Interview de M. Brice Hortefeux, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, à Europe 1 le 31 mars 2009, sur le décret destiné à encadrer la rémunération des chefs d'entreprises aidées par l'Etat.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Bonjour B. Hortefeux, aujourd'hui s'applique le décret Fillon, destiné à encadrer les dirigeants d'entreprises aidées par l'Etat. Il passe mal ce décret, il est jugé réducteur, incomplet, insuffisant ; n'est-ce pas un coût pour pas grand-chose ?
 
Non, au contraire, ce décret est très important, il poursuit un objectif très simple que chacun doit comprendre : c'est empêcher des rémunérations et des comportements injustes de certains dirigeants - naturellement pas tous - dont les entreprises perçoivent des aides publiques. Cela signifie une chose simple : c'est que les aides publiques sont accordées pour soutenir les entreprises et aider l'emploi, pas pour améliorer les rémunérations des dirigeants.
 
D'accord, mais il ne concerne que huit banques et constructeurs automobiles, c'est vraiment limité.
 
Non, mais d'abord, cela signifie que c'est un décret contre les excès et contre les abus. Cela signifie que c'est un décret pour l'éthique et pour la justice et c'est surtout la preuve, la démonstration de la volonté du président de la République et du Gouvernement d'agir pour faire respecter une exigence indispensable en temps de crise, c'est l'exigence d'exemplarité. Maintenant concernant le périmètre, c'est, pardon de vous le dire, de vous prendre en défaut, exceptionnellement, cela ne concerne pas exclusivement le secteur bancaire, cela concerne le secteur automobile...
 
C'est ce que j'ai dit !
 
... Et cela concerne aussi par exemple des entreprises publiques dont les titres peuvent être négociés. Cela signifie très concrètement, pour vous donner un exemple que cela peut concerner EDF, que cela peut concerner Areva, cela peut concerner Aéroports De Paris - ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, puisqu'il n'y a pas de dérives - mais cela peut concerner des entreprises de cette nature...
 
Et les parachutes dorés, ils ne sont pas concernés par le décret.
 
Pas du tout, ils sont totalement concernés par le décret, ils étaient même d'ailleurs concernés en amont, dans le cadre de la loi Travail, Emploi, Pouvoir d'Achat d'août 2007...
 
La loi n'a pas été respectée donc ! Vous êtes en train de le dire.
 
Et ils sont confirmés, directement dans ce décret, donc ils y sont, comme les stock-options comme un certain nombre de situations, ils sont directement concernés.
 
B. Hortefeux, le décret porte jusqu'à la fin 2010. C'est-à-dire que quand la croissance revient ou si la croissance revient, le décret tombe et en 2011, les travers et les abus peuvent recommencer tranquillement.
 
Oui, d'abord vous me parlez de la fin 2010, d'abord regardons déjà aujourd'hui, ce décret c'est un record absolu d'efficacité. Regardez la chronologie,
 
Cela s'appelle de l'auto satisfaction ça Monsieur Hortefeux.
 
Non, c'est une démonstration, une démonstration effectivement d'efficacité. Regardez ! Le président de la République l'évoque, il en parle d'ailleurs hier matin avec les organisations syndicales, notamment - ce n'était pas le seul sujet c'était le G20 mais cela a été évoqué avec les organisations syndicales. A 15H30, le Premier ministre présente ce décret ; à 17 heures, avec C. Lagarde nous participons à une réunion où les banques signent un accord, précisément pour respecter ce décret et ce décret est publié ce matin. Je vous le dis, d'abord nous sommes le pays au monde qui prenons le plus de précautions, qui sommes le plus en amont sur ce sujet et c'est un record absolu d'efficacité.
 
