Texte intégral
Philippe Lapousterle : Nous sommes ce soir, avec Alain Madelin, président de Démocratie Libérale. Bonsoir.
Alain Madelin : Bonsoir.
PL : Merci d'être avec nous ce soir. Non seulement vous présidez le parti Démocratie libérale mais vous êtes un des tous premiers à avoir annoncé votre candidature à l'élection présidentielle, prévue l'an prochain. Votre candidature a été pour certains une déception puisque vous en aviez résolument soutenu la candidature de Jacques Chirac à l'automne 1994 et au printemps 1995 et les mêmes espéraient probablement que vous confirmeriez votre choix d'alors. Mais vous préparez activement votre campagne électorale et vous avez réuni hier les comités de soutien à votre candidature. Vous nous direz, M. Madelin, le sens de votre combat politique et nous verrons avec vous les sujets d'actualité politique et sociale qui s'accélère beaucoup en ce moment. Pour vous interroger avec nous ce soir, Carl Meeus, journaliste au Point. Bonsoir
Carl Meeus : Bonsoir.
PL : Le point qui est partenaire du Forum. Et Mathieu Maire du Poset qui est journaliste à Infonie, Infonie partenaire du Forum. Plus de 2.300 appels et connections depuis mardi soir. Et les auditeurs peuvent continuer d'appeler. Nous allons voir avec Mathieu Maire du Poset, l'image de M. Madelin telle qu'elle ressort des consultations des internautes d'Infonie.
MMP : Les internautes d'Infonie qui ont donc voté durant toute cette semaine, il en ressort une opinion défavorable à 69,9 % contre une opinion favorable à 25,8 %. Et 4,3 % de sans opinion. En revanche, on peut dire en parallèle que pour 43,6 % de ces internautes vous défendez des idées non représentées en vous présentant à ces présidentielles, que pour 34,8 % vous poursuivez une ambition personnelle et pour 21,6 % vous ajoutez à la cacophonie qui se passe à droite.
PL : Ce ne sont pas des sondages, ce sont des... Alors Carl Meeus, première question.
CM : Après votre déclaration de candidature, il y a eu quelques sondages qui ont montré qu'Arlette Laguiller, par exemple, faisait 6 % et vous vous êtes à 3 %. Est-ce que ce mauvais chiffre ne vous décourage pas ?
AM : Non, à l'exception d'un sondage que vous avez publié, vous et qui dit cela, je suis en réalité suivant les sondages entre 5 et 9 %. Cela étant, je n'attache pas une énorme importance à ces sondages. La question est de savoir : est-ce que vous représentez quelque chose ? Et j'ai le sentiment de représenter une offre politique forte qui est une offre politique faite d'audace dans toute une série de domaines. Je propose ce que l'on pourrait appeler une vraie révolution fiscale, une vraie révolution régionale, une vraie révolution dans la réforme de l'Etat, une vraie révolution de l'éducation. J'appelle cela " révolution " par rapport aux solutions chèvre-chou, traditionnelles à la française. Mais cette offre politique-là, vous savez, est faite partout autour de nous. Elle est faite en Angleterre. Elle est faite en Belgique. Elle est faite en Allemagne. Elle est faite en Italie. Et partout autour de nous vous avez des pays qui bougent et chaque fois que cette offre politique est faite, elle est choisie. Alors je suis persuadé, toute une série d'études d'opinion aussi le montre, qu'une majorité de Français attendent qu'on leur propose cette offre-là et qu'ils sont disponibles pour la choisir. Donc je ne suis pas là pour figurer. Je ne suis pas là pour témoigner. Je suis là avec la conviction qu'il est possible d'en maintenant un peu moins d'un an, au rendez-vous des élections présidentielles, de rencontrer un courant de l'opinion porteur, comme partout, encore une fois, autour de nous en Europe on l'a rencontré.
CM : Hier, vous avez réuni vos comités locaux de soutien. Donc avec ce que vous nous dites maintenant, ça veut dire que vous irez jusqu'au bout en toute hypothèse.
AM : Ecoutez, je ne vois pas ce qui pourrait me décourager aujourd'hui. Au contraire tous les signes que je reçois sont des signes encourageants et je vous le répète, beaucoup de gens attendent cela. Et si vous regardez les deux dernières élections que nous venons de voir autour de nous, l'élection italienne et l'élection en Grande-Bretagne. Avec des propositions, avec des solutions qui sont très proches de ce que je propose moi-même pour la France, ce sont des offres gagnantes.
PL : Vous êtes sûr, M. Madelin... Est-ce que vous pensez que la France est prête aux grandes bascules que vous lui proposez ?
AM : Non, ce n'est pas...
PL : Si parce que vous avez utilisé le mot " révolution " c'est un peu vrai.
AM : J'ai mis des guillemets par rapport à la pratique française. A l'évidence aujourd'hui nous sommes dans un monde en concurrence et si vous voulez aujourd'hui profiter de la nouvelle croissance qui est l'uvre partout dans le monde. Pour résoudre nos problèmes, pour créer la prospérité et le plein emploi. Et le plein emploi, à mes yeux, c'est la première condition de la justice sociale. Et bien il faut faire une réforme fiscale. La corrélation est évidente parce que celles et ceux qui sont un peu plus innovants, un peu plus entreprenants que d'autres leur comportement sera très différent suivant que l'Etat prend 1/3 de leurs revenus supplémentaires ou 90 % de leurs revenus supplémentaires. Donc nous avons besoin d'une révolution fiscale.
Dans un autre domaine, puisque nous allons vers un monde où l'éducation sera plus que jamais importante, et nous avons encore trop souvent une école de l'échec, il faut libérer l'école en faisant confiance aux enseignants en leur donnant quelques obligations ou quelques contrôles du résultat, mais une très grande liberté des moyens et en faisant confiance aux parents pour choisir librement l'école de leurs enfants en supprimant les absurdités de cette carte scolaire.
Ce que je dis là, ça peut surprendre un peu en France parce qu'on n'a pas l'habitude. Mais encore une fois, ce sont des banalités au-delà de nos frontières.
PL : Votre mot c'est libéral ou liberté ?
AM : Ecoutez...
PL : Ce n'est pas pareil dans l'esprit.
AM : Ce sont des libertés appliquées, des libertés d'agir et des libertés de choisir. Tout le monde comprend bien aujourd'hui qu'il y a un formidable potentiel de la France qui est bridé et qu'il y a beaucoup de gens qui se sentent un peu trop inutiles ou qui voient leur talent gâché parce qu'il y a trop de contraintes, trop d'impôts, trop de lois, trop de règlements, et on a besoin de l'air. De l'air, de l'air, de l'air pour pouvoir faire la course en tête dans ce nouveau monde. Tout le monde le comprend bien, sauf l'actuel gouvernement, bien évidemment, qui au lieu de mettre le pied sur l'accélérateur préfère souvent mettre le pied sur le frein.
PL : Alors, Monsieur Madelin, M. Le Floch-Prigent, ex- PDG d'Elf, a affirmé il y a quelques heures sur une antenne, vous citant nommément que vous auriez avec d'autres membres de l'opposition de l'époque emprunté des avions d'Elf, notamment pour différents voyages en Afrique. Vrai ou faux ?
AM : Ecoutez, ce n'est pas une découverte. Je l'ai moi-même publiquement déclaré il y a déjà pas mal de temps. Elf, qu'est-ce que c'est ? C'est une grande entreprise française avec des intérêts dans le monde entier. Alors je vais vous donner une explication, elle est très simple et elle est tout à fait honorable. Avant la fin du communisme, la chute du communisme, j'avais tissé toute une série de relations personnelles avec toute une génération qui a accédé des postes de responsabilité, qui président, qui premier Ministre ou autre, en Russie, dans les pays d'Europe de l'est, en Afrique et j'ai encore une fois, en tout bien, tout honneur, facilité les contacts de l'entreprise Elf avec ces nouveaux dirigeants qu'elle ne connaissait pas et en contre partie à ces occasions, ils m'ont facilité quelques déplacements.
PL : Nombreux déplacements ? C'est par dizaine ?
AM : Non, non. Mais c'est vrai encore une fois, je l'ai déjà déclaré, il n'y a rien de nouveau. Vous savez, ce qui me caractérise, c'est que je n'ai jamais directement ou indirectement participé au soutien d'un gouvernement dictatorial. Et mes amis, c'est comme ça, c'était les nouveaux démocrates, après la chute du mur de Berlin ou peu avant la chute du mur de Berlin, et beaucoup d'entreprises nationales avaient pris des habitudes - et encore une fois je ne leur reproche pas parce que c'était leur intérêt - de contact avec les pouvoirs en place et quand ces pouvoirs ont été renversés, elles étaient un peu sans interlocuteur et c'était tout à fait normal que je fasse cela pour cette entreprise.
PL : Vous trouvez ça normal qu'un homme politique de votre dimension.. ?
AM : Oui, bien sûr. Ancien ministre de l'Industrie, ancien ministre du pétrole avec des liens dans un certain nombre de pays. J'ai facilité cela. D'autres dans d'autres occasions, auraient sans doute pris de l'argent. Ce n'est vraiment pas mon cas. Je l'ai fait dans l'intérêt un peu de l'entreprise et bien sûr dans l'intérêt de ces pays.
PL : Vous n'étiez pas salarié d'Elf pour autant ?
AM : Non. Mais encore une fois cette explication me paraît tout à fait honorable et elle n'est pas nouvelle. Je ne l'ai jamais caché.
PL : Une autre question, M. Madelin, à ce sujet-là. Est-ce que vous pensez que la révélation qui tombe aujourd'hui est un hasard ? Ou bien est-ce que vous considérez que cette révélation est de nature à vouloir vous gêner ?
AM : Non, sûrement pas parce que vraiment j'assume totalement. Vous pourrez retrouver cela dans la presse d'il y a un an, d'il y a deux ans ou peut-être plus, je ne m'en suis jamais caché. Et encore une fois - je pourrais détailler, si vous voulez, avec un certain nombre de pays - ceci me paraît tout à fait honorable.
CM : Vous dites que vous avez facilité des contacts, c'est à dire que vous étiez en tant que consultant pour Elf ?
AM : Non, pas du tout. Quand vous êtes une grande entreprise, vous avez besoin d'avoir à un moment donné un contact privilégié avec un certain nombre de dirigeants. Le fait tout simplement d'être reçu, de faire valoir vos intérêts et de ne pas faire la queue parce que vous n'avez pas d'interlocuteur que vous connaissez. Eh bien, voilà c'est tout bête. C'est faciliter le contact avec des nouveaux dirigeants dans un certain nombre de pays que cette entreprise ne connaissait pas et je suis heureux de l'avoir fait et je l'assume parfaitement.
CM : Loïk Le Floch-Prigent cite d'autres hommes politiques. Vous pensez que ce sont les mêmes missions qu'ils ont fait pour Elf ?
AM : Je n'en sais rien.
PL : Tout le RPR...
AM : Moi, je vous dis ce que j'ai dit il y a déjà longtemps, je le répète devant vous. Point.
PL : Est-ce que vous n'êtes pas frappé, M. Madelin, par le fait que tous les candidats à la présidence de la République - annoncés en tout cas - pour l'an prochain subissent comme ça quelques révélations depuis quelques mois ?
AM : Non. Attendez, pardon mais s'agissant de ce que je suis en train de vous dire ce n'est pas une révélation. C'est un fait connu.
PL : Le ton de la campagne ne vous paraît pas mal parti ?
AM : Ah ça, c'est une autre affaire. Entre le président de la République et le Premier ministre c'est qu'il y a, semble-t-il, un spectacle un peu affligeant.
CM : Justement, il y a eu un incident cette semaine. L. Jospin, devant l'Assemblée nationale, a expliqué qu'il valait mieux d'exprimer devant les journalistes que de ne pas le faire devant le juge. Vous considérez que la cohabitation est menacée ? Que ça peut continuer comme cela encore pendant un an ?
AM : Ecoutez, ce n'est pas sain. Je n'ai pas d'autres commentaires à faire. Ce n'est pas sain qu'auprès du président de la République ou auprès du Premier ministre, qu'il y ait des gens, dont, du matin au soir, le boulot soit de préparer des traquenards contre l'un ou l'autre.
PL : Ce n'est pas seulement ça. Les Français avaient le sentiment que s'ils votaient pour la cohabitation, ils obligeaient les deux têtes de chacun des grands camps de l'opposition et de la majorité de travailler ensemble pour le bien de la France. C'est comme cela que les Français avaient imaginé la cohabitation. Est- ce que ce n'est pas quand même un voile qui se déchire que de voir que finalement ils passent leur temps... ?
AM : Si bien sûr, parce que j'ai cru comprendre que l'un et l'autre pourraient être candidats à l'élection présidentielle et donc toutes ces révélations et tout ce spectacle sont liés, non pas à la cohabitation, mais à la préparation de la prochaine élection présidentielle. Ce n'est pas sain.
PL : Et le fait que ça promette de durer un an, c'est une chose qui est grave pour la France ou bien la France est un pays assez riche pour se le permettre ?
