Texte intégral
M. Grossiord.- Il y a donc 60 ans, jour pour jour, était adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l'homme. Nous allons en parler avec B. Kouchner. Nous allons d'abord évoquer ce qui se passe en Grèce. Vous avez exprimé votre inquiétude hier à l'Assemblée nationale, des violences urbaines qui traduisent le malaise profond de la jeunesse. Vous êtes inquiet pour la Grèce, et d'une éventuelle contagion d'un mouvement de colère en Europe ?
Pas spécialement, non, mais je suis inquiet parce que nos amis grecs sont en proie à cette tourmente. Aujourd'hui, c'est une grève générale et j'espère que tout ça va s'arranger. Mais vous-même, je sens bien à votre ton que les explications manquent.
On essaye de comprendre.
Cette colère de la jeunesse repose sûrement sur quelque chose, et ça nous intéresse tous, je le crois.
Le chômage, la précarité, les scandales politiques...
Oui.
Est-ce que le gouvernement a raison de s'accrocher au pouvoir à Athènes ?
Ça, si vous permettez, je ne répondrai pas à cette question. Mais je m'intéresse profondément à la révolte de la jeunesse et j'aimerais comprendre ce que ça signifie.
Peut-être que le sujet viendra demain et vendredi à Bruxelles, lors du sommet des chefs d'Etat et de gouvernement européens. Deux sujet difficiles par ailleurs : le plan de relance et la mise en pratique des résolutions sur le climat. Ce sera un sommet dans la division, donc très difficile ?
Je crois que ce sera un sommet, comme d'habitude, commençant dans la division et se terminant dans l'union. Vous allez voir. 27 pays ce n'est pas commode, surtout sur les sujets que vous venez de citer. Et puis, il y a aussi ce que représente le "non" irlandais par rapport au Traité de Lisbonne. Mais pour reprendre : d'abord la relance, la crise économique, la crise financière devenue crise économique, il faut qu'il y ait une concertation européenne. En gros, tout le monde est d'accord, mais bien sûr les pays sont différents, le rythme est différent, et peut-être même les conclusions et les propositions seront-elles différentes. Je pense que ça se passera et nous verrons bien.
Et comment ça se passera dans le couple franco-allemand, puisqu'on voit que la crise a rapproché le couple franco-britannique.
Ah ! Je l'attendais celle-là ! Heureusement, que ça existe, hein !
Est-ce de bon augure pour l'Union et pour cette réussite que vous nous annoncez même dans la division ?
C'est toujours de bon augure que d'être à la fin en accord alors que... Encore une fois, 27 pays c'est... Vous avez combien de radios, dites donc le matin ? Vous êtes toujours d'accord ? Eh bien vous voyez, c'est difficile ! Alors, entre les pays, c'est vraiment très compliqué. Malgré cela, l'Europe existe, elle existe de plus en plus, et elle a voix au chapitre dans le monde. Et puis, si on profite, si j'ose dire, en tout cas on ne s'arrête pas à cette crise économique profonde, et le paquet "énergie-climat", c'est-à-dire l'environnement, c'est-à-dire l'avenir de la planète, est quand même une prise en compte, eh bien ce sera un grand succès.
Mais qu'est-ce qui explique la mauvaise manière faite à A. Merkel ? C'est comme ça que c'est perçu à Berlin, en tous les cas, ce mini sommet de lundi, à Londres ?
Attendez ! On n'a pas le droit de se rencontrer ? D'un côté, il y a les pays de l'euro, et de l'autre...
Ah ! Ça fâche !
Mais non, ça ne fâche pas du tout ! J'assiste à toutes ces rencontres, et je vous assure que le ton n'est pas celui qu'on écrit.
En tous les cas, ce sera le dernier sommet pour la présidence française. Faut-il, alors que la crise économique va durer, que notre pays conserve, d'une façon ou d'une autre, une sorte de leadership en 2009 ?
Non.
Pour décider peut-être plus rapidement ?
Oui, nous aiderons nos amis tchèques qui vont prendre le relais à partir de janvier, et vous allez voir, là aussi, comme on craint le pire, eh bien il y aura de bonnes surprises.
