Texte intégral
Q - Bonjour Monsieur le Ministre, la campagne européenne dont on vient de parler a quasiment été lancée par Barack Obama, puisque c'est lui qui a amené les dirigeants et les partis européens à se prononcer sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Vous étiez pour, vous êtes contre à présent, pourquoi ?
R - Vous résumez un peu trop vite mon attitude. Je ne suis pas contre mais je m'interroge beaucoup plus qu'avant. En effet, je croyais, je crois toujours qu'il s'agissait, avec la Turquie, d'un pont nécessaire entre la civilisation européenne et une autre civilisation, entre le monde musulman et l'Europe.
Q - En fait, vous n'êtes donc pas contre ?
R - Disons que, comme vous l'avez vu à Strasbourg, l'attitude et les références qui ont été faites par la Turquie m'ont profondément choqué. Pour moi, la Turquie est un pays laïc qui a mis en place le droit de vote des femmes avant la France et où l'on avait séparé depuis longtemps, la mosquée, du gouvernement. C'est cela qui me plaît toujours dans la Turquie. Je m'interroge sur la manière dont les choses se sont déroulées, ce que l'on a reproché à M. Rasmussen qui a été élu Secrétaire général de l'OTAN. Cette liberté d'expression nécessaire - y compris lorsqu'il s'agit de la religion - avait été remise en question de façon un peu brutale en Turquie.
Par ailleurs, M. Obama n'est pas membre de l'Union européenne avec tout le respect et l'amitié que je lui porte. Ce n'est donc pas à lui de déterminer ce que sera l'Europe de demain, ni même ce qu'est l'Europe d'aujourd'hui.
Q - Je voulais juste savoir si vous y étiez favorable mais cela semble encore bien décidé pour vous.
R - Il est intéressant que M. Obama en parle.
Depuis longtemps, c'est une alliance que les Américains nourrissent, et peut-être à juste titre, concernant la Turquie mais ce n'est pas à M. Obama de configurer l'Europe.
Q - Et vous n'avez pas tranché personnellement ?
R - Non, mais honnêtement, cela m'a beaucoup remué.
Q - L'islamisme fait peur à la communauté internationale et pourtant, le gouvernement d'Hamid Karzaï vient de valider une loi qui légalise le viol des femmes chiites par leur mari.
Dans ces conditions, l'Europe et les Etats-Unis qui soutiennent le gouvernement d'Hamid Karzaï doivent-ils continuer de le faire ?
R - Bonne et juste question à laquelle je réponds "non". Nous ne pouvons pas soutenir cette loi. J'ai moi-même conversé au téléphone avec le président Karzaï il y a quelques jours, il affirme - tout le monde l'ayant brutalement sermonné pour qu'il prenne conscience des réalités -, avoir renvoyé cette loi au parlement
Il dit qu'il ne l'avait pas lu, que c'était automatique. Néanmoins, vous avez raison, c'est inadmissible. Il ne s'agit pas seulement de ce que vous avez dit, le viol autorisé de sa propre femme, mais également concernant les sorties dans la rue... ce n'est pas la démocratie. Toutefois, nous n'allons pas proposer de la démocratie occidentale à l'Afghanistan ! Certainement pas, mais cela était inadmissible.
Q - N'allons-nous pas nous retirer un jour de l'Afghanistan et laisser finalement la population aux mains de ceux à qui on a justement voulu la soustraire ?
R - Pardonnez-moi mais il est difficile de répondre trop rapidement.
Q - Sans répondre trop rapidement, mais malgré tout, on a l'impression qu'il n'y a pas d'évolution à ce niveau, l'islamisme est toujours présent et les Taliban sont toujours là.
R - Il y a une évolution, je vous l'assure. Je connais très bien ce pays, une évolution existe.
Q - Je n'en doute pas.
R - Je vous assure, il y a une évolution. Les femmes ont été élues au parlement, ces élections se sont déroulées de manière contrôlée et démocratique. Il y a des écoles, des dispensaires, deux millions de petites filles vont à l'école.
Lorsque je travaillais comme médecin en Afghanistan, il n'y avait même pas d'écoles dans les villages. Il y a donc des choses qui évoluent mais en effet, nous ne transformerons pas l'Afghanistan en une démocratie occidentale et d'ailleurs, nous ne le souhaitons pas.