AM : On en a vu d'autres. Mais ce n'est pas bon. Les affaires du pays peuvent difficilement être bien traitées dans ce climat.
CM : On reproche à Lionel Jospin son passé trotskiste. Pour vous qu'est-ce qui est le plus grave ? C'est le fait qu'il ait cherché à le cacher pendant toutes ces années ? Ou le fait que finalement il ait eu une double appartenance pendant un moment, à la fois à l'OCI, l'organisation communiste internationaliste, et au parti socialiste ?
AM : Pour être très franc, je m'en fous un peu. Mais avoir été trotskiste à 20 ans, c'est bien ?
CM : Mais là en l'occurrence, ce n'est pas 20 ans, c'est 40 ans.
AM : A 40 ou 50 ans...
CM : Ce n'est plus une erreur de jeunesse...
AM : C'est plus original et c'est un peu bizarre. Mais qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? Moi, quand j'étais jeune, quand j'étais étudiant, j'étais très anticommuniste, comme vous le savez. On me l'a assez reproché. Bon, le Premier ministre..
PL : Comme lui. Il est anti-marxiste. Il a expliqué que c'était par anticommunisme et anti-stalinisme.
AM : Non, non, non. Mais enfin, anti-stalinisme - je ne vais pas polémiquer - mais l'anti-stalinisme de Trotski, ce n'était pas parce que Staline mettait des gens dans le goulag. C'est parce qu'il reprochait à Staline de ne pas aller assez loin. Quand même, il faut rappeler les choses. Ce n'est pas un humanisme le trotskisme. Il reprochait à Staline de ne pas avoir exporté la révolution et les méthodes communistes dans le monde entier. Disons, si vous voulez, que le trotskisme c'était un communisme ultra.
PL : Je remarque quand même que vous vous dissociez largement du concert de responsables politiques à droite qui estiment scandaleux que le Premier ministre ait menti d'abord et ensuite semble avoir eu une double appartenance pendant quelques années.
AM : Ecoutez, le fait qu'il ait une double appartenance, c'est un peu le problème de la gauche et le problème du parti socialiste. Jospin avait fait campagne à un moment donné sur ce slogan " Avec Jospin c'est clair "... Ce n'est pas très clair.
MMP : Une question d'un internaute, Pierre de Paris, justement vous parliez de votre passé. Il se demande si avec tous ces déballages, vous ne craignez pas que votre passé à Occident revienne une fois de plus sur le tapis.
AM : Ecoutez, non. Parce que vraiment j'ai déjà donné. On me l'a déjà rappelé 250 fois. Et je vous l'ai dit moi-même. Et encore une fois j'assume. Je ne me cache derrière un frère avec lequel il y aurait une ressemblance éventuelle. J'assume parfaitement. J'étais très anticommuniste. Alors on peut discuter beaucoup de choses sur la forme que peut prendre cet anticommuniste au quartier latin quand j'avais 17, 18 ou 20 ans. Mais sur le fond, le communisme était pour moi le totalitarisme de ma génération. Eh bien je préfère avoir combattu ce totalitarisme. Et l'histoire, globalement, a donné plutôt raison à ceux qui combattaient le communisme.
CM : Pour la campagne présidentielle de 1995, vous étiez l'un des soutiens les plus actifs de Jacques Chirac. Pourquoi vous n'avez pas souhaité recommencer ce tandem gagnant, on pourrait dire, pour 2002 ?
AM : Parce que j'ai été déçu.
CM : Par quoi ?
AM : J'ai été déçu par la politique suivie. Vous savez que notamment ceci a conduit à mon départ du gouvernement. Je suis parti du gouvernement. J'aurai souhaité une autre politique mise en oeuvre après 1995. Et puis l'histoire ne repasse pas deux fois exactement les mêmes plats. Aujourd'hui comment vous dire, je me sens... Encore une fois, je n'ai pas la grosse tête. Mais toujours on se compare et je me sens prêt à assumer des responsabilités. Je me sens prêt à tracer le chemin de la France, directement, moi-même, pas par procuration. Et peut-être plus que cela, peut-être parce qu'avec le temps, on mûrit, on a de l'expérience, je me sens prêt à représenter la France dans toute sa diversité. Vous savez, on dit que je suis libéral. C'est vrai, j'adore les libertés. Les libertés, pour moi, c'est fondamental. Mais si j'accepte, si j'aime la liberté, j'accepte forcément la diversité qui est le résultat de la liberté. Et la France est diverse, elle est plurielle. Il y a de multiples couleurs et moi je rêve d'une France aux couleurs de la vie. Je me sens aussi à l'aise avec des gamins un peu paumés de banlieue, qu'avec un public de PME ou un public agricole. Je me sens capable de représenter cette diversité de la France aujourd'hui.
PL : Mais vous ne vous sentiriez un peu plus fort, avec vos idées, M. Madelin, que de faire campagne en tandem avec quelqu'un d'autre. Ce ne serait pas plus gagnant comme... ?
AM : Oui, mais enfin l'hypothèse selon laquelle...
PL : Mais les conditions de 1995 ne sont pas les mêmes, vous l'avez dit vous-même.
AM : Qu'est-ce que vous suggérez ? Vous suggérez que Jacques Chirac fasse tandem avec moi ? Vous lui ferez cette suggestion vous-même.
PL : Vous êtes déçu, M. Madelin. Quel est le sens que vous donnez à sa candidature à lui ? Puisque vous allez vous opposer à lui.
AM : Ecoutez, je n'en sais rien. Nous verrons ce qu'il dira et ce qu'il proposera. Moi je répète, je fais une offre politique que j'estime forte. Je vous l'ai détaillée tout à l'heure dans toute une série de domaine et je crois que je serais le seul à faire cette offre politique. Elle me paraît nécessaire aujourd'hui pour un pays qui veut se moderniser, qui veut entrer gagnant dans le nouveau monde et un certain nombre de réformes que l'on n'a pas faites et qu'il faut faire. Eh bien voilà, je les présenterai directement aux Français avec la conviction qu'une majorité d'entre eux sont capables aujourd'hui de faire ce choix-là.
PL : Et vous pensez, M. Madelin, que si vous obtenez un score honorable, vous demanderez à ce que le courant que vous représenterez et seul - puisque vous serez seul à défendre les idées libérales - soit représenté dans le gouvernement si la droite l'emportait ? Vous considérez que ce serait un dû ?
AM : Je ne dis pas cela. J'ai déjà répondu une fois parce qu'on m'a dit : est-ce que si vous n'étiez pas en tête au premier tour...
PL : Ce qui peut arriver.
AM : Ce qui pourrait arriver. Mais je n'aime pas envisager cette hypothèse. Mais admettons. Si vous n'étiez pas en tête au premier tour, par exemple que Jacques Chirac soit en tête au premier tour, est-ce que vous appéleriez à ce reporter sur lui ? Ecoutez, celles et ceux qui peuvent me faire confiance dans cette campagne des élections présidentielles, je n'ai pas le droit de marchander ou de vendre leurs voix. Leurs voix se mériteront.
PL : Mais est-ce que la voix des libéraux devra participer d'une coalition si la droite est élue en 2002 ?
AM : Bien évidemment. Je représente une famille politique qui est une famille politique importante de la vie politique française, qui généralement est au pouvoir et leader dans tous les pays qui nous entourent. Il est normal qu'elle soit représentée, qu'elle fasse entendre sa voix.
PL : Donc si Chirac était réélu président de la République, vous demanderiez à ce que votre courant soit représenté dans le gouvernement de la France ?
AM : Ecoutez, nous n'en sommes pas là. Je ne suis pas à marchander un gouvernement. Je suis en train d'essayer d'expliquer quelle peut être une voix moderne pour la France, les réformes qu'il faut faire et d'essayer de réunir une majorité de Français autour de ces choix-là.
CM : Il y a beaucoup d'autres candidats à droite à vos côtés. Par exemple, il y a François Bayrou avec qui vous étiez dans le même parti en 1994. Alors qu'est-ce que vous pensez un peu de sa campagne ? Est-ce que vous ne considérez pas finalement que François Bayrou est un candidat de trop finalement pour 2002 ?
AM : je considère que tous les autres candidats d'abord sont des candidats de trop, déjà.
PL : Vous n'êtes pas pour une candidature unique, M. Madelin, quand même ? Un libéral comme vous ?
AM : Il est normal qu'on préférerait avoir beaucoup moins de monde autour de soi. Mais elle est légitime. Voilà. Vous savez dans cette campagne, faisons l'hypothèse que je sois en tête au premier tour et que je puisse être élu. Il faudra bien derrière constituer une majorité. Il faudra bien derrière constituer un gouvernement. Donc il faudra bien que les autres familles politiques, j'entretienne de bons rapports avec elles. Donc ne me demandez pas aujourd'hui de tirer sur elles. Et il faudra bien que des hommes comme les Douste-Blazy, les Sarkozy, les Michèle Alliot-Marie et beaucoup d'autres, on se retrouve tous ensemble pour gouverner la France, je l'espère, sur les options qui sont les miennes et qui auront été choisis par les Français.
CM : Donc vous considérez que François Bayrou fait un peu des erreurs quand il attaque Jacques Chirac un peu à longueur de semaines pour essayer de se démarquer.
AM : Si vous voulez exercer demain la responsabilité suprême, il faudra bien le faire avec tout le monde. Donc ça ne sert à rien, à mes yeux, aujourd'hui de faire des blessures, de créer des fossés pour demain chercher à cicatriser ou à mettre des ponts.
(Suite de l'interview sous la référence 013001845-002)
PL : Si vous étiez élu président de la République, puisque vous êtes candidat à la fonction, qu'est-ce que vous pensez, de manière générale, de ce que doit être le statut du président de la République en matière judiciaire. Est-ce qu'il doit conserver le privilège de juridiction qui est actuellement le sien ? C'est un problème.
AM : C'est un vrai problème. Le président de la République n'est pas un citoyen comme les autres. Mais il n'est pas davantage au-dessus des lois. Donc c'est entre les deux qu'il faut trouver une solution. Une solution notamment pour les actes qui sont détachables de sa fonction et qui pourraient donner lieu à des poursuites judiciaires et qui doivent être poursuivis normalement par les tribunaux, même s'il est normal qu'il y ait des procédures spéciales de façon à mettre la fonction du président de la République à l'abri.
Une fois que l'on a dit cela, comment peut-on faire ? Moi, j'ai fait une suggestion. Je la renouvelle volontiers sur votre antenne. Parce que c'est au fond un sujet de consensus, ça ne devrait pas être un sujet de guerre, celui-là. Je propose que le président de la République et le Premier ministre se mettent d'accord pour désigner une commission de sages, de juristes pour, à la lumière des expériences étrangères, faire une proposition de statut du président de la République, qu'ils fassent un président de la République pas au-dessus des lois, mais encore une fois qui permette de protéger sa fonction.
Encore une fois, si je devais être élu, c'est bien évidemment ce que je proposerais. Je souhaite que M. Chirac le propose sans attendre la prochaine échéance présidentielle. Sinon je le proposerais pour la prochaine échéance présidentielle et bien évidemment je me l'appliquerais.
PL : La proposition Ayrault, c'est oui ou c'est non ? La proposition actuelle ?
AM : Non, parce que cela c'est une manuvre cousue de fil rose. C'est évident que ce n'est pas une proposition sérieuse. La méthode sérieuse de traiter ce problème c'est celui-là. Il y a un autre problème qu'il faudrait traiter parce que c'est quelque chose que l'on ne rencontre pas dans les autres pays autour de nous. C'est le problème des fonds secrets. Le président de la République et le Premier ministre disposent de sommes considérables en fonds secrets, plusieurs centaines de millions. Qu'est-ce qui nous garantit que ces fonds ne sont pas utilisés en sous main dans la campagne présidentielle ? C'est un vrai problème. Il faut le regarder en face parce que ça ne sert à rien de faire des lois sur le financement des partis politiques si vous avez comme ça un tel trou dans le filet. Donc pour l'avenir que je crois qu'il faudra vraiment reposer cette question des fonds secrets. J'ai rencontré un certain nombre de dirigeants européens et ils me disent qu'ils ne disposent pas de cette particularité française qui sont ces sommes extrêmement importantes...
PL : Que vous avez voté, comme d'autres...
AM : Q la disposition du président de la République et à la disposition du Premier ministre et sans contrôle.
PL : M. Madelin, deux mots avant de passer à l'actualité économique et sociale pour en finir avec ce sujet des affaires et du statut du président de la République. Si vous étiez élu, si j'ai bien compris, il n'y aurait plus de fonds secrets pour le président de la République, M. Madelin ?
AM : Moi je dis que c'est une question qu'il faut revoir. Là encore. Cela fait partie des archaïsmes de la vie politique française. Vous pouvez difficilement faire une loi sur le financement des partis politiques exigeant la totale transparence et faire en sorte que chez le Premier ministre, chez le président de la République, il y ait des fonds extrêmement importants qui sont sans commune mesure avec d'ailleurs les seules sommes consacrées aux partis politiques et qui soient sans contrôle.
