Texte intégral
Monsieur l'Ambassadeur,
Chers amis,
Merci pour ces propos très justes et très intéressants et j'en profite sachant que vous quittez vos fonctions dans quelques jours, malheureusement rattrapé par l'âge de la retraite, pour vous remercier de tout ce que vous avez fait, toute votre contribution dans ce poste mais bien avant aussi, aux relations franco-allemandes.
Je voudrais féliciter les lauréats pour ce prix, dont c'est la quinzième édition. On l'a dit tout à l'heure, c'est un prix qui a acquis un vrai prestige, une vraie notoriété, parce qu'à la fois c'est du journalisme, et du journalisme qui n'est pas facile et, en même temps, cela remplit une fonction qui va au-delà du journalisme et qui rejoint cette relation franco-allemande qui est toujours en train de se reconstruire, de se renouveler, de se moderniser, c'est donc quelque chose de très important.
Je ne vais pas redire ce qui a été dit avant moi, je suis très heureux de vous accueillir tous, ici dans les salons du Quai d'Orsay, pour cette heureuse rencontre et manifestation franco-allemande.
Je veux dire simplement deux, trois choses très simples sur les relations franco-allemandes, aujourd'hui. Je ne reviens pas sur l'histoire. Ce qui a été fait est exceptionnel, c'est très important, aucun autre peuple ne l'a fait, mais maintenant c'est acquis, c'est solide, cela reste dans la mémoire. Il faut que cela reste dans les mémoires, mais nous ne sommes plus dans cette situation.
Les relations franco-allemandes ont toujours été une construction. Elles n'ont pas toujours été en phase d'entente parfaite et l'on n'est pas toujours dans des situations où la France et l'Allemagne sont automatiquement d'accord sur tous les sujets. J'ai toujours combattu cette vision à l'eau de rose sur les relations franco-allemandes comme si, en vertu d'une décision politique prise par le général de Gaulle et le chancelier Adenauer, nous aurions dû être d'accord sur tout, tout le temps.
Cela n'a jamais été vrai. Même à l'époque du général de Gaulle et du chancelier Adenauer, il y avait des sujets sur lesquels nous étions d'accord et des sujets sur lesquels nous n'étions pas d'accord et, en faisant des efforts, les désaccords se transformaient en accord ; mais pas toujours, parce que ce sont des pays très différents qui n'ont pas les mêmes intérêts, les mêmes approches.
La relation franco-allemande est donc toujours une construction. C'est une construction intelligente, positive, difficile, mais c'est du volontarisme et c'est un volontarisme qui demeure indispensable encore aujourd'hui.
Chaque fois qu'il y a des changements dans l'un ou l'autre des deux pays, il faut un temps de reconstruction, c'est normal. Chaque fois que l'on rencontre des problèmes nouveaux, notamment dans la construction européenne, il faut un certain temps pour que l'ajustement des analyses se fasse : les analyses, les projets, les ambitions.
Ces dernières années, il y a eu beaucoup de changements. D'abord, la France et l'Allemagne avaient - avec Helmut Kohl et François Mitterrand- été très loin dans le projet européen, - comme j'ai cité Charles de Gaulle et Adenauer et François Mitterrand et Helmut Kohl - il faut naturellement que je rappelle la grande époque aussi de Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt -, mais ce que je voulais dire, c'est qu'après cette période d'avancée considérable, il y a eu beaucoup de changements dans les dirigeants et, en même temps, après Maastricht, l'Europe a commencé à affronter un problème tout à fait nouveau - que les grands dirigeants du passé que j'ai nommés n'avaient pas eu à affronter, qui était le grand élargissement.
Et ce n'est pas inquiétant, ce n'est pas étonnant qu'il ait fallu quelques années pour réarticuler les points de vue à ce sujet. D'autant que ces dernières années, l'Allemagne a eu à assumer la Présidence de l'UE, c'était en 1999 ; la France a eu à assumer la Présidence, c'était en 2000 avec cette négociation institutionnelle extraordinairement compliquée, comme à chaque fois. Ce n'est que depuis janvier 2001 que les dirigeants français et allemands actuels ont pu se retrouver à pied d'oeuvre pour moderniser, rebâtir même, à un certain moment la relation franco-allemande d'aujourd'hui.
