Déclaration de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, sur la lutte contre la contrefaçon au niveau européen, Paris le 26 novembre 2008.

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Circonstance : Séminaire international sur la lutte contre la contrefaçon, à Paris le 26 novembre 2008

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Directeurs généraux des douanes et représentants de la Commission européenne,
Mesdames et Messieurs les chefs d'entreprises et responsables de fédérations professionnelles,
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux de vous accueillir ici à Bercy, au centre de conférences du ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique, pour évoquer un sujet extrêmement important pour nos entreprises, pour nos économies, pour nos emplois et pour notre sécurité à tous.
Ce sujet, c'est la lutte contre la contrefaçon. Et le fait d'être tous réunis ici montre bien que celle-ci ne peut pas être pensée en dehors de l'Europe.
I/ La lutte contre la contrefaçon, c' est un enjeu européen par nature.
D'un phénomène local et artisanal, touchant d'abord les industries du luxe, la contrefaçon s'est amplifiée depuis 15 ans pour devenir un phénomène de fraude global, concernant tous les secteurs de l'économie, tous les produits et utilisant tous les vecteurs d'acheminement - et notamment Internet.
La contrefaçon représente un chiffre d'affaires de plusieurs centaines de milliards d'euros, qui la place au deuxième rang des fléaux criminels, juste après le trafic de drogue. Il n'est donc pas étonnant que des organisations criminelles bien structurées s'impliquent de façon croissante dans cette activité illicite, dont elles retirent des profits toujours plus importants.
La mondialisation des échanges, qui se caractérise par une rapidité sans précédant de la circulation des marchandises, constitue à cet égard un environnement malheureusement favorable à la diffusion des produits contrefaits à l'échelle planétaire. Car c'est une des caractéristiques premières de la contrefaçon que d'être une fraude transfrontalière, avec ses régions de production et ses régions de distribution. Et l'Europe, avec son potentiel de 500 millions de consommateurs, est forcément une région privilégiée pour la vente des produits contrefaits.
Il serait donc illusoire de vouloir contrer ce phénomène majeur de fraude à l'échelle d'un pays, aussi bien organisé soit-il, mais c'est bien de manière collective, au niveau de l'Union européenne, que nous devons ensemble apporter une réponse à la hauteur des enjeux de ce fléau économique.
Cette réaction de dimension communautaire s'impose d'autant plus que ce sont les entreprises européennes qui sont les plus touchées par le phénomène de copie, car elles se distinguent sur la scène mondiale par une offre de biens de qualité, qui se caractérisent par une valeur ajoutée élevée.
Les droits de propriété intellectuelle de nos entreprises représentent sans conteste un avantage compétitif clé - et donc un enjeu majeur pour nos économies. Face aux copieurs, l'Europe doit donc offrir à ses entreprises un cadre qui protège leurs droits de propriété intellectuelle. Elle doit aussi les accompagner dans leurs démarches pour faire respecter ces droits au plan international.
Et au-delà l'intérêt économique des entreprises, l'Europe a également le devoir impérieux de protéger l'ensemble de ses citoyens contre les dangers de la contrefaçon et des nouveaux risques qu'elle induit. Les faux médicaments, les produits alimentaires contrefaits, les pièces de rechange automobile grossièrement copiées, qui n'ont aucune des qualités des modèles d'origine, sont autant de facteurs de risques pour les consommateurs. Ils doivent absolument être protégés contre ces dangers.
C'est la responsabilité première des douanes, qui ont su profondément se moderniser pour prendre en charge un développement sans cesse plus rapide et plus complexe des échanges internationaux, mais aussi pour faire face à une fraude et à une criminalité organisées multiformes et agressives.
En 1999, les douanes européennes avaient saisi 25 millions d'articles de contrefaçons. En 2007, elles en ont saisi 79 millions, dans des secteurs très variés, allant de l'alimentaire aux produits manufacturés les plus sophistiqués.
La lutte contre la contrefaçon, c'est aujourd'hui le visage de l'Europe qui se bat, pour son économie, pour sa sécurité et pour son avenir.
II/ S'agissant d'un enjeu communautaire, que doit-on faire pour être efficaces et apporter ensemble, au sein de l'Union européenne, une réponse à la hauteur de ce fléau majeur ?