PL : Et pour en revenir à l'attitude du président actuel de la République, M. Chirac, il a bien fait de ne pas répondre aux convocations des juges, à votre avis ? Ou il aurait du s'expliquer devant eux ou devant l'opinion publique ?
AM : Il s'est expliqué devant l'opinion publique ou du moins le pense-t-il.
PL : C'est suffisant ?
AM : Ecoutez, encore une fois, c'est le choix de chacun. Il est normal que le président de la République de par sa fonction soit protégé des poursuites ordinaires. Mais si le président de la République aujourd'hui n'est pas à l'abri de poursuites extraordinaires, tout le monde comprend bien que la Haute cour est une procédure extrêmement lourde qui ne convient pas à un certain nombre de faits. Et donc entre la procédure extra-extra-extraordinaire que peut constituer la Haute Cour et une procédure de droit commun, il y a un juste milieu à trouver.
PL : Quand vous proposiez, M. Madelin, tout à l'heure - ça me faisait sourire - que le Premier ministre et le président de la république se mettent d'accord pour un futur statut du président de la République. Vous croyez, le moment est bien choisi ?
AM : Moi, je l'ai proposé avant que ceci dérape. Mais à la limite pourquoi pas ? Manifestement la manuvre de Montebourg, la manuvre de la proposition de loi socialiste, ça n'a aucune chance d'aboutir. C'est du cinéma. Et donc il serait légitime que le président de la République propose, que le Premier ministre propose ou mieux encore les deux ensemble proposent une commission de sages qui, dans un délai extrêmement rapide parce que ce n'est pas trop sorcier, proposerait ce que peut être un statut moderne d'un président de la République en France.
CM : L'Assemblée nationale a voté en deuxième lecture, la loi de modernisation sociale. Mais, très rapidement, le ministre de l'Economie et des Finances, Laurent Fabius, a donné ses réserves sur cette nouvelle loi. Alors, d'après, c'est quoi ? C'est une répartition des rôles assez machiavéliques ? Ou alors ce sont de vraies divisions à gauche entre un PC et.. ?
AM : D'abord c'est un instant de lucidité du ministre des Finances qu'il faut saluer. Lorsqu'il a dit que cette loi aurait un effet dissuasif sur l'investissement et sur l'emploi, il a raison. Partout autour de nous, on s'efforce de faciliter l'acte d'entreprendre pour créer la richesse, la prospérité et l'emploi. Il n'y a qu'en France où on cherche à compliquer ou à renchérir les choses. Et donc c'est une loi qui s'ajoute à d'autres et qui a un effet dissuasif, à mon avis, sur l'économie française. Maintenant M. Fabius a fait connaître son humeur, mais s'il était vraiment en désaccord il reste une solution au ministre de l'Economie et des Finances. Quand on n'est pas d'accord avec une politique menée, démissionner.
PL : Vous pensez que l'affaire en vaudrait la peine ?
AM : Je pense que ce n'est pas une mince affaire. Le Premier ministre n'a pas agi comme un homme d'Etat mais comme un homme de parti, à la recherche d'une combine politique. Songez que l'on n'a pas consulté les syndicats et que l'on n'a pas davantage consulté les entreprises sur cette affaire et que ceci s'est déroulé dans des tractations de partis, dans les arcanes de l'Assemblée nationale. Donc je crois qu'il y a une véritable erreur, une faute grave et que c'est un boulet. Le fait que le Premier ministre ait appelé cela loi de modernisation sociale, alors que c'est vraiment tout le contraire, cela lui restera comme étant le contre exemple de ce que doit être une modernisation.
PL : Alors, M. Madelin, vous avez partagé l'avis de M. Fabius qui laissait craindre que ce soit une mauvaise mesure pour les investissements étrangers en France ou même nationaux en France. Mais est-ce qu'il n'y a pas dans cette affaire, les salariés qui comptent aussi ? Est-ce que ce n'est pas une bonne garantie supplémentaire pour les salariés qui, après tout, participent aussi à la vie de l'entreprise ?
AM : Non. C'est de la loi spectacle. Souvenez-vous de ce qui s'est passé...
PL : Ca ne peut pas être les deux à la fois, M. Madelin.
AM : Je vais vous répondre. Souvenez-nous de ce qui s'est passé au lendemain des élections municipales, l'affaire Danone. Et le PC, l'extrême gauche qui mènent une campagne vigoureuse et le gouvernement qui tente de vouloir faire croire qu'il fait quelque chose en ajoutant quelques dispositifs dans cette loi dite de modernisation sociale. Je reprends cet exemple : est-ce que le plan de reconversion sociale de Danone est plus avantageux que le dispositif que propose la loi de modernisation sociale ? La réponse est oui. Et même cent fois et mille fois oui. Le gouvernement a commis une erreur. Si j'avais été président de la République ou Premier ministre, ou en charge de cette affaire, je ne serais pas passé à côté d'un véritable droit à la reconversion qu'il aurait été possible d'instituer. Vous savez que l'on a en matière de chômage instituer le Pare dont tout le monde se félicite aujourd'hui. Le Pare, qu'est-ce que c'est ?
PL : Tout le monde entre guillemets.
AM : Si, le gouvernement.
PL : Mais les syndicats n'en font pas...
AM : Si, tout le monde a signé, directement ou indirectement, aujourd'hui. C'est l'idée qu'on ne peut pas se contenter de payer les gens quand ils sont au chômage et qu'il faut pour les aider à retrouver un emploi, leur assurer un parcours de reconversion personnel et mettre les moyens pour cela. Eh bien ce que je viens de dire pour le chômage individuel, je peux le dire et je dois le dire aussi en cas de licenciements économiques de masse. Et si vous avez une entreprise qui licencie 50, 100 ou 150 personnes, on doit mettre en place un dispositif, comme on l'a fait chez Danone d'ailleurs, pour assurer le reclassement de tout le monde et pour favoriser la reconversion du site. Alors les grandes entreprises comme Danone sont des grandes marques. Elles ont une responsabilité sociale, elles le font. Mais on passe à côté de tout le tissu des petites et des moyennes entreprises, des sous-traitants et là tout le monde s'en moque. Eh bien moi j'aurais mis en place, j'aurais demandé aux partenaires sociaux plus exactement de prévoir un dispositif collectif de mise en place d'antennes de reclassement et d'antennes de réindustrialisation dans tous les cas de licenciements économiques.
PL : Et vous ne faites pas de différence, M. Madelin, entre les entreprises qui font du bénéfice, parce que c'est ça qui a beaucoup choqué, ce sont des entreprises qui font d'énormes bénéfices et qui licencient en même temps. C'est ce que les Français n'ont pas toujours compris. C'est ça le fondement de cette loi.
AM : Ce sont des restructurations industrielles qui ont lieu et personne n'est à l'abri de ces restructurations industrielles. Vous vous souvenez de l'exemple de Renault, entreprise d'Etat. On licencie à Villevorde. Ca avait coulé un peu d'encre. Mais ils ont licencié 12.000 personnes, je crois, chez Nissan au Japon. Personne n'en a parlé. Cela fait partie, hélas, de la vie de l'entreprise. L'essentiel, et heureusement, c'est que l'économie crée beaucoup plus d'emplois qu'elle n'en supprime. Et lorsque vous êtes une grande entreprise et que vous faites des bénéfices, vous avez une responsabilité sociale qui fait que vous mettez en place généralement un plan de reconversion qui fait que vous avez zéro licenciement sec et vous assurez le reclassement de tout le monde. C'est toujours douloureux mais c'est quand même l'exercice de votre responsabilité.
PL : Question des internautes d'Infonie avec Mathieu Maire du Poset ?
MMP : Une question d'un Parisien, Alain, qui vous demande quel regard vous portez sur le dépôt de bilan d'AOM Air liberté et est-ce que vous ne pensez pas que M. Seillière aurait dû intervenir ?
AM : Ecoutez, je ne connais pas le dossier. L'actionnaire est engagé sur son capital. Ceci pose peut-être le problème de l'organisation du transport aérien. Est-ce qu'il était possible de faire avec Air France d'un côté et avec un ministère de tutelle, l'aviation civile qui a partie liée à Air France, d'organiser une saine concurrence en France même ? La concurrence internationale existe bien évidemment pour Air France. Mais en France c'était le pari qu'avait fait AOM-Air Liberté, c'est, semble-t-il, un pari perdu. Eh bien évidemment cela a des conséquences financières pour tous les actionnaires. Mais il y a un vrai problème d'organisation des transports aériens en France. Et partout ailleurs, généralement, l'autorité de tutelle de l'aviation civile est une autorité distincte des compagnies aériennes.
PL : Entre parenthèse, M. Madelin, il y a une cohabitation qui ne marche pas très bien, c'est celle du Medef, M. Seillière, et M. Gayssot. On a vu M. Seillière accusé Gayssot d'avoir organisé la chute de son entreprise.
AM : Oui, bon, chacun est dans son rôle.
CM : Comment qualifieriez-vous la politique économique et sociale de Lionel Jospin ? Vous diriez qu'elle est sociale libérale ou dirigiste ?
AM : Oh, je dirais surtout : quel gâchis ! Quel gâchis parce que ça me fait penser un peu à la politique de Michel Rocard à un moment donné. J'aime bien Michel Rocard. Mais il est passé à côté de la bonne utilisation de la croissance. Et je crois que le gouvernement Jospin aura fait la même chose. Quand vous avez la chance d'avoir la croissance tirée par la mondialisation, tirée par les Etats-Unis, lorsque vous avez la chance d'avoir de la croissance, au lieu de gaspiller les fruits de cette croissance dans de nouvelles dépenses publiques et dans la fuite en avant, vous essayez de vous attaquer à un certain nombre de réformes de fond. C'est ce que font tous les pays autour de nous.
Je vais prendre juste un exemple, peut-être pour me faire comprendre, parce que chaque fois que je le cite les gens sont frappés.
L'Italie a baissé ses prélèvements publics d'1 % chaque année, supprimé 300.000 postes de fonctionnaires, décentralisé extrêmement largement, une autonomie régionale très forte. Elle a réglementé le droit de grève dans les services publics, réduit le nombre de ministères, transformé complètement le statut de la fonction publique, créé une très large autonomie aux établissements scolaires. Je pourrais poursuivre longtemps. Ca c'était l'Italie de la coalition de gauche...
PL : Ils ont perdu les élections.
AM : Dirigée par M. d'Alema ex-communiste et hier Premier ministre. Je dis ça pour montrer l'extraordinaire décalage qui existe entre la France et ce qui nous entoure. Ca c'était une coalition de gauche en Italie, qui a été profondément réformatrice et la France c'est la belle au bois dormant.
PL : Et battu.
AM : Et M. Jospin sera battu aussi.
CM : Sans l'avoir fait.
AM : Sans l'avoir fait. Et donc c'est pour ça que c'est une occasion gâchée. Mais si vous prenez M. Tony Blair en Grande-Bretagne, un formidable mouvement de réformes là encore. Et M. Tony Blair a été élu. Donc le socialisme quand il est libéral, a plus de chances de rester au pouvoir.
PL : Qu'est-ce qui vous fait dire que M. Jospin sera battu ?
AM : Ecoutez, d'abord parce qu'on va s'y employer. Mais parce que ce sera un moment de vérité. Est-ce que vous faites confiance aux socialistes français ? M. Jospin expliquait l'autre jour qu'il conduisait la politique la plus à gauche de toutes les démocraties occidentales, la plus socialiste. Est-ce que vous faites confiance à cette politique-là pour moderniser la France et pour assurer la prospérité, l'avenir de vos enfants ? C'est ça la question qui sera posée. Pour moi, la réponse est claire, c'est non.
PL : Quand vous le comparez à M. Rocard, il y a quand même 1 million de chômeurs en moins, ce qui n'avait été le cas sous M. Rocard, les 35 heures, ce qui n'avait pas été une réforme faite par M. Rocard. Il y a quand même une différence. Ce n'est pas bonnet blanc et blanc bonnet.
AM : Ecoutez les 35 heures ne sont pas à mettre au crédit de M. Jospin mais à mon avis à son débit. Et on le verra tôt ou tard.
PL : Les internautes d'Infonie avec Mathieu Maire du Poset ?
MMP : M. Madelin, une autre question à propos de M. Seillière et du Medef, Pierre, 52 ans de Caen qui demande si la menace du Medef de se retirer de la sécurité sociale est un bon moyen de pour faire avancer les choses.
AM : De quoi s'agit-il d'abord ? Il faut quand même expliquer à vos auditeurs. Le Medef ne menace pas comme ça de partir de la sécurité sociale. En réalité, c'est le gouvernement qui veut utiliser l'argent de la sécurité sociale.
PL : Prélever, oui.
AM : L'argent de la sécurité sociale, c'est à dire l'argent des malades, l'argent des familles, l'argent de la santé des Français pour aller payer la facture des 35 heures. Alors, moi je crois les partenaires sociaux responsables. Mais s'ils deviennent des administrateurs fictifs, pourquoi rester ? Et moi je serais à la place des partenaires sociaux, pas seulement le Medef, si le gouvernement confirmait ce hold-up, je partirais.
