Interview de M. Bernard Accoyer, président de l'Assemblée nationale, à Canal Plus le 28 avril 2009, sur l'absentéisme parlementaire lors du vote de la loi sur le téléchargement illégal, les emplois du temps des députés et la manifestation des praticiens hospitaliers contre la loi sur l'hôpital.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Canal Plus

Texte intégral

M. Biraben, G. Delafon et L. Mercade.- G. Delafon : Il rentre de Chine, où il a joué les émissaires du Président, et donc après une première déconvenue, faute de députés, pour le deuxième examen demain au Parlement de la loi sur le téléchargement illégal, eh bien, il rêve sans doute d'un Parlement plein, comme l'Assemblée du peuple.
 
M. Biraben : B. Accoyer, bonjour.
 
Bonjour.
 
M. Biraben : Soyez le bienvenu. Gilles vient de le rappeler, faute de députés, la loi va devoir être revotée. Est-ce que vous avez fait le rappel des troupes, vous avez appelé tout le monde, tout le monde sera bien présent demain ?
 
Ça, c'est le travail du groupe parlementaire, moi, je suis en charge de l'organisation des débats, de la tenue des séances.
 
M. Biraben : Vous n'avez pas vérifié que tout le monde serait là pour adopter la loi ?
 
Encore une fois, le groupe et le Gouvernement, le ministre des Relations avec le Parlement, d'ailleurs, je l'ai lu dans la presse, s'en sont occupés activement ces derniers jours.
 
G. Delafon : J.-F. Copé, précisément, s'en est occupé activement, mais il fait des propositions pour régler la question de l'absentéisme qui a ressurgi avec cette affaire sur la loi sur le téléchargement illégal. Et il propose de faire siéger les députés du mardi au jeudi. Qu'est-ce que vous en pensez ?
 
Je pense que nous sommes en pleine réforme du règlement et que d'ici la fin de la session, je forme le voeu, et je pense que c'est ce qui va se passer, que le nouveau règlement pourra s'appliquer. Dès lors, il existe dans le règlement des articles qui prévoient de tirer des conséquences d'une insuffisance de présence ou d'absence injustifiée, trop nombreuse, des parlementaires, et comme je l'ai toujours dit, ces articles, lorsque le temps législatif sera enfin programmé, ce qui n'est pas le cas jusque-là, ces articles pourront être appliqués, et je les appliquerai.
 
G. Delafon : Donc, vous imposerez à ce moment-là des pénalités, s'il faut imposer des pénalités ?
 
Mais vous verrez que la question se posera très rarement, parce qu'une fois que ce sera organisé, que les agendas pourront être organisés correctement, la présence lors des scrutins, qui sont les moments les plus importants, le travail dans les commissions s'organisera de façon beaucoup plus régulière et assidue.
 
G. Delafon : Et est-ce que le fond du problème, ce n'est pas le cumul des mandats à l'Assemblée, puisqu'il y a, je crois, pratiquement 90% des députés qui ont deux mandats ?
 
La question du cumul des mandats est quelque chose qui évolue dans le temps. Il n'y a pas si longtemps, un certain nombre de parlementaires avaient un nombre de mandats considérables, maintenant, il n'y a plus...
 
G. Delafon : Trop de mandats, d'après vous ?
 
Maintenant, il n'y a plus que deux mandats qui peuvent être cumulés. En fait, le problème n'est pas le cumul des mandats, c'est le cumul des fonctions, c'est-à-dire qu'il faut évaluer ce qui peut être conduit raisonnablement simultanément, la proximité des citoyens étant évidemment grandement facilitée par l'association de plusieurs mandats, je dirais même peut-être nécessaire dans bien des cas. Alors, ce point, il sera également l'objet d'un projet, qui est le mien : une mission, une mission d'information parlementaire sur l'exercice des mandats, le cumul des fonctions et le statut de l'élu. J'ai ce projet que je mettrai en oeuvre après qu'ait été adoptée et mise en oeuvre la réforme du règlement.
 
G. Delafon : Alors précisément, en ce qui concerne la loi HADOPI, la loi sur le téléchargement illégal, qu'est-ce qu'on fait, on recommence à zéro, comme s'il ne s'était rien passé ?
 
Non, la procédure, en ce cas-là, est connue, c'est un cas assez classique, bien que rare, où l'Assemblée rejette les conclusions du parcours qui a eu lieu jusqu'à cet examen dans l'Assemblée. Alors là, pour des raisons de majorité, il y a eu un rejet du texte, eh bien, il y a un nouveau circuit, l'Assemblée se saisit du texte, ça va au Sénat, ça revient...
 