Et c'est cela que nous sommes en train de faire. Depuis le mois de janvier, une fois passées ces échéances compliquées à gérer, le président de la République, le Premier ministre, le chancelier, naturellement Joschka Fischer et moi-même, avons décidé de nous voir de façon beaucoup plus intense que dans les deux ou trois années passées, c'est-à-dire quasiment toutes les six semaines, beaucoup plus pour les ministres, mais c'est leur travail normal, pour reprendre toute la question franco-allemande. Nous sommes depuis janvier-février dans cette phase ; nous passons en revue tous les sujets, pas uniquement les sujets européens d'ailleurs. Evidemment les sujets européens occupent une part très importante de nos discussions mais nous parlons aussi de la politique avec les Etats-Unis, avec la Russie, avec le Proche-Orient, l'Afrique, la Méditerranée, tous les sujets, et nous travaillons sur l'Europe. Nous travaillons dans cette phase qui est tout à fait nouvelle parce que l'on ne peut pas se servir des recettes d'avant et l'on peut pas invoquer les grands couples présidents/chanceliers du passé pour résoudre les problèmes d'aujourd'hui, c'est-à-dire comment gérer le grand élargissement qui va faire passer l'Union européenne de 15 Etats membres à 27 et un jour plus, parce qu'il y a presque une dizaine de nouveaux candidats potentiels après.
Comment gérer cette situation tout en réussissant le renforcement et le processus alchimique qui doit conduire l'Europe à se renouveler à travers le débat qui doit se conclure en 2004 ? Cela ce sont des années qui viennent, elles sont cruciales. Je considère, moi, que ce qui est devant nous comme choix entre 2001, 2005, les 5 à 10 années qui viennent, sont encore plus importantes historiquement que tout ce qui a été fait avant. Quant à ce qui a été fait avant depuis 30 ou 40 ans, il fallait un courage politique fantastique pour les grands dirigeants qui ont lancé cela et qui l'ont mené à bien.
Mais aujourd'hui nous avons une complexité qui ne se trouvait pas dans les choix du passé et même jusqu'au moment de Maastricht. Cette question de l'Europe à 15 éventuellement à 27, ce grand débat sur l'avenir, c'est quelque chose où nous aurons besoin de toutes nos ressources françaises et allemandes et franco-allemandes, sans oublier les autres, pour arriver à trouver la bonne solution.
Ce débat va s'étaler sur plusieurs années. Je voudrais vous dire aussi que c'est tout à fait normal que dans ce débat sur l'avenir de l'Europe - 2001, 2002, 2003, 2004 - il est tout à fait normal que dans la phase initiale, c'est-à-dire maintenant, chacun exprime ses préférences et donc qu'il y ait un point de vue ou une vision française ou des visions françaises. Il y a eu un grand discours du président de la République il y a un an, un discours important du Premier ministre il y a quelques semaines, il est tout à fait normal qu'il y ait une ou des visions allemandes : celle de Joschka Fischer que l'on connaît, le point de vue du SPD, qui est aussi celui du chancelier ; c'est normal, c'est le début, cela va continuer, cela va se développer comme cela. Vous aurez dans les mois qui viennent et dans l'année qui vient et peut-être encore en 2002 un éventail de points de vue, de conceptions, et il ne faut pas s'inquiéter, pas du tout, si cela ne coïncide pas automatiquement. Cela n'a aucune chance de coïncider automatiquement.
Nous avons décidé à Nice en décembre dernier que nous allions mener ce vrai débat sur l'avenir de l'Europe de façon large et démocratique. On parle sans arrêt de manque démocratique, c'est un commentaire un peu facile d'ailleurs en général, mais sur ce point, acceptons ce défi et acceptons que l'on débatte de tout au sein des Quinze et avec les Douze, les opinions publiques, les gouvernements, les Parlements, les médias, tout le monde.