PL : Hold-up, c'est le mot ?
AM : Oui, c'est un hold-up.
PL : Parce que le gouvernement répond, juste pour aller un peu plus dans le raisonnement, que la sécurité sociale a largement profité des mesures sur les 35 heures en faisant que des chômeurs deviennent cotisants.
AM : Mais non, ceci n'est pas exact. C'est comme si vous disiez les 500.000 emplois qui ont été créés chaque année depuis trois ans par les entreprises françaises. Ce sont les entreprises qui les ont créés, ce ne sont pas les 35 heures. Donc c'est absurde. C'est un mauvais justificatif. Personne ne sera dupe. Il n'y a qu'en France encore une fois, où l'on imagine... Souvenez-vous des 35 heures. Les 35 heures, on nous avait dit : c'est un remède miracle. C'était une époque d'ailleurs où c'était d'ailleurs une erreur de prévision. Les socialistes sont arrivés au gouvernement en répétant partout : " on va dans un monde où il y aura de moins d'emplois, ça va être la pénurie de travail ". Moi je disais rigoureusement le contraire. On ne me croyait pas beaucoup à l'époque. Je disais : " on va faire le plein d'emplois ". Et puis finalement on s'est aperçu que l'économie était créatrice d'emplois. Mais la solution socialiste des 35 heures qui était une solution du partage de la pénurie du travail grandissante est une solution qui est totalement datée, qui n'avait rigoureusement aucun sens. Non pas qu'on ne peut pas faire la liberté du temps de travail, mais les 35 heures obligatoires pour tous et particulièrement pour toutes les petites entreprises, pour votre coiffeur demain, c'est complètement absurde et complètement archaïque.
PL : Une question à l'expert en économie que vous êtes, M. Madelin, et à l'ancien ministre de l'Economie et des Finances, la croissance que vous avez évoquée tout à l'heure et dont vous pensez que Jospin aurait pu mieux profiter, elle existe encore dans l'année qui vient ? Ou bien vous êtes inquiet des signes, ça et là, qui inquiètent certains ?
AM : Le moteur américain ralentit et quand la locomotive américaine ralentit, la France ralentit. Mais si la France ralentit, c'est parce qu'elle n'a pas su se donner un moteur propre, suffisamment nerveux et c'est là tout le problème des prochaines années. Tout le problème des prochaines années, c'est faire tourner à plein régime le moteur de la croissance des entreprises. Et de ce point de vue là, il faut à mon avis mettre un peu le pied sur l'accélérateur, donner un peu plus de liberté, diminuer un peu les contraintes, les règlements, les charges et les impôts, c'est à dire tout le contraire d'une politique socialiste.
PL : Et vous ne craignez pas la fin de la parenthèse ?
AM : Non, je pense que globalement sur une longue période, nous sommes engagés mondialement dans une phase de croissance forte et je suis persuadé que la France peut viser une croissance supérieure à 4 % et qu'elle doit le faire.
CM : Le sommet européen de Göteborg qui s'est achevé ce week-end vient de décider d'un calendrier enfin sur l'élargissement de l'Union. C'était votre priorité, l'élargissement de l'Union. Donc vous êtes plutôt satisfait ? Vous dites que Göteborg c'était un bon sommet ?
AM : Oui, oui, oui. J'étais à Göteborg aussi.
CM : Pas du côté des manifestants...
AM : Non. L'avantage du traité de Nice c'est qu'il ouvrait enfin la porte aux pays d'Europe de l'Est candidats. Moi j'aurais souhaité qu'on soit beaucoup plus audacieux et beaucoup plus rapide. Pourquoi ? Parce que je crois que la tâche historique de toute une génération -la mienne peut être aujourd'hui - c'est de créer la grande Europe. La petite Europe, ça y est, elle appartient au passé. L'Europe des 15 c'est fini. Et en changeant de dimension, l'Europe change aussi de nature. Si on retrouve ensemble, tous les Européens, il faut qu'on s'interroge sur : Pourquoi on est Européen ? Qu'est-ce qu'on est ? Et le projet qui était exclusivement un projet économique ou essentiellement économique, le projet européen, devient un projet culturel, politique, un grand projet. C'est la raison pour laquelle je dis aujourd'hui : la priorité doit être donnée à l'élargissement. Or on sait très bien qu'on ne pourra pas faire entrer la grande Europe dans les institutions de la petite Europe et il faut donc assouplir ces institutions pour faire la grande Europe. C'était l'enjeu du traité de Nice. On aurait pu mieux faire.
MMP : Justement à propos de l'intégration de ces pays, quelqu'un se demande si l'Europe a les moyens de réussir à intégrer tous ces nouveaux pays dans l'Europe.
AM : Mais bien sûr, c'est une chance formidable. Enfin, on ne va pas passer à côté. Bien sûr on a les moyens. D'abord parce que nous sommes riches et au surplus il faudrait arrêter avec ces réflexes égoïstes. Ou vous avez une vision politique, ou vous ne l'avez pas. J'entends bien les Anglais qui disent : touche pas à mon chèque. Vous savez que les Anglais bénéficient d'un système de contribution un peu exceptionnelle qu'ils ne veulent pas remettre en question. Les Italiens et les Espagnols...
PL : Les Français : touche pas à ma PAC.
AM : Les Français : touche pas à ma politique agricole commune. Les Italiens et les Espagnols : touche pas à mes fonds structurels. Ils bénéficient de subvention pour les régions déshéritées de ces deux pays. Les Allemands : oui, ce serait très bien d'élargir, mais il ne faut pas quand même pas qu'il y ait trop de libre circulation des hommes parce qu'on n'a pas envie d'être envahis. Donc chacun y va de son petit couplet nationaliste et égoïste. Ce n'est pas comme ça qu'on fait un grand projet politique.
PL : Et la décentralisation, M. Madelin, est-ce que vous partagez la déclaration de M. Poncelet, le président du Sénat qui a demandé un changement de Constitution pour permettre qu'une vraie décentralisation puisse se mettre en place ?
AM : Bien évidemment.
PL : Changer la Constitution.
AM : Non, pas changer la Constitution, modifier la Constitution. Pourquoi ? Parce que les régions n'existent pas dans la Constitution. Si vous voulez faire un vrai pouvoir régional...
PL : Indispensable, à votre avis ?
AM : Indispensable à un pays moderne. Autour de nous, tous les pays ont des autonomies régionales fortes. C'était le cas d'un certain nombre de pays depuis longtemps et puis d'autres pays se sont converti et s'engagent dans cette direction. Un Etat moderne est un Etat profondément décentralisé qui s'appuie sur des régions dotées d'un très large pouvoir autonome. Et beaucoup de problème qu'aujourd'hui on a l'habitude de régler d'en haut, par exemple l'urbanisme, l'éducation, sont, dans tous les autres pays autour de nous, réglés d'en bas. Donc ça c'est le sens de l'histoire, bien évidemment. Mais pour faire cela en France, il faudra réformer la Constitution. Et inscrire les régions, leur autonomie fiscale, leur pouvoir réglementaire délégué et également le principe de subsidiarité - c'est un nom un peu barbare qu'on utilise en Europe, mais qui veut que lorsqu'une tâche peut être réglée en bas et bien on ne la règle pas en haut. C'est la même chose pour les régions dans les pays autour de nous, l'Italie par exemple.
PL : Et les disparités ? Tant pis pour les disparités ?
AM : L'Italie a inscrit le principe de subsidiarité dans sa Constitution, comme il l'est en Allemagne, comme il l'est dans d'autres pays autour de nous. Donc il faut une réforme constitutionnelle forte que je propose depuis longtemps. Alors, bien évidemment, à l'intérieur, puisqu'on est dans un même Etat, ce ne sont pas des régions totalement autonomes, chacun pour soi, égoïste, vous avez un mécanisme de solidarité nationale. Il existe aussi dans les autres pays de façon à faire en sorte qu'il y ait une solidarité des régions riches pour les régions pauvres.
CM : En ce moment, la gauche et la droite jouent à : " plus décentralisateur que moi, tu meurs ". Ca vous fait sourire de voir la surenchère qu'il y a eu ces derniers temps ?
AM : Ecoutez, je ne sais pas. En tout cas je suis clairement mieux disant en matière de régionalisation. J'ai dit oui au statut de la Corse. Pas idéal, le statut de la Corse et la façon dont il a été goupillé, ça donnait un peu le sentiment de récompenser le terrorisme et beaucoup de gens ont été choqués. Néanmoins, c'est un pas dans la bonne direction. C'est dommage de le faire seulement pour la Corse. Mais il faudra aller plus loin et pour la Corse et pour l'ensemble des régions. Et c'est la raison pour laquelle je propose un pouvoir régional fort, très très fort. Je prenais l'exemple de l'éducation. Voilà encore une fois typiquement le sujet qui doit faire éclater le ministère de l'Education pour pouvoir aller des établissements plus libres, plus autonomes, coordonnés, bien sûr, au niveau régional, dans le cadre d'une politique nationale, avec des ressources fiscales propres aux régions, importantes. Je propose de leur donner la TIPP, c'est à dire les taxes sur l'essence et l'énergie, et de leur donner une part de la TVA, de façon à avoir les moyens financiers de politique autonome.
CM : Dominique Voynet va normalement quitter le gouvernement à la fin du mois. Il était prévu qu'Yves Cochet la remplace. Mais visiblement le fait d'avoir signé la proposition du député Arnaud Montebourg, demandant le renvoi du président de la République devant la Haute Cour de Justice...
PL : Lui a valu un carton...
CM : Lui a valu un veto. Vous trouvez que c'est normal que le président choisisse un peu les ministres ?
AM : Ecoutez, si vous le voulez bien, je pratiquerais la non-ingérence dans les affaires gouvernementales de la gauche. Qu'ils règlent leur problème tout seuls. Ils n'ont pas besoin de mes conseils pour les régler.
PL : Vous l'auriez fait, vous, le carton rouge.
AM : Je n'en sais rien. C'est vraiment la dernière de mes préoccupations aujourd'hui.
CM : C'est important quand même.
AM : Non, ça n'a rigoureusement aucune importance. Je suis persuadé que la plupart de vos auditeurs s'en moquent totalement.
MMP : Pour revenir sur le terrain des affaires, une question à propos de M. Claude Bébéar et de sa mise en examen. Quelqu'un qui demande si celle-ci n'implique pas qu'il cesse de représenter Paris pour la candidature de Paris 2008 aux Jeux Olympiques.
AM : Ecoutez, très sincèrement je n'ai pas regardé de prêt quels étaient les faits qui ont valu à Claude Bébéar cette mise en examen. Mais franchement, Claude Bébéar est, pour tous ceux qui le connaissent, un grand chef d'entreprise français qui fait honneur aux entreprises françaises.
PL : Alors, vous qui êtes original, Alain Madelin, même les vôtres se demandent parfois dans quel sens vous allez aller. Sur les raves-parties, les fameuses raves-parties, avec le projet Vaillant qui demandait qu'elles soient déclarées avant qu'elle aient lieu. Vous êtes de quel côté ?
AM : Il y a eu un amendement, je crois, au Sénat, à l'Assemblée nationale, pour essayer d'imposer je ne sais plus trop quoi aux raves-parties.
PL : Une déclaration préalable.
AM : Oui, une saisie du matériel.
PL : Et s'il n'y a pas déclaration, saisie du matériel.
AM : Bien. Je vous ai dit tout à l'heure que j'étais contre les lois spectacles. Il y a un problème qui surgit dans l'actualité, hop, le gouvernement ou les hommes politiques pour jouer les intéressants, disent : " on va faire une loi ". Il y a tout ce qu'il faut dans la loi en cas de débordement des raves-parties, depuis les atteintes à la propriété d'autrui, les trafics de stupéfiants, les ventes d'alcool non déclarées, les billetteries clandestines, la mise en danger de la santé des mineurs... Vraisemblablement les avocats qui nous écoutent pourraient sans doute trouver une trentaine de délits qui pourraient s'appliquer aux raves-parties. Alors que l'on commence à appliquer la loi telle qu'elle est plutôt que jouer les fiers à bras. Moi j'en ai assez de ces ministres ou de ces hommes politiques qui bombent le torse à l'Assemblée nationale pour ensuite baisser les bras dans la réalité concrète.
PL : Quelques secondes, je ne voudrais pas que l'on finisse sans un mot pour l'Algérie. Est-ce qu'il faut soutenir les manifestants en Algérie ? Ou est-ce qu'il faut continuer de discuter, de négocier avec le pouvoir en place ?
AM : Ecoutez, vous connaissez mon hostilité pour la clique militaire corrompue qui est au pouvoir en Algérie. Et donc je crois que tant qu'il n'y a pas d'avenir, de prospérité, de démocratie possible, d'espoir pour le peuple algérien tans que ce régime-là restera en place et je crois que la France ne peut ni fermer les yeux, ni se taire sur ce qu'il se passe. Et je me sens solidaire et j'apporte tout mon soutien à la jeunesse algérienne.
PL : Merci d'avoir été avec nous, Alain Madelin.