G. Delafon : Du même texte ?
 
C'est le texte qui avait été adopté par l'Assemblée...
 
G. Delafon : On ne change rien...
 
...C'est un texte qui avait été adopté avant que le texte de la Commission, qui réunit des sénateurs et des députés, l'ait modifié, et que celui-ci ait été rejeté. Donc il y a une logique.
 
G. Delafon : D'accord. Alors, il y a, par contre, une autre logique qui, moi, m'échappe un petit peu, c'est que dans le même temps, alors que l'Assemblée nationale française examinait ce texte, le Parlement européen a adopté le 21 avril dernier un amendement qui interdit de priver quiconque d'Internet sans accord préalable de l'autorité judiciaire. Comme vous le savez, la loi HADOPI prévoit qu'au bout de deux ou trois violations, on coupe l'abonnement à Internet...
 
M. Biraben : Suspend...
 
G. Delafon : On le suspend. Alors, moi, ce que je ne comprends pas, c'est quelle loi va s'appliquer, la loi de l'Europe ou la loi française ?
 
Nous votons la loi pour les Français. Mais il n'est pas étonnant que dans un domaine qui change tous les jours, qui, il y a quelques années, n'existait pas, il faille légiférer pour protéger la création, protéger les auteurs, les droits des auteurs. Mais aucune solution n'est vraiment durablement satisfaisante. Parce que ça bouge tous les jours. Et ce texte, il est adapté à la situation actuelle, dans quelque temps, nécessairement, il le sera moins et peut-être plus, mais donc, ce n'est pas une raison pour ne rien faire ; et c'est pour ça qu'il faut légiférer...
 
G. Delafon : Oui, je suis d'accord, mais dans ce cas précis, c'est la loi européenne qui s'appliquera ?
 
Il y a eu une décision européenne, mais le texte qui est en cours de discussion à l'Assemblée s'appliquera en France. Après, on verra s'il y a des contentieux, chaque chose en son temps.
 
G. Delafon : Bien.
 
M. Biraben : Il y a d'ores et déjà un contentieux, il a été évoqué ici, par... aidez-moi...
 
G. Delafon : D. Cohn-Bendit...
 
M. Biraben : D. Cohn-Bendit, en disant que c'était complètement... il était très étonné que les Français votent sur une chose sur laquelle ils n'avaient pas à le faire.
 
Ecoutez, vous savez bien qu'il y a toujours une concurrence d'autorité entre ce qui se passe au niveau européen et ce qui peut se passer au niveau national, c'est d'ailleurs une des sources de l'agacement de certains de nos compatriotes vis-à-vis de l'Europe. Encore une fois, il y a des procédures ; là, la loi française est en discussion depuis déjà bien longtemps, en préparation depuis encore plus longtemps. Nous allons voir si le Parlement l'adopte, ensuite, s'il y a des difficultés avec l'Europe, ça sera une autre étape.
 
G. Delafon : Précisément, revenons-en à la loi française, et plus précisément, à la loi sur l'hôpital. Aujourd'hui, les médecins hospitaliers défilent dans la rue pour protester contre la loi Bachelot, qui est déjà passée à l'Assemblée ; vous n'avez pas fait ce qu'il fallait à l'Assemblée nationale ?
 
J'ai suivi les débats en tant que président de l'Assemblée, j'ai observé un certain nombre de problèmes qui sont exprimés aujourd'hui, vous le rappelez...
 
G. Delafon : Vous comprenez les préoccupations des médecins, vous êtes médecin vous-même ?
 
Mais bien sûr, mais il y a deux lectures, il va y avoir une lecture maintenant au Sénat. Je sais que le Sénat doit apporter un certain nombre de modifications dans la concertation, en tant que médecin, je le souhaite.
 
G. Delafon : Vous souhaitez certains amendements, vous souhaitez qu'on revienne sur certaines choses qui ont été décidées par l'Assemblée ?
 
Je pense qu'un bon fonctionnement dans quelque domaine que ce soit - et la santé et l'hôpital sont des domaines essentiels pour les Français - et il vaut mieux travailler de telle façon qu'il n'y ait pas d'opposition entre ceux qui mettent en oeuvre une politique et ceux qui en décident.
 
G. Delafon : Donc qu'on donne plus de poids aux décideurs hospitaliers et non pas uniquement aux directeurs...
 
Une meilleure composition, un meilleur équilibre, sans revenir sur la nécessité d'une direction administrative forte dans les hôpitaux, mais il y a aussi d'autres dispositions qui mériteront certainement d'être infléchies au Sénat.
 
