Interview de M. André Santini, secrétaire d'Etat à la fonction publique, à "Radio Classique" le 17 février 2009, sur le climat social dans les DOM, dans la fonction publique, sur le dialogue social avec les syndicats.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

J.-L. Hees.- A. Santini, bonjour. Je rappelle que vous êtes secrétaire d'Etat en charge de la Fonction publique. Le président de la République reçoit demain les partenaires sociaux ; le climat est difficile et l'emploi est au centre des préoccupations. Pour vous mettre de bonne humeur, pourquoi ne recrute-t-on pas davantage de fonctionnaires ? Au fond, cela règlerait une toute petite partie sans doute, mais une partie tout de même du chômage.

Vous me rappelez A. Sanguinetti...

Il y a pire comme comparaison !

... un certain talent qui disait : en URSS il n'y a pas de chômage, d'ailleurs dans les cours de caserne, il n'y a pas de chômage. Effectivement quand tout le monde est fonctionnaire, il n'y a plus de chômage, mais il faut encore savoir qui paie ? E. Woerth le rappelait l'autre jour : forcément, la crise aujourd'hui, elle ne va pas durer éternellement. En tout cas, ce n'est pas paraître bêtement optimiste que de l'annoncer. Par contre, quand on engage un fonctionnaire, c'est pour 30 ans. Alors résoudre des problèmes conjoncturels par des solutions structurelles, la Fonction publique n'est pas faite pour résorber le chômage.

Non, mais il y a beaucoup d'aspects psychologiques dans une crise comme celle que l'on traverse ; donc, il faut qu'un pays se désangoisse un petit peu pour avoir confiance en l'avenir ; donc je me disais...

Oui, mais alors pourquoi les fonctionnaires sont inquiets ? C'est une question que je leur pose !

Oui, c'est à cause de vous u'ils sont inquiets, non ? C'est peut-être les réformes que vous leur prodiguez ?

Non, mais les réformes ... Je me permets de vous rappeler que le non-remplacement d'un pour deux ce n'est pas un plan social, que cela concerne 30.000 fonctionnaires par an, mais qu'on continue à en recruter autant, sinon plus. Donc, il faut simplement revoir... Je donne toujours comme exemple, ma petite mairie où quand j'ai été élu, il y a maintenant 29 ans - hélas, comme me disent mes adversaires -, il en reste encore -, il y avait 1.000 fonctionnaires, aujourd'hui il y en a 1 000, mais ce ne sont pas les mêmes. Par exemple, le service des crèches c'est 340 personnes, cela n'existait pas avant, il n'y avait pas autant de crèches. Donc il y a, à l'intérieur des transferts de masse, un renouvellement. Et puis aujourd'hui, on ne s'engage plus dans la Fonction publique pour tel poste, telle affectation pendant trente ans, on veut changer et c'est très bien, et ça nous devons en être conscients.

Alors il y a un autre dossier qui est de plus en plus chaud, c'est le dossier des Antilles et notamment la Guadeloupe. On a l'impression ce matin que les choses sont un peu plus tendues qu'hier et peut-être bien moins que demain. Donc, est-ce que vous trouvez que les demandes des Guadeloupéens en l'occurrence puis des Martiniquais sans doute avenir et des Guyanais probablement - est-ce que ces demandes sont totalement extravagantes pour le secrétaire d'Etat que vous êtes ?

Je crois qu'il y a 32 % d'emplois publics à la Guadeloupe, c'est comme ça. Je suis de Corse moi-même et là aussi en Corse, bizarrement l'économie insulaire génère des demandes d'engagements dans la Fonction publique. Il y a aussi une tradition de service de l'Etat, service des autres qui est parfaitement respectable. Donc je ne crois pas que de notre côté, on puisse aller plus loin dans la résorption du phénomène de chômage qui est considérable. J'entendais les statistiques d'Eurostat qui disent que les régions comme la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, la Réunion sont les endroits d'Europe où il y a le plus de chômage. Donc, on bat même le nombre de jeunes chômeurs en France qui était quand même de 20 %. Là, nous avons un effort incontestable à accomplir. J'ai le sentiment que tout s'est accumulé là-bas. On sort aujourd'hui les histoires d'anciens esclavagismes, on reparle des Békés, vous voyez, je crois qu'il y a vraiment une mise à plat. Et il me semble que mon collège Y. Jégo, avec sa loi sur l'Outre-mer voulait remettre tout à plat, mais la situation l'a rattrapé.