(Début de l'interview sous la référence 013001845-001)
(source http://www.demlib.com, le 21 juin 2001)
Alain Madelin : Bonsoir.
PL : Merci d'être avec nous ce soir. Non seulement vous présidez le parti Démocratie libérale mais vous êtes un des tous premiers à avoir annoncé votre candidature à l'élection présidentielle, prévue l'an prochain. Votre candidature a été pour certains une déception puisque vous en aviez résolument soutenu la candidature de Jacques Chirac à l'automne 1994 et au printemps 1995 et les mêmes espéraient probablement que vous confirmeriez votre choix d'alors. Mais vous préparez activement votre campagne électorale et vous avez réuni hier les comités de soutien à votre candidature. Vous nous direz, M. Madelin, le sens de votre combat politique et nous verrons avec vous les sujets d'actualité politique et sociale qui s'accélère beaucoup en ce moment. Pour vous interroger avec nous ce soir, Carl Meeus, journaliste au Point. Bonsoir
Carl Meeus : Bonsoir.
PL : Le point qui est partenaire du Forum. Et Mathieu Maire du Poset qui est journaliste à Infonie, Infonie partenaire du Forum. Plus de 2.300 appels et connections depuis mardi soir. Et les auditeurs peuvent continuer d'appeler. Nous allons voir avec Mathieu Maire du Poset, l'image de M. Madelin telle qu'elle ressort des consultations des internautes d'Infonie.
MMP : Les internautes d'Infonie qui ont donc voté durant toute cette semaine, il en ressort une opinion défavorable à 69,9 % contre une opinion favorable à 25,8 %. Et 4,3 % de sans opinion. En revanche, on peut dire en parallèle que pour 43,6 % de ces internautes vous défendez des idées non représentées en vous présentant à ces présidentielles, que pour 34,8 % vous poursuivez une ambition personnelle et pour 21,6 % vous ajoutez à la cacophonie qui se passe à droite.
PL : Ce ne sont pas des sondages, ce sont des... Alors Carl Meeus, première question.
CM : Après votre déclaration de candidature, il y a eu quelques sondages qui ont montré qu'Arlette Laguiller, par exemple, faisait 6 % et vous vous êtes à 3 %. Est-ce que ce mauvais chiffre ne vous décourage pas ?
AM : Non, à l'exception d'un sondage que vous avez publié, vous et qui dit cela, je suis en réalité suivant les sondages entre 5 et 9 %. Cela étant, je n'attache pas une énorme importance à ces sondages. La question est de savoir : est-ce que vous représentez quelque chose ? Et j'ai le sentiment de représenter une offre politique forte qui est une offre politique faite d'audace dans toute une série de domaines. Je propose ce que l'on pourrait appeler une vraie révolution fiscale, une vraie révolution régionale, une vraie révolution dans la réforme de l'Etat, une vraie révolution de l'éducation. J'appelle cela " révolution " par rapport aux solutions chèvre-chou, traditionnelles à la française. Mais cette offre politique-là, vous savez, est faite partout autour de nous. Elle est faite en Angleterre. Elle est faite en Belgique. Elle est faite en Allemagne. Elle est faite en Italie. Et partout autour de nous vous avez des pays qui bougent et chaque fois que cette offre politique est faite, elle est choisie. Alors je suis persuadé, toute une série d'études d'opinion aussi le montre, qu'une majorité de Français attendent qu'on leur propose cette offre-là et qu'ils sont disponibles pour la choisir. Donc je ne suis pas là pour figurer. Je ne suis pas là pour témoigner. Je suis là avec la conviction qu'il est possible d'en maintenant un peu moins d'un an, au rendez-vous des élections présidentielles, de rencontrer un courant de l'opinion porteur, comme partout, encore une fois, autour de nous en Europe on l'a rencontré.
CM : Hier, vous avez réuni vos comités locaux de soutien. Donc avec ce que vous nous dites maintenant, ça veut dire que vous irez jusqu'au bout en toute hypothèse.
AM : Ecoutez, je ne vois pas ce qui pourrait me décourager aujourd'hui. Au contraire tous les signes que je reçois sont des signes encourageants et je vous le répète, beaucoup de gens attendent cela. Et si vous regardez les deux dernières élections que nous venons de voir autour de nous, l'élection italienne et l'élection en Grande-Bretagne. Avec des propositions, avec des solutions qui sont très proches de ce que je propose moi-même pour la France, ce sont des offres gagnantes.
PL : Vous êtes sûr, M. Madelin... Est-ce que vous pensez que la France est prête aux grandes bascules que vous lui proposez ?
AM : Non, ce n'est pas...
PL : Si parce que vous avez utilisé le mot " révolution " c'est un peu vrai.
AM : J'ai mis des guillemets par rapport à la pratique française. A l'évidence aujourd'hui nous sommes dans un monde en concurrence et si vous voulez aujourd'hui profiter de la nouvelle croissance qui est l'uvre partout dans le monde. Pour résoudre nos problèmes, pour créer la prospérité et le plein emploi. Et le plein emploi, à mes yeux, c'est la première condition de la justice sociale. Et bien il faut faire une réforme fiscale. La corrélation est évidente parce que celles et ceux qui sont un peu plus innovants, un peu plus entreprenants que d'autres leur comportement sera très différent suivant que l'Etat prend 1/3 de leurs revenus supplémentaires ou 90 % de leurs revenus supplémentaires. Donc nous avons besoin d'une révolution fiscale.
Dans un autre domaine, puisque nous allons vers un monde où l'éducation sera plus que jamais importante, et nous avons encore trop souvent une école de l'échec, il faut libérer l'école en faisant confiance aux enseignants en leur donnant quelques obligations ou quelques contrôles du résultat, mais une très grande liberté des moyens et en faisant confiance aux parents pour choisir librement l'école de leurs enfants en supprimant les absurdités de cette carte scolaire.
Ce que je dis là, ça peut surprendre un peu en France parce qu'on n'a pas l'habitude. Mais encore une fois, ce sont des banalités au-delà de nos frontières.
PL : Votre mot c'est libéral ou liberté ?
AM : Ecoutez...
PL : Ce n'est pas pareil dans l'esprit.
AM : Ce sont des libertés appliquées, des libertés d'agir et des libertés de choisir. Tout le monde comprend bien aujourd'hui qu'il y a un formidable potentiel de la France qui est bridé et qu'il y a beaucoup de gens qui se sentent un peu trop inutiles ou qui voient leur talent gâché parce qu'il y a trop de contraintes, trop d'impôts, trop de lois, trop de règlements, et on a besoin de l'air. De l'air, de l'air, de l'air pour pouvoir faire la course en tête dans ce nouveau monde. Tout le monde le comprend bien, sauf l'actuel gouvernement, bien évidemment, qui au lieu de mettre le pied sur l'accélérateur préfère souvent mettre le pied sur le frein.
PL : Alors, Monsieur Madelin, M. Le Floch-Prigent, ex- PDG d'Elf, a affirmé il y a quelques heures sur une antenne, vous citant nommément que vous auriez avec d'autres membres de l'opposition de l'époque emprunté des avions d'Elf, notamment pour différents voyages en Afrique. Vrai ou faux ?
AM : Ecoutez, ce n'est pas une découverte. Je l'ai moi-même publiquement déclaré il y a déjà pas mal de temps. Elf, qu'est-ce que c'est ? C'est une grande entreprise française avec des intérêts dans le monde entier. Alors je vais vous donner une explication, elle est très simple et elle est tout à fait honorable. Avant la fin du communisme, la chute du communisme, j'avais tissé toute une série de relations personnelles avec toute une génération qui a accédé des postes de responsabilité, qui président, qui premier Ministre ou autre, en Russie, dans les pays d'Europe de l'est, en Afrique et j'ai encore une fois, en tout bien, tout honneur, facilité les contacts de l'entreprise Elf avec ces nouveaux dirigeants qu'elle ne connaissait pas et en contre partie à ces occasions, ils m'ont facilité quelques déplacements.
PL : Nombreux déplacements ? C'est par dizaine ?
AM : Non, non. Mais c'est vrai encore une fois, je l'ai déjà déclaré, il n'y a rien de nouveau. Vous savez, ce qui me caractérise, c'est que je n'ai jamais directement ou indirectement participé au soutien d'un gouvernement dictatorial. Et mes amis, c'est comme ça, c'était les nouveaux démocrates, après la chute du mur de Berlin ou peu avant la chute du mur de Berlin, et beaucoup d'entreprises nationales avaient pris des habitudes - et encore une fois je ne leur reproche pas parce que c'était leur intérêt - de contact avec les pouvoirs en place et quand ces pouvoirs ont été renversés, elles étaient un peu sans interlocuteur et c'était tout à fait normal que je fasse cela pour cette entreprise.
PL : Vous trouvez ça normal qu'un homme politique de votre dimension.. ?
AM : Oui, bien sûr. Ancien ministre de l'Industrie, ancien ministre du pétrole avec des liens dans un certain nombre de pays. J'ai facilité cela. D'autres dans d'autres occasions, auraient sans doute pris de l'argent. Ce n'est vraiment pas mon cas. Je l'ai fait dans l'intérêt un peu de l'entreprise et bien sûr dans l'intérêt de ces pays.
PL : Vous n'étiez pas salarié d'Elf pour autant ?
AM : Non. Mais encore une fois cette explication me paraît tout à fait honorable et elle n'est pas nouvelle. Je ne l'ai jamais caché.
PL : Une autre question, M. Madelin, à ce sujet-là. Est-ce que vous pensez que la révélation qui tombe aujourd'hui est un hasard ? Ou bien est-ce que vous considérez que cette révélation est de nature à vouloir vous gêner ?
AM : Non, sûrement pas parce que vraiment j'assume totalement. Vous pourrez retrouver cela dans la presse d'il y a un an, d'il y a deux ans ou peut-être plus, je ne m'en suis jamais caché. Et encore une fois - je pourrais détailler, si vous voulez, avec un certain nombre de pays - ceci me paraît tout à fait honorable.
CM : Vous dites que vous avez facilité des contacts, c'est à dire que vous étiez en tant que consultant pour Elf ?
AM : Non, pas du tout. Quand vous êtes une grande entreprise, vous avez besoin d'avoir à un moment donné un contact privilégié avec un certain nombre de dirigeants. Le fait tout simplement d'être reçu, de faire valoir vos intérêts et de ne pas faire la queue parce que vous n'avez pas d'interlocuteur que vous connaissez. Eh bien, voilà c'est tout bête. C'est faciliter le contact avec des nouveaux dirigeants dans un certain nombre de pays que cette entreprise ne connaissait pas et je suis heureux de l'avoir fait et je l'assume parfaitement.
CM : Loïk Le Floch-Prigent cite d'autres hommes politiques. Vous pensez que ce sont les mêmes missions qu'ils ont fait pour Elf ?
AM : Je n'en sais rien.
PL : Tout le RPR...
AM : Moi, je vous dis ce que j'ai dit il y a déjà longtemps, je le répète devant vous. Point.
PL : Est-ce que vous n'êtes pas frappé, M. Madelin, par le fait que tous les candidats à la présidence de la République - annoncés en tout cas - pour l'an prochain subissent comme ça quelques révélations depuis quelques mois ?
AM : Non. Attendez, pardon mais s'agissant de ce que je suis en train de vous dire ce n'est pas une révélation. C'est un fait connu.
PL : Le ton de la campagne ne vous paraît pas mal parti ?
AM : Ah ça, c'est une autre affaire. Entre le président de la République et le Premier ministre c'est qu'il y a, semble-t-il, un spectacle un peu affligeant.
CM : Justement, il y a eu un incident cette semaine. L. Jospin, devant l'Assemblée nationale, a expliqué qu'il valait mieux d'exprimer devant les journalistes que de ne pas le faire devant le juge. Vous considérez que la cohabitation est menacée ? Que ça peut continuer comme cela encore pendant un an ?
AM : Ecoutez, ce n'est pas sain. Je n'ai pas d'autres commentaires à faire. Ce n'est pas sain qu'auprès du président de la République ou auprès du Premier ministre, qu'il y ait des gens, dont, du matin au soir, le boulot soit de préparer des traquenards contre l'un ou l'autre.
PL : Ce n'est pas seulement ça. Les Français avaient le sentiment que s'ils votaient pour la cohabitation, ils obligeaient les deux têtes de chacun des grands camps de l'opposition et de la majorité de travailler ensemble pour le bien de la France. C'est comme cela que les Français avaient imaginé la cohabitation. Est- ce que ce n'est pas quand même un voile qui se déchire que de voir que finalement ils passent leur temps... ?
AM : Si bien sûr, parce que j'ai cru comprendre que l'un et l'autre pourraient être candidats à l'élection présidentielle et donc toutes ces révélations et tout ce spectacle sont liés, non pas à la cohabitation, mais à la préparation de la prochaine élection présidentielle. Ce n'est pas sain.
PL : Et le fait que ça promette de durer un an, c'est une chose qui est grave pour la France ou bien la France est un pays assez riche pour se le permettre ?
AM : On en a vu d'autres. Mais ce n'est pas bon. Les affaires du pays peuvent difficilement être bien traitées dans ce climat.
