Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "I-Télé" le 6 novembre 2008, sur l'incidence pour le partenariat transatlantique et la politique étrangère de l'élection du démocrate Barack Obama au poste de président des Etats-Unis d'Amérique.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Résultat de l'élection présidentielle du 4 novembre 2008 aux Etats-Unis d'Amérique

Média : I-télévision

Texte intégral

Q - Bonjour, Monsieur Bernard Kouchner. Vous êtes le ministre des Affaires étrangères et nous souhaitons revenir avec vous sur ce phénomène que représente l'"obamania". Certains disent que les politiques français en font trop, êtes-vous en accord avec cela ?
R - Je préfère qu'ils en fassent trop pour Barack Obama que trop pour un autre. Mais je ne suis pas certain qu'ils en fassent trop.
C'était un événement mondial. C'est la première fois depuis longtemps que tout le monde avait l'impression d'être en faveur ou en défaveur de quelqu'un.
Q - Pour autant, y a-t-il un "chèque en blanc" de la part de la diplomatie française ?
R - Certainement pas. Il faut être réaliste mais on a le droit d'éprouver un peu de joie tout de même. Il n'y a, bien sûr, pas de "chèque en blanc". Nous le connaissons. Nous avons beaucoup travaillé pour cette période de transition, qui se présente devant nous, entre deux administrations américaines.
Sous présidence française, les Vingt-sept pays de l'Europe ont préparé un document pour un partenariat transatlantique que 'sera présenté au nouveau président américain, M. Barack Obama.
Je me rends mardi à Washington. Nous travaillerons sur les questions liées au multilatéralisme, au Moyen-Orient dont on vient de parler encore tristement à propos de Gaza. Rien n'est terminé, et on ne peut bien sûr pas faire de "chèque en blanc".
Q - Le monde poursuit donc sa route, les bourses dévissent, les conflits du Moyen-Orient continuent, etc.
R - Il y a un peu plus d'espoir. Lorsqu'un homme aussi populaire, à travers le monde comme dans son propre pays, veut mettre en oeuvre une nouvelle politique aux Etats-Unis - c'est, je le crois, ce qu'il va faire, même s'il s'intéressera tout d'abord aux Américains -, cela donne de l'espoir sur tous les fronts, tant au Moyen-Orient qu'en Iran, qu'en Afghanistan ou au Pakistan. Il ne faut pas oublier non plus les relations avec la Russie et avec la Chine.
Q - Il y a du grain à moudre, n'est-ce pas ?
R - Le 15 novembre, le G20 et le FMI devraient parler d'une nouvelle régulation du capitalisme. Je ne sais pas encore comment sera associé M. Obama à ce Sommet de Washington.
Q - Lui avez-vous parlé ? Nicolas Sarkozy lui a-t-il parlé ? Que se sont-ils dit ?
R - A ma connaissance, non. Mais, je suppose que Barack Obama est en train de se reposer un peu. Après, nous aurons sûrement l'occasion de lui parler très souvent.
Q - Entendez-vous les conseils de Dominique de Villepin lorsqu'il vous dit de faire attention de ne pas fonder un "nouvel atlantisme" ? L'Amérique n'est plus le centre du monde et Barack Obama n'est, finalement, qu'un Américain qui "roulera" pour l'Amérique.
R - Oui ! Le contraire serait étonnant, n'enfonçons pas les portes ouvertes.
Mais enfin, que veut dire ce terme : "nouvel atlantisme" ? Nous sommes, au contraire, en train de refonder un monde qui ne sera pas centré sur un seul pays. Le dollar ne sera plus roi, il ne sera pas la monnaie de réserve du monde entier. C'est cela que l'on est en train de changer, la crise l'impose.
Je remercie Dominique de Villepin de son conseil. Mais Barack Obama représente une nouvelle génération et, semble-t-il, une nouvelle dynamique. Cette dynamique n'est pas du tout la dynamique de l'atlantisme. Et puis c'est là un vieux cliché vraiment.
Q - L'euroméditerranée avance. Qu'avez-vous avez envie de dire ce matin ?
R - L'euroméditerranée a avancé, mais parlons d'abord de l'Europe.
L'Europe représente une force politique, ce qui n'était pas vrai, y compris du temps de M. de Villepin. Nous pensons donc qu'il y a quelque chose de nouveau, un interlocuteur nouveau et très potentiellement fort : c'est l'Europe, entre l'Asie, les Etats-Unis, la Russie évidemment.
Q - C'est vraiment un message que vous envoyez directement à la future administration américaine en leur disant "attention nous sommes une force avec laquelle il faut compter" ?
R - Exactement. Nous sommes une force avec laquelle il faut travailler. Ce que nous proposons dans ce document des Vingt-sept sur lequel la Présidence française du Conseil de l'Union européenne a travaillé pendant près de six mois, c'est que nous devons travailler ensemble. C'est fini de décider tout seul, aussi bien pour la paix dans le monde que pour le processus de paix. Nous sommes amis, nous travaillons avec vous. La Russie par exemple, ce n'est pas exactement pareil pour l'Europe que pour les Etats-Unis : il faut que l'on en parle ensemble. Cela va être passionnant.
Q - La Russie on en parle et on a l'impression que les cartes sont rebattues à vous entendre. La Russie sera-t-elle de l'euroméditerranée ou non finalement ? Avez-vous annoncé son retour ?
R - Ce sont les pays riverains de la Méditerranée avec les vingt-sept pays européens qui participent à l'Union pour la Méditerranée. Il s'agit donc, rive Nord, des pays qui participaient déjà de l'aventure européenne et, rive Sud, de tous les pays. Il y a 43 pays et ce qui a avancé - c'est un petit miracle -, c'est que tout le monde s'est mis d'accord. Ce n'est déjà pas facile à vingt-sept, alors à quarante-trois, je vous assure que c'était difficile.
Pour la première fois, la Ligue arabe participera à toutes les réunions, alors que la Ligue arabe n'est pas un pays et qu'Israël refusait cette perspective. Par ailleurs, Israël sera, pour la première fois dans son Histoire, membre d'une organisation internationale au sommet - secrétaire général adjoint -, à côté d'un Etat qui n'existe pas encore et qui se nomme la Palestine. J'espère que cet Etat va exister très vite. Dominique de Villepin a raison, ce sera probablement l'une des premières tâches de Barack Obama, en dehors des dossiers internes aux Etats-Unis. A cet égard, l'identité du représentant des Etats-Unis qu'il nommera au Moyen-Orient sera très significative.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 novembre 2008