Mais vous sentez que c'est simplement un effet de cette crise, que tout le monde connaît, et de cette espèce d'anxiété sociale, ou bien il y a autre chose ?

Il y a incontestablement un terreau spécifique, avec des problèmes non réglés depuis longtemps, et évidemment la crise, encore une fois d'origine américaine, faut-il le rappeler, et non pas française et métropolitaine, est venue tout infecter. Alors, cette crise a servi de détonateur à des tas de problèmes qui étaient jusqu'à maintenant un peu enfouies.

Et vous qui avez le flair, A. Santini, est-ce que vous vous dites, par exemple les Corses, cela les intéresse beaucoup ce qui se passe en ce moment aux Antilles ? Est-ce que vous vous dites qu'on risque l'exportation de ce conflit vers la Métropole ?

Oui, pour l'instant, on voit qu'il y a un cousinage idéologique avec la Martinique, c'est parfaitement légitime. On voit que cela commence à bouger sur la Réunion. Les responsables de ce genre de mouvement sont parfaitement conscients des phénomènes et N. Sarkozy aussi. Il va recevoir après demain les élus d'Outre-mer. On lui a reproché dans son intervention télévisée de ne pas avoir parlé de la Guadeloupe, on répond aussi que les journalistes, sans vouloir les incriminer, mon cher maître n'ont pas posé de questions sur le sujet. Donc, penser que N. Sarkozy peut avoir oublié un problème, c'est vraiment une insulte à l'intelligence. Parce que je peux vous dire qu'il est à cheval sur tout.

Ce n'est pas très facile en ce moment d'être président de la République ou ministre de la République ?

Non, et je trouve qu'on a beaucoup de chance d'avoir un président de la République réactif et actif.

Mais je pensais aussi au travail d'un ministre comme vous. Ce sont des périodes un peu compliquées, qu'on n'a pas vues depuis longtemps. Enfin, cela pose de sérieux problèmes. Comment avez-vous préparé, vous dans votre secteur, la réunion de demain avec les partenaires sociaux et comment vous les sentez ces partenaires ?

Nous menons avec les organisations syndicales un dialogue constant depuis 18 mois. Nous avons signé en juin dernier, ce qu'on appelle les accords de Bercy sur le dialogue social. Et 6 syndicats sur les 8 ont signé cet accord, y compris la CGT, FSU et SUD - ce qui est très rare, parce qu'ils ne signent jamais et en tout cas, je croyais même que la CGT avait signé en 68. Ils m'ont rappelé que le malheureux Séguy avait été hué à Billancourt, donc, il n'avait pas signé. Cette fois, c'est un engagement que nous prenons de part et d'autre, à savoir, se rencontrer avant de lancer les grands mouvements. Et donc, c'est une responsabilité pour nous, parce que si nous ne respectons pas, si nous disons : oh, ils ont signé, maintenant ils sont prisonniers de leur attitude. Non, nous sommes également prisonniers. Alors les négociations se poursuivent sur les conditions de travail, sur l'amélioration de tel secteur et évidemment nous avons le grand dossier de la RGPP qui vient nous percuter. Moi-même, je vais dans les régions...

Régulièrement en province, oui...

Je prends avec moi, quand ils le veulent des responsables syndicaux. J'étais à Blois la semaine dernière, il y avait avec moi, Madame Baltazar, la responsable Force Ouvrière, secrétaire générale et puis...

Vous débauchez les syndicalistes [pour] porter la bonne parole de la réforme ?

Je ne débauche pas... et il y avait aussi Monsieur Moreau, le président de la CFTC. J'ai emmené souvent Monsieur Bonissol, le président de la CGC. Des gens...Tous ceux qui veulent venir. Et dans mon discours introductif, je dis : Ils ne viennent pas me soutenir ! Ils viennent simplement vérifier que le dialogue social est organisé et ils prennent la parole.

