Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, lors de la conférence de presse conjointe avec M. Ahmed Aboul Gheit, ministre égyptien des affaires étrangères, sur la gouvernance et le financement de l'Union pour la méditerranée et le lancement de six projets prioritaires, Marseille le 4 novembre 2008.

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Circonstance : Conférence ministérielle "Processus de Barcelone : Union pour la méditerranée" les 3 et 4 novembre 2008 à Marseille

Texte intégral

Cela ne devait pas réussir, eh bien pourtant c'est fait !
Tout ce que vient de vous exposer le co-président de cette conférence ministérielle, le ministre Ahmed Aboul Gheit, c'est ce qui s'est réellement passé. Je résume, c'est d'abord un nom - "l'Union pour la Méditerranée" - : plus de Processus de Barcelone. Pourquoi ? Parce que c'est l'Espagne qui l'a proposé.
La Ligue arabe participera à tous les sommets. Depuis la réunion de Paris, qui fut un grand succès, c'était très difficile. Il fallait une solution sans ambiguïté, pérenne, il fallait donc la participation de la Ligue arabe. Vous trouverez un texte politique qui est à mon avis sans précédent dans une enceinte concernant le Moyen-Orient. Vous y verrez figurer, avec l'accord des Israéliens, l'initiative arabe de paix qui est mentionnée pour la première fois. Vous y verrez, bien sûr, le soutien à Annapolis, l'appel au respect de la Feuille de route sans prendre de mesures qui puissent compromettre les négociations, l'appel aux discussions indirectes israélo-syriennes et à l'établissement de relations diplomatiques entre le Liban et la Syrie.
Nous, les quarante-trois Etats de l'Union pour la Méditerranée, avons donc créé de nouvelles institutions avec un Secrétariat chargé de mettre en oeuvre des projets concrets que nous avons listés dans six directions prioritaires - ce qui d'ailleurs conduit à l'idée de mettre en place six secrétaires généraux adjoints, mais cela sera décidé plus tard. Il s'agit de projets concrets qui concernent la vie des populations sur le pourtour de la Méditerranée. Le siège de l'organisation, comme l'a dit Ahmed, se situera à Barcelone. Nous avons mis au point une nouvelle gouvernance en accord avec la Présidence tchèque du Conseil de l'Union européenne - à partir du 1er janvier 2009 - pour que la présidence en exercice de l'Union européenne, c'est-à-dire la Présidence tchèque, préside avec la France et l'Egypte les réunions de l'Union pour la Méditerranée : les deux actuels co-présidents plus la présidence tchèque. Nous verrons en ce qui concerne la Présidence suédoise. Nous n'avons pas eu le temps d'en parler mais, honnêtement, cela m'étonnerait que l'on n'arrive pas à un accord. Il y aura un secrétaire général, comme l'a dit Ahmed, il faut que la liste des candidatures nous soit soumise. Je pense que si un secrétaire général qui doit venir du Sud peut se présenter au nom de la Tunisie, ce serait vraiment très bien et il serait le bienvenu.
Nous avons dit cinq secrétaires généraux adjoints dont un secrétaire général adjoint israélien, pour la première fois dans une organisation internationale, et un secrétaire général adjoint palestinien. Ceci aussi sera confirmé ainsi que la création d'un sixième secrétaire général adjoint demandée par lesTurcs : cela n'a pas été ici complètement adopté parce qu'il y avait beaucoup d'autres choses à discuter. Ce sera décidé par les deux co-présidents, probablement avant la fin du mois au Caire, c'est à dire par les présidents Sarkozy et Moubarak. Tout ce qui reste un peu en suspens sera décidé par les deux présidents en relations avec leurs collègues, bien sûr, avec un rôle accru pour l'assemblée parlementaire euro-méditerranéenne et l'association des régions Euromed. Cela permettra de tenir les formats que nous avions plus ou moins choisis tous les deux mais qui n'étaient pas encore acceptés par les quarante et un autres pays.
Dès les 5 et 6 novembre, la réunion de Nice se tient avec la Ligue arabe et la conférence sur l'emploi se tiendra les 9 et 10 novembre à Marrakech.
Lorsque vous lirez le texte politique, vous verrez que c'est une contribution qui pèsera par son poids en termes d'histoire et de détermination collective. Certes, ce fut difficile, mais enfin le texte est adopté. Il faut faire savoir cela aux populations concernées qui sont nombreuses et dans l'attente depuis longtemps.
