Déclaration de M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur les justifications aux décisions prises pour mettre en œuvre en 2010 le bilan de santé de la PAC, Paris le 25 mars 2009.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Assemblée permanente des chambres d'agriculture, à Paris le 25 mars 2009

Texte intégral

Monsieur le Président, cher Luc,
Messieurs les Présidents des organisations professionnelles,
Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs.
Je suis particulièrement heureux de participer, une nouvelle fois et pour la dernière fois en tant que Ministre de l' agriculture, à votre session. J'étais à cette même tribune il y a un peu plus de trois mois. Je vous rendais alors compte du chemin parcouru à l'issue de la présidence française :
- avec un accord à la quasi-unanimité sur le bilan de santé de la PAC, le 20 novembre,
- avec des conclusions partagées par 24 de nos partenaires sur la nécessité d'une politique agricole commune et ambitieuse pour l'avenir, le 28 novembre.
Depuis, dans le cadre d'une concertation étroite avec vous, concertation toujours constructive, Monsieur le Président, j'ai annoncé au nom du gouvernement, les décisions pour mettre en œuvre dans notre pays en 2010 le bilan de santé de la PAC. Je sais que celles-ci ont provoqué dans vos rangs des réactions. Je sais que certains estiment que la marche est trop haute et que d'autres voies auraient été préférables. Pour certains, il était urgent d'attendre et de ne pas modifier encore une fois les règles du jeu après le bouleversement de 2005 avec l'introduction des DPU.
Je suis convaincu que ma responsabilité de Ministre de l'agriculture, c'était de bouger maintenant, de sortir de cette sédimentation de notre politique agricole commune vieille de près de 20 ans. Ce qui se justifiait à une époque a beaucoup moins de légitimité aujourd'hui. Chacun le sait. Et les débats dans les départements que vous avez organisés avec les préfets dans les départements il y a un peu plus d'un an l'ont montré. C'est un large consensus sur la nécessité de réorienter le soutien à notre agriculture qui en est ressorti.
La pire des stratégies aurait été l'immobilisme. Il condamnait le soutien à notre agriculture notamment dans les territoires qui aujourd'hui critiquent les décisions prises.
Ces décisions s'imposaient à nous. Notre politique agricole pour être préservée dans l'avenir, doit être doublement légitime :
- légitime au sein du monde agricole,
- légitime vis-à-vis de nos concitoyens.
Vous connaissez les décisions prises: la réorientation d'1,4 milliard d'euros d'aides au service de 4 objectifs :
- consolider l'économie agricole et l'emploi sur l'ensemble du territoire en soutenant les productions et les territoires fragiles,
- instaurer un nouveau mode de soutien pour l'élevage à l'herbe en instaurant au sein du premier pilier une aide aux surfaces en herbe productives,
- accompagner un mode de développement durable de l'agriculture,
- instaurer des outils de couverture de risques climatiques et sanitaires.
J'entends les questions, les critiques du plan Barnier qu'il faudrait retirer. Il ne s'agit pas en l'occurrence du plan Barnier, mais de décisions que j'ai annoncées au nom du gouvernement. Et des décisions qui traduisent les orientations que le Président de la République a rappelées dans le Maine et Loire.
Qu'en est-il ?
PREMIERE CRITIQUE: Nous aurions laissé l'agriculture aux bons soins du marché, pour reprendre le titre de l'éditorial d'un journal agricole.
Comment peut-on dire cela ?
l'accord du 20 novembre a préservé tous les outils d'intervention sur les marchés des céréales et des produits laitiers, alors que la Commission proposait leur démantèlement. Et aujourd'hui, ils sont largement utilisés sur des marchés dégradés. Et nous nous battons pour que l'adjudication ne se fasse pas à bas prix,
l'accord du 20 novembre a restauré un pilotage politique des quotas laitiers. En 2010 et en 2012 les 27 Ministres de l'agriculture auront la possibilité de revenir sur l'augmentation des quotas, voire sur leur suppression .Tout est ouvert, on est loin, là aussi des propositions de la Commission,
nous n'avons rien cédé à l'OMC.