CM : On reproche à Lionel Jospin son passé trotskiste. Pour vous qu'est-ce qui est le plus grave ? C'est le fait qu'il ait cherché à le cacher pendant toutes ces années ? Ou le fait que finalement il ait eu une double appartenance pendant un moment, à la fois à l'OCI, l'organisation communiste internationaliste, et au parti socialiste ?
AM : Pour être très franc, je m'en fous un peu. Mais avoir été trotskiste à 20 ans, c'est bien ?
CM : Mais là en l'occurrence, ce n'est pas 20 ans, c'est 40 ans.
AM : A 40 ou 50 ans...
CM : Ce n'est plus une erreur de jeunesse...
AM : C'est plus original et c'est un peu bizarre. Mais qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? Moi, quand j'étais jeune, quand j'étais étudiant, j'étais très anticommuniste, comme vous le savez. On me l'a assez reproché. Bon, le Premier ministre..
PL : Comme lui. Il est anti-marxiste. Il a expliqué que c'était par anticommunisme et anti-stalinisme.
AM : Non, non, non. Mais enfin, anti-stalinisme - je ne vais pas polémiquer - mais l'anti-stalinisme de Trotski, ce n'était pas parce que Staline mettait des gens dans le goulag. C'est parce qu'il reprochait à Staline de ne pas aller assez loin. Quand même, il faut rappeler les choses. Ce n'est pas un humanisme le trotskisme. Il reprochait à Staline de ne pas avoir exporté la révolution et les méthodes communistes dans le monde entier. Disons, si vous voulez, que le trotskisme c'était un communisme ultra.
PL : Je remarque quand même que vous vous dissociez largement du concert de responsables politiques à droite qui estiment scandaleux que le Premier ministre ait menti d'abord et ensuite semble avoir eu une double appartenance pendant quelques années.
AM : Ecoutez, le fait qu'il ait une double appartenance, c'est un peu le problème de la gauche et le problème du parti socialiste. Jospin avait fait campagne à un moment donné sur ce slogan " Avec Jospin c'est clair "... Ce n'est pas très clair.
MMP : Une question d'un internaute, Pierre de Paris, justement vous parliez de votre passé. Il se demande si avec tous ces déballages, vous ne craignez pas que votre passé à Occident revienne une fois de plus sur le tapis.
AM : Ecoutez, non. Parce que vraiment j'ai déjà donné. On me l'a déjà rappelé 250 fois. Et je vous l'ai dit moi-même. Et encore une fois j'assume. Je ne me cache derrière un frère avec lequel il y aurait une ressemblance éventuelle. J'assume parfaitement. J'étais très anticommuniste. Alors on peut discuter beaucoup de choses sur la forme que peut prendre cet anticommuniste au quartier latin quand j'avais 17, 18 ou 20 ans. Mais sur le fond, le communisme était pour moi le totalitarisme de ma génération. Eh bien je préfère avoir combattu ce totalitarisme. Et l'histoire, globalement, a donné plutôt raison à ceux qui combattaient le communisme.
CM : Pour la campagne présidentielle de 1995, vous étiez l'un des soutiens les plus actifs de Jacques Chirac. Pourquoi vous n'avez pas souhaité recommencer ce tandem gagnant, on pourrait dire, pour 2002 ?
AM : Parce que j'ai été déçu.
CM : Par quoi ?
AM : J'ai été déçu par la politique suivie. Vous savez que notamment ceci a conduit à mon départ du gouvernement. Je suis parti du gouvernement. J'aurai souhaité une autre politique mise en oeuvre après 1995. Et puis l'histoire ne repasse pas deux fois exactement les mêmes plats. Aujourd'hui comment vous dire, je me sens... Encore une fois, je n'ai pas la grosse tête. Mais toujours on se compare et je me sens prêt à assumer des responsabilités. Je me sens prêt à tracer le chemin de la France, directement, moi-même, pas par procuration. Et peut-être plus que cela, peut-être parce qu'avec le temps, on mûrit, on a de l'expérience, je me sens prêt à représenter la France dans toute sa diversité. Vous savez, on dit que je suis libéral. C'est vrai, j'adore les libertés. Les libertés, pour moi, c'est fondamental. Mais si j'accepte, si j'aime la liberté, j'accepte forcément la diversité qui est le résultat de la liberté. Et la France est diverse, elle est plurielle. Il y a de multiples couleurs et moi je rêve d'une France aux couleurs de la vie. Je me sens aussi à l'aise avec des gamins un peu paumés de banlieue, qu'avec un public de PME ou un public agricole. Je me sens capable de représenter cette diversité de la France aujourd'hui.
PL : Mais vous ne vous sentiriez un peu plus fort, avec vos idées, M. Madelin, que de faire campagne en tandem avec quelqu'un d'autre. Ce ne serait pas plus gagnant comme... ?
AM : Oui, mais enfin l'hypothèse selon laquelle...
PL : Mais les conditions de 1995 ne sont pas les mêmes, vous l'avez dit vous-même.
AM : Qu'est-ce que vous suggérez ? Vous suggérez que Jacques Chirac fasse tandem avec moi ? Vous lui ferez cette suggestion vous-même.
PL : Vous êtes déçu, M. Madelin. Quel est le sens que vous donnez à sa candidature à lui ? Puisque vous allez vous opposer à lui.
AM : Ecoutez, je n'en sais rien. Nous verrons ce qu'il dira et ce qu'il proposera. Moi je répète, je fais une offre politique que j'estime forte. Je vous l'ai détaillée tout à l'heure dans toute une série de domaine et je crois que je serais le seul à faire cette offre politique. Elle me paraît nécessaire aujourd'hui pour un pays qui veut se moderniser, qui veut entrer gagnant dans le nouveau monde et un certain nombre de réformes que l'on n'a pas faites et qu'il faut faire. Eh bien voilà, je les présenterai directement aux Français avec la conviction qu'une majorité d'entre eux sont capables aujourd'hui de faire ce choix-là.
PL : Et vous pensez, M. Madelin, que si vous obtenez un score honorable, vous demanderez à ce que le courant que vous représenterez et seul - puisque vous serez seul à défendre les idées libérales - soit représenté dans le gouvernement si la droite l'emportait ? Vous considérez que ce serait un dû ?
AM : Je ne dis pas cela. J'ai déjà répondu une fois parce qu'on m'a dit : est-ce que si vous n'étiez pas en tête au premier tour...
PL : Ce qui peut arriver.
AM : Ce qui pourrait arriver. Mais je n'aime pas envisager cette hypothèse. Mais admettons. Si vous n'étiez pas en tête au premier tour, par exemple que Jacques Chirac soit en tête au premier tour, est-ce que vous appéleriez à ce reporter sur lui ? Ecoutez, celles et ceux qui peuvent me faire confiance dans cette campagne des élections présidentielles, je n'ai pas le droit de marchander ou de vendre leurs voix. Leurs voix se mériteront.
PL : Mais est-ce que la voix des libéraux devra participer d'une coalition si la droite est élue en 2002 ?
AM : Bien évidemment. Je représente une famille politique qui est une famille politique importante de la vie politique française, qui généralement est au pouvoir et leader dans tous les pays qui nous entourent. Il est normal qu'elle soit représentée, qu'elle fasse entendre sa voix.
PL : Donc si Chirac était réélu président de la République, vous demanderiez à ce que votre courant soit représenté dans le gouvernement de la France ?
AM : Ecoutez, nous n'en sommes pas là. Je ne suis pas à marchander un gouvernement. Je suis en train d'essayer d'expliquer quelle peut être une voix moderne pour la France, les réformes qu'il faut faire et d'essayer de réunir une majorité de Français autour de ces choix-là.
CM : Il y a beaucoup d'autres candidats à droite à vos côtés. Par exemple, il y a François Bayrou avec qui vous étiez dans le même parti en 1994. Alors qu'est-ce que vous pensez un peu de sa campagne ? Est-ce que vous ne considérez pas finalement que François Bayrou est un candidat de trop finalement pour 2002 ?
AM : je considère que tous les autres candidats d'abord sont des candidats de trop, déjà.
PL : Vous n'êtes pas pour une candidature unique, M. Madelin, quand même ? Un libéral comme vous ?
AM : Il est normal qu'on préférerait avoir beaucoup moins de monde autour de soi. Mais elle est légitime. Voilà. Vous savez dans cette campagne, faisons l'hypothèse que je sois en tête au premier tour et que je puisse être élu. Il faudra bien derrière constituer une majorité. Il faudra bien derrière constituer un gouvernement. Donc il faudra bien que les autres familles politiques, j'entretienne de bons rapports avec elles. Donc ne me demandez pas aujourd'hui de tirer sur elles. Et il faudra bien que des hommes comme les Douste-Blazy, les Sarkozy, les Michèle Alliot-Marie et beaucoup d'autres, on se retrouve tous ensemble pour gouverner la France, je l'espère, sur les options qui sont les miennes et qui auront été choisis par les Français.
CM : Donc vous considérez que François Bayrou fait un peu des erreurs quand il attaque Jacques Chirac un peu à longueur de semaines pour essayer de se démarquer.
AM : Si vous voulez exercer demain la responsabilité suprême, il faudra bien le faire avec tout le monde. Donc ça ne sert à rien, à mes yeux, aujourd'hui de faire des blessures, de créer des fossés pour demain chercher à cicatriser ou à mettre des ponts.
(Suite de l'interview sous la référence 013001845-002)
PL : Si vous étiez élu président de la République, puisque vous êtes candidat à la fonction, qu'est-ce que vous pensez, de manière générale, de ce que doit être le statut du président de la République en matière judiciaire. Est-ce qu'il doit conserver le privilège de juridiction qui est actuellement le sien ? C'est un problème.
AM : C'est un vrai problème. Le président de la République n'est pas un citoyen comme les autres. Mais il n'est pas davantage au-dessus des lois. Donc c'est entre les deux qu'il faut trouver une solution. Une solution notamment pour les actes qui sont détachables de sa fonction et qui pourraient donner lieu à des poursuites judiciaires et qui doivent être poursuivis normalement par les tribunaux, même s'il est normal qu'il y ait des procédures spéciales de façon à mettre la fonction du président de la République à l'abri.
Une fois que l'on a dit cela, comment peut-on faire ? Moi, j'ai fait une suggestion. Je la renouvelle volontiers sur votre antenne. Parce que c'est au fond un sujet de consensus, ça ne devrait pas être un sujet de guerre, celui-là. Je propose que le président de la République et le Premier ministre se mettent d'accord pour désigner une commission de sages, de juristes pour, à la lumière des expériences étrangères, faire une proposition de statut du président de la République, qu'ils fassent un président de la République pas au-dessus des lois, mais encore une fois qui permette de protéger sa fonction.
Encore une fois, si je devais être élu, c'est bien évidemment ce que je proposerais. Je souhaite que M. Chirac le propose sans attendre la prochaine échéance présidentielle. Sinon je le proposerais pour la prochaine échéance présidentielle et bien évidemment je me l'appliquerais.
PL : La proposition Ayrault, c'est oui ou c'est non ? La proposition actuelle ?
AM : Non, parce que cela c'est une manuvre cousue de fil rose. C'est évident que ce n'est pas une proposition sérieuse. La méthode sérieuse de traiter ce problème c'est celui-là. Il y a un autre problème qu'il faudrait traiter parce que c'est quelque chose que l'on ne rencontre pas dans les autres pays autour de nous. C'est le problème des fonds secrets. Le président de la République et le Premier ministre disposent de sommes considérables en fonds secrets, plusieurs centaines de millions. Qu'est-ce qui nous garantit que ces fonds ne sont pas utilisés en sous main dans la campagne présidentielle ? C'est un vrai problème. Il faut le regarder en face parce que ça ne sert à rien de faire des lois sur le financement des partis politiques si vous avez comme ça un tel trou dans le filet. Donc pour l'avenir que je crois qu'il faudra vraiment reposer cette question des fonds secrets. J'ai rencontré un certain nombre de dirigeants européens et ils me disent qu'ils ne disposent pas de cette particularité française qui sont ces sommes extrêmement importantes...
PL : Que vous avez voté, comme d'autres...
AM : Q la disposition du président de la République et à la disposition du Premier ministre et sans contrôle.
PL : M. Madelin, deux mots avant de passer à l'actualité économique et sociale pour en finir avec ce sujet des affaires et du statut du président de la République. Si vous étiez élu, si j'ai bien compris, il n'y aurait plus de fonds secrets pour le président de la République, M. Madelin ?
AM : Moi je dis que c'est une question qu'il faut revoir. Là encore. Cela fait partie des archaïsmes de la vie politique française. Vous pouvez difficilement faire une loi sur le financement des partis politiques exigeant la totale transparence et faire en sorte que chez le Premier ministre, chez le président de la République, il y ait des fonds extrêmement importants qui sont sans commune mesure avec d'ailleurs les seules sommes consacrées aux partis politiques et qui soient sans contrôle.
