Texte intégral
M. Grossiord.- Alors les passes d'arme se sont poursuivies tard dans la nuit, à l'Assemblée nationale, sur la réforme controversée de l'audiovisuel public et vous n'êtes pas au bout de vos peines, c'est le blocage. Pouvez-vous dans ce contexte supprimer la pub après 20 heures le 5 janvier comme prévu ?
Bien sûr, bien sûr nous allons le faire, c'est l'engagement pris, pris il y a un an par le président de la République. En plus, tout le monde s'y est préparé depuis des mois, on a entendu les dirigeants de France Télévisions annoncer leurs programmes avec dès 20 h 35...
Mais la loi ne sera pas votée alors. Comment est-ce que vous allez faire ?
La loi évidemment est en cours, ce point continuera bien sûr à être dans la loi parce que je crois qu'il y a toute une cohérence à ce que ça fasse partie de la loi...
Mais le 5 janvier alors ?
Mais pour que ça se passe le 5 janvier, écoutez il y a différentes possibilités...
Donc le décret !
Il y a différentes possibilités...
Le décret.
Il y a le décret entre autres, ce n'est pas la seule, ce n'est pas décidé pour l'instant. En tout cas c'est un...
Ah ! Quelle est l'autre alternative ?
Justement, il y a différentes possibilités y compris... G. Larcher a évoqué par exemple récemment une... ça peut être aussi une décision demandée au président de France Télévisions et prise par lui, il y a différentes possibilités...
Ah oui ! Effectivement, alors le président du Sénat qui est très colère, on en reparlera C. Albanel...
Il n'est pas du tout très colère, je vous assure, je l'ai encore vu avanthier et je peux vous dire qu'au contraire, nous avons eu une heure de discussion avec lui...
Ah ! Il est en colère contre l'hypothèse du décret qui serait, dit-il, une injure faite au droit du Parlement. Mais vous nous dites (que) P. de Carolis, le président de France Télévisions, pourrait donc décider de lui-même la suppression de la pub ?
Je dis simplement que sur ce point précis, il y a deux choses qui sont très importantes. La première, c'est que les compensations financières de la suppression de la pub soient réunies, et ça c'est le cas parce que les 450 millions d'euros de compensation ont été votés dans la loi de finances, de toute façon et ceci sur 3 ans et ceci de manière pérenne et dynamique. Et après, ça va être également voté évidemment dans le projet de loi audiovisuel, ça c'est le point essentiel parce que ça veut dire que l'argent est là. Après, on peut effectivement procéder de diverses façons, ce sera de toute façon dans la loi, ce qui fait que de toute façon la loi viendra sanctifier, donnera encore une valeur supplémentaire aux décisions qui seront prises. Mais on peut en effet faire de diverses façons. Le décret a été évoqué, il peut y avoir une décision prise ainsi que l'indiquait G. Larcher... présente à la demande évidemment... à la demande du gouvernement, il y a différentes possibilités. Mais la décision...
D'accord, donc le président de France Télévisions pourrait décider de lui-même...
En tout cas... pas de lui-même...
A votre demande.
A la demande du gouvernement, dans le contexte d'une compensation bien entendu tout à fait claire et dans le contexte au fond des engagements éditoriaux qui sont les siens, puisqu'il a annoncé les programmes il y a déjà une semaine qui, précisément, anticipaient déjà la fin de la pub.
En tous les cas s'il prend la décision P. de Carolis, ça vous arrangera et ça sera sur votre demande, on l'a compris, mais en échange...
Et en plus, la loi viendra évidemment... quelques jours après ce sera dans la loi et ce sera voté.
D'accord. Et en échange, est-ce que le président de France Télévisions serait assuré de terminer son mandat ?
Oh ! Ecoutez, moi vous le savez et tout le monde le sait, je pense qu'il faut effectivement que les dirigeants de France Télévisions - et d'ailleurs tous les dirigeants évidemment de sociétés publiques - poursuivent leur mandat mais c'est dans la loi. La loi prévoit qu'on ne mette pas fin aux mandats en cours.
M. Bouygues a énuméré dans Les Echos hier tout ce qui pèse sur TF1 : les taxes sur la pub, demain sur la téléphonie, les contraintes, la réglementation, etc. Est-ce que vous aussi, vous le voyez comme une victime ?
C'est-à-dire je pense que je ne vois pas du tout TF1 comme une victime, mais je ne le vois pas du tout comme le grand méchant loup, une espèce d'hydre tentaculaire et sanguinaire qui veut tout absorber. Actuellement, ce n'est pas du tout le sujet. Je pense d'ailleurs, vous le savez bien, qu'il y a une crise de l'ensemble des médias, il y a la crise du marché publicitaire, ça ne durera pas toujours mais il est clair que TF1 n'est pas aujourd'hui dans une situation formidable, or on a besoin...
Oui, mais vous pouvez le rassurer quand même M. Bouygues, il va être gagnant avec cette réforme, avec cette nouvelle coupure de pub et les transferts de budget de la télé publique à TF1.
Je pense que si les télévisions privées sont effectivement un peu gagnantes, c'est l'intérêt... gagnantes ainsi que la télévision publique, chacun dans son projet, c'est l'intérêt de tout le monde puisque je rappelle que les financements du cinéma, mais les financements de la création audiovisuelle sont assis sur l'ensemble des chaînes de télévision, privées et publiques.
Les personnels de France Télévisions, et notamment la Société de Rédacteurs de France 2, se disent humiliés avec un patron qui sera donc à l'avenir nommé directement par l'Elysée. Comment ne pas voir là un retour 25 ans en arrière, C. Albanel ?
