Conférence de presse de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur le débat sur l'OTAN, notamment les relations de l'OTAN avec l'Union européenne et la Russie, le dialogue euro-américain et la défense européenne, le retour de la France dans l'OTAN et l'Afghanistan, Bruxelles le 5 mars 2009.

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Circonstance : Réunion informelle des ministres des affaires étrangères de l'OTAN à Bruxelles le 5 mars 2009

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Nos débats de ce jour ont été vifs, longs et intéressants. Nous avons tous témoigné dans le cadre de ce débat profond et exigeant, de notre attachement à la liberté d'expression dans cette enceinte et de la volonté d'y convaincre ; qu'il s'agisse de la préparation du sommet à Strasbourg-Kehl, dans un mois, que de la discussion sur l'Afghanistan ou surtout des relations avec la Russie, c'est un succès à porter au crédit du Secrétaire général.
A propos de la Russie, nous avons accepté de renouer les relations mais il faut aussi lui faire savoir notre désapprobation à propos des conséquences de la crise en Géorgie, de la position russe sur l'Ossétie et l'Abkhazie, de la perspective d'une base russe qui serait établie dans ces deux régions reconnues par la Russie seule comme des pays indépendants. La discussion a été un modèle de dialogue parce qu'il fallait obtenir l'unanimité comme c'est la règle à l'OTAN. Si l'ensemble des Etats à l'exception d'un seul étaient d'accord, eh bien, il fallait convaincre le dernier. C'est ce que nous avons fait.
La prochaine conférence au sommet sera à Strasbourg-Kehl. Ce sera très symbolique parce que la France et l'Allemagne organisent ce sommet.
Bien entendu, une préparation est nécessaire. Il y a un document sur la stratégie et sur le début d'une réflexion qui se poursuivra à partir de la rencontre de Strasbourg-Kehl. Qu'est-ce que c'est que l'OTAN ? A quoi cela sert-il ? Contre qui ? En faveur de quels intérêts ? Beaucoup d'hypothèses ont été avancées. Le document est très précieux. Il n'est peut-être pas assez ramassé mais il concerne l'avenir d'une organisation ancienne qui a fait ses preuves, qui a organisé la sécurité transatlantique, et qui fait face à de nouveaux défis.
Quels sont-ils ?
Tout le monde s'est entendu pour dire qu'il faut à la fois se féliciter des résultats positifs de l'Alliance la plus importante du monde. Il y a eu le Pacte de Varsovie, mais c'est fini : les temps ont changé, nous avons tourné la page. La situation est complètement différente. Aujourd'hui, contre qui nous réunissons-nous ? Est-ce que l'on évoque le terrorisme ? Est-ce que l'on doit étendre la solidarité de l'Alliance à de nouveaux horizons ? Tout cela va nous permettre de poursuivre un débat passionnant à partir de Strasbourg-Kehl et du document qui nous a été présenté et dont nous nous réjouissons qu'il soit aussi riche, même si certains pensaient que la relation, essentielle pour nous entre l'OTAN et l'Europe n'était pas assez soulignée, que les relations avec la Russie n'étaient pas, là non plus, clairement abordées avec leurs perspectives, leurs exigences, notamment la défense des valeurs démocratiques.
Sur l'Afghanistan, nous avons décidé de poursuivre nos efforts qui, à partir de Bucarest et à partir de la Conférence de Paris, sont des efforts pour les Afghans. Il faut d'abord s'intéresser, découvrir, écouter les Afghans malgré les difficultés. Il faut prendre en compte la nécessité de sécuriser les zones où nous pourrions permettre aux Afghans de prendre en charge chacun des projets - et non pas les mettre en oeuvre à leur place. Ce sera long. Ce sera difficile. C'est ce que nous voulons faire. C'est notre détermination.
Il y aura donc une réunion, la plus large possible, le 31 mars, avant le Sommet. Nous y inviterons le plus de représentants possibles d'Etats et de la société civile. Cela avait été fait à la Conférence de Paris, je vous le rappelle, en décembre dernier. On avait organisé avec les ONG afghanes, avec les ONG qui travaillent en Afghanistan, une pré-conférence quinze jours avant. Ils se sont exprimés le matin même de la conférence. C'est cela qu'il faut continuer de faire. En aurons-nous le temps dans ce délai extrêmement court ? Je l'espère, sinon nous recommencerons. Il faut entendre les Afghans, pas nous entendre sur les Afghans ou parler en leur nom.
