Interview de Mme Rachida Dati, ministre de la justice, à Europe 1 le 9 mars 2009, sur sa candidature aux élections européennes, le bilan de ses réformes au Ministère de la justice, son image dans l'opinion et ses relations avec le Président de la République.

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Média : Europe 1

Texte intégral

M.-O. Fogiel.- Merci d'être là R. Dati.
 
Bonjour.
 
Ce week-end, vous sortez donc de votre silence. Est-ce qu'il fallait contre-attaquer, passer à l'offensive, votre image était tellement écornée ?
 
Ce n'est pas un problème d'image, c'est qu'il y a un temps pour tout. Je pense que j'ai... lorsque j'ai pris mes fonctions, j'ai expliqué, j'ai expliqué chacune des réformes que j'ai pu porter. Et il y a eu des réformes... parce que la justice, c'est un sujet extrêmement sensible et je voulais que la justice soit plus moderne. Les Français attendent beaucoup plus de justice...
 
Mais entre-temps, on vous a beaucoup vue dans les pages des magazines, notamment pipoles et vous n'avez rien fait pour ne pas y être. Est-ce qu'aujourd'hui, vous voulez vous repositionner médiatiquement ?
 
Je pense qu'encore une fois, il y a un temps pour tout, il y a un temps pour expliquer les réformes qu'on mène et qui correspondent aux attentes des Français. N. Sarkozy a eu un mandat clair sur la réforme de la justice. Ensuite, j'avais beaucoup de travail, comme vous avez pu le remarquer, puisqu'il y a eu près de 30 réformes qui ont été menées en 2 ans. Et puis aujourd'hui évidemment, je dois rendre compte, je dois rendre compte du bilan, des résultats de ces réformes...
 
Et vous venez...
 
Et puis peut-être aussi faire quelques mises au point...
 
Les mises au point, on va les faire ce matin. Vous venez également de tourner la page puisque vous vous lancez dans les européennes. Vous avez entendu certainement tout à l'heure le reportage de K. Rissouli, est-ce que c'est un peu la méthode Coué ? Vous dites : je veux y aller, je veux y aller, je veux y aller alors que tous les observateurs disent « elle ne voulait absolument pas lâcher son poste » ?
 
Alors tous les observateurs c'est comme tous les commentateurs, c'est-à-dire que c'est assez curieux parce que quand les journalistes vous posent des questions -c'est pour ça d'ailleurs que j'en voyais de moins en moins - c'est qu'on vous dit : non, on sait que ce que vous dites n'est pas vrai. Donc au bout d'un moment, vous ne perdez plus de temps à vouloir répondre à des questions...
 
Même vos collègues au Gouvernement, quand ils parlent eux, ils disent : « elle s'accroche à son poste, elle ne voulait pas lâcher ».
 
Mais comme... peut-être s'y projettent-ils, moi je ne me suis jamais exprimée sur ce sujet...
 
Donc vous êtes contente de partir ?
 
Je suis contente d'avoir une autre mission politique, c'est-à-dire que je change de responsabilité, je ne change pas d'engagement politique...
 
Ce n'est pas N. Sarkozy qui vous a imposé ça ?
 
N. Sarkozy vous savez, il ne m'a jamais rien imposé. Je suis extrêmement libre et mon parcours en témoigne. Je ne suis pas une création au sens ex nihilo du président de la République, j'ai eu...
 
En même temps, c'est lui qui vous a faite comme c'est lui qui peut vous défaire !
 
Bien sûr, c'est lui qui m'a nommée garde des Sceaux, c'est lui qui a été élu par les Français et c'est lui qui m'a nommée garde des Sceaux...
 
Donc vous avez le choix de partir et c'est vous qui prenez cette décision-là ?
 
J'ai le choix de continuer mon engagement politique et j'ai envie de continuer mon engagement politique...
 
Donc rien à voir avec la mésaventure de R. Yade qui, elle, aurait déplu au président de la République et vous ne voulez pas déplaire à votre tour ?
 
C'est curieux que vous ne vouliez pas que je finisse mes phrases...
 