Quel type d'Europe voulons-nous après, dans la grande Europe élargie ? Comment répartir les pouvoirs ? Quels doivent être les pouvoirs au niveau européen ? Quelle est leur nature ? Est-ce que l'on garde l'équilibre du triangle institutionnel ? Est-ce qu'on le modifie ? Et comment répartit-on les compétences entre le niveau européen, le niveau des Etats-nations, le niveau des régions ou des Länder ?
C'est un immense sujet. Il faut prendre le temps, il faut accepter de procéder étape par étape. Un grand débat démocratique ne peut être mené que s'il sort des milieux spécialisés dans le franco-allemand. C'est très bien, ce n'est pas à vous que je vais dire que ce n'est pas bien d'être spécialiste dans le franco-allemand, mais il faut que le débat déborde de ces milieux, déborde des milieux spécialisés sur l'avenir de l'Europe qui font toujours les mêmes colloques sur les mêmes sujets. Il faut que cela touche la grande opinion, les partis politiques, les mouvements d'idées, les mouvements culturels et qu'en 2002/2003 toute l'Europe s'engage et soit engagée pleinement dans cette discussion.
Après viendra le temps de la décantation et le temps de la négociation et c'est à ce moment là que les Français - ceux qui seront responsables à ce moment-là -, les Allemands - ceux qui seront responsables à ce moment-là - et tous les autres devront arbitrer, choisir, trancher, synthétiser les opinions qui auront été exprimées pendant cette extraordinaire période de richesse et d'ouverture pour arriver à des positions de négociation, pour finalement conclure, pour trouver à cette grande Europe élargie la forme institutionnelle qui lui permettra d'être tout ce que nous souhaitons à la fois, c'est-à-dire un continent, un ensemble de pays qui doivent être exemplaires par rapport au reste du monde.
C'est un programme ambitieux et nous voulons que dans cette Europe la vie, l'organisation de la société, la liberté, la créativité, les garanties forment un équilibre qu'on ne retrouvera nulle part ailleurs et qui provoquera un mouvement d'admiration, d'envie, de désir ; et nous avons à poursuivre cette progression. C'est très exigeant.
Dans cette affaire, la relation franco-allemande conserve sa valeur inestimable, c'est ainsi que nous la traitons en ce moment à travers ces rencontres, ces efforts ; mais il faut admettre cette diversité de point de vue. Il ne faut pas s'en inquiéter, il ne faut pas s'en chagriner. Diversité dans chaque pays, diversité entre la France et l'Allemagne ; et après au moment de la synthèse, mais c'est un peu plus tard, je crois qu'il sera tout à fait indispensable qu'il y ait une conception franco-allemande sur l'avenir de l'Europe pour préparer les arbitrages et les décisions. Mais il ne faut pas le faire trop tôt, il ne faut pas avoir peur de notre propre richesse, ni de notre propre diversité, ni de notre propre capacité démocratique ; au contraire il faut jouer le jeu et c'est là où je retrouve les journalistes et les médias, naturellement ce sont eux qui donneront à ce débat, à ces discussions, à ces réflexions tout l'écho que l'on peut souhaiter pour continuer à avancer.
Merci à tous de ce que chacun d'entre vous fait pour cette immense cause franco-allemande.
Q - En Hongrie, vous avez récemment appelé à la "sérénité". Les Irlandais ont rejeté la ratification du Traité de Nice par 55% des voix. Certains désignent cela comme un accident de parcours sur la voie de l'Union européenne. Que pouvez-vous faire, vous et vos collègues, dans cette situation ?
R - D'abord, quand je parle de sérénité dans les relations franco-allemandes, c'est sur un point précis. Pour moi, je l'ai dit tout à l'heure, elles restent fondamentales et irremplaçables. Il n'y a rien d'autre qui peut jouer dans l'Europe le même rôle que les relations franco-allemandes.