Nous allons leur permettre, je l'espère, de choisir eux-mêmes, de prendre les projets en main et en charge. Il y a un très bel exemple, c'est l'hôpital français de Kaboul dirigé par Alain Deloche et Eric Cheysson que nous allons peut-être étendre. C'est une vraie réussite car ce sont les Afghans qui travaillent : des médecins, des infirmières et une administration afghane. Cela fonctionne.
Q - Votre secrétaire d'Etat aux droits de l'Homme était en Afrique cette semaine, en Ethiopie. C'est le deuxième pays, après Haïti, où les ressortissants français adoptent le plus avec 484 enfants.
Rama Yade qui veut à la fois faciliter et mieux encadrer les adoptions à l'étranger est allée vérifier la bonne marche des orphelinats.
Finalement, Rama Yade vous agace-t-elle ou bien est-elle très subtile ?
R - Non, elle m'émeut.
Tout d'abord, voir une personne de son talent retrouver les problèmes que je connais si bien depuis tant d'années, cela m'émeut. Je trouve que c'est une découverte et un intérêt formidable. Rama Yade a raison, oui, elle a raison. On n'expose pas les enfants ainsi, ce n'est pas un commerce. Je ne doute pas de la sincérité des personnes qui ont un désir voire même un besoin d'enfant, mais c'est d'abord les droits des enfants qu'il faut respecter. C'est pour cela que nous avons essayé d'organiser l'adoption de meilleure manière.
On parle d'Haïti, de l'Ethiopie mais aussi d'autres pays. Ce sont les pays les plus pauvres qui fournissent des enfants aux pays les plus riches, ce n'est pas possible.
Il nous faut organiser, en respectant les parents, leur souci d'avoir un petit garçon ou une petite fille, mais aussi, en luttant contre la pauvreté. On ne peut pas le faire de cette façon.
Q - A propos de Rama Yade, là comme ailleurs, ne dit-elle pas tout haut ce que vous pensez tout bas ?
R - Ou parfois elle dit le contraire.
Q - Comme par exemple, quand dit-elle le contraire ?
R - Ce n'est pas grave. Ne me faites pas tomber dans cette querelle.
Q - Non, mais c'est vous qui avez dit que son secrétariat d'Etat était une erreur ! Le maintenez-vous ?
R - L'erreur était de ne pas savoir qu'elle était en querelle avec le président de la République.
Q - Mais, vous ne le saviez pas !
R - Non, je ne le savais pas. Je ne suis pas toujours Rama Yade à la télévision contrairement à ce que l'on dit et nous n'avons pas que des conférences internationales.
Je me suis rendu dans un nombre considérable de pays, je suis sur le terrain et je n'avais pas vu cela. Je lui ai d'ailleurs présenté mes excuses. Mais sur le fond, oui, je maintiens. Il y a une société civile qui agit, qui fait bouger les choses.
Concernant les droits de l'Homme, il faut avoir à coeur les droits de l'Homme en permanence. Il faut les appliquer en permanence mais il ne faut pas les représenter, sinon, on démissionne tous les jours. La réalité est ainsi faite, on ne peut pas résumer un ministère des Affaires étrangères, - et c'est ma secrétaire d'Etat, il y en a deux autres d'ailleurs -, une politique étrangère aux droits de l'Homme, il faut les avoir à coeur.
Q - Et grâce à vous, d'une certaine manière, elle est aujourd'hui la plus populaire des hommes politiques.
Vous êtes le premier pour les gens de l'UMP et le douzième pour les socialistes, comment expliquez-vous cela ?
R - Cela n'a pas d'importance.
Q - Bien sûr que si, cela a un intérêt, pourquoi est-ce plutôt les gens de droite qui vous adorent alors que ceux de gauche vous aiment un peu moins ?
R - C'est normal puisque j'étais à gauche et ils pensent que j'ai trahi.
Q - Etes-vous passé à droite ?
R - Mais non, pas du tout. Je reste, je ne sais pas pour le parti socialiste ce qu'il en pensera, on verra bien mais j'attends les programmes.
J'ai été en tête tout le temps, je le suis à nouveau avec Rama Yade. Bravo à Rama Yade ! Mais franchement, tout cela vous attire plus d'inimitiés et de dégâts que de succès. Tout le monde est jaloux, il faudrait qu'elle fasse attention.
