Déclaration de M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur, sur la politique de sécurité, le bilan des contrats locaux de sécurité et sur la polémique concernant les statistiques de la délinquance, Paris le 25 juin 2001.

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Circonstance : Rencontre nationale des contrats locaux de sécurité à Paris le 25 juin 2001

Texte intégral

Mesdames et messieurs,
C'est un grand plaisir pour moi d'ouvrir aujourd'hui cette rencontre nationale des contrats locaux de sécurité, quatre ans après le colloque de Villepinte qui a fixé la doctrine du Gouvernement en matière de sécurité, et en présence de tant d'acteurs des contrats locaux de sécurité, élus, préfets ou sous-préfets, magistrats, policiers, gendarmes, responsables d'associations, enseignants.
Par une heureuse coïncidence de date, cette rencontre intervient la veille du jour où le projet de loi relatif à la sécurité quotidienne revient en seconde lecture devant l'Assemblée Nationale. Et ce projet de loi consacre le principe et la méthode de la coproduction de sécurité.
Le principe d'abord : la sécurité est l'affaire de tous, elle implique une mobilisation de l'ensemble de la société, elle ne peut être le seul fait de la police ou de la justice qui doivent, bien entendu, travailler ensemble, mais dans le cadre d'un partenariat associant l'ensemble des acteurs concernés.
La méthode ensuite : le contrat local de sécurité devient le cadre de référence de cette coproduction, c'est-à-dire un cadre contractuel, résultant de la volonté des divers acteurs engagés dans cette démarche, qui conjuguent leurs efforts et se fixent des obligations mutuelles.
C'est donc la consécration législative d'une politique qui a privilégié une approche globale et partenariale des questions de sécurité, et a fait de la proximité son axe d'intervention principal, parce que c'est au niveau local, au plus près du terrain, que se nouent les partenariats et que s'élaborent les solutions.
Parce que l'insécurité est une injustice sociale qui fragilise le pacte républicain, elle appelle une réponse collective, je dirais même une réponse citoyenne.
L'Etat est bien le garant de ce pacte et le premier responsable de la sécurité, mais il ne peut assurer seul sa mise en uvre, qui implique également les élus, les bailleurs sociaux, les transporteurs publics, les associations uvrant dans le domaine social et l'ensemble des acteurs éducatifs, y compris les parents.
C'est cela que j'appelle de mes vux, c'est cela que nous avons commencé, ensemble, à construire et que je nomme une vision citoyenne de la sécurité, quand chacun devient acteur, producteur de sécurité, et non consommateur passif d'une sûreté qui lui serait apportée par d'autres.
Le contrat local de sécurité est le cadre de ce partenariat. Il a permis de faire travailler ensemble des partenaires qui trop souvent s'ignoraient. Certes, les clivages institutionnels subsistent, mais une culture commune de la sécurité prend corps.
Le principe des contrats locaux de sécurité est désormais reconnu par la loi, il prend sa place dans l'édifice juridique, et bénéficie de moyens nouveaux. En effet, le conseil de sécurité intérieure du 30 janvier 2001 a décidé la mobilisation de moyens budgétaires importants, 340 millions de francs, qui permettront d'accompagner la mise en uvre d'actions partenariales, et le recrutement de 4 000 emplois d'adultes-relais qui viendront conforter les fonctions de médiation sociale.
C'est ce même conseil de sécurité intérieure qui a décidé de l'organisation de rencontres interrégionales et de la rencontre nationale qui nous réunit aujourd'hui, parce qu'il était nécessaire, après plus de trois ans d'expérience, d'identifier les réussites, de recenser les difficultés et de définir les progrès qui sont à accomplir.
Cinq rencontres ont d'ores et déjà eu lieu, à Lyon, à Bordeaux, à Marseille, à Lille et Nantes. Elles ont permis d'approfondir des thématiques essentielles : contrats locaux de sécurité et délinquance des mineurs, contrats locaux de sécurité et proximité, contrats locaux de sécurité et territoires, contrats thématiques, évaluation et suivi des contrats locaux de sécurité.
Ces rencontres ont attesté du succès des contrats locaux de sécurité.
