y a eu des problèmes qui ont duré des années et des années après. On ne peut pas se permettre cela. L'élargissement pour passer de quinze à vingt-sept c'est une mutation, ce n'est pas un élargissement comme quand on augmente de deux ou trois pays. Donc il faut que vous compreniez qu'il peut y avoir des raisons supérieures qui font qu'un Etat membre dit : "J'avais donné mon accord à cela mais je suis devant un problème terrible, il faut le régler autrement". Les pays candidats peuvent le comprendre aussi. Ce qui est intéressant, c'est qu'on ait en tête l'objectif, qu'on y parvienne, et qu'on ait tout bien surmonté. Mais cela avance. Il y a eu une période d'exhortation en disant "il faut que les négociations avancent" et finalement, elles avancent vraiment. Tous les problèmes dont nous parlons, sur lesquels vous m'interrogez, c'est précisément qu'on est dans le coeur de la discussion. Ces questions ne viendraient pas si on avait piétiné. Ou si on n'avait pas réussi à Nice.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 mai 2001)