Q - Justement, votre image a été écornée par la sortie il y a trois mois du livre de Pierre Péan où il vous reprochait d'avoir monnayé vos conseils auprès du président gabonais qui n'est pas le plus démocrate des leaders africains.
R - Ce n'est pas le pire !
Q - Non, mais ce n'est pas le plus démocrate.
R - Parce que l'on doit travailler pour la santé publique seulement auprès des démocrates ? Alors, on laisserait mourir tout le monde !
Q - Pour l'instant, justement, il n'y a pas eu de réforme de soins.
R - C'est l'affaire des Gabonais, on ne peut pas tout faire.
Q - Mais c'était il y a quatre ans alors en fait, c'est tout cet argent pour rien !
R - Je ne suis pas président du Gabon.
Q - Non, mais vous lui avez donné de bons conseils.
R - D'abord, vous avez dit que ce n'est pas le plus démocrate. Consultez les sites, vous verrez bien, il y en a des pires. J'ai de l'amitié pour cet homme. C'est là-bas où il y a des élections, contrôlées, c'est là où il n'y a pas de prisonniers politiques... Je ne veux pas défendre le Gabon plus qu'autre chose.
J'ai travaillé, comme tout le monde travaille, étant expert en santé publique. Je ne suis pas un politicien professionnel, je n'ai pas de rente ni de retraite et je ne pouvais pas m'attendre à ce que Nicolas Sarkozy me fasse l'honneur à être son ministre des Affaires étrangères et européennes. Je regrette que les gens qui n'ont pas lu les rapports ne parlent que d'un petit rapport de 15 pages.
J'ai mis deux ans, il y a 150 pages, et une loi a été votée.
Q - Mais, elle n'a pas été appliquée.
R - Que voulez-vous, souhaitez-vous que je sois le président du Gabon ! Vous, vous n'allez pas dire cela !
Q - Je ne le dis pas, je dis que ce rapport n'a pas été appliqué et qu'il a coûté très cher.
R - Mais pourquoi voulez-vous que quelqu'un de l'extérieur dicte les lois d'un pays qui vous consulte ? Tous les experts du monde font cela. La loi est passée et j'espère qu'elle sera appliquée au Gabon.
Je n'ai plus de responsabilités à ce sujet et d'ailleurs, je n'en avais jamais eues. Je ne rougis pas, j'ai fait pour la santé publique en Afrique plus que tout le monde qui parle maintenant.
Q - Non, mais nous parlons juste de cela.
R - Vous allez accuser tous les experts qui, au sortir du gouvernement ont essayé d'être..., allons !
Q - Bien sûr que non mais vous savez bien que nous avons une exigence peut-être supérieure à quelqu'un...
R - L'homme que vous avez cité et dont je ne répéterai même pas le nom a fait un livre honteux et mensonger.
Q - La promotion de Pâques de la légion d'Honneur a récompensé des artistes, des politiques, des grands patrons et parmi eux, plein d'amis du président. Faut-il s'en offusquer ?
R - Il aurait fallu récompenser ses ennemis, voilà l'idée !
Q - Non, mais faut-il s'en offusquer ou est-ce courant voire normal ?
R - Oui, c'est courant.
Q - Que vous inspirent ces petits hochets qu'agite Nicolas Sarkozy ?
R - Quelle polémique banale ! A chaque président on le dit. J'en ai connu trois de près, François Mitterrand, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. C'est toujours la même chose.
Q - C'est donc normal...
R - Non ! Le nombre des impétrants, le nombre des légions d'honneur en France est toujours le même depuis des années, il est de 125.000. Il n'y en a pas plus. Les présidents ne choisissent en général pas leurs ennemis ! Ce qu'a fait Nicolas Sarkozy, ce dont je lui suis très reconnaissant, c'est qu'il a instauré la parité dans la légion d'honneur. Il faut autant de femmes que d'hommes. A la Chancellerie, moi aussi pour signer et proposer une liste de la légion d'honneur, je fais tous mes efforts pour qu'il y ait autant de femmes que d'hommes. C'est une vraie révolution. Ce n'est pas une polémique, c'est très bien.
Q - On parle beaucoup de remaniement ministériel en ce moment. Nicolas Sarkozy a piqué une colère parce qu'il en avait assez que ses ministres réclament des ministères. Trouvez-vous que cette colère soit légitime ?