Si, si mais si elles sont courtes, tout va bien.
 
Mais elles sont très courtes. Je dis simplement qu'il y avait des réformes à mener et le ministère de la Justice avait besoin de réformes, les Français attendaient des réformes. Malheureusement, dans ce ministère qui est confronté aux drames au quotidien, il était nécessaire qu'il y ait plus de sécurité. L'actualité nous donne raison tous les jours...
 
On va y venir dans un instant, R. Dati...
 
Oui mais...
 
Sur les européennes, donc vous partez en ...
 
Non mais attendez...
 
Vous partez en étant contente d'y aller ?
 
Vous savez, quand vous avez terminé la mission, j'ai le sentiment que la mission est accomplie, le président de la République m'a fait confiance en me confiant ce ministère. Aujourd'hui, il me fait confiance en voulant poursuivre ce combat politique au service de l'Europe, encore une fois dans la droite ligne du bilan de la présidence française de l'Union européenne.
 
Vous partez quand ?
 
La première lecture de la loi pénitentiaire, qui est une grande loi à laquelle je suis très attachée et que je suis très fière d'avoir portée, il y a eu la première lecture au Sénat vendredi dernier qui a été adoptée, la première lecture à l'Assemblée...
 
Non sans mal, avec des amendements ! Mais vous partez quand R. Dati ?
 
C'est... on a du mal...
 
C'est des questions, on veut des réponses !
 
La première lecture à l'Assemblée nationale aura lieu en mai et puis ensuite, on verra, ça sera décidé entre le président de la République et moi.
 
Donc vous nous dites ce matin que vous ne savez pas quand vous partez. Est-ce que vous partez avant ou après l'élection, vous ne savez pas, vous n'attendez pas d'être élue pour partir, vous pourriez partir avant ?
 
Je peux partir une fois peut-être que le débat pénitentiaire sera terminé, mais là j'ai encore du travail.
 
Et vous souhaitez partir quand vous : avant les élections ou après ?
 
Je n'ai pas de souhait particulier, c'est le président de la République qui décide, donc on verra avec le président de la République.
 
Justement le président de la République, quels sont vos rapports aujourd'hui ? On a su que vous étiez très proches, vous êtes même partie en vacances avec lui le premier été de son mandat ; à l'époque il y avait C. Sarkozy. Est-ce que ça s'est gâté pour vous depuis qu'il y a C. Bruni-Sarkozy ?
 
Mes rapports avec le président de la République, je lui dois beaucoup, je le respecte et c'est le chef de l'Etat. Et je n'ai jamais eu de familiarité ou de proximité qui pourrait prêter...
 
De là à partir en vacances, quand même, tous les ministres ne sont pas partis en vacances avec le président de la République !
 
Mais ce n'est pas de la familiarité...
 
Non mais c'est de la proximité.
 
Et je ne m'en suis jamais prévalue d'aucune sorte. J'avais une mission à remplir, j'avais un travail à faire. Je vous fais juste constater que les réformes qu'il m'a confiées concernant la justice ont toutes été menées, sans aucun renoncement, sans aucun recul. J'ai mené ces réformes...
 
Mais quelle est la nature de vos relations aujourd'hui avec lui ?
 
Mes relations avec le président de la République... d'une nature professionnelle, je suis son Garde des Sceaux. Et puis à titre personnel, ça, ça ne regarde personne...
 
Mais il n'y a pas de disgrâce ?
 
Nous ne sommes pas dans une cour, nous sommes dans une démocratie. Le président a été élu, j'ai été nommée, j'ai un travail à faire, je l'ai fait.
 
Aujourd'hui, quels sont vos rapports avec C. Sarkozy, vous l'avez dit vous-même et elle l'a dit, vous étiez sa soeur. Aujourd'hui, quelle est la nature de vos relations ?
 
Je l'ai dit, je lui dois beaucoup, c'est une femme qui a aidé une femme. Vous avez pu constater qu'elle ne vit plus en France et puis depuis deux ans, j'ai eu une forte activité. Mais je lui dois beaucoup.
 