C'est pour construire cette réponse aux nouvelles menaces de la contrefaçon que la Commission européenne a réuni ici à Bercy les 25 et 26 novembre, dans le cadre de la présidence française de l'Union, les directeurs généraux des douanes des 27 Etats membres, ainsi que des deux pays candidats que sont la Croatie et la Turquie.
La Commission européenne a communiqué, le 16 juillet dernier, sur une « stratégie dans le domaine des droits de propriété industrielle pour l'Europe ».
Le 25 septembre, le Conseil des ministres européens a invité la Commission européenne et les Etats membres à réfléchir à un plan d'action douanier ambitieux et concret pour la période 2009-2012, dont l'élément fondamental est la coopération pleine et entière de tous les acteurs concernés, nationaux et communautaires, publics et privés.
C'est donc dans ce cadre que s'est inscrit l'organisation de ce séminaire international sur la lutte contre la contrefaçon. Il s'agit d'une étape importante, au cours de laquelle des intervenants du secteur public et du secteur privé, déterminés dans la lutte contre la contrefaçon, ont pu échanger.
Je veux saluer tout particulièrement Bernard Brochand, Président du Comité National Anti-Contrefaçon et du groupe de réflexion de l'Assemblée nationale ainsi que Marc-Antoine Jamet, président de l'Union des Fabricants.
Ils sont venus faire part de leurs expériences et de leurs attentes, pour souligner l'indispensable coopération qui doit se développer entre les administrations et le secteur privé pour lutter efficacement contre ce fléau.
Vous avez, au cours de ce séminaire, consacré vos travaux à quatre défis que sont :
- la lutte contre les contrefaçons dangereuses pour la santé et la sécurité des consommateurs ;
- la lutte contre l'implication croissante du crime organisé dans la contrefaçon ;
- la lutte contre la mondialisation du phénomène ;
- et la lutte contre la contrefaçon via Internet.
Le compte rendu que m'a fait Jérôme Fournel, le directeur général des douanes françaises, montre que vos travaux ont été particulièrement fructueux, puisque ce sont plusieurs dizaines de mesures concrètes qui sont maintenant sur la table.
Je retiendrai pour ma part cinq chantiers que je trouve particulièrement intéressants et porteurs pour l'avenir.
En premier lieu, les douanes saisissent de plus en plus de contrefaçons dangereuses pour la santé et la sécurité des consommateurs.
Je pense par exemple à 1 500 produits cosmétiques saisis à Paris, à 113 000 jouets saisis par la direction des enquêtes douanières ou à 410 000 médicaments contrefaits saisis au Havre.
Alors que pour d'autres types de contrefaçons, le consommateur est trop souvent consentant lorsqu'il achète du faux, il est nécessairement une victime lorsqu'il s'agit par exemple de médicaments ou de pièces de rechange automobile.
Il doit donc être informé des risques, parfois dramatiques, qu'il court, par des campagnes de communication innovantes.
Ceci incite aussi à définir une politique de « tolérance zéro » à l'égard des contrefaçons dangereuses, non seulement dans le fret commercial, mais aussi pour les quantités transportées par les voyageurs ou commandées par internet et livrées par voie postale.
Nous devrons rechercher ensemble des solutions pratiques et juridiques pour aller dans ce sens.
Vous avez, en second lieu, échangé sur les réseaux d'importation et de distribution de la contrefaçon, le plus souvent verrouillés par des organisations mafieuses, structurées et très réactives.
Je pense à cette filière de vente de contrefaçon de maroquinerie de luxe démantelée en octobre dernier à Paris par les agents de la direction des opérations douanières ou à la découverte, dans une autre affaire, de produits de contrefaçons et de produits chimiques servant à la fabrication de produits stupéfiants dans le même conteneur, ce qui confirme bien que les mafias se diversifient activement et que les trafics sont mêlés.
Les douanes européennes se doivent donc d'être toujours plus réactives et sitôt une constatation significative réalisée, elles doivent systématiquement alerter les douanes des autres Etats membres par des moyens d'échanges électroniques d'information.
Je sais, Mesdames et Messieurs les directeurs généraux des douanes, que vous profiterez de l'amélioration de ces échanges d'informations pour développer et multiplier les opérations douanières conjointes européennes, ciblées sur des vecteurs ou des contrefaçons particulières.