R - J'y étais, c'était au Conseil des ministres. C'était un avertissement amical, fort et, comme d'habitude, un tout petit peu vivant.
Q - Ce n'est pas bien de demander.
R - Je n'en sais rien, je ne demande rien. Je lis moins la presse que vous. Les ministres à l'approche d'un remaniement ministériel se précipitent un peu. C'est un peu comme les journalistes quand il y a un poste qui se libère, n'est-ce pas ?
Q - Pas forcément.
R - Pas forcément les journalistes, je parle aussi des médecins. Je parle des journalistes parce que je suis en face de vous.
Q - Parlons d'autres choses, puisque vous parliez du tempérament parfois "emporté" de Nicolas Sarkozy.
R- Je n'ai pas dit "emporté", j'ai dit "vivant".
Q - "Vivant". Parlons de cette réunion avec les parlementaires, de ce déjeuner. Il y a eu des fuites, on a dit que Nicolas Sarkozy avait dit de Zapatero "qu'il n'était pas très intelligent", je crois que le président Obama en a pris également pour son grade, Angela Merkel aussi. Justement Nicolas Sarkozy va en Espagne dans dix jours, cela risque d'être tendu.
R - Je ne crois pas car en dehors de quelques-uns, personne n'a pris cela autrement que...
Q - La presse étrangère l'a pris au sérieux.
R - La presse étrangère non. La presse hostile à M. Zapatero.
Q - La presse étrangère en général, aux Etats-Unis aussi.
R - Oui, c'est comme cela qu'il parle en effet. Il est vivant, il est jeune et vivant, cela fait une différence. Qu'a-t-il voulu dire ? Il a dit : "eh bien, M. Zapatero vient de supprimer la publicité à la télévision, il n'est peut-être pas intelligent" - il parlait de lui en réalité, mais il l'a fait aussi et cela voulait dire - j'ai entendu ce que M. Jean-Pierre Brard, qui est un opposant viril, avait dit...
Q - Et Ségolène Royal, je ne sais pas si vous avez entendu ce qu'elle a dit.
R - Oh ! Ségolène Royal, ce n'est pas l'humour qui la caractérise... En tout cas, voilà ce qu'il a voulu dire : il a voulu dire, il n'est peut-être pas intelligent mais, c'était une façon de dire, il l'est. Il a été élu deux fois et il vient de supprimer la publicité à la télévision, c'est cela qu'il voulait dire. Comment voulez-vous que le président de la République ait pu proférer autre chose ? Il s'entend merveilleusement avec M. Zapatero, j'en suis témoin presque tous les jours.
Q - Dans 10 jours, vous allez aussi en Espagne.
R - Evidemment, je vous rappelle que je suis ministre des Affaires étrangères et européennes.
Q - Il vous arrive de ne pas l'accompagner sur tous les déplacements...
R - A l'étranger en général on essaye.
Q - En Afrique notamment...
R - En Afrique, excusez-moi, mais il y avait en même temps la réunion des ministres européens des Affaires étrangères. Rendez-vous compte de ce que vous dites à chaque fois ? Cela ne repose sur aucune enquête.
Q - Ce n'est pas une enquête c'est juste un constat. On en a parlé parce que Rama Yade y était.
R - Ce n'est pas un constat ! Au même moment, à la même minute, j'étais à Prague. On nous a assez reproché de n'être pas respectueux vis-à-vis de la Présidence tchèque du Conseil de l'Union européenne. J'étais à Prague, puis avec les 27 ministres européens des Affaires étrangères à ce que l'on appelle le Gymnich, cela arrive une fois par an. Je ne pouvais pas être aux deux endroits à la fois. Je n'ai pas choisi et le président ne m'a pas chassé, si c'est cela que vous voulez dire... Je n'avais pas le don d'ubiquité, je ne pouvais pas être en Afrique et à Prague en même temps.
Q - Et demain, c'est la conférence de l'ONU sur le racisme qui débute à Genève, les Etats-Unis n'iront pas, la Grande-Bretagne ira et la France ?