Il faut également que les voisins de l'Afghanistan soient là. Non seulement les pays directement voisins, mais aussi ceux qui sont concernés sans être directement voisins. Je pense à l'Inde bien entendu. Nous l'avons fait à Paris. Ce fut une conférence très intéressante. Il faut poursuivre nos efforts dans ce sens. L'Iran, au dernier moment, n'a pas voulu participer à cette conférence qui a duré tout un week-end à Paris. J'espère qu'il sera là cette fois-ci.
Lorsque l'on parle maintenant d'élargir le cercle, cela veut dire que quand on dit Afghanistan, on dit Pakistan ; quand on dit Pakistan on dit Afghanistan.
Bien sûr, les influences sont évidentes mais une fois que l'on a dit cela, il faut convaincre et il faut être efficace. C'est un défi important.
Après nous être donc consacrés très clairement à la lutte contre le terrorisme ainsi qu'à l'approche des populations afghanes, nous avons parlé du fait que la question doit être traitée vallée par vallée, village par village, dans chaque région. Il faut donc peut-être prendre des modèles, s'appuyer sur les responsables et leur donner les moyens de faire, de mettre en oeuvre ou de proposer les projets eux-mêmes. Il n'y a pas d'autres solutions à mon avis. Je crois que cet avis a été partagé par tous ceux qui connaissent l'Afghanistan.
78 % des Afghans n'ont pas accès à l'eau et vivent dans un des pays les plus pauvres du monde. Nous ne baisserons donc pas les bras. Nous sommes conscients que la solution ne peut pas être que militaire. Nous allons poursuivre nos efforts pour permettre à nos amis afghans de choisir plus librement encore leur destin. Même si nous ne les avons pas tous convaincus, il faut leur permettre de choisir de soutenir ou non le gouvernement dans un cadre démocratique, sans se mettre en danger.
A propos du gouvernement, nous avons parlé des élections - deuxième décision de la commission électorale -, qui se dérouleront en août. La question se pose de la légitimité du pouvoir après la fin du mandat du président Karzai le 21 mai jusqu'à la date des élections. Nous étions tous d'accord sur le fait qu'il faut que les Afghans règlent cette question. Nous aurons au mois d'août fourni un renfort pour l'administration et pour la sécurité qui permettront à ces élections de se tenir.
Dernier point, il y a eu une vive discussion sur la reprise des pourparlers, même au niveau ministériel, avec la Russie. Cela a entraîné ce débat très long qui s'est achevé sur un texte que nous avons maintenant. Le Secrétaire général a annoncé, à partir de ce texte, la reprise formelle des relations avec la Russie, au niveau ministériel, aussitôt que possible après le sommet de Strasbourg-Kehl et avant l'été.
Q - Une question concernant la première visite d'Hillary Clinton ici à l'OTAN. A la lumière de ce qu'elle a déjà annoncé, est-ce que vous estimez que la nouvelle administration américaine répond par ses engagements, ses annonces, ses décisions aux demandes de multilatéralisme qui avaient déjà été exprimées par la Présidence française très tôt, à l'automne 2008, avant même que Barack Obama prenne ses responsabilités ? Est-ce que vous pensez déjà que l'Administration américaine montre des signes de rapprochement et de volonté de dialogue avec l'Union européenne ?
R - Trois fois oui. Elle montre des signes et fourni des preuves. Hillary Clinton a participé à une discussion à l'OTAN qui autorise toutes les réflexions et les réformes que nous allons entamer. Pour elle, cela a bien commencé en termes de discussions libres et de réception positive des messages de chacun. Mais nous n'avions pas attendu cette réunion pour nous entretenir avec Mme Clinton car une partie des participants à cette réunion se trouvait au Moyen-Orient avec elle, il y a quelques jours, à Charm el-Cheikh. Nous avons vu qu'elle est tout à fait disposée à parler avec tout le monde. Elle a montré, au cours de sa visite à Jérusalem et à Ramallah, une ouverture, une conviction et une détermination qui n'étaient pas exactement identique à celles dont témoignait l'ancienne Administration américaine. Ce qu'elle a dit, par exemple, de la colonisation et de la nécessité de soutenir l'Autorité palestinienne, est très fort. Pour autant, est-ce que cela va se traduire dans les faits ? Pour le moment, le blocus de Gaza n'est pas levé. On verra avec la formation du gouvernement israélien. Je réponds donc positivement à votre question.