Ce que j'ai dit tout à l'heure, c'est qu'il ne faut pas avoir peur si dans le débat sur l'avenir de l'Europe, les Français ont différentes idées qui ne sont pas automatiquement celles des Allemands. Tous les Français n'ont pas les même idées, tous les Allemands n'ont pas les même idées : c'est très bien, c'est le débat.
C'est là dessus que je parle de sérénité, il ne faut pas avoir peur de cela.
Sur la question irlandaise, nous avons réagi les uns et les autres en Europe un peu comme le souhaitaient les dirigeants irlandais. Les dirigeants irlandais ont regretté eux aussi, mais ils nous ont dit "ne prenez pas cela tout à fait au tragique parce que nous avons encore du temps pour ratifier le Traité de Nice et ils nous ont fait remarqué qu'il y a eu très peu de participation dans ce référendum : 32 % ; Compte tenu de la petite majorité du "non", cela doit vouloir dire qu'il y a à peu près 17% des électeurs irlandais qui sont contre le Traité de Nice.
L'Irlande est connue historiquement, en tous cas depuis son entrée dans l'Union européenne pour être un pays très favorable à l'Europe. L'analyse qui vient tout naturellement à l'esprit, c'est que tous les Irlandais très favorables à l'Europe ont estimé que l'adoption du Traité de Nice était une formalité, que ce n'était même pas la peine d'aller voter, ils ont dû aller à la pêche, je ne sais pas ce qu'ils ont fait. Ils ont fait autre chose.
Tout le monde en Europe a dit : "nous regrettons".
Ce n'est pas une raison pour rouvrir la discussion sur le Traité, qui a été très difficile ; pour ralentir la négociation sur l'élargissement avec les pays qui attendent leur adhésion, au contraire, il faut continuer activement et puis nous espérons que les dirigeants irlandais pourront reposer la question plus tard dans un contexte différent avec certainement une meilleure campagne d'explications parce qu'il y a quelques Irlandais qui trouvent que le Traité de Nice va trop loin mais il y a certainement une majorité, qui ne demande qu'à s'exprimer, qui est plus positive.
Voilà l'état d'esprit général, c'est une forme de sérénité, peut-être. C'est une sérénité active, optimiste et dynamique, c'est pour ne pas arrêter les choses.
Q - Nous avons eu des élections européennes en Allemagne et en France avec moins de 50 % de participation électorales, c'est d'ailleurs une tendance que l'on voit partout en Europe, pas seulement lors des élections européennes mais aussi lors des élections municipales et nationales.
En France, vous avez l'instrument du référendum, vous en avez même fait un il y a quelques années à propos de Maastricht lors duquel une toute petite majorité de 0,5 % a dit "oui". Est-ce que vous pensez que les Français auraient voté si on leur avait posé la même question ?
R - Sur Nice ? D'abord je voudrais faire une remarque qui est que malheureusement la baisse de participation est générale dans tous les pays riches et très développés. C'est un vrai problème et c'est très dommage. Alors que quand on vote en Iran, par exemple, tout le monde va voter. Il y a donc un certain nombre de pays dans lesquels les gens trouvent que le droit de vote c'est très important, on ne peut pas le négliger, on ne peut pas être désinvolte avec cela. Malheureusement, dans nos pays où le droit de vote est installé depuis très longtemps, parfaitement libre, il n'y a aucune contrainte sur rien, un ensemble de gens trouve que c'est un peu superflu.
Cela c'est vraiment une tendance qu'il faut combattre. C'est une question de civisme.
Q - Mais vous l'avez utilisé comme argument tout à l'heure, en disant que 17 % des irlandais avaient voté contre, c'était 17% qu'ils voulaient dire.
R - Je ne l'ai pas utilisé, mais j'ai constaté que l'on pouvait arriver à une analyse qui ne soit pas complètement pessimiste et on l'a fait pour aider les responsables d'Irlande qui le demandent. Ils réagissent comme cela eux-mêmes.
S'il y a avait eu 80 % de participation en Irlande et 70 % de votes hostiles, on ne pourrait pas faire ce raisonnement.