Dans un livre qui est sorti sur vous et qui s'appelle « Belle-Amie », on découvre une anecdote : C. Sarkozy a marié sa fille dans le 7ème arrondissement, elle attendait à ce que ce soit vous qui la mariez et finalement, ça a été un de vos adjoints. Pourquoi ?
 
Quand vous êtes maire, il y a ce qu'on appelle « le chaque adjoint », on tourne les uns après les autres pour... on a des journées de mariage, si je puis dire. Et ce jour-là, je n'étais pas là, c'était sur un week-end prolongé et je n'étais pas là, ça n'était pas mon tour. Mais il n'y a pas eu de demande particulière...
 
Ce n'était pas pour ne pas déplaire au président de la République ?
 
Non mais attendez, on n'est pas... ça n'est pas une cour, je trouve que c'est sérieux, les Français attendent de nous du sérieux, ils attendent de nous de la responsabilité et pas...
 
Mais on sait aussi que les politiques, c'est fait d'hommes et de femmes et qu'il y a des rapports...
 
Bien sûr.
 
Et que N. Sarkozy aime travailler en équipe avec des gens qui font confiance...
 
Bien sûr, avec responsabilité.
 
Est-ce que N. Sarkozy par exemple vous a demandé de ne pas aller au mariage de C. ex-Sarkozy ?
 
Le président de la République est le président de la France qui est la 5ème puissance mondiale. Je crois qu'il a d'autres types de responsabilité, et en particulier en ce moment, il a d'autres préoccupations, notamment de protéger les Français au quotidien.
 
Vous sur votre image R. Dati, puisque vous êtes là aussi pour la corriger, vous en pensez quoi de cette image ? Vous l'avez entendu tout à l'heure très gentiment, vite fait par N. Canteloup, d'autres s'en amusent avec beaucoup plus de méchanceté, sur cette image "paillettes". Est-ce que vous avez l'impression d'avoir donné le bâton pour vous faire battre ?
 
Quand vous vous engagez dans la vie politique, c'est vrai que moi j'ai longtemps hésité avant de le faire, je l'ai fait pour N. Sarkozy parce que le discours et ce qu'il faisait, vraiment, tout cela m'a intéressé, donc je me suis engagée en politique. En s'engageant en politique, vous devenez un peu plus exposé, en devenant garde des Sceaux et, avant, porte-parole, j'ai accepté cette exposition et j'ai accepté également les critiques. Et je dis les critiques, aussi bien de l'opposition, des médias mais également de ses pairs qui peuvent parfois paraître un peu plus surprenants, donc il faut accepter ces critiques...
 
Mais est-ce que vous avez fait des erreurs ?
 
Mais bien sûr qu'on fait des erreurs, vous savez je suis devenue garde des Sceaux assez rapidement, enfin...
 
Quelle erreur principale vous avez faite ?
 
Moi je pense que les réformes que j'ai menées, je les ai menées rapidement et je n'avais qu'un souci : c'est d'alléger les souffrances des Français, notamment en terme de sécurité, qu'il y ait plus de respect des victimes parce que je ne pouvais pas me contenter de certaines décisions... Si vous prenez l'affaire Emile Louis, quand on voit que pendant 29 ans, les victimes ont attendu une réparation, je ne pouvais pas accepter que la justice dise : non, circulez, il n'y a rien à voir...
 
Et en terme d'image, quelle erreur vous avez faite ?
 
Mais en terme d'image, au bout d'un moment ça vous échappe. Moi je ne me reconnaissais plus, ni dans les photos qui pouvaient paraître ni même dans les commentaires. Mais ça n'est pas de votre plein gré, au bout d'un moment tout ça vous échappe, mais il faut l'accepter, je ne m'en plains pas, je l'ai accepté...
 
Et sur le buz médiatique autour du père de votre enfant, R. Dati, le fait de ne pas donner le nom du père de votre enfant, qu'on ne vous demande pas évidemment ce matin, est-ce que vous ne participez pas à ce buz médiatique ? Vous créez un mystère autour de vous, vous créez comme ça une sorte de curiosité, une curiosité qui vous a profitée avant de vous desservir ?
 