Q - Un mot sur la présence de la Ligue arabe, vous avez dit qu'elle participerait à toutes les réunions, le ministre israélien a dit que dans certaines réunions elle ne pourrait pas prendre la parole, est-ce que c'est quelque chose qui est déjà négociée ou y a-t-il encore des choses à voir ?
R - Non, c'est acquis.
Q - Est ce que la déclaration sera actée par tous les présidents des quarante-trois pays ou uniquement les quarante-trois co-présidences. Est-ce que les Arabes ont la même position à l'égard de cette déclaration, ou des pays ont-ils émis des réserves ou n'étaient pas tout à fait satisfaits ?
R - Les réserves qui ont été émises figurent dans le document. Par exemple, page 7, vous avez une réserve de l'Algérie et à la fin vous avez une autre remarque de la présidence. Il y a par ailleurs la demande turque précise concernant un sixième secrétariat général adjoint. Tout cela sera décidé par les deux présidents mais, comme vient de le dire Ahmed, c'est une décision prise par la voie du consensus, donc évidemment les deux présidents consulteront leurs collègues.
Q - A propos du financement de cette "machine"
R - Il y a un secrétaire et quelques adjoints, ce n'est pas une "grosse machine".
Q - Oui, mais y aura-t-il des bureaux, un siège ?
R - Oui, le siège sera à Barcelone. Ce ne sera pas une énorme structure. En revanche les projets seront financés et ce sont des projets très ambitieux. Il y a déjà eu une intervention de la Banque européenne de financement et deux interventions des parlementaires. Il est évident que certains des projets sont déjà pour une part financés, en particulier par l'Agence française de Développement. Mais sur ce point, il y a encore beaucoup de travail à faire. Quand on parle des autoroutes de la mer ou quand on parle du plan solaire, beaucoup de pays se sont portés volontaires. Les interventions ont porté très directement sur des projets dans lesquels les pays souhaitent se voir impliquer.
Q - Quels seront les pouvoirs de cette structure et les six grands projets dont vous avez parlé ?
R - Il y a six priorités que vous trouverez dans la déclaration finale. Par exemple, sont évoqués la sécurité maritime, les projets pour le partenariat économique sur l'énergie et, en particulier, le plan solaire sur les transports, les projets sur l'agriculture, sur le développement urbain, sur l'eau, sur l'environnement. Je veux bien vous faire une liste de projets mais ils sont nombreux. Il s'agit de projets précis qui sont déjà étudiés par la structure existante et qui seront étudiés dans le cadre du secrétariat. Le secrétariat est dédié aux projets, ce n'est pas une structure politique. La structure politique ce sont les co-présidents et puis, évidemment, l'ensemble des membres qui se réunit une fois tous les deux ans. Il y aura des réunions ministérielles avec dix-sept participations différentes, c'est ce que l'on appelle les réunions sectorielles, à laquelle la Ligue arabe qui ne devait pas initialement assister, assistera. Par exemple, demain à Nice, c'est sur l'industrie, et à Marrakech, c'est sur l'emploi. Il y a de nombreux projets qui sont lourds. Lorsqu'il s'agit, par exemple, de la dépollution de la mer, 84 sites de pollution majeure sont recensés autour de la Méditerranée et seront attaqués de front, c'est un énorme projet.
Q - Quels sont les pays qui ne vont pas à la conférence sur l'industrie et pourquoi ? Par ailleurs, vous parlez des deux co-présidences et d'une troisième, il y a une co-présidence embarquée, comment cela va fonctionner au niveau communautaire ? Allez vous engager des discussions avec la Suède pour la co-présidence et pouvez vous nous dire un peu de l'articulation de ce mécanisme spécial que l'on n'a jamais vu auparavant ?
R - Il y a une présidence tournante de l'Europe. Il y a une nouvelle présidence tous les six mois. Etant donné que le Traité de Lisbonne n'a pas été accepté, hélas - car cela changerait alors, et j'espère qu'il sera accepté-, cette présidence tourne et, dans deux mois, ce sera la République tchèque.