PL : Et pour en revenir à l'attitude du président actuel de la République, M. Chirac, il a bien fait de ne pas répondre aux convocations des juges, à votre avis ? Ou il aurait du s'expliquer devant eux ou devant l'opinion publique ?
AM : Il s'est expliqué devant l'opinion publique ou du moins le pense-t-il.
PL : C'est suffisant ?
AM : Ecoutez, encore une fois, c'est le choix de chacun. Il est normal que le président de la République de par sa fonction soit protégé des poursuites ordinaires. Mais si le président de la République aujourd'hui n'est pas à l'abri de poursuites extraordinaires, tout le monde comprend bien que la Haute cour est une procédure extrêmement lourde qui ne convient pas à un certain nombre de faits. Et donc entre la procédure extra-extra-extraordinaire que peut constituer la Haute Cour et une procédure de droit commun, il y a un juste milieu à trouver.
PL : Quand vous proposiez, M. Madelin, tout à l'heure - ça me faisait sourire - que le Premier ministre et le président de la république se mettent d'accord pour un futur statut du président de la République. Vous croyez, le moment est bien choisi ?
AM : Moi, je l'ai proposé avant que ceci dérape. Mais à la limite pourquoi pas ? Manifestement la manuvre de Montebourg, la manuvre de la proposition de loi socialiste, ça n'a aucune chance d'aboutir. C'est du cinéma. Et donc il serait légitime que le président de la République propose, que le Premier ministre propose ou mieux encore les deux ensemble proposent une commission de sages qui, dans un délai extrêmement rapide parce que ce n'est pas trop sorcier, proposerait ce que peut être un statut moderne d'un président de la République en France.
CM : L'Assemblée nationale a voté en deuxième lecture, la loi de modernisation sociale. Mais, très rapidement, le ministre de l'Economie et des Finances, Laurent Fabius, a donné ses réserves sur cette nouvelle loi. Alors, d'après, c'est quoi ? C'est une répartition des rôles assez machiavéliques ? Ou alors ce sont de vraies divisions à gauche entre un PC et.. ?
AM : D'abord c'est un instant de lucidité du ministre des Finances qu'il faut saluer. Lorsqu'il a dit que cette loi aurait un effet dissuasif sur l'investissement et sur l'emploi, il a raison. Partout autour de nous, on s'efforce de faciliter l'acte d'entreprendre pour créer la richesse, la prospérité et l'emploi. Il n'y a qu'en France où on cherche à compliquer ou à renchérir les choses. Et donc c'est une loi qui s'ajoute à d'autres et qui a un effet dissuasif, à mon avis, sur l'économie française. Maintenant M. Fabius a fait connaître son humeur, mais s'il était vraiment en désaccord il reste une solution au ministre de l'Economie et des Finances. Quand on n'est pas d'accord avec une politique menée, démissionner.
PL : Vous pensez que l'affaire en vaudrait la peine ?
AM : Je pense que ce n'est pas une mince affaire. Le Premier ministre n'a pas agi comme un homme d'Etat mais comme un homme de parti, à la recherche d'une combine politique. Songez que l'on n'a pas consulté les syndicats et que l'on n'a pas davantage consulté les entreprises sur cette affaire et que ceci s'est déroulé dans des tractations de partis, dans les arcanes de l'Assemblée nationale. Donc je crois qu'il y a une véritable erreur, une faute grave et que c'est un boulet. Le fait que le Premier ministre ait appelé cela loi de modernisation sociale, alors que c'est vraiment tout le contraire, cela lui restera comme étant le contre exemple de ce que doit être une modernisation.
PL : Alors, M. Madelin, vous avez partagé l'avis de M. Fabius qui laissait craindre que ce soit une mauvaise mesure pour les investissements étrangers en France ou même nationaux en France. Mais est-ce qu'il n'y a pas dans cette affaire, les salariés qui comptent aussi ? Est-ce que ce n'est pas une bonne garantie supplémentaire pour les salariés qui, après tout, participent aussi à la vie de l'entreprise ?
AM : Non. C'est de la loi spectacle. Souvenez-vous de ce qui s'est passé...
PL : Ca ne peut pas être les deux à la fois, M. Madelin.
AM : Je vais vous répondre. Souvenez-nous de ce qui s'est passé au lendemain des élections municipales, l'affaire Danone. Et le PC, l'extrême gauche qui mènent une campagne vigoureuse et le gouvernement qui tente de vouloir faire croire qu'il fait quelque chose en ajoutant quelques dispositifs dans cette loi dite de modernisation sociale. Je reprends cet exemple : est-ce que le plan de reconversion sociale de Danone est plus avantageux que le dispositif que propose la loi de modernisation sociale ? La réponse est oui. Et même cent fois et mille fois oui. Le gouvernement a commis une erreur. Si j'avais été président de la République ou Premier ministre, ou en charge de cette affaire, je ne serais pas passé à côté d'un véritable droit à la reconversion qu'il aurait été possible d'instituer. Vous savez que l'on a en matière de chômage instituer le Pare dont tout le monde se félicite aujourd'hui. Le Pare, qu'est-ce que c'est ?
PL : Tout le monde entre guillemets.
AM : Si, le gouvernement.
PL : Mais les syndicats n'en font pas...
AM : Si, tout le monde a signé, directement ou indirectement, aujourd'hui. C'est l'idée qu'on ne peut pas se contenter de payer les gens quand ils sont au chômage et qu'il faut pour les aider à retrouver un emploi, leur assurer un parcours de reconversion personnel et mettre les moyens pour cela. Eh bien ce que je viens de dire pour le chômage individuel, je peux le dire et je dois le dire aussi en cas de licenciements économiques de masse. Et si vous avez une entreprise qui licencie 50, 100 ou 150 personnes, on doit mettre en place un dispositif, comme on l'a fait chez Danone d'ailleurs, pour assurer le reclassement de tout le monde et pour favoriser la reconversion du site. Alors les grandes entreprises comme Danone sont des grandes marques. Elles ont une responsabilité sociale, elles le font. Mais on passe à côté de tout le tissu des petites et des moyennes entreprises, des sous-traitants et là tout le monde s'en moque. Eh bien moi j'aurais mis en place, j'aurais demandé aux partenaires sociaux plus exactement de prévoir un dispositif collectif de mise en place d'antennes de reclassement et d'antennes de réindustrialisation dans tous les cas de licenciements économiques.
PL : Et vous ne faites pas de différence, M. Madelin, entre les entreprises qui font du bénéfice, parce que c'est ça qui a beaucoup choqué, ce sont des entreprises qui font d'énormes bénéfices et qui licencient en même temps. C'est ce que les Français n'ont pas toujours compris. C'est ça le fondement de cette loi.
AM : Ce sont des restructurations industrielles qui ont lieu et personne n'est à l'abri de ces restructurations industrielles. Vous vous souvenez de l'exemple de Renault, entreprise d'Etat. On licencie à Villevorde. Ca avait coulé un peu d'encre. Mais ils ont licencié 12.000 personnes, je crois, chez Nissan au Japon. Personne n'en a parlé. Cela fait partie, hélas, de la vie de l'entreprise. L'essentiel, et heureusement, c'est que l'économie crée beaucoup plus d'emplois qu'elle n'en supprime. Et lorsque vous êtes une grande entreprise et que vous faites des bénéfices, vous avez une responsabilité sociale qui fait que vous mettez en place généralement un plan de reconversion qui fait que vous avez zéro licenciement sec et vous assurez le reclassement de tout le monde. C'est toujours douloureux mais c'est quand même l'exercice de votre responsabilité.
PL : Question des internautes d'Infonie avec Mathieu Maire du Poset ?
MMP : Une question d'un Parisien, Alain, qui vous demande quel regard vous portez sur le dépôt de bilan d'AOM Air liberté et est-ce que vous ne pensez pas que M. Seillière aurait dû intervenir ?
AM : Ecoutez, je ne connais pas le dossier. L'actionnaire est engagé sur son capital. Ceci pose peut-être le problème de l'organisation du transport aérien. Est-ce qu'il était possible de faire avec Air France d'un côté et avec un ministère de tutelle, l'aviation civile qui a partie liée à Air France, d'organiser une saine concurrence en France même ? La concurrence internationale existe bien évidemment pour Air France. Mais en France c'était le pari qu'avait fait AOM-Air Liberté, c'est, semble-t-il, un pari perdu. Eh bien évidemment cela a des conséquences financières pour tous les actionnaires. Mais il y a un vrai problème d'organisation des transports aériens en France. Et partout ailleurs, généralement, l'autorité de tutelle de l'aviation civile est une autorité distincte des compagnies aériennes.
PL : Entre parenthèse, M. Madelin, il y a une cohabitation qui ne marche pas très bien, c'est celle du Medef, M. Seillière, et M. Gayssot. On a vu M. Seillière accusé Gayssot d'avoir organisé la chute de son entreprise.
AM : Oui, bon, chacun est dans son rôle.
CM : Comment qualifieriez-vous la politique économique et sociale de Lionel Jospin ? Vous diriez qu'elle est sociale libérale ou dirigiste ?
AM : Oh, je dirais surtout : quel gâchis ! Quel gâchis parce que ça me fait penser un peu à la politique de Michel Rocard à un moment donné. J'aime bien Michel Rocard. Mais il est passé à côté de la bonne utilisation de la croissance. Et je crois que le gouvernement Jospin aura fait la même chose. Quand vous avez la chance d'avoir la croissance tirée par la mondialisation, tirée par les Etats-Unis, lorsque vous avez la chance d'avoir de la croissance, au lieu de gaspiller les fruits de cette croissance dans de nouvelles dépenses publiques et dans la fuite en avant, vous essayez de vous attaquer à un certain nombre de réformes de fond. C'est ce que font tous les pays autour de nous.
Je vais prendre juste un exemple, peut-être pour me faire comprendre, parce que chaque fois que je le cite les gens sont frappés.
L'Italie a baissé ses prélèvements publics d'1 % chaque année, supprimé 300.000 postes de fonctionnaires, décentralisé extrêmement largement, une autonomie régionale très forte. Elle a réglementé le droit de grève dans les services publics, réduit le nombre de ministères, transformé complètement le statut de la fonction publique, créé une très large autonomie aux établissements scolaires. Je pourrais poursuivre longtemps. Ca c'était l'Italie de la coalition de gauche...
PL : Ils ont perdu les élections.
AM : Dirigée par M. d'Alema ex-communiste et hier Premier ministre. Je dis ça pour montrer l'extraordinaire décalage qui existe entre la France et ce qui nous entoure. Ca c'était une coalition de gauche en Italie, qui a été profondément réformatrice et la France c'est la belle au bois dormant.
PL : Et battu.
AM : Et M. Jospin sera battu aussi.
CM : Sans l'avoir fait.
AM : Sans l'avoir fait. Et donc c'est pour ça que c'est une occasion gâchée. Mais si vous prenez M. Tony Blair en Grande-Bretagne, un formidable mouvement de réformes là encore. Et M. Tony Blair a été élu. Donc le socialisme quand il est libéral, a plus de chances de rester au pouvoir.
PL : Qu'est-ce qui vous fait dire que M. Jospin sera battu ?
AM : Ecoutez, d'abord parce qu'on va s'y employer. Mais parce que ce sera un moment de vérité. Est-ce que vous faites confiance aux socialistes français ? M. Jospin expliquait l'autre jour qu'il conduisait la politique la plus à gauche de toutes les démocraties occidentales, la plus socialiste. Est-ce que vous faites confiance à cette politique-là pour moderniser la France et pour assurer la prospérité, l'avenir de vos enfants ? C'est ça la question qui sera posée. Pour moi, la réponse est claire, c'est non.
PL : Quand vous le comparez à M. Rocard, il y a quand même 1 million de chômeurs en moins, ce qui n'avait été le cas sous M. Rocard, les 35 heures, ce qui n'avait pas été une réforme faite par M. Rocard. Il y a quand même une différence. Ce n'est pas bonnet blanc et blanc bonnet.
AM : Ecoutez les 35 heures ne sont pas à mettre au crédit de M. Jospin mais à mon avis à son débit. Et on le verra tôt ou tard.
PL : Les internautes d'Infonie avec Mathieu Maire du Poset ?
MMP : M. Madelin, une autre question à propos de M. Seillière et du Medef, Pierre, 52 ans de Caen qui demande si la menace du Medef de se retirer de la sécurité sociale est un bon moyen de pour faire avancer les choses.
AM : De quoi s'agit-il d'abord ? Il faut quand même expliquer à vos auditeurs. Le Medef ne menace pas comme ça de partir de la sécurité sociale. En réalité, c'est le gouvernement qui veut utiliser l'argent de la sécurité sociale.
PL : Prélever, oui.
AM : L'argent de la sécurité sociale, c'est à dire l'argent des malades, l'argent des familles, l'argent de la santé des Français pour aller payer la facture des 35 heures. Alors, moi je crois les partenaires sociaux responsables. Mais s'ils deviennent des administrateurs fictifs, pourquoi rester ? Et moi je serais à la place des partenaires sociaux, pas seulement le Medef, si le gouvernement confirmait ce hold-up, je partirais.
PL : Hold-up, c'est le mot ?