Si les abus et les travers continuent, est-ce qu'à la fin 2010, en 2011, il peut être prorogé ?
 
e vous reconnais là, vous m'encouragez à répondre à votre question et pas à répondre à d'autres. Mais cela signifie une chose simple : il s'agit d'une mesure immédiate liée à la crise. C'est pour ça qu'on agit immédiatement. Maintenant, le président de la République a annoncé qu'il voulait engager une réflexion lourde sur le partage de la valeur. Eh bien ! C'est un sujet qui s'inscrit directement dans ses préoccupations.
 
Alors si je vous demande : pourquoi pas la loi, comme le demande par exemple le Parti socialiste, est-ce que la loi ce n'est pas plus simple, plus démocratique, plus tranché Monsieur Hortefeux non ?
 
Non.
 
Pourquoi non ?
 
Le décret a été plus efficace, parce qu'il est d'application immédiate. Nous sommes en situation de crise, qu'est-ce que cela veut dire une crise ? Cela veut dire qu'il y a urgence ; quand il y a urgence, il faut être réactif et d'ailleurs c'est ce qui se passe depuis le début de cette crise. Sur tous les sujets, il y a une réactivité avec un souci, c'est celui de la justice. Eh bien cette réactivité, elle est démontrée avec l'application immédiate de mesures.
 
Là, on va voir si vous êtes réactif. D'après Le Parisien, Adidas, Michelin et ELF seraient visés par une enquête pour blanchiment de fraudes fiscales à travers le Lichtenstein. Un, est-ce que vous confirmez ; deux, est-ce que, paradis fiscal, on va le traquer ?
 
Deux, cela appelle deux réponses. Première réponse, je ne peux pas confirmer, puisque je ne connais pas la situation desdites entreprises. Deuxième réponse, une réponse effectivement très positive. C'est un des objectifs du G20 de mettre fin à la situation d'un certain nombre de paradis fiscaux. Quelle serait la grande différence ? Hier, si ces informations sont justes, c'est qu'il y a eu un informateur qui a donné un certain nombre de précisions et de communications sur ces sujets. Demain avec le G20, fin de ces paradis fiscaux et tout se fera dans la transparence. Vous voyez, il y a l'avant et l'après. Et je dois ajouter que s'il y a fin de ces paradis fiscaux, c'est en grande, grande partie dû à l'action, à la détermination, le volontarisme...
 
Du président de la République !
 
Vous voyez ! Vous ne me laissez pas terminer la phrase, mais je ne vous contredis pas.
 
La chanson et le refrain, on les connaît. Avec C. Lagarde, vous aviez écrit à L. Parisot en lui donnant un délai - H. Guaino disait "un ultimatum" - : le 31 mars. Le 31 mars c'est aujourd'hui. Elle vous a répondu, est-ce qu'elle vous a convaincu ?
 
Dans la réponse - je ne vais pas faire le détail de tous ces échanges de courriers mais dans la réponse - de L. Parisot et de J.-M. Folz, président de l'AFEP, l'Association Française des Entreprises Privées, il a des éléments positifs, puisqu'ils s'engagent à émettre des recommandations en terme de rémunération pour les entreprises qui recourent, soit à des plans de licenciement, soit à du chômage partiel massif. Mais je le dis très clairement, avec C. Lagarde, nous considérons que ce n'est pas suffisant, et nous demandons donc d'aller plus loin et notamment de mettre en place un Comité des sages qui sera chargé de veiller au respect de la modération ...
 
C'est elle qui le décide et qui l'organise.
 
Nous lui demandons de le mettre en place, nous lui demandons de faire des propositions concernant sa composition et si ce n'était pas le cas, ce que d'ailleurs je ne peux pas croire, à ce moment-là, nous reprendrions l'initiative.
 
Le président de la République - vous ne l'avez pas cité depuis deux minutes - avait retenu la proposition CFDT de créer un fonds d'investissement social. Vous le créerez un jour ce fonds, Monsieur Hortefeux ?
 