DEUXIEME CRITIQUE: nous n'aurions pas écouté et nous serions restés sourds à certaines propositions
Nous n'avons pas eu de tabou. Votre Président peut en témoigner. Nous n'avons écarté aucune voie pour atteindre les objectifs que nous partagions. Je n'ose vous donner le nombre de scénarios avec leurs variantes que nous avons analysés.
Je sais que certains faisaient une fixation sur l'article 63. Nous avons tout étudié:
- la régionalisation à l'échelle du territoire national.
Pourquoi l'avons-nous écartée ?
Parce qu'elle conduisait à doter tous les hectares de DPU, même ceux qui n'en avaient nullement besoin.
Parce que l'aide unique à l'hectare aurait fragilisé certaines filières et un grand nombre de territoires. Elle aurait détruit des emplois. Elle était contraire à l'ambition que nous portons en faveur de l'installation des jeunes. Nous y avons réfléchi à, deux fois car c'est une décision lourde que nous avons prise, quand on regarde les choix de nos partenaires,
- nous avons également étudié la convergence, c'est-à-dire l'écrêtement des DPU les plus élevés pour augmenter les DPU les plus faibles, la proposition d'un grand nombre de départements céréaliers.
Pourquoi l'avons-nous écartée ?
Parce qu'elle ne permettait pas de mettre en œuvre un soutien différencié sur les surfaces en herbe, priorité du Président de la république.
Parce qu'elle préfigurait, elle aussi, une aide unique à l'hectare pour l'avenir.
TROISIEME CRITIQUE : Nous aurions pris ces décisions contre les céréaliers.
Il est faux de dire que les céréaliers supportent tout le poids de la réorientation des aides parce que nous avons utilisé l'article 63.
Les prélèvements, même si les céréaliers y prennent leur part, sont équilibrés au regard du niveau des soutiens de chacun des secteurs, lui-même reflet de l'histoire. Ainsi, nous allons prélever en 2010 :
5% sur toutes les aides au titre de l'article 68,
3% sur toutes les aides au titre de la modulation avec une franchise de 5000 euros, dont 2% dès 2009,
14% sur les aides grandes cultures et 12,5% sur les aides animales que nous allons découpler en 2010 essentiellement pour financer le soutien à l'herbe.
Il n'est pas juste de dire que les exploitations céréalières seules financent la politique de l'herbe: sur les 700 millions d'euros, ce sont seulement 350 millions que paient les exploitations spécialisées en grandes cultures. Le solde est payé soit par des exploitations mixtes, soit par des éleveurs laitiers ou bovins spécialisés. L'effort est ainsi supporté par les éleveurs.
QUATRIEME CRITIQUE : Ces décisions seraient injustes
La décision ne fut pas facile à prendre. Mais elle est juste. Elle était nécessaire. Elle représente environ pour les exploitations céréalières l'équivalent de 10 euros/tonne. Elle prendra effet dans un contexte économique que l'on ne connaît pas. Mais les experts soulignent que les prix des céréales sont orientés à la fermeté, cela ne veut pas dire aux niveaux que nous avons connus il y a quelques mois. Pour les autres productions, les indicateurs ne sont pas favorables ni du côté des prix ni du côté des charges.
Par ailleurs, chacun d'entre vous connaît les écarts de revenu et a les chiffres en tête. Chacun connaît l'histoire des aides. Chacun sait que la répartition de nos aides n'est pas défendable.
Et puis cette réforme, ce ne sont pas seulement des prélèvements et il n'est pas juste de ne raisonner qu'en pourcentage de baisse des aides. Il y a des retours pour beaucoup d'exploitations y compris celles de grandes cultures: les légumes de plein champ, les protéines végétales, la gestion des risques.