Cela évidemment met un tout petit peu de difficulté puisque la Présidence de l'Union pour la Méditerranée est calculée pour deux ans avec une co-présidence avec un pays du Sud et un pays du Nord, en l'occurrence la France et l'Egypte. Se télescopent dès lors une présidence qui deviendra la présidence tchèque et deux co-présidences de l'Union pour la Méditerranée. Or, pour le suivi des projets, nous l'avons dit plusieurs fois, il faut une certaine cohérence et une certaine stabilité dans la présidence de l'Union pour la Méditerranée qui a été calculée sur deux ans ; d'où les discussions avec nos amis tchèques qui nous succèdent concernant une disposition qui ferait qu'il y ait une présidence de l'Union européenne, et une co-présidence de l'Union pour la Méditerranée. Encore fallait-il être en bonne intelligence et pouvoir articuler ce triangle, c'est ce que nous avons fait. Nous ne doutons pas que la Suède, laquelle succèdera à la présidence tchèque - sauf si le Traité de Lisbonne est en vigueur et il ne le sera peut être pas tout de suite-, à partir de juillet 2009, devra appliquer, si elle le souhaite - à moins que l'on trouve une autre façon -, cette triangulation qui permettra de maintenir une cohésion dans l'Union pour la Méditerranée tout en laissant la présidence de l'Union européenne en pleine possession de ses moyens. Ce n'est pas bizarre, c'est ce que nous avons négocié. Il était certain depuis longtemps qu'il fallait à la fois assurer la stabilité de l'Union pour la Méditerranée et, en fonction des Traités, assurer que la présidence semestrielle soit dévolue à un pays véritablement souverain et disposant de toutes les prérogatives habituelles.
Q - Permettez-moi de revenir sur la question des réserves puisque nous n'avons pas encore pu lire le document. Est-ce que ce sont des réserves sur le plan de la forme ?
R - Non. Le fond du document politique a été accepté sans réserve. Il n'y a plus ni de caractères gras, ni de parenthèses, le document est accepté par les quarante-trois pays. Sur la forme et, d'une certaine façon, un peu sur l'institution - dans la mesure où il s'agit du secrétariat -, il y a comme vous l'a dit le co-président égyptien, des différences sur la question du nombre de secrétaires généraux adjoints. Combien de secrétaires généraux adjoints, cinq ou six ? Hier, à l'unanimité, on en a accepté cinq mais il y a eu une demande d'un sixième ce matin. On ne pouvait pas ne pas soumettre cela à la sagacité des co-présidents, ce qui se fera entre MM. Moubarak et Sarkozy, probablement à la fin du mois.
Q - C'était pour la Turquie, mais pour l'Algérie ?
R - L'Algérie n'a pas demandé.
Q - N'a-t-elle pas émis des réserves ?
R - Si, et sa réserve figure dans le texte, je me réfère à la page 6 : "Sur la question de la gouvernance du Processus de Barcelone : Union pour la Méditerranée, les ministres ont décidé de poursuivre leurs consultations en conformité avec le mandat donné par les chefs d'Etat et de gouvernement au Sommet de Paris". C'est la seule véritable réserve avec une interprétation déclarative à la fin en ce qui concerne une forme de veto ou plus exactement de défense des intérêts légitimes des nations. Un pays peut-il interdire ou non l'ensemble d'un projet ? Nous, nous disons non. C'est la seule chose, le reste a été complètement accepté. Seules ces deux différences d'interprétations seront soumises à l'approbation des deux coprésidents mais elles ne portent pas sur le fond.
Il peut très bien arriver que d'autres pays se portent candidats d'ici là. Ainsi, ce fut le cas avec la Turquie qui n'avait pas fait acte de candidature et qui le fait ce matin alors que l'on avait accepté le texte hier. Vous comprenez donc que cela devenait difficile à gérer parce que tout le monde pouvait se présenter. On a par conséquent proposé que les pays candidats écrivent à l'une des deux co-présidences - égyptienne ou française - et ce sont les coprésidents qui décideront. Mais, à mon avis - cela n'engage que moi et je pense Ahmed - il n'y a pas de raison de refuser un sixième secrétariat général adjoint pour la raison simple qu'il y a six grandes priorités définies et que chacun des secrétaires généraux adjoints va pouvoir prendre un domaine spécifique.
Q - Une petite précision justement sur le sixième poste de secrétaire général adjoint que propose la Turquie, ce sont six postes de secrétaires adjoints ou la Turquie est la sixième candidate ?
R - C'est justement cela que les co-présidents doivent décider. Nous, nous avons décidé hier à l'unanimité qu'il y en avait cinq. Y en aura-t-il un sixième ? C'est ce que vont décider MM. Moubarak et Sarkozy. Si un sixième poste de secrétaire général adjoint est décidé, il n'y a aucune raison qu'ils le refusent à la Turquie qui l'a demandé. Tout cela sera discuté et décidé.
