Interview de Mme Christine Boutin, ministre du logement, à "RMC" le 12 mars 2009, sur la fin des expulsions locatives sans relogement ou hébergement, sur les prêts immobiliers, sur le statut de beau-parent.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin.- Notre invitée ce matin - et c'est un évènement - C. Boutin, ministre du Logement, présidente du Forum des républicains sociaux, je n'oublie pas.

Oui, c'est gentil.

Vous avez remarqué, hein.

Je vous en remercie beaucoup.

Bien. C. Boutin, l'évènement pourquoi ? Parce que vous annoncez qu'il n'y aura pas d'expulsion sans relogement. Alors, ça mérite explication. Allez-y !

Il y a une loi de 1990 qui avait fait la trêve hivernale : c'est-à-dire du mois de novembre au 15 mars, il n'était plus possible de mettre à la rue les personnes qui étaient en indélicatesse de paiement de logement et pour lesquels il y avait eu un jugement de tribunal. Je pense, moi, que le problème de la fragilité des gens, quelle que soit la nature de cette fragilité, en particulier financière et de paiement de loyer, ne doit pas être simplement pris en compte pendant l'hiver mais toute l'année. C'est la raison pour laquelle j'ai mis en place auprès des préfets l'obligation de proposer une solution de remplacement quand il y a un impayé de loyer.

Alors, je ne paie mon loyer, je ne peux pas payer mon loyer, que je sois de bonne ou de mauvaise foi ?

Absolument ! Mais il y a deux traitements suivant que vous êtes de bonne ou de mauvaise foi.

Alors, je ne peux pas... on va y revenir, je ne peux pas payer mon loyer, je ne suis pas expulsé si le préfet ne me propose pas un logement.

Le préfet est dans l'obligation de vous proposer un logement, un relogement ou l'intermédiation locative. Qu'est-ce que c'est ? C'est la possibilité - c'est introduit dans la loi qui vient d'être votée sur le logement - la possibilité pour une association de se substituer au locataire défaillant vis-à-vis du propriétaire pour payer le loyer et suivre la famille pour l'aider à retrouver pied.

Que le propriétaire soit privé ou public ?

Que le propriétaire soit privé ou public et ce sont des associations ou les bailleurs sociaux qui peuvent se substituer à la famille. Et ce que j'ai mis en place et qui devient obligatoire, c'est les commissions départementales de prévention à l'expulsion qui sont mises en place par les préfets. Et cet après-midi, je vais dans la Marne où déjà il y a des commissions qui marchent et qui...

... vous avez averti tous les préfets.

Absolument, tous les préfets.

C'est la loi.

C'est la loi, ils sont dans l'obligation de créer ces commissions départementales de prévention.

Donc, plus d'expulsion...

Plus de sortie...

... sans proposition de relogement.

... oui, de logement. Et pour les personnes de mauvaise foi, il est proposé, là, l'hébergement. Un hébergement parce qu'il y a des personnes de mauvaise foi, mais elles sont très peu nombreuses, mais voilà, on ne peut plus mettre les gens à la rue.

Oui, mais alors, attendez, j'entends les propriétaires : "je suis propriétaire, j'ai un petit logement pour compléter".

Bien sûr !

"Surtout en période de crise, j'ai besoin de ce loyer".

Bien sûr !

"J'ai un locataire qui ne paie pas depuis plusieurs semaines, plusieurs mois".

Eh bien ?

Et on me dit, maintenant il ne va pas pouvoir être expulsé ?

Mais non, mais votre loyer va continuer à être payé par le biais de l'association et de l'intermédiation.

C'est-à-dire que je suis propriétaire, je m'adresse à l'association.

Oui, c'est ça, exactement. Normalement, la famille, si vous voulez, naturellement tout ça va se mettre en place, mais la personne qui sent qu'elle va avoir des difficultés pour payer son loyer, il faut qu'elle s'adresse à la préfecture, à la commission de prévention, qui va l'aider à trouver une solution soit par le biais d'une association qui va se substituer à elle pour payer le loyer au propriétaire car effectivement, vous avez raison, J.-J. Bourdin, pour moi il ne s'agit pas de mettre en difficulté les petits propriétaires.