R - Nous sommes encore en train de travailler. La première conférence, à Durban, a été une catastrophe. Il est donc très important d'avoir une unité européenne, de présenter un front commun de l'Europe. Ce n'est pas encore fait. Nous continuons. Ce soir, le président décidera comme d'ailleurs les 27 pays. Certains iront, d'autres n'iront pas, il faut absolument essayer - ce n'est pas sûr - d'y aller d'un front commun et uni, les 27 ensemble, ce qui n'est pas fait.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 avril 2009
R - Vous résumez un peu trop vite mon attitude. Je ne suis pas contre mais je m'interroge beaucoup plus qu'avant. En effet, je croyais, je crois toujours qu'il s'agissait, avec la Turquie, d'un pont nécessaire entre la civilisation européenne et une autre civilisation, entre le monde musulman et l'Europe.
Q - En fait, vous n'êtes donc pas contre ?
R - Disons que, comme vous l'avez vu à Strasbourg, l'attitude et les références qui ont été faites par la Turquie m'ont profondément choqué. Pour moi, la Turquie est un pays laïc qui a mis en place le droit de vote des femmes avant la France et où l'on avait séparé depuis longtemps, la mosquée, du gouvernement. C'est cela qui me plaît toujours dans la Turquie. Je m'interroge sur la manière dont les choses se sont déroulées, ce que l'on a reproché à M. Rasmussen qui a été élu Secrétaire général de l'OTAN. Cette liberté d'expression nécessaire - y compris lorsqu'il s'agit de la religion - avait été remise en question de façon un peu brutale en Turquie.
Par ailleurs, M. Obama n'est pas membre de l'Union européenne avec tout le respect et l'amitié que je lui porte. Ce n'est donc pas à lui de déterminer ce que sera l'Europe de demain, ni même ce qu'est l'Europe d'aujourd'hui.
Q - Je voulais juste savoir si vous y étiez favorable mais cela semble encore bien décidé pour vous.
R - Il est intéressant que M. Obama en parle.
Depuis longtemps, c'est une alliance que les Américains nourrissent, et peut-être à juste titre, concernant la Turquie mais ce n'est pas à M. Obama de configurer l'Europe.
Q - Et vous n'avez pas tranché personnellement ?
R - Non, mais honnêtement, cela m'a beaucoup remué.
Q - L'islamisme fait peur à la communauté internationale et pourtant, le gouvernement d'Hamid Karzaï vient de valider une loi qui légalise le viol des femmes chiites par leur mari.
Dans ces conditions, l'Europe et les Etats-Unis qui soutiennent le gouvernement d'Hamid Karzaï doivent-ils continuer de le faire ?
R - Bonne et juste question à laquelle je réponds "non". Nous ne pouvons pas soutenir cette loi. J'ai moi-même conversé au téléphone avec le président Karzaï il y a quelques jours, il affirme - tout le monde l'ayant brutalement sermonné pour qu'il prenne conscience des réalités -, avoir renvoyé cette loi au parlement
Il dit qu'il ne l'avait pas lu, que c'était automatique. Néanmoins, vous avez raison, c'est inadmissible. Il ne s'agit pas seulement de ce que vous avez dit, le viol autorisé de sa propre femme, mais également concernant les sorties dans la rue... ce n'est pas la démocratie. Toutefois, nous n'allons pas proposer de la démocratie occidentale à l'Afghanistan ! Certainement pas, mais cela était inadmissible.
Q - N'allons-nous pas nous retirer un jour de l'Afghanistan et laisser finalement la population aux mains de ceux à qui on a justement voulu la soustraire ?
R - Pardonnez-moi mais il est difficile de répondre trop rapidement.
Q - Sans répondre trop rapidement, mais malgré tout, on a l'impression qu'il n'y a pas d'évolution à ce niveau, l'islamisme est toujours présent et les Taliban sont toujours là.
R - Il y a une évolution, je vous l'assure. Je connais très bien ce pays, une évolution existe.
Q - Je n'en doute pas.
R - Je vous assure, il y a une évolution. Les femmes ont été élues au parlement, ces élections se sont déroulées de manière contrôlée et démocratique. Il y a des écoles, des dispensaires, deux millions de petites filles vont à l'école.
Lorsque je travaillais comme médecin en Afghanistan, il n'y avait même pas d'écoles dans les villages. Il y a donc des choses qui évoluent mais en effet, nous ne transformerons pas l'Afghanistan en une démocratie occidentale et d'ailleurs, nous ne le souhaitons pas.