On a entendu cette semaine N. Sarkozy plaider pour une conception universelle des droits de l'homme, le mot est primordial, on se souvient qu'il fut imposé il y a 60 ans par votre maître, le Français R. Cassin, dans la Déclaration dont on fête donc aujourd'hui l'anniversaire. Est-ce une rupture avec le relativisme que défendait J. Chirac ?
Je ne veux pas que ma position soit mal comprise. Je pense que ça n'est pas un avantage de détacher et d'avoir une administration pour les droits de l'homme ; j'ai moi-même failli être ministre des droits de l'homme et j'ai choisi l'action humanitaire, et j'ai proposé à N. Sarkozy d'avoir un secrétariat d'Etat aux Droits de l'homme, et je pense que c'est une erreur, ça gêne. Je crois que les Droits de l'homme, on doit toujours s'en occuper mais on ne doit pas les détacher et les mettre dans une structure administrative. La politique doit être imprégnée de droits de l'homme, on doit absolument, mais pas seulement là-dessus, se fonder sur les droits de l'homme, mais ça ne résume pas une politique étrangère, sûrement pas...
Oui, mais quand même...
...Mais, mais, mais, mais, mais.... En réalité, je crois que, en agissant - et je vais vous donner l'exemple et pourquoi j'y ai pensé- nous avons signé, la France, il y a quelques jours à Oslo, dans la grande salle du Prix Nobel, nous avons signé l'interdiction des armes à sous munitions. C'est une victoire formidable sur les droits de l'homme. Il y avait 100 ministres et pas un des Droits de l'homme. Bon. Alors...
Mais R. Yade, quel est son bilan ?
Mais R. Yade fait très bien son travail, elle a à être fière, elle doit être fière...
...Sur les femmes, sur les enfants soldats, sur la dépénalisation de l'homosexualité.
Mais si vous faites les demandes et les réponses, je n'ai pas besoin de parler !
Si, mais qu'est-ce que vous dites ?
Elle a à être fière, elle fait tellement bien son travail qu'elle doit le poursuivre. Mais on n'a pas besoin d'étiquette pour ça, on n'a pas besoin... Si vous voulez, la violence faite aux femmes, c'est R. Yade ; les droits des enfants, les enfants soldats, c'est R. Yade. Dans quelques jours, à l'ONU, encore une fois, une résolution contre l'homophobie, c'est formidable. Mais je crois qu'au nom de l'Etat, on doit le faire, y penser tout le temps, écouter des gens qui sont spécialistes et militants des droits de l'homme.
R. Yade, elle vous faisait de l'ombre ?
Quelle ombre ? Vous plaisantez ! Nous travaillons ensemble, et il n'y a pas d'ombre.
Mais ça risque d'être tendu quand même aujourd'hui lors des cérémonies écoutez !
Mais pas du tout ! C'est pourquoi...
Elle va sentir une double punition : la vôtre, d'abord, et puis celle du chef de l'Etat qui aurait souhaité lui (...) B. Lemerre ?
Si vous pensez que ce que je dis est faux, vous n'avez qu'à me le dire tout de suite ! Je vous dis qu'il ne faut pas d'ambiguïté, que je suis fier d'avoir travaillé avec R. Yade, qu'elle fait bien son travail, c'est une question de concept. Les Droits de l'homme, il ne faut pas que ce soit gouvernemental, c'est trop ambigu, c'est moi qui l'ai proposé, et c'est mon erreur ! Mais elle a très bien fait son travail, et il n'y a pas d'ambiguïté sauf celle que vous y voyez. Je vais vous expliquer : il y a par exemple avec l'Europe - puisqu'on relie les deux choses - il y a eu l'opération la plus rapide pour la Géorgie avec les observateurs, en trois semaines on les a envoyés, ça, c'est les droit de l'homme ! Il y a eu le mouvement le plus innovant, c'est la lutte contre la piraterie que l'Europe a proposée, et maintenant il y a sept pays, c'est l'Opération Atalante, c'est les droits de l'homme ! Il y a aussi la plus vaste opération au Tchad, Eufor, près de 4.000 hommes, ça protégeait ; un quart des réfugiés sont déjà rentrés chez eux. En mars, il y en aura un demi, ce sont les droits de l'homme. Et il y a la dernière qui est Eulex au Kosovo, accepté par les Serbes du Kosovo.
Allez, on pourrait encore en ajouter mais quand même...