Nous avons bien sûr parlé, entre autres choses, de l'Iran bien que cela ne soit pas le sujet. Mme Clinton témoigne d'une volonté de parler à ses alliés, et pas seulement à ses alliés - elle a envoyé des signes vis-à-vis de la Syrie. Elle va envoyer des émissaires qui témoignent de cette ouverture. Je viens d'évoquer ces quelques sujets mais il y en a bien d'autres.
Sur la Russie, c'est très clair, elle était tout à fait en faveur d'un dialogue. Demain, elle rencontrera M. Lavrov à Genève. Elle était tout à fait en faveur d'un dialogue avec la Russie aussi bien à propos de l'Iran qu'à propos de ce qui s'est passé en Géorgie. Le dialogue est nécessaire. Voilà sa position et c'est aussi la nôtre.
Q - Monsieur Kouchner, est-ce que vous pourriez nous en dire plus sur les débats qui ont eu lieu à propos de la Russie ? Est-ce qu'il était question du bouclier anti-missile par exemple dans les discussions et des négociations a posteriori avec l'Iran ?
Vous dites que tous les Afghans sont nos amis. Doit-on travailler avec tous les responsables locaux ? Est-ce qu'éventuellement, s'il s'agit de coopérer ou de négocier avec des responsables locaux afghans proches des Taliban ou Taliban, l'OTAN est disposée à le faire?
R - Nous n'avons pas parlé de cela. Vous savez que des conversations sont en cours, particulièrement en Arabie saoudite, et qu'il est évident que nous ne pouvons pas refuser de dialoguer, en ayant bien soin de dire que nous ne parlons pas des partisans du Jihad mondial, aux partisans de ceux qui veulent mettre la planète à feu et à sang au nom d'une mauvaise interprétation d'une religion. Parler aux Afghans, cela veut dire parler à tous les Afghans. Je n'ai pas participé à la guerre - j'étais médecin - mais je connais bien l'histoire de l'Afghanistan et son occupation par les soviétiques. Il faut retrouver les traces, le chemin de l'unité en Afghanistan.
Pour cela, il faut bien sûr dialoguer. Vous savez que nous avons nommé Pierre Lellouche Représentant spécial de la France pour l'Afghanistan et le Pakistan. Il va d'abord s'entretenir avec son homologue anglais, son homologue allemand et, dans quelques temps, avec Richard Holbrooke, son homologue américain.
Nous avons une démarche interministérielle pour qu'ensemble, pas seulement le ministère des Affaires étrangères, nous puissions avancer. Nous souhaitons former la police afghane. Il y a aussi un projet avec la gendarmerie. Il faudrait aussi les payer différemment eux qui reçoivent une solde trois fois inférieure à celle des Talibans...
Nous attendons aussi les résultats de ce que Mme Clinton appelle la "review", que des experts soient disposés à lui présenter un rapport très clair.
Q - A propos de la Cour pénale internationale, l'Organisation africaine a demandé ce matin, tout comme certains pays, la suspension du mandat d'arrêt en se référant à l'article 16 du statut de la Cour. Je voudrais connaître votre position aujourd'hui, maintenant que les juges ont statué, en tout cas, ont donné le feu vert pour le mandat d'arrêt ? Est-ce que vous êtes pour ou contre cette suspension ? M. Al-Bachir doit-il être, selon vous, arrêté où qu'il se trouve et où qu'il se rende ?
R - La position de la France n'a pas changé, elle a toujours été la même. Nous n'y pouvons absolument rien et nous ne le souhaitons d'ailleurs pas car nous sommes à l'origine, en particulier la France, de la Cour pénale internationale. Il n'est pas question d'arrêter les mandats et c'est d'ailleurs impossible.
Ce que nous avons toujours dit, à l'occasion de nos rencontres, le président Sarkozy et moi-même, avec le président Béchir, c'est que s'il y avait un geste clair de sa part, de la part des Soudanais, pour l'arrestation de ceux qui ont déjà été sous mandat d'arrêt international - l'un d'entre eux était encore membre de son gouvernement et chargé des affaires humanitaires -, nous serions prêts, au Conseil de sécurité, à envisager le recours à l'article 16. Mais pour le moment ce n'est pas le cas, au contraire : on a expulsé les ONG. Nous prenons d'ailleurs toutes nos dispositions pour protéger nos ressortissants.
