Interview de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, à "Nezavisne Novine" le 9 avril 2009, sur les relations entre la France et la Bosnie-Herzégovine et le rapprochement de ce pays avec l'UE et l'OTAN.

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Média : Nezavisne Novine

Texte intégral

Q - Que pensez-vous de l'état des relations politico-économiques actuelles Bosnie-Herzégovine-France ?
R - Nos relations politiques sont excellentes, marquées par les visites à Paris en décembre 2007 du président Komsic qui a rencontré le président Sarkozy, de M. Alkakaj en avril 2008, du président Silajdzic en juillet et en octobre 2008. De multiples coopérations sont en cours, y compris dans des domaines très concrets, au bénéfice des citoyens de ce pays : coopération hospitalière, protection civile, coopération décentralisée entre villes et régions de nos deux pays qui débouchent sur des projets dans le domaine de l'agriculture, du tourisme, de l'environnement. Je regrette naturellement que nos relations économiques soient moins développées. Mais elles progressent année après année. Et je suis convaincu que plus la Bosnie-Herzégovine se rapprochera de l'Union européenne plus nos investisseurs s'intéresseront à ce marché.
Q - Quelle est l'analyse qu'on fait à Paris sur la situation actuelle politique en Bosnie-Herzégovine et dans la région ?
R - L'ensemble de la région est engagée sur une trajectoire de rapprochement avec l'Union européenne et l'OTAN. C'est la clef de sa stabilité, de son ancrage démocratique et de sa future prospérité. Les difficultés propres à chaque pays ne manquent pas, des querelles entre Etats de la région ralentissent le processus mais le cap est clairement tracé. La situation en Bosnie-Herzégovine est complexe, marquée avant tout par un manque persistant de confiance entre les responsables des trois peuples constitutifs qui suscite des tensions et entrave les progrès du pays. Ce manque de confiance et la tentation qu'éprouvent certains de mettre en cause radicalement l'existence de ce pays ou son organisation interne sont la source des difficultés. Il existe cependant des dirigeants politiques de Bosnie-Herzégovine qui tentent de sortir de l'immobilisme, de surmonter les obstacles, de parvenir à des accords sur les principaux sujets.
Q - Est-ce que la communauté internationale et la France, un de ses membres les plus influents, ont la réponse aux blocages presque complets et aux conflits qui ont quasiment paralysé le pays ?
R - Il n'y a pas de formule magique. Il appartient avant tout aux dirigeants de votre pays d'oeuvrer avec obstination à la résolution des conflits et à la levée des blocages que vous évoquez. Nous jouons naturellement, en tant qu'Etat membre du Comité directeur du PIC (Conseil de mise en oeuvre de la paix), tout notre rôle dans l'appui aux tentatives internes visant à sortir la Bosnie-Herzégovine des impasses dans lesquelles elle se perd parfois pour accélérer sa marche vers l'Union européenne.
Q - Quelle est la stratégie de la France pour la Bosnie-Herzégovine ?
R - Il est temps d'ouvrir un nouveau chapitre de l'histoire de ce pays, en remplissant les objectifs et conditions fixées pour engager la transition vers un Représentant spécial de l'Union européenne avec un mandat renforcé. Nous nous employons à encourager le processus de dialogue et de recherche de compromis politiques internes. Le processus dit "de Prud" engagé en novembre dernier me paraît devoir être non seulement poursuivi mais amplifié, étendu à toutes les forces politiques dont la priorité doit être de construire l'avenir européen de la Bosnie-Herzégovine, sans arrière-pensées ni conditions préalables.
Q - Quelles sont les priorités à réaliser par le nouveau Haut représentant ?
R - Valentin Inzko est un diplomate remarquable qui connaît très bien votre pays. Il a notre entière confiance et notre plein soutien. Ses priorités sont claires, ce sont celles qui ont été rappelées lors de la dernière réunion du PIC en mars. Il s'attachera à la réalisation complète des objectifs et conditions fixés pour assurer une transition réussie. C'est-à-dire pour que la Bosnie-Herzégovine assume pleinement ses responsabilités, avec à ses côtés une présence renforcée de l'Union européenne.
Q - Mais doit-il pouvoir encore utiliser les pouvoirs de Bonn pour destituer les dirigeants politiques bloquant les réformes ?