Nous allons leur permettre, je l'espère, de choisir eux-mêmes, de prendre les projets en main et en charge. Il y a un très bel exemple, c'est l'hôpital français de Kaboul dirigé par Alain Deloche et Eric Cheysson que nous allons peut-être étendre. C'est une vraie réussite car ce sont les Afghans qui travaillent : des médecins, des infirmières et une administration afghane. Cela fonctionne.
Q - Votre secrétaire d'Etat aux droits de l'Homme était en Afrique cette semaine, en Ethiopie. C'est le deuxième pays, après Haïti, où les ressortissants français adoptent le plus avec 484 enfants.
Rama Yade qui veut à la fois faciliter et mieux encadrer les adoptions à l'étranger est allée vérifier la bonne marche des orphelinats.
Finalement, Rama Yade vous agace-t-elle ou bien est-elle très subtile ?
R - Non, elle m'émeut.
Tout d'abord, voir une personne de son talent retrouver les problèmes que je connais si bien depuis tant d'années, cela m'émeut. Je trouve que c'est une découverte et un intérêt formidable. Rama Yade a raison, oui, elle a raison. On n'expose pas les enfants ainsi, ce n'est pas un commerce. Je ne doute pas de la sincérité des personnes qui ont un désir voire même un besoin d'enfant, mais c'est d'abord les droits des enfants qu'il faut respecter. C'est pour cela que nous avons essayé d'organiser l'adoption de meilleure manière.
On parle d'Haïti, de l'Ethiopie mais aussi d'autres pays. Ce sont les pays les plus pauvres qui fournissent des enfants aux pays les plus riches, ce n'est pas possible.
Il nous faut organiser, en respectant les parents, leur souci d'avoir un petit garçon ou une petite fille, mais aussi, en luttant contre la pauvreté. On ne peut pas le faire de cette façon.
Q - A propos de Rama Yade, là comme ailleurs, ne dit-elle pas tout haut ce que vous pensez tout bas ?
R - Ou parfois elle dit le contraire.
Q - Comme par exemple, quand dit-elle le contraire ?
R - Ce n'est pas grave. Ne me faites pas tomber dans cette querelle.
Q - Non, mais c'est vous qui avez dit que son secrétariat d'Etat était une erreur ! Le maintenez-vous ?
R - L'erreur était de ne pas savoir qu'elle était en querelle avec le président de la République.
Q - Mais, vous ne le saviez pas !
R - Non, je ne le savais pas. Je ne suis pas toujours Rama Yade à la télévision contrairement à ce que l'on dit et nous n'avons pas que des conférences internationales.
Je me suis rendu dans un nombre considérable de pays, je suis sur le terrain et je n'avais pas vu cela. Je lui ai d'ailleurs présenté mes excuses. Mais sur le fond, oui, je maintiens. Il y a une société civile qui agit, qui fait bouger les choses.
Concernant les droits de l'Homme, il faut avoir à coeur les droits de l'Homme en permanence. Il faut les appliquer en permanence mais il ne faut pas les représenter, sinon, on démissionne tous les jours. La réalité est ainsi faite, on ne peut pas résumer un ministère des Affaires étrangères, - et c'est ma secrétaire d'Etat, il y en a deux autres d'ailleurs -, une politique étrangère aux droits de l'Homme, il faut les avoir à coeur.
Q - Et grâce à vous, d'une certaine manière, elle est aujourd'hui la plus populaire des hommes politiques.
Vous êtes le premier pour les gens de l'UMP et le douzième pour les socialistes, comment expliquez-vous cela ?
R - Cela n'a pas d'importance.
Q - Bien sûr que si, cela a un intérêt, pourquoi est-ce plutôt les gens de droite qui vous adorent alors que ceux de gauche vous aiment un peu moins ?
R - C'est normal puisque j'étais à gauche et ils pensent que j'ai trahi.
Q - Etes-vous passé à droite ?
R - Mais non, pas du tout. Je reste, je ne sais pas pour le parti socialiste ce qu'il en pensera, on verra bien mais j'attends les programmes.
J'ai été en tête tout le temps, je le suis à nouveau avec Rama Yade. Bravo à Rama Yade ! Mais franchement, tout cela vous attire plus d'inimitiés et de dégâts que de succès. Tout le monde est jaloux, il faudrait qu'elle fasse attention.
Q - Justement, votre image a été écornée par la sortie il y a trois mois du livre de Pierre Péan où il vous reprochait d'avoir monnayé vos conseils auprès du président gabonais qui n'est pas le plus démocrate des leaders africains.