AM : Oui, c'est un hold-up.
PL : Parce que le gouvernement répond, juste pour aller un peu plus dans le raisonnement, que la sécurité sociale a largement profité des mesures sur les 35 heures en faisant que des chômeurs deviennent cotisants.
AM : Mais non, ceci n'est pas exact. C'est comme si vous disiez les 500.000 emplois qui ont été créés chaque année depuis trois ans par les entreprises françaises. Ce sont les entreprises qui les ont créés, ce ne sont pas les 35 heures. Donc c'est absurde. C'est un mauvais justificatif. Personne ne sera dupe. Il n'y a qu'en France encore une fois, où l'on imagine... Souvenez-vous des 35 heures. Les 35 heures, on nous avait dit : c'est un remède miracle. C'était une époque d'ailleurs où c'était d'ailleurs une erreur de prévision. Les socialistes sont arrivés au gouvernement en répétant partout : " on va dans un monde où il y aura de moins d'emplois, ça va être la pénurie de travail ". Moi je disais rigoureusement le contraire. On ne me croyait pas beaucoup à l'époque. Je disais : " on va faire le plein d'emplois ". Et puis finalement on s'est aperçu que l'économie était créatrice d'emplois. Mais la solution socialiste des 35 heures qui était une solution du partage de la pénurie du travail grandissante est une solution qui est totalement datée, qui n'avait rigoureusement aucun sens. Non pas qu'on ne peut pas faire la liberté du temps de travail, mais les 35 heures obligatoires pour tous et particulièrement pour toutes les petites entreprises, pour votre coiffeur demain, c'est complètement absurde et complètement archaïque.
PL : Une question à l'expert en économie que vous êtes, M. Madelin, et à l'ancien ministre de l'Economie et des Finances, la croissance que vous avez évoquée tout à l'heure et dont vous pensez que Jospin aurait pu mieux profiter, elle existe encore dans l'année qui vient ? Ou bien vous êtes inquiet des signes, ça et là, qui inquiètent certains ?
AM : Le moteur américain ralentit et quand la locomotive américaine ralentit, la France ralentit. Mais si la France ralentit, c'est parce qu'elle n'a pas su se donner un moteur propre, suffisamment nerveux et c'est là tout le problème des prochaines années. Tout le problème des prochaines années, c'est faire tourner à plein régime le moteur de la croissance des entreprises. Et de ce point de vue là, il faut à mon avis mettre un peu le pied sur l'accélérateur, donner un peu plus de liberté, diminuer un peu les contraintes, les règlements, les charges et les impôts, c'est à dire tout le contraire d'une politique socialiste.
PL : Et vous ne craignez pas la fin de la parenthèse ?
AM : Non, je pense que globalement sur une longue période, nous sommes engagés mondialement dans une phase de croissance forte et je suis persuadé que la France peut viser une croissance supérieure à 4 % et qu'elle doit le faire.
CM : Le sommet européen de Göteborg qui s'est achevé ce week-end vient de décider d'un calendrier enfin sur l'élargissement de l'Union. C'était votre priorité, l'élargissement de l'Union. Donc vous êtes plutôt satisfait ? Vous dites que Göteborg c'était un bon sommet ?
AM : Oui, oui, oui. J'étais à Göteborg aussi.
CM : Pas du côté des manifestants...
AM : Non. L'avantage du traité de Nice c'est qu'il ouvrait enfin la porte aux pays d'Europe de l'Est candidats. Moi j'aurais souhaité qu'on soit beaucoup plus audacieux et beaucoup plus rapide. Pourquoi ? Parce que je crois que la tâche historique de toute une génération -la mienne peut être aujourd'hui - c'est de créer la grande Europe. La petite Europe, ça y est, elle appartient au passé. L'Europe des 15 c'est fini. Et en changeant de dimension, l'Europe change aussi de nature. Si on retrouve ensemble, tous les Européens, il faut qu'on s'interroge sur : Pourquoi on est Européen ? Qu'est-ce qu'on est ? Et le projet qui était exclusivement un projet économique ou essentiellement économique, le projet européen, devient un projet culturel, politique, un grand projet. C'est la raison pour laquelle je dis aujourd'hui : la priorité doit être donnée à l'élargissement. Or on sait très bien qu'on ne pourra pas faire entrer la grande Europe dans les institutions de la petite Europe et il faut donc assouplir ces institutions pour faire la grande Europe. C'était l'enjeu du traité de Nice. On aurait pu mieux faire.
MMP : Justement à propos de l'intégration de ces pays, quelqu'un se demande si l'Europe a les moyens de réussir à intégrer tous ces nouveaux pays dans l'Europe.
AM : Mais bien sûr, c'est une chance formidable. Enfin, on ne va pas passer à côté. Bien sûr on a les moyens. D'abord parce que nous sommes riches et au surplus il faudrait arrêter avec ces réflexes égoïstes. Ou vous avez une vision politique, ou vous ne l'avez pas. J'entends bien les Anglais qui disent : touche pas à mon chèque. Vous savez que les Anglais bénéficient d'un système de contribution un peu exceptionnelle qu'ils ne veulent pas remettre en question. Les Italiens et les Espagnols...
PL : Les Français : touche pas à ma PAC.
AM : Les Français : touche pas à ma politique agricole commune. Les Italiens et les Espagnols : touche pas à mes fonds structurels. Ils bénéficient de subvention pour les régions déshéritées de ces deux pays. Les Allemands : oui, ce serait très bien d'élargir, mais il ne faut pas quand même pas qu'il y ait trop de libre circulation des hommes parce qu'on n'a pas envie d'être envahis. Donc chacun y va de son petit couplet nationaliste et égoïste. Ce n'est pas comme ça qu'on fait un grand projet politique.
PL : Et la décentralisation, M. Madelin, est-ce que vous partagez la déclaration de M. Poncelet, le président du Sénat qui a demandé un changement de Constitution pour permettre qu'une vraie décentralisation puisse se mettre en place ?
AM : Bien évidemment.
PL : Changer la Constitution.
AM : Non, pas changer la Constitution, modifier la Constitution. Pourquoi ? Parce que les régions n'existent pas dans la Constitution. Si vous voulez faire un vrai pouvoir régional...
PL : Indispensable, à votre avis ?
AM : Indispensable à un pays moderne. Autour de nous, tous les pays ont des autonomies régionales fortes. C'était le cas d'un certain nombre de pays depuis longtemps et puis d'autres pays se sont converti et s'engagent dans cette direction. Un Etat moderne est un Etat profondément décentralisé qui s'appuie sur des régions dotées d'un très large pouvoir autonome. Et beaucoup de problème qu'aujourd'hui on a l'habitude de régler d'en haut, par exemple l'urbanisme, l'éducation, sont, dans tous les autres pays autour de nous, réglés d'en bas. Donc ça c'est le sens de l'histoire, bien évidemment. Mais pour faire cela en France, il faudra réformer la Constitution. Et inscrire les régions, leur autonomie fiscale, leur pouvoir réglementaire délégué et également le principe de subsidiarité - c'est un nom un peu barbare qu'on utilise en Europe, mais qui veut que lorsqu'une tâche peut être réglée en bas et bien on ne la règle pas en haut. C'est la même chose pour les régions dans les pays autour de nous, l'Italie par exemple.
PL : Et les disparités ? Tant pis pour les disparités ?
AM : L'Italie a inscrit le principe de subsidiarité dans sa Constitution, comme il l'est en Allemagne, comme il l'est dans d'autres pays autour de nous. Donc il faut une réforme constitutionnelle forte que je propose depuis longtemps. Alors, bien évidemment, à l'intérieur, puisqu'on est dans un même Etat, ce ne sont pas des régions totalement autonomes, chacun pour soi, égoïste, vous avez un mécanisme de solidarité nationale. Il existe aussi dans les autres pays de façon à faire en sorte qu'il y ait une solidarité des régions riches pour les régions pauvres.
CM : En ce moment, la gauche et la droite jouent à : " plus décentralisateur que moi, tu meurs ". Ca vous fait sourire de voir la surenchère qu'il y a eu ces derniers temps ?
AM : Ecoutez, je ne sais pas. En tout cas je suis clairement mieux disant en matière de régionalisation. J'ai dit oui au statut de la Corse. Pas idéal, le statut de la Corse et la façon dont il a été goupillé, ça donnait un peu le sentiment de récompenser le terrorisme et beaucoup de gens ont été choqués. Néanmoins, c'est un pas dans la bonne direction. C'est dommage de le faire seulement pour la Corse. Mais il faudra aller plus loin et pour la Corse et pour l'ensemble des régions. Et c'est la raison pour laquelle je propose un pouvoir régional fort, très très fort. Je prenais l'exemple de l'éducation. Voilà encore une fois typiquement le sujet qui doit faire éclater le ministère de l'Education pour pouvoir aller des établissements plus libres, plus autonomes, coordonnés, bien sûr, au niveau régional, dans le cadre d'une politique nationale, avec des ressources fiscales propres aux régions, importantes. Je propose de leur donner la TIPP, c'est à dire les taxes sur l'essence et l'énergie, et de leur donner une part de la TVA, de façon à avoir les moyens financiers de politique autonome.
CM : Dominique Voynet va normalement quitter le gouvernement à la fin du mois. Il était prévu qu'Yves Cochet la remplace. Mais visiblement le fait d'avoir signé la proposition du député Arnaud Montebourg, demandant le renvoi du président de la République devant la Haute Cour de Justice...
PL : Lui a valu un carton...
CM : Lui a valu un veto. Vous trouvez que c'est normal que le président choisisse un peu les ministres ?
AM : Ecoutez, si vous le voulez bien, je pratiquerais la non-ingérence dans les affaires gouvernementales de la gauche. Qu'ils règlent leur problème tout seuls. Ils n'ont pas besoin de mes conseils pour les régler.
PL : Vous l'auriez fait, vous, le carton rouge.
AM : Je n'en sais rien. C'est vraiment la dernière de mes préoccupations aujourd'hui.
CM : C'est important quand même.
AM : Non, ça n'a rigoureusement aucune importance. Je suis persuadé que la plupart de vos auditeurs s'en moquent totalement.
MMP : Pour revenir sur le terrain des affaires, une question à propos de M. Claude Bébéar et de sa mise en examen. Quelqu'un qui demande si celle-ci n'implique pas qu'il cesse de représenter Paris pour la candidature de Paris 2008 aux Jeux Olympiques.
AM : Ecoutez, très sincèrement je n'ai pas regardé de prêt quels étaient les faits qui ont valu à Claude Bébéar cette mise en examen. Mais franchement, Claude Bébéar est, pour tous ceux qui le connaissent, un grand chef d'entreprise français qui fait honneur aux entreprises françaises.
PL : Alors, vous qui êtes original, Alain Madelin, même les vôtres se demandent parfois dans quel sens vous allez aller. Sur les raves-parties, les fameuses raves-parties, avec le projet Vaillant qui demandait qu'elles soient déclarées avant qu'elle aient lieu. Vous êtes de quel côté ?
AM : Il y a eu un amendement, je crois, au Sénat, à l'Assemblée nationale, pour essayer d'imposer je ne sais plus trop quoi aux raves-parties.
PL : Une déclaration préalable.
AM : Oui, une saisie du matériel.
PL : Et s'il n'y a pas déclaration, saisie du matériel.
AM : Bien. Je vous ai dit tout à l'heure que j'étais contre les lois spectacles. Il y a un problème qui surgit dans l'actualité, hop, le gouvernement ou les hommes politiques pour jouer les intéressants, disent : " on va faire une loi ". Il y a tout ce qu'il faut dans la loi en cas de débordement des raves-parties, depuis les atteintes à la propriété d'autrui, les trafics de stupéfiants, les ventes d'alcool non déclarées, les billetteries clandestines, la mise en danger de la santé des mineurs... Vraisemblablement les avocats qui nous écoutent pourraient sans doute trouver une trentaine de délits qui pourraient s'appliquer aux raves-parties. Alors que l'on commence à appliquer la loi telle qu'elle est plutôt que jouer les fiers à bras. Moi j'en ai assez de ces ministres ou de ces hommes politiques qui bombent le torse à l'Assemblée nationale pour ensuite baisser les bras dans la réalité concrète.
PL : Quelques secondes, je ne voudrais pas que l'on finisse sans un mot pour l'Algérie. Est-ce qu'il faut soutenir les manifestants en Algérie ? Ou est-ce qu'il faut continuer de discuter, de négocier avec le pouvoir en place ?
AM : Ecoutez, vous connaissez mon hostilité pour la clique militaire corrompue qui est au pouvoir en Algérie. Et donc je crois que tant qu'il n'y a pas d'avenir, de prospérité, de démocratie possible, d'espoir pour le peuple algérien tans que ce régime-là restera en place et je crois que la France ne peut ni fermer les yeux, ni se taire sur ce qu'il se passe. Et je me sens solidaire et j'apporte tout mon soutien à la jeunesse algérienne.
PL : Merci d'avoir été avec nous, Alain Madelin.
(Début de l'interview sous la référence 013001845-001)
(source http://www.demlib.com, le 21 juin 2001)