R - Il est certainement préférable pour la Bosnie-Herzégovine que les différends puissent être résolus par le dialogue et la négociation. Les Pouvoirs de Bonn ne peuvent être qu'un instrument de dernier recours. Mais nous n'accepterons pas que la paix, la stabilité et l'intégrité de ce pays soient menacées par quiconque.
Q - Et est-ce que la France va soutenir la suppression des visas pour les citoyens de Bosnie-Herzégovine ?
R - La France soutient pleinement la perspective de suppression des visas pour les citoyens de Bosnie-Herzégovine. Nous savons que la très grande majorité des jeunes de votre pays ne sont jamais allés à l'étranger. La suppression des visas les motivera et facilitera les rencontres et les échanges avec d'autres jeunes Européens. Il y a une feuille de route très précise fixée par la Commission européenne pour parvenir à la suppression des visas. Des progrès ont déjà été enregistrés. Il reste encore des conditions à remplir par les autorités bosniennes. Nous espérons que la levée des visas pourra intervenir le plus rapidement possible.
Q - Quel est le rapport de la France à l'égard de l'élargissement de l'Union européenne ?
R - Les élargissements successifs ont été un succès. Naturellement, une Union de vingt-sept membres ne fonctionne pas comme une Union à douze ou à quinze. Il est donc normal que l'Union européenne s'organise pour ses futurs élargissements. A cet égard, il nous paraît important que le Traité de Lisbonne entre en vigueur. La France a par ailleurs, depuis 2000, et le président l'a rappelé récemment, toujours manifesté son attachement à l'intégration des pays des Balkans occidentaux dans l'Union européenne.
Q - Quand la Bosnie-Herzégovine pourrait-elle obtenir le statut de candidat pour être membre de l'Union européenne ?
R - La Bosnie-Herzégovine, en signant l'Accord de Stabilisation et d'Association avec l'Union européenne en juin dernier, s'est engagée à faire un certain nombre de réformes. Il appartient aux autorités de Bosnie-Herzégovine de les mettre en oeuvre. Plus elles progresseront dans cette voie, plus elles favoriseront les chances de ce pays d'obtenir dans un avenir proche le statut de pays candidat.
Q - La France va-t-elle insister sur la modification de la Constitution de Bosnie-Herzégovine avant le départ du Haut représentant afin d'établir une structure institutionnelle fonctionnelle en Bosnie-Herzégovine ?
R - Comme vous le savez, les pays membres du PIC ont posé en février 2008 le respect de plusieurs objectifs et conditions comme préalables à la fermeture du Bureau du Haut représentant et son remplacement par un Représentant spécial de l'Union européenne aux pouvoirs renforcés. La réforme constitutionnelle n'en fait pas partie. Toutefois, chacun est conscient que le fonctionnement institutionnel de la Bosnie-Herzégovine est loin d'être satisfaisant. Et que pour entrer dans l'Union européenne, des modifications seront nécessaires.
Q - Est-ce qu'une nouvelle conférence internationale peut être la solution aux problèmes et aux lacunes fonctionnelles en Bosnie-Herzégovine ?
R - La situation de la Bosnie-Herzégovine aujourd'hui est bien éloignée de celle de 1995. Je suis convaincu, comme je vous le disais tout à l'heure, que le dialogue entre Bosniens est la seule voie de progrès pour la Bosnie-Herzégovine. C'est à vos élus qu'il revient, comme ils l'ont démontré avec le vote du premier amendement à la Constitution du pays sur Brcko, d'être les acteurs des réformes dont ce pays a et aura besoin. La communauté internationale apporte son soutien à ce dialogue, sans qu'il soit nécessaire de passer par une nouvelle conférence internationale.
Q - Quel est votre commentaire sur les déclarations relatives à la sécession éventuelle de la République serbe entendues ces derniers mois ?
R - Ces déclarations sont inacceptables. Elles nuisent au dialogue entre les différentes communautés de Bosnie-Herzégovine et contribuent à radicaliser les positions des uns et des autres. Elles ne servent en rien les intérêts des citoyens bosniens. La Bosnie-Herzégovine ne pourra entrer dans l'Union européenne que comme un pays uni. Tout ce qui porte atteinte à sa souveraineté et à son intégrité nuit à la perspective européenne et euro-atlantique de la Bosnie-Herzégovine. Elle a besoin d'un discours politique positif qui valoriserait l'écoute et le compromis, valeurs qui constituent les fondements de la démocratie et sont au coeur de l'idée et de la pratique européennes.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 avril 2009