Ben oui !

Qui ont besoin de leur loyer pour pouvoir assurer leur propre budget familial. Donc, il y a l'obligation de se substituer pour payer le loyer par le biais de l'association, ou alors la personne...

... on a les moyens, les associations ont les moyens ?

C'est l'Etat...

... c'est l'Etat qui assure.

... qui y participera. Et en plus, il y a un autre...

Ca va coûter combien à l'Etat ça ?

Je ne sais pas.

Ca été chiffré ou pas ?

Oui, oui, oui, mais j'ai les moyens de l'intermédiation locative, j'ai les moyens. Vous savez, avec le plan de relance, à tout malheur il y a des bonnes choses, c'est que le plan de relance m'a donné des moyens financiers que je n'avais pas auparavant et qui me permettent de pouvoir répondre à cela.

Bon, ben tant mieux ! Pas d'expulsion donc sans solution de relogement ou d'hébergement. Mais, les préfets, je me mets à la place des préfets, c'est un casse-tête pour eux, dites-moi.

Ce n'est pas facile pour eux, c'est vrai.

Ben oui, parce que déjà pour appliquer le droit au logement opposable, ils ont des difficultés. Alors là, pour trouver des logements de remplacement ça va pas être facile.

Oui, bien sûr que ça ne va pas être facile mais la situation est très diverse. Bien sûr, dans la région Ile de France ça sera plus compliqué, mais il va falloir qu'on trouve dans le temps, il faut qu'on construise, c'est toujours la même chose.

Donc, aux préfets de se débrouiller.

Il faut qu'on construise, qu'on construise. Il y a beaucoup de départements où il n'y a pas de difficulté véritablement pour trouver des logements, mais c'est vrai que dans la région Ile-de-France... C'est pour ça que j'ai demandé la solidarité interdépartementale entre tous les préfets, tous les départements, pour qu'il y ait une possibilité plus souple de propositions de relogement.

Oui, c'est-à-dire on peut reloger... quelqu'un qui est dans l'Essonne, on peut le reloger dans Les Yvelines ou en Seine et Marne.

Absolument !

C'est bien cela ?

Absolument, absolument !

Ou même peut-être dans les Bouches-du-Rhône ou dans les Alpes- Maritimes ?

Non, non, non, on ne fera pas ça.

Bon, on ne fera pas ça.

Mais alors, ce que je voulais vous dire aussi c'est que les personnes naturellement qui sont dans le cadre de l'hébergement, elles sont aussi prioritaires par rapport au droit au logement opposable, c'est-à-dire que ces personnes qui sont en difficulté doivent tout de suite s'inscrire à la commission de médiation.

Mais, alors, je le répète, ça concerne les privés et les logements...

Oui, les bailleurs sociaux.

Bailleurs privés comme publics ?

Absolument !

Bailleurs sociaux et privés.

Je ne veux plus que l'on remette les gens à la rue, ce n'est pas possible, ce n'est pas acceptable, c'est humainement impossible et, aujourd'hui, dans la crise dans laquelle on est, il faut à la fois que je rassure que les propriétaires et les locataires. Les propriétaires, je leur dis « vous serez payés », et les locataires de bonne foi, « vous serez accompagnés pour ne pas plonger davantage ». Il peut arriver des accidents de la vie, il peut se passer qu'un jour on ait des difficultés à payer son loyer, eh bien il faut surtout demander de l'aide plutôt que de s'enfoncer.

C. Boutin, je lisais dans Le Parisien, je veux quand même vous poser la question, je sais qu'à 15 ans, 15-16 ans, vous avez vécu ce drame-là. Votre papa était arboriculteur, il s'est retrouvé très endetté, et il a été contraint de vendre votre maison familiale. Et vous vous souvenez des huissiers qui venaient frapper à la porte.