Donc, il y a une tendance à la baisse de la participation, qui est vraie aussi hors d'Europe ; en général, le président des Etats-Unis est élu avec moins de la moitié des inscrits.
Qu'est-ce que répondraient les Français : c'est inséparable de la campagne qui est menée. On ne peut pas dire "voilà, ils auraient dit oui ou non". Moi, je pense qu'ils auraient dit "oui", parce que le président de la République et le gouvernement auraient fait une excellente campagne et parce que l'on aurait expliqué que c'est un progrès vers d'autres progrès, on aurait expliqué que ne pas avoir le Traité de Nice cela ne résout aucun problème, d'aucune sorte ; cela ne présente que des inconvénients sur tous les plans, pour les Etats membres comme pour les pays candidats. Cela dépend de la campagne, il n'y a aucune campagne électorale qui soit jouée à l'avance, c'est pour cela que les sondages sont une photographie à un moment donné : il n'y a pas de dynamique dedans ; et on aurait, je crois, introduit une dynamique dans cette affaire européenne.
Q - Toujours sur le thème de l'Europe et des relations franco-allemandes, vous avez été par le passé de par vos fonctions aux premières loges pour apprécier la qualité de la relation entre le président Mitterrand et le Chancelier Kohl ; aujourd'hui vous êtes aussi aux premières loges au ministère des Affaires étrangères pour apprécier la qualité de la relation entre le président Chirac et le Premier ministre Lionel Jospin d'une part et le Chancelier Schroeder d'autre part. Comment définiriez-vous la première relation par rapport à la seconde ?
R - Je ne veux pas comparer, c'est délicat.
J'ai dit tout à l'heure ce que j'en pensais fondamentalement ; c'est qu'il n'y a pas de coïncidence automatique des positions française et allemande, cela n'existe pas, les deux pays sont trop différents. C'est par un raisonnement, c'est par une démarche d'intelligence politique que les responsables français et allemands depuis quelques dizaines années savent qu'ils doivent se mettre d'accord pour avancer ensemble et puis apporter la contribution la plus forte possible aux progrès de l'Europe. C'est une construction.
Cela n'a pas toujours été comme cela. Donc, il faut d'abord intégrer l'idée qu'il y a des moments plus ou moins actifs, il y a des contextes plus ou moins favorables. On parle de de Gaulle/Adenauer, mais tout de suite après la signature du traité de l'Elysée en 1963, le Bundestag de l'époque a voté un préambule qui contredisait un peu le traité et disait : on fait cela, mais ce qui est important pour nous, c'est l'Amérique, ce n'est pas la France.
Il y a toujours eu des hésitations. Je pourrais citer, mais je ne le ferai pas, plusieurs périodes avec des présidents et des chanceliers où cela ne marchait pas. Il faut relativiser cela.
Deuxièmement, les relations très fortes, même les relations Helmut Kohl/François Mitterrand ou Valéry Giscard d'Estaing/Helmut Schmidt, ce ne sont pas des choses qui ont démarré à la première minute, cela se construit avec le temps. Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt : ils se connaissaient avant comme ministres, mais pour Helmut Kohl/François Mitterrand, il a fallu une construction. Il faut un certain temps, il faut apprendre à se connaître, il faut élaborer des réponses communes aux problèmes qui se présentent, ce n'est pas automatique.
Objectivement, dans la période récente, quand le Président Chirac a été élu, il était face à un chancelier Kohl, dont l'avenir était incertain ; allait-il se représenter ? Serait-il réélu ? Le nouveau chancelier à peine élu a dû gérer la présidence de l'Europe, tout de suite, avec une équipe qui arrivait, une coalition qui n'avait pas encore l'habitude de travailler ensemble, avec un sujet épouvantablement difficile qui était le budget.