Ma vie privée, je ne l'ai jamais exposée, jamais, jamais. Depuis que je suis dans la vie publique, jamais je n'ai exposé ma vie privée, ce n'est pas aujourd'hui que je commencerai.
 
Mais ce buz médiatique, vous le subissez vous diriez ?
 
Je ne subis pas, c'est-à-dire que moi je vois le décalage entre les commentaires... je ne dirai même pas les commentaires parisiens, les commentaires d'un certain microcosme. Et je vois...
 
Un microcosme politique d'ailleurs aussi, vos amis même au Gouvernement, R. Dati !
 
Mais moi, ce n'est pas ça qui m'intéresse, en tous les cas je ne me suis pas engagée pour ça. Je me suis engagée pour améliorer la vie des gens.
 
Et vous avez l'impression d'avoir réussi après cette année et demi passée au ministère de la Justice ?
 
30 réformes en deux ans et puis avec une volonté vraiment ferme, parce que j'ai vraiment la justice chevillée au corps, je voulais que la justice soit plus moderne, qu'elle soit plus accessible, qu'elle soit plus juste, mais qu'elle soit plus juste pour tout le monde. J'ai souhaité évidemment que les victimes soient mieux respectées, j'ai créé un juge des victimes, j'ai souhaité aussi qu'il y ait plus de sécurité. Quand on voit sur la loi récidive pour lutter justement contre la délinquance des récidivistes, aujourd'hui il y a 23.000 récidivistes qui ont été condamnés en vertu de cette loi. Mais également sur la loi sur la rétention dite de sûreté, pour écarter de la société les délinquants les plus dangereux. Moi je suis très fière que M. Fourniret, que Monsieur Gateau ou que par exemple Trémeau, qui ont à chaque fois été condamnés lourdement, ils sont ressortis et ils ont récidivé, que ces personnes soient écartées de la société, pour qu'on n'ait plus de victimes.
 
Vous diriez qu'on dira que R. Dati - qu'on gardera cette image - a été une bonne ministre de la Justice ou on dira « elle était trop paillettes et pipole » ?
 
On verra ce qu'il en... les résultats sont là et puis on verra ce que les Français diront. Moi ce que je veux qu'on retienne, c'est que la justice se soit améliorée, qu'elle soit plus rapide, plus accessible, qu'elle protège beaucoup mieux. Mais aussi, il ne faut pas oublier qu'il y a eu une réforme majeure. Moi j'entendais tout à l'heure Monsieur Bartolone, il faut que le Parti socialiste à un moment donné puisse aussi se regarder, et se regarder un petit peu plus par rapport aux préoccupations des Français. On critique cette diversité mais en tous les cas, moi j'ai fait cette réforme de la carte judiciaire. La réforme de la carte judiciaire, elle était attendue depuis plus de 30 ans et il y a eu de nombreux gardes des Sceaux qui ont essayé et qui n'y sont pas parvenus...
 
Vous savez qui va vous remplacer R. Dati ?
 
Non, non...
 
Vous avez une envie ?
 
Je n'ai pas d'envie, ce n'est pas moi qui décide.
 
Le conseiller justice de N. Sarkozy, on dit que c'est le ministre bis de la Justice !
 
Moi je n'ai toujours eu des rapports qu'avec le président de la République sur toutes mes réformes.
 
Vous avez court-circuité son conseiller juridique, c'est ce que vous nous dites ce matin ?
 
Je dis que le conseiller justice auprès du président de la République a travaillé en bonne intelligence avec toutes mes équipes. Quand pour moi il y avait eu un moment de doute sur certaines réformes, sur par exemple un calendrier ou sur les priorités à avoir, j'ai toujours discuté de cela avec le président de la République.
 
Merci R. Dati d'être venue ce matin sur Europe 1. Bonne journée à vous.
 
Merci.
 Source : Premier ministre, Service d' Information du Gouvernement du 9 mars 2009