Oui, oui, c'est quelque chose de... c'est quelque chose de très douloureux, mais je ne veux pas trop en parler parce que si moi j'assume ce moment, mes proches, mes soeurs, ma mère, c'est pour elles quelque chose de très difficile.

Vous êtes même partis en catimini, je crois, la nuit.

Oui, oui, absolument !

Alors que la police devait arriver.

Absolument ! Absolument ! J'ai vu les papiers bleus sur la porte avec le voisin qui regarde les papiers bleus, oui.

Et en prenant la décision que vous avez prise, là, vous y avez pensé, franchement ?

Oui, bien sûr, j'y ai pensé, mais vous savez ma tendance, ma sincérité vis-à-vis des plus fragiles vient de là, parce que je sais ce que c'est que d'être pauvre et d'avoir le regard des riches, de ceux qui possèdent, sur vous. C'est des regards effrayants, c'est des regards assassins, c'est des regards insupportables. Et ça, c'est... vous voyez, la dague je l'ai encore dans le coeur de ces regards-là, et donc je pense à toutes les personnes qui sont fragiles et je sais, moi, c'est pas de l'intellectualisme, je sais dans mes tripes ce que ça veut dire.

08 h 42, vous êtes sur RMC et sur BFM TV. C. Boutin est notre invitée. Nous nous retrouvons dans deux minutes.

[Pause]

Il y a de moins en moins de demandes de prêts immobiliers. Vous êtes inquiète ?

Cela me semble traduire la frilosité de nos compatriotes par rapport à la situation et les perspectives des mois à venir. Effectivement, il y a moins de demandes, mais il y a aussi, je pense, plus d'exigences de la part des banques pour ceux qui demandent un prêt.

Elles ne jouent pas le jeu, complètement ? Vous vous posez des questions, je le sens, je le comprends.

Nous avons eu une réunion avec C. Lagarde la semaine dernière et tous les représentants des banques de dépôt, qui nous assurent que non. Je ne mets pas en doute ce qu'ils disent mais je pense qu'il y a quand même plus de... on regarde de plus près le dossier qu'il y a quelques années, quelques mois plutôt...

Peut-être est-ce bien, pour éviter la folie américaine ?

Je vous remercie de me dire cela, de me lancer la perche, parce que je tiens à les saluer, parce que effectivement leurs exigences et la pratique bancaire française (ont) évité de nous mettre tous dans une situation plus grave que les autres pays. Donc, très bien. Mais aujourd'hui, c'est vrai que aussi bien les professionnels que les particuliers me disent avoir des difficultés à avoir des prêts. Mais d'un autre côté, il y a aussi une baisse de demandes des prêts de la part des particuliers, c'est une certitude. Chacun attend, se regarde un peu, et on se dit, ceux qui veulent acheter disent : "je vais attendre que ça baisse", et puis, les autres disent : "moi je n'ai pas du tout envie de vendre mon bien, parce que c'est une valeur refuge". Moi, personnellement, je ne pense pas, à la différence des experts mais peut-être que je peux me tromper, je ne pense pas qu'il y aura une baisse de l'immobilier très importante, surtout dans les zones tendues. Comme vous le voyez à Paris, comment voulez-vous que ça baisse, il manque vraiment des logements, il manque vraiment des constructions de logement. Donc, comment voulez-vous que ça puisse baisser alors qu'il y a une demande importante, aujourd'hui. Voilà, beaucoup de gens attendent que ça baisse, moi je ne suis pas sûre que ça baissera.

Vous n'y croyez pas ?

Mais quand ça baissera, ça baissera aussi pour celui qui possède.

Tout autre sujet : est-ce que vous demandez à F. Fillon de retirer l'avant-projet de loi sur le statut des beaux-parents ?

Je me suis exprimée, vous avez eu la gentillesse tout à l'heure de dire que j'étais présidente d'un parti, je me suis exprimée en tant que...