En France, il y a une cohabitation, il faut que les Allemands aient le temps de s'y habituer et ensuite il y a la présidence française. Quand vous assurez la présidence, - c'est vrai pour les Allemands comme pour les Français - vous devez vous occuper de tout le monde. La présidence allemande ne peut pas s'occuper uniquement de la relation franco-allemande ; les Français, pendant la présidence française, ne peuvent pas s'occuper que de la relation avec l'Allemagne.
Il y a eu plusieurs années qui ont été compliquées. Pendant la présidence allemande, j'ai cité : la question du budget. Pendant notre présidence, la question institutionnelle, c'est toujours cette négociation terrible. Donc, nous avons traversé quelques années qui étaient beaucoup moins favorables que la deuxième moitié des années 80 par exemple, ou le début des années 90, qui était beaucoup moins favorable, donc, à des avancées franco-allemandes ou européennes. Et pendant ce temps-là, se mettait en place la nouvelle problématique européenne qui va être la nôtre pendant plusieurs années maintenant, pendant 5 à 10 ans, qui est la combinaison du grand élargissement, la réflexion sur l'avenir institutionnel de l'Europe élargie, la préparation de la nouvelle négociation budgétaire de 2006, qui sera très difficile.
Il faut du temps pour tout cela. C'est pour cela que j'ai insisté tout à l'heure sur la différence entre ce qui s'est passé depuis ces trois ou quatre dernières années et ce que nous rebâtissons ensemble ces derniers mois, et là nous sommes dans une phase active, constructive et je crois que la relation est forte, cela fait d'ailleurs deux Conseils européens qui se passent sans qu'il y ait la moindre différence dans les positions françaises et allemandes grâce à tout un processus de préparation.
Q - Les relations entre les pays de l'Union européenne ont encore quelques problèmes. Je veux dire par exemple avec l'Allemagne, on peut dire qu'un problème a été résolu mais il en demeure encore beaucoup. Par exemple, on a fait notre reportage, et il y avait des difficultés entre les gendarmes français qui ne pouvaient pas aller en Allemagne et vice versa. Il demeure encore plein de problèmes comme cela dans l'Union européenne. Comment vont se régler ces problèmes à l'orée de la vraie création de l'Union ?
R - Ils vont se régler comme tous ceux qui ont été réglés depuis des dizaines d'années. Ils vont se régler les uns après les autres, étape après étape. S'il ne s'était pas passé tout ce qui s'est passé depuis 30 ou 40 ans, vous ne poseriez même pas la question ; parce que vous trouveriez absolument normal que les gendarmes allemands soient en Allemagne et les gendarmes français en France.
Donc pour que vous arriviez à trouver bizarre aujourd'hui que les gendarmes d'un pays aient du mal à travailler dans l'autre, c'est vraiment que nous avons déjà fait des progrès tout à fait extraordinaires, que nous avons réalisé des avancées incomparables par rapport à ce qui s'est passé dans l'Histoire.
Il faut rappeler la base : les pays d'Europe ce ne sont pas les Etats-Unis d'Amérique, ce n'est pas une sorte de territoire découpé un peu au hasard, avec des gens qui sont les mêmes en réalité, qui s'unissent sans difficultés, ce sont des nations ou des peuples ou des Etats, des pays qui existent depuis mille ans.
A partir de là, le travail pour harmoniser et progresser est très difficile, tout à fait considérable. Nous avons fait depuis 10 à 15 ans des progrès extraordinaires. Nous sommes même dans certains domaines plus intégrés que les Etats-Unis. Il y a aux Etats-Unis aujourd'hui, entre Etats, alors que ce ne sont pas des Etats anciens, des différences de réglementation, de législation, y compris sur des choses incroyablement importantes comme la peine de mort, par exemple. Il y a entre les Etats des Etats-Unis des différences qui aujourd'hui n'existent plus entre les pays d'Europe.
Alors évidemment, on peut dire qu'il reste toutes sortes de choses à harmoniser ; il y a de quoi travailler pendant des années ; il y a sans arrêt des réunions de ministres à Bruxelles, des Conseils européens ; la machine à harmoniser fonctionne tout le temps, certains trouvent d'ailleurs qu'elle fonctionne trop. Dans chaque pays, il y a des résistances à cela.