R - Ce n'est pas le pire !
Q - Non, mais ce n'est pas le plus démocrate.
R - Parce que l'on doit travailler pour la santé publique seulement auprès des démocrates ? Alors, on laisserait mourir tout le monde !
Q - Pour l'instant, justement, il n'y a pas eu de réforme de soins.
R - C'est l'affaire des Gabonais, on ne peut pas tout faire.
Q - Mais c'était il y a quatre ans alors en fait, c'est tout cet argent pour rien !
R - Je ne suis pas président du Gabon.
Q - Non, mais vous lui avez donné de bons conseils.
R - D'abord, vous avez dit que ce n'est pas le plus démocrate. Consultez les sites, vous verrez bien, il y en a des pires. J'ai de l'amitié pour cet homme. C'est là-bas où il y a des élections, contrôlées, c'est là où il n'y a pas de prisonniers politiques... Je ne veux pas défendre le Gabon plus qu'autre chose.
J'ai travaillé, comme tout le monde travaille, étant expert en santé publique. Je ne suis pas un politicien professionnel, je n'ai pas de rente ni de retraite et je ne pouvais pas m'attendre à ce que Nicolas Sarkozy me fasse l'honneur à être son ministre des Affaires étrangères et européennes. Je regrette que les gens qui n'ont pas lu les rapports ne parlent que d'un petit rapport de 15 pages.
J'ai mis deux ans, il y a 150 pages, et une loi a été votée.
Q - Mais, elle n'a pas été appliquée.
R - Que voulez-vous, souhaitez-vous que je sois le président du Gabon ! Vous, vous n'allez pas dire cela !
Q - Je ne le dis pas, je dis que ce rapport n'a pas été appliqué et qu'il a coûté très cher.
R - Mais pourquoi voulez-vous que quelqu'un de l'extérieur dicte les lois d'un pays qui vous consulte ? Tous les experts du monde font cela. La loi est passée et j'espère qu'elle sera appliquée au Gabon.
Je n'ai plus de responsabilités à ce sujet et d'ailleurs, je n'en avais jamais eues. Je ne rougis pas, j'ai fait pour la santé publique en Afrique plus que tout le monde qui parle maintenant.
Q - Non, mais nous parlons juste de cela.
R - Vous allez accuser tous les experts qui, au sortir du gouvernement ont essayé d'être..., allons !
Q - Bien sûr que non mais vous savez bien que nous avons une exigence peut-être supérieure à quelqu'un...
R - L'homme que vous avez cité et dont je ne répéterai même pas le nom a fait un livre honteux et mensonger.
Q - La promotion de Pâques de la légion d'Honneur a récompensé des artistes, des politiques, des grands patrons et parmi eux, plein d'amis du président. Faut-il s'en offusquer ?
R - Il aurait fallu récompenser ses ennemis, voilà l'idée !
Q - Non, mais faut-il s'en offusquer ou est-ce courant voire normal ?
R - Oui, c'est courant.
Q - Que vous inspirent ces petits hochets qu'agite Nicolas Sarkozy ?
R - Quelle polémique banale ! A chaque président on le dit. J'en ai connu trois de près, François Mitterrand, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. C'est toujours la même chose.
Q - C'est donc normal...
R - Non ! Le nombre des impétrants, le nombre des légions d'honneur en France est toujours le même depuis des années, il est de 125.000. Il n'y en a pas plus. Les présidents ne choisissent en général pas leurs ennemis ! Ce qu'a fait Nicolas Sarkozy, ce dont je lui suis très reconnaissant, c'est qu'il a instauré la parité dans la légion d'honneur. Il faut autant de femmes que d'hommes. A la Chancellerie, moi aussi pour signer et proposer une liste de la légion d'honneur, je fais tous mes efforts pour qu'il y ait autant de femmes que d'hommes. C'est une vraie révolution. Ce n'est pas une polémique, c'est très bien.
Q - On parle beaucoup de remaniement ministériel en ce moment. Nicolas Sarkozy a piqué une colère parce qu'il en avait assez que ses ministres réclament des ministères. Trouvez-vous que cette colère soit légitime ?
R - J'y étais, c'était au Conseil des ministres. C'était un avertissement amical, fort et, comme d'habitude, un tout petit peu vivant.
Q - Ce n'est pas bien de demander.
