Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur les risques encourus et l'état sanitaire des militaires engagés dans le conflit du Golfe et dans le conflit du Kosovo, à l'Assemblée nationale le 2 mai 2001.

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Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
J'aborde cette audition avec la préoccupation de garantir à nos personnels de Défense, qui s'engagent au service de notre pays, les meilleures garanties possibles.
Dans le cadre de la professionnalisation, vos travaux revêtent une grande importance, car il nous faut rester exemplaires sur la protection sanitaire des personnels pour motiver et fidéliser les hommes et les femmes qui forment la communauté de la défense et ceux qui la rejoindront demain.
Je rappellerai d'abord pour l'essentiel le contexte de notre engagement dans le Golfe et les conditions du combat qui peuvent expliquer les différences constatées entre la France et ses alliés dans le développement de pathologies spécifiques à ce théâtre d'opération.
Comme vous le savez, ce conflit a été mené par une coalition préparée à rencontrer l'opposition déterminée d'une armée irakienne, perçue alors comme puissante, qui avait fait ses preuves au cours d'une guerre longue avec l'Iran. La perception des risques étaient renforcée par le caractère nouveau de ce conflit pour les armées françaises et par l'existence d'une menace avérée liée à l'usage par l'Irak d'armes non conventionnelles, chimiques et bactériologiques. S'ajoutaient à ces conditions difficiles des contraintes d'environnement importantes dans le désert. L'évaluation préliminaire des pertes potentielles était donc élevée, et cette perspective historique est importante pour que votre mission d'information envisage le bilan de cette opération dans toute sa réalité.
Néanmoins, du fait de la supériorité technologique des membres de la coalition et de nombreux facteurs d'inefficacité de l'armée irakienne, le conflit s'est soldé par une victoire rapide des alliés au prix d'un nombre relativement faible de victimes dans nos rangs.
Les risques encourus par les militaires engagés dans le conflit du Golfe étaient analysés, ils ont fait l'objet d'une prévention et d'un traitement en amont correspondant aux règles techniques en usage. Pour prévoir la protection des militaires français contre les effets d'une éventuelle offensive chimique, un certain nombre de produits avaient été remis individuellement : il s'agissait de seringues auto-injectables contenant de l'atropine, un anticonvulsivant, un antidote et des comprimés de pyridostigmine. J'insiste sur le fait que ce dernier produit n'a été pris qu'à l'occasion d'alertes identifiées, ou par les unités, sur une très courte durée, au moment de l'offensive terrestre. Son efficacité dans la protection contre les agressifs chimiques de combat justifiait largement son utilisation, s'agissant de produits longuement éprouvés.
Les alliés américains et britanniques ont, au contraire fait prendre à leurs troupes de la pyridostigmine pendant toute la durée de leurs séjours, ce qui correspond à des doses importantes pour le corps humain. Il faut noter cette différence, de même que l'attitude très différente quant aux pratiques en matière de vaccins.
Néanmoins, depuis le début de l'année 2000, est apparue dans notre pays une controverse sur l'existence d'un " syndrome du Golfe " touchant des militaires en France.
Ainsi que l'a noté le professeur Salamon, il est méthodologiquement très difficile de démontrer l'inexistence d'un phénomène qui n'existe pas. Si l'on veut rechercher les causes de l'émergence de cette polémique, on peut penser à la remise en cause générale de la technostructure qui marque notre pays, au nom du principe de précaution. Ce mouvement rejoint les précédents créés par les affaires du sang contaminé, de l'ESB, de l'amiante. Il est associé à la montée en puissance d'initiatives venant d'associations et bénéficiant de l'intérêt légitime de la presse.
S'ajoutent encore à ces éléments généraux les effets de principes de secret entourant l'action ou la préparation opérationnelle de nos armées qui suscitent inévitablement des interrogations. Mais je voudrais aussi relever une réalité, qui est le besoin d'une profonde adaptation des méthodes de travail de notre service des pensions à une prise en charge graduée et adaptée des plaintes des anciens combattants sur une longue durée après un engagement. Le suivi individuel et personnalisé des 25 000 soldats français ayant participé à la guerre du Golfe est rendu difficile par une traçabilité que je crois insuffisante au regard des nécessités d'aujourd'hui des conditions d'emplois des personnels et des agressions auxquelles ils ont pu être soumis. .
Je rappelle que tous les anciens combattants ont été soumis à une visite médicale dès leur retour du théâtre d'opération, et que ceux qui ont continué de servir dans les armées ont fait l'objet d'une visite médicale annuelle, à l'instar de tous les militaires.
En revanche, après la fin de service des personnels professionnels dont je souligne que la grande majorité suit une carrière courte, notre système traditionnel -jugé très favorable jusqu'à aujourd'hui- se fondait sur l'initiative personnelle des anciens militaires pour se faire examiner devant l'apparition de signes médicaux, puis pour demander si nécessaire la prise en compte d'une conséquence de dommages physiques par une demande de pension.
Or, on peut reconnaître que la possibilité d'apparition lente de conséquences à long terme est insuffisamment détectée par un tel système, ce qui pose une question nouvelle avec le type d'engagements que nous pratiquons aujourd'hui.
Je dois aussi reconnaître que si un mouvement de mise en cause a pu se développer, malgré l'existence d'études scientifiques confirmant l'absence de pathologies spécifiques, c'est aussi du fait d'une communication insuffisante du ministère de la Défense, qui a conduit l'institution à apparaître en position de faiblesse par rapport à des personnes s'estimant victimes et des organisations prenant leur défense.