La Cour pénale internationale s'est prononcée. Le mandat a été délivré. La justice suivra son cours et nous n'avons pas changé d'avis. Nous avons fait tous les efforts concevables. Je sais que la Ligue arabe et l'Union africaine ne sont pas satisfaites de cette décision. Je rappelle que le premier jugement de la Cour pénale internationale avait été délivré à l'intérieur de l'Europe pour des responsables européens qui ont été arrêtés par la suite.
Q - Peut-on normaliser les rapports avec la Russie sans banaliser ce qu'ils font en Ossétie ?
R - C'est très difficile. Il ne faut pas oublier ce qui s'est fait en Ossétie. Nous n'avons pas reconnu, personne n'a reconnu en dehors d'un pays - le Nicaragua - l'indépendance ni de l'Abkhazie, ni de l'Ossétie, et nous ne voulons pas la reconnaître. Il faut respecter la souveraineté territoriale de la Géorgie et c'est l'objet d'ailleurs des pourparlers qui continuent de se dérouler à Genève entre les Géorgiens et les Russes. Il ne faut pas banaliser mais, en même temps, nous devons parler à nos voisins et nous avons décidé de reprendre les relations avec la Russie. Nous, l'OTAN, avons décidé cela aujourd'hui.
Q - Vous avez connu Hillary Clinton quand elle était "First Lady" comment la trouvez-vous en Secrétaire d'Etat ?
R - Elle maîtrise très bien ses dossiers y compris les plus lourds. Elle a beaucoup travaillé et il y a encore d'autres dossiers qu'il faudra affronter ensemble. Elle a participé aux débats avec intensité, avec une démarche et un intérêt particuliers pour les personnes, aussi bien en ce qui concerne le Moyen-Orient que la Russie. Elle a été très active et elle a été l'objet bien entendu de toutes les sollicitations. Cela a été une très belle séance, un peu rude peut-être pour une initiation - je parle de l'OTAN bien entendu, parce que la discussion a été très vive et très longue. Il faut dire qu'un seul pays peut tout bloquer, c'est d'ailleurs la règle. C'est la règle du consensus.
Q - Monsieur le Ministre, sur le 60ème anniversaire de l'OTAN, Hubert Védrine déclarait il y a quelques jours en termes de gains que la défense européenne était un leurre et que nos alliés n'en voulaient pas. Que gagne la France dans le retour dans le commandement militaire intégré de l'OTAN ?
R - Tout d'abord, il faut dire à Hubert Védrine qu'il se trompe. La défense européenne existe. Il y a l'opération contre la piraterie qui a déjà été menée, sous le commandement d'un amiral britannique. Il y a aussi, puisque nous parlions du Tchad et du Soudan, cette opération qui va se terminer, la plus grande opération terrestre menée jusqu'ici par la défense européenne. Nous avons fait d'énormes progrès et je crois qu'Hubert Védrine se trompe. D'ailleurs, aujourd'hui, nous avons à nouveau réaffirmé l'excellence et l'avenir des relations de l'OTAN avec l'Union européenne. Je vous rappelle qu'il y a 25 pays de l'Union européenne qui participent à cet effort en Afghanistan. Il faut qu'il y ait un pilier européen à l'OTAN. Il faut qu'il y ait dans l'OTAN une considération européenne, qui a été maintenant acceptée - c'est cela la différence - et même soutenue par les Américains, aussi bien par l'administration Bush, que maintenant par le président Obama. Le seul petit point qui fait défaut, c'est que l'on n'a pas un centre de commandement, on a juste un secrétariat à Bruxelles. Il faudra poursuivre les discussions pour qu'il y ait une Direction de la sécurité européenne.
Q - Lionel Jospin estime qu'on banalise notre posture et qu'on rentre dans le rang. Monsieur le Ministre, est-ce qu'on rentre dans le rang ?
R - Nous ne rentrons pas dans le rang, nous ne sommes pas des suivistes, nous l'avons démontré aujourd'hui. Je vous rappelle qu'un seul pays peut arrêter le processus de décision, ce que d'ailleurs l'Allemagne avait fait au moment de la guerre d'Irak. La règle à l'OTAN est le consensus, je le rappelle.
Vous savez, au Kosovo, il y avait 45.000 soldats de l'OTAN. Nous ne savions pas quel était le scénario et nous, la France, nous avons participé à toutes les opérations y compris aériennes sans savoir où cela nous menait. Eh bien, il faut savoir où cela nous mène et ce sera désormais le cas. Voilà ce que, j'en suis sûr, nous y gagnons : de la clarté, de l'influence et un renforcement de l'Union européenne.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 mars 2009