Non, vous ne pourrez pas en ajouter, ce sont les droits de l'homme ! Donc, nous nous y consacrons tout le temps et c'est bien.
Est-ce que néanmoins la diplomatie conduit parfois à trahir ses convictions sur le sujet ?
C'est-à-dire que c'est... La diplomatie, en tout cas, la politique étrangère, je vous l'ai dit, ne se résume pas aux droits de l'homme. Il faut y penser toujours, écouter sans cesses les organisations non gouvernementales, travailler avec elle, mais je pense que ça n'est pas... Sinon nous aurions plusieurs pays...
L'erreur c'est le secrétariat d'Etat aux Droits de l'homme ou...
Non, c'est moi l'erreur.
...C'est vous, donc, ou l'absence de ligne claire, par exemple, sur la Chine, où, là, la France a été critiquée ?
Comment critiquée ! Il y a une ligne très claire, le président Sarkozy avait dit : j'irai à l'inauguration des Jeux Olympiques mais je rencontrerai le dalaï-lama avant la fin de l'année ; il l'a fait, en Pologne, à l'occasion d'un voyage, à l'occasion du 25ième anniversaire du Prix Nobel à L. Walesa, il a eu raison de le faire, et nous sommes désolés que les Chinois l'aient pris mal, et je pense que ça s'arrangera. Mais c'est une ligne très claire au contraire, surtout sur les droits de l'homme.
Est-ce que vous confirmez l'arrivée en France aujourd'hui du Premier guérillero des FARC repenti ?
En tout cas, nous avons accepté d'accueillir les FARC repentis, dès lors qu'ils seraient en accord avec la justice de leur pays. Alors, si cet homme est en accord avec la justice de son pays, c'est-à-dire, la Colombie, nous l'accueillerons.
Vous confirmez ?
Ecoutez, je ne confirme pas l'heure, ni l'arrivée, mais enfin... ni le jour, mais je pense... mais nous avons pris une décision dans ce sens.
Et combien suivront au risque de choquer peut-être une partie de l'opinion de ce "droit de séjour" accordé par la France ?
Je ne sais pas, mais apparemment les Colombiens doivent souhaiter qu'il y en ait le plus possible, enfin, ça n'ira pas très loin à mon avis.
Un mot sur ce qui se passe en Afghanistan. On a appris ce matin que six policiers et un civil avaient été tués dans un bombardement des forces américaines qui visait des talibans, mais qui a atteint, comme ça arrive, un poste de police dans le Sud de l'Afghanistan ?
Hélas ! Ça arrive très souvent et c'est très contre-productif. Hélas ! Bien sûr, ça se retourne contre les forces coalisées qui tentent de travailler avec les Afghans, les Afghans, qui sont en faveur d'une certaine démocratie qui n'est pas exactement la nôtre et c'est très, très regrettable. Il faut absolument se prémunir, et d'ailleurs nous, nous avons des règles d'engagement qui, je l'espère, nous mettent à l'abri de ces incidents tragiques.
Au Zimbabwe, R. Mugabe s'accroche au pouvoir malgré les pressions. Le pays a d'ailleurs qualifié hier les dirigeants européens qui l'ont appelé à démissionner de "dégoûtants" ?
Je lui laisse cette expression. Nous, nous pensons qu'il y a un drame terrible auquel s'ajoute une maladie contagieuse effrayante, c'est-à-dire, le choléra, et qu'il faut vraiment que la situation politique s'arrange. Mais, là encore, il ne suffit pas d'évoquer les droits de l'homme pour que ça réussisse. La politique c'est un tout petit peu autre chose. Qu'est-ce qu'on peut faire contre R. Mugabe qui s'accroche au pouvoir, alors que les élections ont fait gagner M. Tsvangiraï, lequel était à Paris il y a quelques jours et qui a donné des explications. Il faut qu'il y ait une pression internationale suffisante pour qu'il s'en aille.
Merci, B. Kouchner, on vous verra donc aujourd'hui à côté de R. Yade, et de S. Hessel, 90 ans, que vous avez voulu associer...
Bravo pour ce que vous avez dit sur Stéphane, il n'avait pas besoin d'être ministre.
Oui, c'est lui qui assista il y a 60 ans aux travaux de la commission de l'ONU. Et P.-M. Christin lui a rendu hommage il y a un instant.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 11 décembre 2008