Succès quantitatif, puisque 550 contrats sont signés à ce jour et 200 en cours de signature. 75 % des 30 millions d'habitants résidant en zone police sont désormais couverts par un contrat local de sécurité, 88 % le seront bientôt.
Succès qualitatif aussi, par la diversité des thématiques abordées, les transports, bien sûr, mais aussi les espaces commerciaux, pour ne citer que quelques exemples.
Succès qualitatif également, par le développement des partenariats avec de nouveaux acteurs de la sécurité.
Succès qualitatif enfin, car les contrats locaux de sécurité ont amélioré le service rendu au public et la prise en compte des victimes.
Les rencontres interrégionales ont été l'occasion de dresser un bilan positif des contrats locaux de sécurité.
Les échanges entre les acteurs ont montré la pertinence du contrat local de sécurité, outil privilégié d'un partenariat conçu et développé sur le terrain, dans le respect des compétences de chacun, fondé sur la complémentarité des efforts engagés.
Je retiendrai aujourd'hui trois éléments essentiels qui me paraissent ressortir de ce bilan.
Premier élément de bilan : un partenariat bien compris passe par le respect des compétences de chacun.
Au cur de la coproduction de sécurité se trouvent, bien entendu, les maires. Par leur compétence de police, mais également leur action en matière d'amélioration du cadre de vie ou de soutien aux associations, ils ont les moyens d'agir directement ou indirectement sur la délinquance et l'insécurité. Il est donc nécessaire de mieux les associer à la lutte contre la délinquance et l'insécurité, en les informant systématiquement sur les objectifs poursuivis, les résultats obtenus, en recueillant leurs attentes ou en engageant des actions communes.
C'est l'objet de ma circulaire du 3 mai 2001, diffusée aux préfets, qui organise ces échanges.
C'est aussi l'objet de l'une des dispositions du projet de loi relatif à la sécurité quotidienne, qui associe les maires, au-delà de leur rôle en matière de prévention, à l'ensemble des actions de lutte contre la délinquance et l'insécurité.
Le contrat local de sécurité doit être l'instance privilégiée pour systématiser ces échanges. Pour autant, cette meilleure association doit s'effectuer dans le respect des compétences des uns et des autres. Il n'est pas question d'envisager une quelconque municipalisation de la police qui placerait celle-ci sous l'autorité du maire, car ce serait une disposition non seulement inefficace mais dangereuse.
Inefficace parce que la délinquance ne s'arrête pas aux frontières administratives des communes. Dangereuse car l'insécurité est une injustice sociale qui affecte souvent les communes les plus pauvres. L'Etat n'assumerait plus alors son rôle de cohésion sociale, son rôle de garant du pacte républicain.
A cette fausse solution, je préfère une police plus polyvalente, plus proche des citoyens, plus efficace parce qu'elle allie toutes les facettes de la prévention, de la dissuasion et de la répression, et qu'elle a fait du partenariat des contrats locaux de sécurité son principal mode d'intervention.
Je préfère aussi la coordination organisée, concertée, institutionnalisée, respectueuse de chaque partenaire, entre police nationale et police municipale, dont les 1 332 conventions de coordination conclues depuis 1999 sont la meilleure illustration. Nombre de ces conventions ont d'ailleurs été insérées dans les contrats locaux de sécurité.
Deuxième élément de bilan : les contrats locaux de sécurité sont un cadre efficace d'observation et d'échange d'informations.
L'établissement d'un diagnostic de sécurité permet d'approfondir la connaissance de la délinquance, d'évaluer l'importance du sentiment d'insécurité et de mieux appréhender la demande sociale en matière de sécurité. Il ne se limite pas aux seules statistiques de la police et de la gendarmerie. Chacun doit pouvoir apporter sa contribution, ses informations chiffrées et ses appréciations, dans le cadre d'un diagnostic élargi, partagé et vivant.
Tel est le sens des instructions données par ma circulaire du 16 octobre 2000, qui incite à la création de structures partenariales d'observation et de suivi : observatoires locaux, cellules de veille, comités de suivi.
C'est d'autant plus nécessaire qu'il y a une demande croissante de transparence sur les chiffres de la délinquance, au niveau national comme au niveau local.