Je ne veux pas pour autant sous-estimer l'impact des décisions sur certaines exploitations. Et je connais la demande d'une progressivité dans la mise en oeuvre de l'article 63. Cette demande se heurte à plusieurs difficultés : le risque du recours juridique et la progressivité pour les bénéficiaires de la réorientation. Dans ces conditions, elle paraît difficile.
J'ai bien conscience, je le mentionnais dans mes décisions lors du CSO le 23 février dernier, de la situation des exploitations spécialisées en céréales des zones intermédiaires qui ont des niveaux de revenus et d'aides plus faibles que dans les zones à fort potentiel. Le débat est ouvert : plusieurs voies sont sur la table, y compris celle d'une mesure rotationnelle que nous étudions. J'ai lu avec attention votre délibération et les propositions que vous formulez. Vous savez que certaines d'entre elles ne font pas le consensus.
Le gouvernement est déterminé : les décisions ont été prises. Mais il n'est pas rigide dans la mise en œuvre. Et c'est dans la concertation avec la profession agricole que nous travaillons à des mesures d'accompagnement qui préparent l'avenir.
Ces décisions, je les ai, en effet, prises au regard de l'avenir que je n'ai pas voulu sacrifier. Ce sera le deuxième point de mon propos.
[2. CES DECISIONS: UNE PREMIERE ETAPE VERS 2013]
Ces décisions préparent l'avenir en traçant un nouveau modèle pour notre agriculture et en ouvrant de nouvelles voies pour la PAC.
Premièrement, ces décisions tracent un nouveau modèle pour notre agriculture : celui d'un développement durable, garant de sa compétitivité de demain, conciliant performance économique et efficacité écologique.
Nous devons voir le défi environnemental comme un défi économique. L'environnement n'est plus alors une limite à la croissance mais il devient un facteur de croissance. L'excellence environnementale de notre développement participera de notre performance globale. Elle constituera même un avantage compétitif stratégique pour nos entreprises agricoles.
C'est ce que je vous disais lors ma première intervention à cette même tribune il y a un peu moins de deux ans. C'est ce que nous avons concrétisé dans « Objectif Terres 2020, pour un nouveau modèle agricole français » que le Président de la République a annoncé le 19 février dernier en Maine et Loire.
Les décisions prises dans le cadre du bilan de santé de la PAC consolident une agriculture de production, une agriculture portée par des hommes. Elles constituent un tournant important dans notre politique agricole en soutenant mieux une agriculture durable au service d'un développement équilibré de nos territoires. Et elles légitiment une politique agricole en tant que telle, différente d'une politique de développement rural.
Deuxièmement, les décisions prises dans le cadre du bilan de santé de la PAC ouvrent de nouvelles voies à la PAC :
- en abandonnant progressivement les références historiques et en réduisant les écarts de soutien entre les exploitations,
- en préfigurant de nouveaux modes de soutien pour notre agriculture qu'il s'agisse des productions animales ou de la couverture de risques.
- en liant l'attribution des soutiens à une contractualisation des débouchés, à des démarches qualité ou encore à l'amélioration des performances techniques,
- en prenant en compte la diversité de nos agricultures.
Nous sommes sur le chemin pour préparer les orientations françaises de la PAC de 2013. Nous avons déjà marqué une étape avec les conclusions partagées par 23 de nos partenaires européens le 28 novembre dernier. La conclusion sur la nécessité d'une politique commune et ambitieuse est un point important et qui n'était pas acquis.
Mais nous devons être vigilants. Nous ne devons pas nous endormir en pensant que nous avons le temps. Vous connaissez les échéances : les élections européennes, le renouvellement de la Commission, le débat sur les perspectives financières. Tout cela converge sur 2010. Cela signifie que nous devons être prêts sur des propositions pour l'après 2013 pour la fin de l'année. C'est le calendrier qu'a fixé le Président de la république.