Q - Quels arguments a présentés la Turquie quant à cette demande ?
R - Ils ont dit que théoriquement il devait y avoir un seul secrétaire général. Hier, on a décidé qu'il y aurait aussi cinq adjoints à ce secrétaire général. Les Turcs ont réfléchi dans la nuit et ils ont demandé un sixième poste. Ils ont raison, après tout on peut se dire que s'il y avait deux secrétaires généraux adjoints désignés depuis le Sud et trois secrétaires généraux adjoints représentant le Nord, la Turquie semblait très bien placée pour être entre les deux mondes et c'est d'ailleurs sa place.
Q - Si les projets que vous avez nommés sont des projets qui existaient déjà, pourquoi est-il nécessaire de créer cette Union ?
Pourriez-vous expliquer concrètement quelle est la différence maintenant avec le Processus de Barcelone ?
R - C'est simple les projets du Processus de Barcelone n'ont jamais été mis en oeuvre. Il y a eu une série de projets tout à fait excellents mais qui n'ont jamais été mis en oeuvre, preuve que quelque chose ne fonctionnait pas. Je me souviens d'avoir participé à la naissance du Processus de Barcelone et cela fait plus de quinze ans.
Deuxièmement, pour ne prendre que cet exemple, la Ligue arabe était invitée à la conférence, au sein de la délégation égyptienne. Or, aujourd'hui, vous avez vu que la Ligue arabe est invitée non seulement à la conférence, mais également à toute la préparation. Les différences sont très importantes. Le secrétariat est chargé des projets dont un certain nombre ont déjà reçu un financement. Le secrétaire est d'un pays du Sud systématiquement, c'est la raison pour laquelle d'ailleurs nous n'avons pas encore de secrétaire général car il faut que l'on reçoive la liste de candidatures.
Ce qui a été difficile, au début, puisqu'il y avait déjà eu Barcelone, ce fut de marier l'Union européenne, c'est-à-dire vingt-sept pays, avec la rive Sud, et de faire que tout cela avance ensemble. Cela a fonctionné et un nombre important de pays du Nord ont soutenu les projets, les ont initiés et vont y participer.
Ce qui a également changé, comme l'a dit Ahmed tout à l'heure, c'est l'ambiance entre Israël et les pays arabes, avec la façon dont finalement les Israéliens ont accepté la présence de la Ligue arabe. Les Israéliens deviennent membres et secrétaire général adjoint d'une institution internationale pour la première fois. La façon dont le vice-ministre israélien des Affaires étrangères a été accueilli par nos amis alors qu'il avait accepté dans le texte l'idée de la médiation arabe, c'est une vraie différence. Vous savez que seule l'Autorité palestinienne avait participé à la réunion de Barcelone, il n'y avait pas d'autre pays arabe. C'est une différence énorme qui témoigne des avancées, au moins de l'esprit de paix. Vous verrez dans le texte que nous soutenons le Processus d'Annapolis. Actuellement Israël et les Etats-Unis vivent dans les échéances électorales et il va y avoir un moment où les initiatives européennes se feront remarquer, c'est ce que nous souhaitons.
Q - En quoi était-il important de créer le poste de secrétaire général adjoint israélien et palestinien permanent et quel sera leur rôle exact ?
R - C'est ce que nous cherchons dans tout le processus de paix depuis des années ! Aujourd'hui l'Autorité palestinienne et Israël sont allés plus loin en devenant ensemble membres d'une organisation internationale dans leur intérêt commun, ce qui est un réel progrès. Les autres pays sont des pays méditerranéens qui sont très intéressés par cela. C'est évidemment Barcelone parce que le siège sera à Barcelone, ce qui marque la continuité mais, en même temps, nous voulons que le Secrétaire général, comme nous l'avons toujours dit, vienne du Sud, et que les deux co-présidents viennent du Sud et du Nord. C'est donc l'intérêt à la fois politique, mais aussi des projets, d'avoir cette combinaison qui permet un suivi différent des projets, pas seulement à Bruxelles.
La structure sera légère mais productive. Je vous signale qu'il y a 14 réunions ministérielles de haut niveau qui sont prévues jusqu'à fin 2009 à laquelle participeront toutes les personnes présentes aujourd'hui. Il y aura sûrement des obstacles mais je vous sais capable de les souligner à chaque fois. Pour une fois je vous demanderai seulement de souligner un succès.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 novembre 2008