Il est certain que les statistiques officielles n'ont pas pour vocation de présenter une approche complète de l'insécurité. Ils additionnent les faits suivis de plaintes et les infractions dont le constat est directement lié à l'activité des services, sans concordance d'ailleurs entre les chiffres de la justice et ceux de la police. Les catégories recensées ne permettent pas toujours d'identifier l'apparition de nouvelles formes de délinquance.
Nous devons donc sortir du débat annuel sur les statistiques de la délinquance et répondre à l'exigence de transparence posée par nos concitoyens.
La polémique qui s'est engagée à la suite de la publication de données chiffrées, partielles, dépassées ou incertaines en a illustré une nouvelle fois la nécessité.
Cela suppose bien entendu d'identifier et de réduire le " chiffre noir " de la délinquance. La police de proximité y contribue déjà puisque la confiance retrouvée et la possibilité de déposer plainte en tout lieu facilitent la connaissance de l'insécurité réelle.
Mais il faut également autoriser la circulation de l'information. C'est vrai au niveau statistique, c'est vrai aussi, sous certaines conditions, au niveau individuel.
Plus de transparence, c'est permettre à chacun de prendre conscience que la sécurité est l'affaire de tous, c'est permettre d'intervenir en amont des situations à risques pour éviter le pire, c'est la base de toute démarche qui se veut partenariale.
Troisième et dernier élément de bilan : les contrats locaux de sécurité sont indissociables de l'ensemble des dispositifs publics de lutte contre l'insécurité.
A l'occasion du colloque de Villepinte, l'annonce de la création, à côté des 20 000 adjoints de sécurité, de 15 000 emplois d'agents locaux de médiation, avait été l'occasion de mettre en évidence la cohérence globale de l'action gouvernementale, en croisant les objectifs de deux axes forts de cette action : lutter contre le chômage des jeunes, par la création d'activités répondant à des besoins non satisfaits ; mieux répondre à la demande sociale de sécurité, à travers les contrats locaux de sécurité.
Les emplois jeunes sont donc indissociables des contrats locaux de sécurité. Qu'ils soient adjoints de sécurité dans la police nationale ou agents locaux de médiation sociale, ils ont tous prouvé depuis presque quatre ans leur utilité.
Le Gouvernement se doit être attentif à leur situation et à leur avenir.
S'agissant des adjoints de sécurité, je veux rendre hommage à la contribution essentielle qu'ils apportent au déploiement des effectifs de police sur le terrain et au renforcement du lien entre les citoyens et la police.
Sur 24 000 jeunes recrutés depuis le lancement du programme, ils sont près de 15 000 actuellement en service, et plus d'un tiers sont des femmes. Ceux qui ont quitté le dispositif, pour 80 % d'entre eux, l'ont fait pour occuper un autre emploi, et notamment un emploi de la police nationale.
Je ne peux que me féliciter de la pérennisation de ce recrutement, qui vient d'être décidée par le gouvernement. Les adjoints de sécurité constituent une chance pour la police nationale.
Comme ministre de l'intérieur, je poursuivrai les efforts déjà réalisés pour leur insertion, soit dans la police nationale, avec l'instauration d'un deuxième concours, soit dans les métiers de la sécurité, au travers d'accords-cadres comme ceux qui sont conclus depuis quelques mois avec les professions et les conseils régionaux.
Il était aussi nécessaire de renforcer leurs moyens d'agir dans le cadre de la police de proximité. Aussi le projet de loi relatif à la sécurité quotidienne prévoit-il de donner aux adjoints de sécurité la qualification d'agent de police judiciaire adjoint.
Contrats locaux et police de proximité sont, eux aussi, indissociables. Ils reposent sur une même logique de partenariat et de proximité, pour apporter des réponses globales à la délinquance.
L'expérimentation dans les 63 premiers sites de police de proximité a bien montré la nécessité pour la police de mettre en cohérence son action avec le diagnostic et les objectifs des partenaires locaux, fixés dans les contrats locaux de sécurité, qui constituent le cadre dans lequel la police de proximité trouve sa pleine efficacité. Les chefs de secteur ont été sensibilisés à cette nécessité.