Le président de la République l'a dit hier aux organisations syndicales, il souhaite qu'il y ait une première réunion, pas aux calendes grecques, mais dès lundi. Il voulait même, pour être tout à fait précis que cela soit vendredi, pour des raisons techniques - c'est un peu compliqué - donc ce sera lundi, on décale de 48 heures.
 
N. Sarkozy passe une partie de la journée à Châtellerault, vous serez à ses côtés. A 100 kilomètres de là, à peu près, il y a l'entreprise Heuliez qui attend une perspective. Est-ce que l'Etat a trouvé un repreneur, ou est-ce que S. Royal a trouvé un repreneur, d'après ce que vous savez ?
 
Apparemment S. Royal n'a pas trouvé de repreneur. Quant à l'Etat, sa position est très claire : il y a un accord pour une aide de 10 millions d'euros, mais il y a un certain nombre naturellement d'accompagnements qui sont indispensables. Premièrement, qu'il y ait un partenariat, c'est-à-dire d'autres actionnaires. Deuxièmement, c'est qu'il y ait un projet industriel, parce que s'il n'y a pas de projet industriel, ce serait des aides à fonds perdus, et ce n'est pas le rôle de distribuer des aides à fonds perdus, c'est le contribuable au final qui paie. Et troisièmement, il faut que les dirigeants acceptent ce projet industriel. Donc la position de l'Etat est claire : oui pour un engagement, oui pour un engagement fort, à condition qu'il y ait naturellement ces trois conditions.
 
Mais comme il y a trois conditions et que pour le moment elles ne sont pas remplies, voilà... Est-ce que par exemple, d'ailleurs l'Etat ou vous, vous diriez comme B. Obama hier : il y a des emplois qui ne pourront pas être sauvés, il y a des usines qui ne rouvriront pas. Parce qu'il dit les choses telles qu'elles sont, lui.
 
Le problème est qu'il y ait des entreprises qui ne fonctionnent pas ou qui ne fonctionnent plus, faute de clients compte tenu de la crise, c'est un élément. Ce qui faut et c'est le rôle de l'Etat, c'est d'accompagner pour trouver d'autres solutions, d'autres partenaires, d'autres repreneurs, c'est notre rôle.
 
Vous avez la pression de la présidente de la région Poitou- Charentes. Hier S. Royal demandait à N. Sarkozy de se comporter enfin en président de la République.
 
Oui, évidemment c'est assez surprenant cette déclaration. Parce que, voilà une femme politique, qui, il y a encore quelques semaines à peine, pour surmonter la crise poussait la chansonnette au Zénith. Je ne suis pas sûr que cela soit elle qui soit la mieux placée pour donner des leçons de maintien.
 
Mais "Fraternité" c'est un argument très fort. Lisez aussi le livre de R. Debray ; "Fraternité" c'est un terme aujourd'hui utile.
 
Non, mais en période de crise, la fraternité, il y a naturellement une solidarité qui doit s'exprimer. Et qu'est-ce que cela veut dire la solidarité en période précisément de difficultés ? Cela veut dire tout simplement que nous devons avoir une exigence et une exigence absolue, c'est celle de justice. Et c'est tout ce qui est engagé, toutes les mesures depuis le discours du président à Toulon jusqu'à aujourd'hui. Justice vis-à-vis des catégories les plus défavorisées, justice vis-à-vis des classes moyennes, justice, parce que c'est le meilleur moyen de garantir la cohésion. Pour garantir la cohésion, il faut lutter contre les injustices et c'est...
 
Vous n'arrêtez pas de parler de justice...
 
Exactement.
 
Le vrai ministre de la Justice, à vous écouter, ce serait plutôt le ministre des Affaires sociales, mais là, il faut des résultats.
 
Eh bien nous souhaitons que les résultats soient naturellement au rendez-vous. Concernant le domaine de mon ministère, il est suffisamment vaste, n'en rajoutez pas d'autre.
 
Merci.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 31 mars 2009