R - Je n'en sais rien, je ne demande rien. Je lis moins la presse que vous. Les ministres à l'approche d'un remaniement ministériel se précipitent un peu. C'est un peu comme les journalistes quand il y a un poste qui se libère, n'est-ce pas ?
Q - Pas forcément.
R - Pas forcément les journalistes, je parle aussi des médecins. Je parle des journalistes parce que je suis en face de vous.
Q - Parlons d'autres choses, puisque vous parliez du tempérament parfois "emporté" de Nicolas Sarkozy.
R- Je n'ai pas dit "emporté", j'ai dit "vivant".
Q - "Vivant". Parlons de cette réunion avec les parlementaires, de ce déjeuner. Il y a eu des fuites, on a dit que Nicolas Sarkozy avait dit de Zapatero "qu'il n'était pas très intelligent", je crois que le président Obama en a pris également pour son grade, Angela Merkel aussi. Justement Nicolas Sarkozy va en Espagne dans dix jours, cela risque d'être tendu.
R - Je ne crois pas car en dehors de quelques-uns, personne n'a pris cela autrement que...
Q - La presse étrangère l'a pris au sérieux.
R - La presse étrangère non. La presse hostile à M. Zapatero.
Q - La presse étrangère en général, aux Etats-Unis aussi.
R - Oui, c'est comme cela qu'il parle en effet. Il est vivant, il est jeune et vivant, cela fait une différence. Qu'a-t-il voulu dire ? Il a dit : "eh bien, M. Zapatero vient de supprimer la publicité à la télévision, il n'est peut-être pas intelligent" - il parlait de lui en réalité, mais il l'a fait aussi et cela voulait dire - j'ai entendu ce que M. Jean-Pierre Brard, qui est un opposant viril, avait dit...
Q - Et Ségolène Royal, je ne sais pas si vous avez entendu ce qu'elle a dit.
R - Oh ! Ségolène Royal, ce n'est pas l'humour qui la caractérise... En tout cas, voilà ce qu'il a voulu dire : il a voulu dire, il n'est peut-être pas intelligent mais, c'était une façon de dire, il l'est. Il a été élu deux fois et il vient de supprimer la publicité à la télévision, c'est cela qu'il voulait dire. Comment voulez-vous que le président de la République ait pu proférer autre chose ? Il s'entend merveilleusement avec M. Zapatero, j'en suis témoin presque tous les jours.
Q - Dans 10 jours, vous allez aussi en Espagne.
R - Evidemment, je vous rappelle que je suis ministre des Affaires étrangères et européennes.
Q - Il vous arrive de ne pas l'accompagner sur tous les déplacements...
R - A l'étranger en général on essaye.
Q - En Afrique notamment...
R - En Afrique, excusez-moi, mais il y avait en même temps la réunion des ministres européens des Affaires étrangères. Rendez-vous compte de ce que vous dites à chaque fois ? Cela ne repose sur aucune enquête.
Q - Ce n'est pas une enquête c'est juste un constat. On en a parlé parce que Rama Yade y était.
R - Ce n'est pas un constat ! Au même moment, à la même minute, j'étais à Prague. On nous a assez reproché de n'être pas respectueux vis-à-vis de la Présidence tchèque du Conseil de l'Union européenne. J'étais à Prague, puis avec les 27 ministres européens des Affaires étrangères à ce que l'on appelle le Gymnich, cela arrive une fois par an. Je ne pouvais pas être aux deux endroits à la fois. Je n'ai pas choisi et le président ne m'a pas chassé, si c'est cela que vous voulez dire... Je n'avais pas le don d'ubiquité, je ne pouvais pas être en Afrique et à Prague en même temps.
Q - Et demain, c'est la conférence de l'ONU sur le racisme qui débute à Genève, les Etats-Unis n'iront pas, la Grande-Bretagne ira et la France ?
R - Nous sommes encore en train de travailler. La première conférence, à Durban, a été une catastrophe. Il est donc très important d'avoir une unité européenne, de présenter un front commun de l'Europe. Ce n'est pas encore fait. Nous continuons. Ce soir, le président décidera comme d'ailleurs les 27 pays. Certains iront, d'autres n'iront pas, il faut absolument essayer - ce n'est pas sûr - d'y aller d'un front commun et uni, les 27 ensemble, ce qui n'est pas fait.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 avril 2009