Ces insuffisances m'ont conduit à afficher de manière très claire ma volonté d'information loyale et soumise au débat. C'est une de mes préoccupations essentielles depuis quatre ans, dans ce dossier comme dans tous les autres. Je crois que tous les membres de la communauté de défense doivent aider autant que possible à la recherche de la vérité dans ce dossier. C'est ainsi que mes services apportent, je crois, aux travaux de votre mission d'information. C'est dans le même esprit que j'ai décidé, en accord avec le ministre de la Santé, la mise en place d'un groupe d'experts médicaux dirigé par le professeur Salamon. Ce groupe nous a remis un rapport concernant les conséquences sanitaires de l'engagement dans le conflit du Golfe, que nous venons de rendre public. Il en ressort que, par rapport à des populations civiles de même âge, aucun excès de mortalité ou d'effet de descendance particulier n'a pu être relevé. De plus, aucune relation n'a pu être identifiée entre les troubles dont se plaignent certains des anciens combattants et un facteur de risque particulier. Ces éléments convergent pour mettre en doute l'existence d'un syndrome spécifique de la guerre du Golfe.
Néanmoins, au vu des signes, des symptômes et des plaintes observées, le groupe d'experts a préconisé de poursuivre l'étude globale au groupe des anciens combattants français du Golfe. A cette fin, deux études ont été recommandées, avec lesquelles le gouvernement s'est déclaré en accord..
La première sera une étude épidémiologique par questionnaires sur l'ensemble des 25 000 vétérans ayant participé à la Guerre du Golfe, avec une possibilité d'examen clinique et biologique offert dans un cadre civil ou militaire. Pour assurer la transparence sur ces questions sanitaires, j'ai décidé, en accord avec Bernard Kouchner, de confier à l'Institut national de santé et de recherche médicale (INSERM) la mise en uvre de cette étude exhaustive. La durée des travaux menés par le professeur Salamon sera de l'ordre de 2 ans, pour un coût évalué à 6 MF financé par le ministère de la Défense.
La deuxième étude recommandée par le groupe d'experts portera sur les causes de décès des anciens militaires français déployés dans le Golfe. Elle sera menée en coopération, par l'Institut de veille sanitaire et le service de Santé des armées. Son champ sera étendu aux anciens combattants français des Balkans.
D'autre part, pour améliorer la connaissance scientifique de certaines pathologies liées au combat, les recherches en amont seront poursuivies. En particulier, la recherche sur les interactions entre " stress et vaccination " sera renforcée. Enfin, j'ai décidé d'entamer l'étude d'un observatoire de santé des militaires et des anciens militaires pour améliorer la détection des risques sanitaires à terme des conflits modernes. Le but est de permettre aux combattants soumis à des risques sanitaires d'avoir un suivi épidémiologique renforcé, ainsi qu'une prise en charge adaptée, y compris après leur retour à la vie civile.
Ces études sur les conséquences sanitaires de la guerre du Golfe ne dispensent pas de la plus grande vigilance sur l'environnement des militaires dans d'autres opérations. Ainsi actuellement, la surveillance des personnels exposés au plomb à Mitrovica se poursuit. Pour améliorer le suivi sanitaire, les différentes composantes de nos forces armées cherchent à développer la qualité de l'observation durable des personnels et leur information. Enfin, j'ai invité les différents services du Ministère à faire preuve de la plus grande transparence en face des interrogations concernant les suites médicales pouvant toucher les soldats ayant servi dans les Balkans.
Pour conclure, je souhaiterais revenir en quelques mots sur la question de l'uranium appauvri. La France, à la différence des Etats-Unis, n'a jamais utilisé en opération de munitions incorporant de l'uranium appauvri, que ce soit dans le Golfe ou dans les Balkans. Il est en revanche probable que des militaires français aient été amenés à se trouver à proximité de carcasses de chars détruits par les forces américaines avec ces munitions. Cependant, l'uranium appauvri ne présente pas plus de risque radiologique que le minerai d'uranium ou d'autres éléments à l'état naturel, et sa toxicologie est comparable à celle des métaux lourds comme le plomb, qui rentrent dans la composition de nombreuses autres munitions. Cinquante années d'expériences industrielles de l'utilisation de ce matériau n'ont mis en évidence aucune pathologie.
Ce matériau est employé parce qu'il est d'une très forte densité. Il est donc d'une très faible volatilité et ne présente donc pas de fortes possibilités d'inhalation. Les risques chimiques sont donc limités.
Je tiens à rappeler que le développement de la fabrication d'obus contenant de l'uranium appauvri a été mené par la DGA conformément aux règles réglementaires concernant les programmes d'armement. L'uranium appauvri ne constitue pas une substance prohibée au regard de la législation nationale et internationale.
Le processus de développement de cette munition a été marqué par la plus grande transparence puisque la représentation nationale a été tenue régulièrement informée via la Commission de la Défense de l'Assemblée Nationale.
Depuis juin 1999, des investigations poussées ont été menées pour rechercher l'existence de nuisances potentielles vis à vis des soldats qui les manipulent ou seraient amenés au cours des opérations à se situer à proximité de chars détruits par des obus contenant de l'uranium appauvri. De plus, la France participe, notamment au sein de l'Alliance Atlantique, aux recherches et aux échanges d'informations organisés au plan international pour déterminer le risque réel lié à l'utilisation de l'uranium appauvri. Les mesures effectuées ou en cours de réalisation dans les Balkans montrent la difficulté de trouver des traces de contamination susceptible de présenter un impact sur la santé ou l'environnement.
Néanmoins, il convient de rester vigilant. Je tiendrai toujours à votre disposition l'intégralité des données sur ce sujet dont nous aurons connaissance.

(source http://www.defense.gouv.fr, le 11 mai 2001)