Q - Cette machine va-t-elle vraiment aboutir ?
R - Oui, bien sûr.
Q - Harmonisation comme vous dites, voyez-vous une issue possible pour résoudre tous ces petits problèmes ?
R - Il s'en résout tout le temps. Dans chaque réunion européenne, - là vous êtes fixé sur un problème particulier - on résout des problèmes sur lesquels on négociait depuis deux ans, cinq ans, dix ans, on trouve des solutions, mais nous n'arriverons certainement pas à un seul grand Etat européen unique, personne n'en veut. L'idée d'une sorte de normalisation bureaucratique de trente pays d'Europe avec le même système partout sur tous les sujets, cela c'est une idée terrifiante cela.
Donc, il faut arriver au maximum d'harmonisation compatible avec le maintien des identités, des cultures, le principe de subsidiarité, etc... C'est un équilibre à trouver et il se trouve sujet par sujet ; là vous parlez de police, mais il y a mille sujets.
Q - Vous ne voulez pas d'un grand Etat européen, mais il y a de plus en plus de vos confrères, hommes politiques, notamment des deux côtés du Rhin.....(inaudible)
Quand on parle de l'Union européenne, on parle des monarchies constitutionnelles, des Républiques dont certaines sont devenues Républiques après une défaite militaire, des Républiques pour lesquelles on a durement lutté très longtemps. Alors si le mot Constitution veut dire quelque chose, ces deux choses ne me paraissent pas compatibles. Alors de quoi parlez-vous quand vous parlez de Constitution européenne ?
R - De plus en plus de gens en Europe disent : "les traités européens on n'y comprend plus rien ; il y en a trop, il y a trop d'articles et l'on n'y comprend rien".
Il faut trouver un texte simple et clair qui explique les choses et qui dise quels sont les pouvoirs de l'Europe, les pouvoirs des Etats-nations, les pouvoirs des régions dans tel et tel domaine, c'est une demande de clarté, on peut comprendre cela.
Si l'on est un puriste, on peut dire que le mot Constitution est impropre, parce que pour qu'il y ait une Constitution, il faut un peuple, un Etat, alors que l'Europe est une union de peuples, une union d'Etats, on peut discuter comme cela, mais vous voyez bien que c'est une démarche de clarification politique, on peut la comprendre. Ce qui fait qu'il y a de plus en plus de dirigeants politiques en Europe et notamment en France et en Allemagne qui disent : "acceptons cette idée de Constitution parce qu'elle reflète un désir de clarification compréhensible, c'est une demande démocratique. Après, la Constitution, tout dépend de ce que l'on y met. En ce qui concerne la répartition des pouvoirs entre l'Europe et les Etats-nations, on peut avoir une Constitution qui donne tous les pouvoirs à l'Europe ou une Constitution qui redonne tous les pouvoirs aux Etats-nations, donc le mot Constitution ne règle pas les choses magiquement. Mais c'est une démarche de clarification, on peut la comprendre. Est-ce que cela veut dire que l'on va aligner comme dans un règlement militaire tous les Etats d'Europe avec le même régime, le même système partout ? Cela n'arrivera jamais : la personnalité des peuples d'Europe est beaucoup trop forte et nous devons le faire par rapport au reste du monde qui nous observe, qui est confronté à la globalisation, à la mondialisation, qui ne veut pas de nivellement. Les gens veulent profiter de la mondialisation tout en restant eux-mêmes, ils veulent combiner les deux.
Ce que nous devons apporter comme preuves, nous Européens, c'est que l'on peut combiner ces deux démarches. Une démarche d'union, et d'harmonisation et d'intégration, qui est toujours plus forte, et en même temps le respect des cultures, des identités, des langues. C'est cela qu'il faut. C'est un peu la quadrature du cercle, mais c'est précisément parce que c'est original et que personne n'a jamais fait cela avant, que cela fascine le monde entier. Voilà, il faut inventer.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 juin 2001)