Et il faudra aller encore plus loin, afin que les douanes puissent utiliser tous les ressorts de la coopération administrative et judiciaire internationale pour démanteler les filières mafieuses de contrefaçon.
Mais en troisième lieu, en synergie avec cette mobilisation sans précédent des douanes européennes, Mesdames et Messieurs les chefs d'entreprises, je veux dire avec force que nous avons besoin de vous !
Vous êtes en effet au coeur du dispositif, en déposant vos droits de propriété intellectuelle, en formulant des demandes d'intervention auprès des douanes, en expertisant les marchandises interceptées puis saisies et en poursuivant les contrefacteurs en justice.
Ce partenariat essentiel entre les douanes et les entreprises doit absolument être renforcé dans tous les pays européens. Les titulaires de droits qui voient leurs marques, dessins ou modèles bafoués, doivent immédiatement réagir en envoyant des alertes aux douanes, des messages de signalement pour leur permettre d'intervenir rapidement à toutes les frontières externes de l'Union européenne.
Les entreprises peuvent compter sur les douanes pour la protection des droits de propriété intellectuelle et doivent déposer plus systématiquement des demandes d'intervention, qui permettent aux agents des douanes de bien connaître leurs produits à protéger et d'agir avec efficacité.
En France, ce partenariat avec le secteur privé s'exerce aussi avec succès dans le cadre du Comité National Anti-Contrefaçon qui est un vrai lieu d'échanges et de réflexion commune pour améliorer le dispositif de lutte et d'information du public.
Au niveau communautaire, je salue la création prochaine d'un observatoire européen, lieu d'échange de « bonnes pratiques », qui permettra aux gouvernements, administrations, élus et entreprises de disposer d'une analyse fiable de l'évolution du phénomène de la contrefaçon.
En quatrième lieu, la mondialisation a permis un développement des échanges, mais elle emporte également des effets pervers qui imposent une réponse mondiale. La lutte contre la contrefaçon doit désormais être un thème à part entière des négociations internationales.
La Chine est devenue une grande puissance commerciale à l'échelle planétaire, mais force est de constater que 60 % des contrefaçons saisies en Europe proviennent aujourd'hui de ce pays.
Le plan d'action douanier avec la Chine, qui pourrait être signé lors du sommet UE-Chine en décembre, permettra d'échanger certaines informations mais aussi des fonctionnaires avec ce pays pour mieux lutter contre la contrefaçon.
Il mettra en perspective une meilleure protection de nos titulaires de droits par les douanes chinoises, qui exercent le contrôle des marchandises à l'exportation.
Plus généralement, les accords internationaux doivent permettre l'harmonisation de la protection des droits de la propriété intellectuelle.
Les douanes européennes et la Commission sont ainsi très impliquées, pour les mesures aux frontières, dans l'accord commercial anti-contrefaçon ACTA actuellement en cours de négociation, et attentives à ce que les dispositions de la réglementation européenne, avec ses hauts standards de protection, puissent y être intégrées.
En dernier lieu, et c'est un chantier particulièrement important pour moi, une vigilance particulière est nécessaire à l'encontre de la contrefaçon vendue par Internet.
Cette pratique se développe en effet, comme l'attestent les saisies croissantes effectuées dans les colis postaux et le fret express, manifestations physiques du commerce électronique.
Les douanes ont démantelé en France une filière de vente de chaussures de sport et de produits textiles de contrefaçon, fabriqués en Chine, et commercialisés via des sites internet marchands. Les contrefaçons étaient acheminées en fret express directement vers les clients finaux en France.
Le produit des transactions délictueuses, plus de 4,5 millions d'euros, était ensuite transféré sur des comptes bancaires en Suisse appartenant au gestionnaire des sites.
Chaque Etat membre doit évaluer clairement le phénomène de la vente sur Internet et partager son expérience et ses méthodes d'investigation avec les autres.
Il faut notamment conclure des protocoles de coopération avec les sites de vente en ligne et les établissements financiers de paiement en ligne, pour échanger des informations, mutualiser des méthodes de veille et identifier les vendeurs de contrefaçons.
Sans cette coopération entre les Etats et les professionnels d'internet, je suis convaincu qu'on ne pourra pas enrayer efficacement le phénomène.
Les gestionnaires de site ont de toute manière eux-mêmes tout intérêt à identifier les fraudeurs qui utilisent leur site comme vecteur pour leurs trafics, sous peine d'être assimilés à ces fraudeurs par les Etats.