Vous savez, c'est un débat qui a eu lieu assez souvent et d'ailleurs, au début des années 90, il y a eu bien au moment de la loi... différentes lois, ça a été évoqué. Au fond il y a... vous savez, il y a aussi une logique, on est dans un paysage aujourd'hui extrêmement varié, dans 3 ans tout le monde aura 18 chaînes au moins mais souvent, les gens ont accès à des centaines de chaînes. Ils zappent, on va d'une chaîne à l'autre, il y a Internet et que dans ce contexte...
Mais quel rapport avec la nomination par l'Exécutif du président de France Télévisions ?
J'y viens justement. Que dans ce contexte, il y ait une grande télévision publique dont l'actionnaire finalement prenne toutes les responsabilités, l'actionnaire est celui qui au fond garantit les financements, il est celui qui fixe les missions, est-ce qu'il ne peut pas être aussi celui qui nomme les dirigeants ?
Vous nous dites qu'il a l'emprise financière, des nominations, il peut aussi révoquer...
Oui, non, non, mais... Il y a en même temps une logique d'autant plus qu'il y a le verrou, je le rappelle, d'un avis conforme, c'est-à-dire d'un vote à bulletins secrets de la majorité des membres du CSA premièrement, d'un débat au Parlement des deux chambres...
Ça vous inquiète ça ?
Un débat au Parlement des deux chambres, avec une majorité qualifiée quand même nécessaire. Au Sénat, je rappelle qu'aujourd'hui nous n'avons pas la majorité, il ne faut quand même pas oublier ce genre de chose, le tout dans un contexte de débat public. Et avec ce qui se passe aujourd'hui, vous voyez bien que le débat public, au moment de la nomination d'un grand dirigeant de France Télévisions, va être absolument extraordinaire, tout le monde va scruter avec des loupes qui il est, pourquoi, comment etc. Moi dans ce contexte, il est absurde de penser qu'on va aller soulever une pierre pour aller trouver je ne sais qui qu'on va nommer soudainement à la tête de France Télévisions. Ça sera quelqu'un qui tiendra la route et il y aura aussi la possibilité évidemment d'aller chercher quelqu'un, éventuellement extérieur...
Vous êtes très affirmative, vous avez déjà des noms en tête comme N. Sarkozy ?
Pas du tout, je pense qu'il y a des grands dirigeants qui viennent effectivement de l'intérieur, qui peuvent être journalistes, par exemple aujourd'hui P. de Carolis, il peut y avoir d'autres personnalités qui peuvent venir aussi de l'extérieur. Et cette possibilité, c'est à la fois de la responsabilité d'un côté, de la logique, de la cohérence et de la liberté de l'autre.
Vous voulez donc libérer la télé de la dictature de l'audimat, ça c'est une très belle idée, mais ce qu'on vous reproche c'est cette emprise du politique. Est-ce que vous redoutez, sur la question de la nomination, une censure du Conseil constitutionnel qui pourrait conclure à un recul des libertés ?
Non, je ne le crois absolument pas, ce n'est pas du tout une disposition... enfin d'ailleurs l'ensemble de la loi n'a pas posé du tout de problème dans le Conseil d'Etat, je ne pense pas du tout qu'il y a un problème là-dessus devant le Conseil constitutionnel, compte tenu aussi des verrous dont je parle, le débat parlementaire, l'avis des chambres plus l'avis conforme du CSA.
Qu'est-ce que vous espérez aujourd'hui C. Albanel pour que cette réforme, qui est votre première épreuve du feu, ne soit pas gâchée ?
Ecoutez, j'espère avancer parce qu'il faut voir que sur le seul article 18, il y a eu 206 amendements dont 170 identiques, dans une obstruction systématique défendue dans les mêmes termes de manière absolument interminable. Et je pense que c'est un vrai déni de démocratie quand même.
Un déni de démocratie, c'est quand...
Absolument...
La gauche cherche simplement à gagner la bataille de l'opinion !
C'est... d'ailleurs je ne crois pas du tout qu'elle gagne la bataille de l'opinion, l'opinion ne sait pas qu'il y a actuellement une espèce de blocage et une obstruction qui est en train comme ça de s'étaler comme une vague géante à travers l'Assemblée, l'opinion l'ignore. Mais par contre, ce qui se passe, c'est qu'il n'y a plus de débat évidemment.
Alors c'est votre grande bataille parlementaire, je le disais, comme ministre de la Culture. Est-ce que N. Sarkozy vous a encouragée ces dernières heures, ces derniers jours ?
N. Sarkozy m'a encouragée, c'est vrai...
Félicitée aussi ?
Pardon ?
Félicitée également ?
Il m'a félicitée effectivement...
Qu'est-ce qu'il vous a dit ?
Il a dit qu'il était en fait très satisfait dans la façon dont je pouvais mener...
Vous débattre ?
Le débat... le débat exactement. Mais en fait, il a dit surtout qu'il y tenait. Je crois que certes c'est la crise, mais je pense que c'est une grande réforme culturelle qui vaut la peine.
C. Albanel, il paraît que pour tenir dans cette guérilla parlementaire, vous vous récitez des poèmes de votre agrégation de lettres. Quels textes, à qui avez-vous pensé cette nuit ? A quel recours ?
Ecoutez, il est vrai que de temps à autres - je suis évidemment très attentive parce qu'il ne s'agit pas de s'abstraire, mais il m'arrive de temps en temps de... Par exemple cette nuit, j'avais récité effectivement quelques morceaux de Bérénice, oui, oui, c'est vrai.
Ah oui ! Comme ça, les critiques de N. Mamère et d'autres sont moins dures à vos oreilles ?
"Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous ?"
Merci à vous.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 12 décembre 2008