Et comment les sentez-vous, les responsables syndicaux, dans cette période précise ? Il y a eu cette journée d'action du 29 janvier, alors après, c'est l'appréciation de chacun pour savoir jusqu'où va la mobilisation. Mais vous les sentez prudents en cette période, vous les sentez ... ?

Moi, je les sens très responsables, c'est incontestable. La situation des fonctionnaires n'est pas comparable, évidemment, à la situation exposée de l'automobile, du bâtiment, mais ils sont très responsables. Ils ne veulent pas non plus qu'on brade leurs intérêts au nom d'une solidarité qui n'existe pas. Mais c'est très exigeant comme situation, nous essayons, nous, d'être à la hauteur. Nous essayons de les rassurer, il ne s'agit pas de licenciement dans la Fonction publique, mais il ne s'agit pas non plus de multiplier les recrutements pour fausser les statistiques. Donc il y a de part et d'autres je crois une vraie responsabilité.

Que pensez-vous des idées exprimées par M. Hirsch, notamment face à la crise, face à ces problèmes encore une fois très anxiogènes pour les Français ?

Martin [Hirsch] est un garçon extrêmement inventif...

C'est très futé, çà !

Oui, oui, par les temps qui courent oui, et puis il est actif aussi. D'abord, il est intelligent à l'origine, il assume sa fonction avec beaucoup de talent, il a un passé qui plaide pour lui. Et je suis content pour lui qu'on lui ait, et pour nous, que le président lui ait confié le dossier jeunesse.

Mais à part ça, Monsieur Santini, est-ce que, par exemple, il est temps d'évoluer sur certaines idées comme la répartition des richesses, des dividendes ?

Oui, mais je crois que le Président, avec sa règle des trois tiers, nous donne quelques pistes. C'est vrai qu'aujourd'hui on entend des bénéfices fabuleux répartis uniquement entre les actionnaires et la structure. C'est vrai que les salariés ont le droit eux aussi, qui ont contribué à cette richesse, d'avoir une part importante. Mais je crois que, je le raconte toujours - moi j'ai fait les langues O, quand j'étais petit, avant cela revenait souvent -, l'idéogramme "crise", en chinois signifie : danger et opportunité. Et le danger ça tout le monde le voit, ça, on y va gaiement. Mais l'opportunité, c'est l'occasion de revoir tout cela, de repenser. Si la crise passe, et elle passera, je suis d'un optimisme indécrottable - ce sera l'année 2009, plus une partie de 2010, on ne sait pas, chacun s'aventure, mais en tout cas, si on n'en tire pas d'enseignements, si on n'en tire pas des réformes, eh bien il y aura une autre crise et cette fois ce sera la dernière.

Un tout dernier mot, A. Santini, vous êtes un homme de dialogue, en tout cas vous nous l'avez dit. Sauf que dans votre bonne mairie d'Issy-les-Moulineaux, on vous accuse d'être ronchon, voire désagréable avec l'opposition. On parle de dérive autoritariste, alors qu'est-ce qui se passe, c'est Dr Jekyll et de Mr Hyde ?

Moi, vous savez, je respecte les gens quand ils sont respectables, c'est tout.

Eh bien, c'est agréable !

L'autre jour, ils m'ont dit... mais oui, parce qu'ils ne sont pas bons...

Vous aggravez votre cas !

Non, non je l'assume, je n'aggrave rien. Quand par exemple nous avons le siège, le deuxième siège mondial de Microsoft qui vient chez nous, 1.500 personnes, plus le centre de recherches, il y a 9 milliards de dollars, c'est important que Microsoft revienne en Europe. Et quand vous avez une conseillère communiste qui vous dit : mais avec tous les sièges sociaux que nous avons sur notre ville, qu'est-ce que vous faites pour la crise ? Je dis : "Madame, c'est une question très intelligente n'est-ce pas. Mais franchement, dans les villes que vous administrez vous, il n'y a pas de problèmes, il n'y a pas de sièges sociaux". Donc je crois qu'il faut que les gens soient responsables. Ce que les syndicats font, certains partis politiques pourraient peut-être l'assumer.

Vive le dialogue ! Je vous souhaite une bonne journée.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 17 février 2009