Pour réussir cette réforme de la police de proximité, il faut bien sûr des moyens supplémentaires. Je les ai obtenus dans le budget 2001, dans la loi de finance rectificative pour 2000, et lors du dernier conseil de sécurité intérieure. C'est un effort sans précédent en effectifs, en moyens de fonctionnement et d'équipement qui est fourni pour la police de proximité. Cet effort devra bien sûr être poursuivi en 2002.
Finalement, que nous disent les acteurs locaux ?
Ils nous disent que la pertinence du contrat local de sécurité résulte de son caractère concret et pragmatique. Ce n'est pas un dispositif plaqué ou imposé, mais une démarche de terrain qui part de la demande locale pour en tirer des enseignements et des pistes d'action.
Permettez-moi pour finir d'évoquer quelques unes de ces pistes, directement inspirées par les rencontres interrégionales, qui ont été riches en interrogations comme en enseignements.
Il faut d'abord - et la rencontre de Lyon a révélé la diversité et la richesse des réponses locales - renforcer l'efficacité de la lutte contre la délinquance des mineurs.
Aucune société ne peut accepter de voir sa jeunesse entrer dans l'engrenage de la violence.
Multiplions les actions qui sur le terrain ont fait leurs preuves, plutôt que de vouloir remettre en cause, de façon démagogique, la primauté de la réponse éducative, principe posé par les textes applicables aux mineurs.
S'il y a des obstacles, levons-les ensemble, n'hésitons pas à explorer de nouvelles voies. Cette rencontre doit nous y aider.
Les contrats locaux de sécurité peuvent s'ouvrir à de nouveaux champs, à de nouveaux secteurs d'activité. Mon ministère a d'ores et déjà conclu des conventions avec les représentants des bailleurs sociaux, de la Poste, des chambres de commerce et d'industrie, ou encore les principaux transporteurs publics.
Explorons de nouveaux champs de contractualisation mais interrogeons-nous aussi sur l'articulation de ces approches thématiques avec la nécessaire transversalité d'une démarche efficace pour la sécurité.
Nous devons enfin tirer toutes les conséquences du principe de proximité. Je l'ai déjà dit, contrats locaux de sécurité et police de proximité procèdent d'une même logique : replacer le citoyen au cur du dispositif et apporter une réponse globale, durable et locale à l'insécurité.
Or, le constat des acteurs des contrats locaux de sécurité est celui trop souvent de l'oubli des habitants. Pour reprendre une expression citée à Bordeaux, je dirais qu'ils sont des " experts " des questions de sécurité : ils ressentent les attentes, subissent les difficultés. Il faut donc les associer, du diagnostic, à l'élaboration et les impliquer en tant qu'acteurs. Les exemples ne manquent pas qui sont autant de pistes à suivre.
Donnons maintenant toute sa dimension à cette ambition. Donnons des outils juridiques à la participation des habitants. C'est, entre autres, l'objectif poursuivi par le projet de loi démocratie de proximité, qui instaure des conseils de quartiers.
En 1997, nous avons inventé un nouveau concept, la coproduction de sécurité, et un outil, le contrat local de sécurité, qui est la traduction d'une volonté de vivre ensemble, en citoyens libres, dans des villes sûres.
Après plus de trois ans, le partenariat en matière de sécurité reste une idée neuve, et le contrat local, qui en est la formalisation, un outil pertinent.
Je remercie l'ensemble des participants de leur présence, et avant de donner la parole à Marylise LEBRANCHU, je voudrais tout particulièrement la remercier pour la qualité du travail commun effectué par nos deux ministères. Certains, je le sais, s'étonnent de ces bonnes relations qui se prêtent moins que des querelles publiques à des exploitations médiatiques. Mais je continuerai de les décevoir. Nous avons décidé de réunir ensemble, à Paris, en septembre, préfets et procureurs, parce que nous sommes l'un et l'autre convaincus que la police ne peut agir sans la justice, ni la justice sans la police, et que le partenariat pour une meilleure sécurité ne peut réussir sans leur engagement commun.
Je ne crois pas me tromper en disant que ce message, nous l'avons reçu des acteurs de terrain, qui ont su nous dire qu'hors du partenariat il n'y a pas de salut.
Longue vie, donc, aux contrats locaux de sécurité, qui sont l'expression de ce partenariat.

(Source http://www.interieur.gouv.fr, le 27 juin 2001)