Ces propositions ne se limiteront pas à la réorientation des aides. Les aides ne doivent pas occulter les enjeux pour demain. Ils sont aussi et peut-être surtout ailleurs :
- la préférence communautaire que nous devons renouveler dans son approche. Il n'y a pas de fatalité à l'abandonner. La position de la France n'a pas changé : protéger les intérêts de l'agriculture en Europe et dans le monde. C'est ce qu'a rappelé le Président de la République le 19 février dernier,
- la gestion des marchés qui doit davantage responsabiliser les agriculteurs et les filières. Ma conviction, vous la connaissez : les marchés sont incapables de gouverner seuls l'agriculture mondiale et européenne. Et le Président de la République a demandé la création avant la fin de l'année, d'un groupe international de scientifiques, sur le modèle du Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat pour établir un diagnostic sur le fonctionnement des marchés de matières premières agricoles et sur l'évolution de la sécurité alimentaire,
- l'amélioration de l'organisation de nos filières pour gagner de la valeur et de l'efficacité commerciale sur des marchés plus ouverts et plus concurrentiels.
Dans un monde qui bouge, qui s'ouvre, nous avons des atouts. La capacité de résistance du secteur agroalimentaire dans la crise en est l'illustration. Mais nous devons nous adapter. Le Président de la République a demandé qu'une loi de modernisation pour l'agriculture et l'agroalimentaire soit préparée d'ici la fin de l'année pour, au regard des orientations que nous aurons arrêtées pour l'après 2013, adapter notre cadre législatif national. Je n'oublie pas les DOM et je vais prendre ma part à la préparation des Etats généraux : il y a de véritables enjeux pour l'agriculture. L'objectif, c'est de mettre à disposition des entreprises agricoles des outils leur permettant d'être réactives. Nous travaillons ainsi à l'expérimentation en 2010 d'une assurance contre les aléas économiques et à l'adaptation de la DPA. Mais au-delà, nous devrons être à la fois ambitieux et lucides. Je sais que les chambres d'agriculture le seront.
J'ai bien mesuré, Monsieur le Président, les efforts que vous avez engagés pour faire évoluer les chambres d'agriculture. J'ai bien noté les prochaines étapes. Mais je dois vous dire que vous serez attendus sur les résultats : plus d'efficacité, plus de réactivité, plus d'innovation. Vous devez, dans chacune de vos chambres d'agriculture, être exigent pour ensemble relever le défi de l'adaptation de votre groupe. Le changement est facteur de progrès.
En ce moment particulier, je voulais vous remercier de la qualité de nos échanges sans concession, leur franchise. C'est une exigence pour un Ministre de l'Agriculture. Mais c'est aussi une chance d'avoir comme interlocuteur une profession organisée et responsable.
En effet, il y a plus de18 mois, à cette même tribune, je vous livrais le sens du projet pour notre agriculture. C'était le 11 juillet 2007. C'était un mois après mon arrivée rue de Varenne. Je vous présentais alors :
- mes orientations pour l'agriculture : une agriculture de production, économiquement productive et écologiquement responsable,
- mes objectifs pour la politique agricole commune: anticiper les échéances et sortir de notre isolement.
Nous avons su ensemble tracer un chemin pour notre agriculture. Nous avons su ensemble la remettre au cœur des défis de nos sociétés. Nous avons redonné de la légitimité à notre politique agricole. Nous avons ouvert des voies pour l'avenir.
Les décisions aujourd'hui ne doivent pas surprendre, elles sont conformes à ce que je vous disais.
Où que je sois demain, les convictions que j'ai portées et partagées avec vous resteront toujours les mêmes :
- l'Union européenne a besoin d'une agriculture performante,
- l'agriculture et l'alimentation ont besoin de gouvernance, de régulation et d'un budget.

source http://www.agriculture.gouv.fr, le 27 mars 2009