G. Delafon : Donc on retient : revenir à un meilleur équilibre. Nouveau sujet également, et alors, décidément, vous allez avoir du travail, B. Hortefeux a décidé de remettre sur la table la question de la loi sur le travail le dimanche. Vous allez être convoqué en session extraordinaire au mois de juillet, donc pas de vacances pour l'Assemblée ; est-ce que c'était vraiment opportun de lancer...
 
Je dirais, il n'y a rien de nouveau, il n'y a rien de nouveau. Lorsque ce texte n'a pas pu être adopté il y a quelques mois, à ce moment-là, le Gouvernement a fait savoir que le texte serait examiné à nouveau avant la fin de la session. Ce qui est simplement nouveau, c'est qu'un membre du gouvernement a annoncé qu'il risquait d'y avoir une session extraordinaire. Eh bien, nous en avons pris acte.
 
M. Biraben : Ce sera adopté donc au mois de juillet ou pas d'ailleurs, ce sera adopté en juillet, au moment où personne n'est vraiment là pour contester. Une question de spectateur tout de suite avec Léon.
 
L. Mercadet : C'est exactement ça, Maitena. Bonjour Monsieur le Président. Une question de Gaëlle : est-ce que profiter des vacances pour faire voter la loi sur le travail le dimanche vous paraît démocratique ; je me souviens l'année dernière, 1er août 2008, on avait eu la loi sur le refus d'emploi raisonnable pour les chômeurs ; on a l'impression que des lois qui mériteraient débat passent pendant les vacances.
 
Ne mélangeons pas tout...
 
L. Mercadet : Qu'est-ce que vous en pensez, c'est un hasard ou...
 
Il y a beaucoup de textes qui doivent être vus, parce que les Français attendent du Gouvernement et des parlementaires qu'ils travaillent activement. Et que nous soyons en activité au mois de juillet, dans ces périodes difficiles, n'est pas en soi-même un quelconque problème...
 
L. Mercadet : Vous sentez bien la suspicion : on profite du fait que l'opinion est en vacances pour faire passer des lois...
 
Ça, vous savez, on a l'habitude souvent de redouter plus vite des manoeuvres que de trouver que c'est bien de travailler au mois de juillet. Bon, écoutez, là, à vous d'arbitrer.
 
M. Biraben : Alors, vous rentrez de Chine, vous avez rencontré Hu Jintao, est-ce qu'il y a une vraie volonté de rapprochement ?
 
J'ai été effectivement en Chine, en réponse à une invitation du président de l'Assemblée chinoise, que j'ai rencontré. J'étais accompagné de M. Herbillon et de B. Le Roux, deux parlementaires qui animent le groupe d'amitié entre nos deux Assemblées, et j'ai signé avec le président du Parlement chinois un mémorandum de travail en commun, y compris sur les questions les plus sensibles...
 
G. Delafon : Est-ce que ça veut dire qu'il y a une volonté des Chinois de se rabibocher avec la France, ils nous ont quand même mis au ban pendant des mois ; est-ce qu'il y a une volonté ?
 
Il y a eu une période où nos relations n'ont pas été ce qu'elles étaient auparavant, et ça, c'est une évidence...
 
G. Delafon : C'est fini ? On a franchi un cap...
 
Mais nous sommes... Depuis le communiqué commun entre les deux pays, le 1er avril, la rencontre entre N. Sarkozy et le président Hu Jintao...
 
G. Delafon : La page est tournée...
 
Il y a une nouvelle page qui doit maintenant s'écrire.
 
M. Biraben : Bon, donc ce n'est peut-être pas encore le grand beau temps, mais ça va mieux.
 
Mais si, si...
 
M. Biraben : On y va...
 
La volonté et l'accueil, qui nous a été réservé par les Chinois, témoignent bien de cette volonté. A nous aussi de savoir éviter les problèmes qui sont inutiles, lorsque l'on a un partenaire aussi important que les Chinois.
 
M. Biraben : Donc Gilles, vous disiez ?
 
G. Delafon : On ne reçoit plus le Dalaï-lama.
 
Je vous dis, sachons entretenir...
 
G. Delafon : Sachons faire ce qu'il faut...
 
...Une relation qui respecte les uns et les autres, leur autonomie, leur intégrité, mais nous pouvons également parler de tout, et il le faut.
 
M. Biraben : Merci beaucoup B. Accoyer d'avoir été avec nous aujourd'hui.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 28 avril 2009