Je ne doute donc pas de leur volonté de coopérer de plus en plus avec les administrations en charge de la lutte contre la fraude sur internet.
III/ Chaque Etat membre doit donc s'inscrire dans cette dynamique européenne et développer des méthodes, moyens et outils permettant de jouer pleinement son rôle. C'est ce que va faire la France.
Un plan national de développement de l'économie numérique « France numérique 2012 » vient d'être adopté. Ce plan ambitieux va accélérer le développement de la production et de l'offre de contenus numériques, tout en permettant à tous les français d'accéder aux réseaux et services sur internet.
Ce plan sera cohérent avec le volet Internet du plan d'action douanier européen de lutte contre la contrefaçon, dont vous venez, Mesdames et Messieurs, de tracer les grandes lignes.
J'ai ainsi prévu de démultiplier en France la capacité de surveillance d'internet de la direction du renseignement douanier.
Un service spécialisé autonome sera créé, afin de permettre le renforcement de l'identification des fraudeurs sur le net.
Les moyens juridiques des services d'enquêtes judiciaires spécialisés, notamment du Service national de douane judiciaire, chargés de démanteler les filières de fraude, seront encore développés pour couvrir la totalité des droits de la propriété intellectuelle.
Pour concrétiser rapidement ces mesures, la France est disposée à accueillir, dans les premiers mois de 2009, un séminaire spécifique sur la vente de contrefaçons par Internet, réunissant les acteurs concernés du secteur privé et du secteur public, afin de définir ensemble des actions précises et coordonnées pour éradiquer la vente de contrefaçons sur Internet. C'est une proposition que je fais à la Commission et à la future Présidence tchèque.
Au-delà de la contrefaçon, Internet est devenu un espace de fraudes multiformes contre lesquelles il convient de lutter en se donnant les moyens de ses ambitions. C'est l'objet d'un plan de lutte contre la fraude sur internet que je compte mettre en oeuvre en France dès 2009.
Ce plan reposera sur un renforcement des services, de leurs moyens matériels et juridiques, pour les dimensionner à l'enjeu. Il faudra multiplier les opérations conjointes aux niveaux européen et international. Et en France, sera constituée une « task force » inter-administrations sur la fraude sur internet, qui permettra de dynamiser l'échange de renseignements et la coopération opérationnelle.
Mais c'est dans le domaine de la coopération avec les titulaires de droits et entre les sites internet, les fournisseurs d'accès et l'Etat que les retombées les plus importantes sont certainement à attendre.
Ce chantier est d'ores et déjà ouvert et je prendrai des initiatives dans ce domaine.
Enfin, nous nous donnerons les moyens de sensibiliser les consommateurs et utilisateurs d'internet pour les informer et les responsabiliser, à la fois sur les risques pour leur santé et leur sécurité et sur les risques de sanctions en cas de fraude.
En conclusion, je voudrais rappeler que ce sujet de la lutte contre la contrefaçon a constitué une des priorités de la Présidence française et je me réjouis qu'il ait ainsi mobilisé les énergies des différents Etats membres.
Les débats et les réflexions ont permis de consolider et de préciser les grands axes d'un plan d'action européen et les actions à mettre en oeuvre, que ce soit l'amélioration de la réglementation, la coopération administrative, le partenariat avec le secteur privé, la coopération internationale ou la communication et la sensibilisation du public.
Sur la base de ces travaux, il appartient maintenant aux instances communautaires de valider les éléments de ce plan d'action, puis à la Commission et à la prochaine Présidence tchèque de l'Union européenne de le mettre en oeuvre dès le début de l'année 2009. La France sera particulièrement attentive à ce dossier, dont les conséquences pour nos économies, dans cette période difficile, ne sont plus à démontrer.
Je suis optimiste pour l'avenir, car si la fraude s'est considérablement développée ces dernières années, les Etats ont su se doter de pouvoirs de répression adaptés et s'impliquer dans une dynamique communautaire, qui va permettre à l'Europe de lutter efficacement contre ce fléau de la contrefaçon.
L'enjeu n'est pas mince : c'est rien moins que la protection des consommateurs européens et la sauvegarde de nos entreprises les plus dynamiques et innovantes.
Je vous remercie.
Source http://www.comptes-publics.gouv.fr, le 1er décembre 2008