En tant que président de ce parti...

De Forum des républicains sociaux. Je crois que c'est normal. J'ai alerté...

Vous demandez au Premier ministre en tant que présidente de...

J'ai alerté en tant que parti politique, je pense qu'il fallait un débat, et le débat maintenant est lancé, il suit son rôle. Je suis membre d'un Gouvernement et solidaire de ce Gouvernement. Mais quand il y a des choses qui me semblent importantes...

Et là, vous n'êtes pas solidaire de N. Morano.

Je n'ai pas du tout l'intention de créer une nouvelle polémique, ça ne sert à rien. Le débat est lancé.

Qui a créé la polémique, d'ailleurs ?

Ben, écoutez ! Le fait que ce texte existe, peut-être.

Vous n'en voulez pas de ce texte ?

Personnellement, non. Le Forum des républicains sociaux ne souhaite pas le statut des beaux-parents.

Vous ne voulez pas d'un statut pour les beaux-parents, qui est une promesse de N. Sarkozy ?

Oui, mais vous ne m'entraînerez pas sur ce sujet. J'ai parlé, j'ai parlé...

Je vous pose la question. C'est une promesse de N. Sarkozy.

J'ai parlé comme...

C'est votre Président.

Oui, c'est mon président. Je suis intervenue comme parti politique. J'ai lancé le débat par le biais de ce parti politique, qui joue pleinement son rôle. Le Forum des républicains sociaux est là pour dire un certain nombre de choses, il les dira tout...

Mais que craignez-vous ?

Je ne crains rien du tout, parce qu'en tant que...

...Avec le statut des beaux-parents ?

Ah ! Le statut des beaux-parents ! En fait, ce que le Forum des républicains sociaux constate c'est que au fur et à mesure que le temps passe, se pose la question de savoir si c'est la famille biologique qui est toujours le modèle et (qui) a suprématie sur tout autre modèle, si c'est la famille biologique qui est le fondement de l'organisation de la société française ou si c'est la famille sociale.

C'est-à-dire qu'on va vers la reconnaissance de l'adoption par des couples homosexuels, selon vous, à travers ce projet de loi ?

Ce n'est pas uniquement ce sujet-là. Regardez simplement... vous m'avez entraînée sur ce sujet mais je vous dirai que c'est comme parti politique...

Oui, allez-y ! C'est le parti politique qui s'exprime.

Le statut du beau-parent crée une fêlure dans l'autorité parentale qui jusqu'à présent était fondée sur la famille biologique. Y compris même les personnes qui adoptent aujourd'hui, l'adoption plénière elle est fondée sur l'autorité parentale de la famille biologique. Quand vous adoptez un enfant, aujourd'hui, vous êtes dans la même situation par l'adoption plénière qu'un parent biologique. Petit à petit, avec la création d'un statut du beau-parent, c'est-à-dire d'un tiers, qui intervient entre le père et la mère biologique, vous mettez une fêlure dans cette autorité parentale. Et ça, c'est le vrai sujet. On dit que c'est l'intérêt de l'enfant. Comment est-ce l'intérêt de l'enfant, alors qu'il va avoir sa mère, il va avoir son père biologique, il va avoir... qui vient un peu d'arriver...

... Son beau-père ou sa belle-mère ?

...Son beau-père ou sa belle-mère, qui peut dans le temps changer ! Donc, l'enfant, par rapport à ses repères, va devoir trouver sa place entre ces différents parents. Je pense pour ma part que c'est plutôt une fragilisation et, petit à petit, nous allons vers la suprématie de la famille sociale plutôt que la famille biologique.

Alors, qui a dit : "quand on n'est pas content, on s'en va" ? C'est monsieur Chevènement, je crois.

Non, c'est N. Sarkozy.

Ah bon !

Oui, il a dit ça.

Mais ce n'est pas une question d'être mécontent, c'est une question de débat.

De débat, bon d'accord... [...]

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 12 mars 2009