Texte intégral
F. David Demain, un certain nombre d'associations appellent à des manifestations pour protester contre le silence dans les affaires de pédophilie. Hier, votre collègue au Gouvernement, M. Lebranchu, a sévèrement mis en avant les dysfonctionnement de la justice dans l'affaire des disparues de l'Yonne. Hier, un instituteur a été condamné à six ans de prison, pour une affaire de pédophilie. Il y a bien sûr aussi dans toutes les têtes l'affaire de Cormeilles où un instituteur est aussi mis en cause. Comment l'Etat peut-il mettre fin à une situation où on a l'impression que certains de ses outils sont suspects ou coupables de pédophilie ?
- "Il faut déjà que tous les adultes apprennent à respecter le corps des enfants. On ne dira jamais assez l'horreur, l'abomination des crimes et des délits commis sur les enfants. On ne redira jamais assez la lourdeur de la loi du silence, parce que les enfants ont peur de parler, ils ont peur de ne pas être crus. Ils se sentent coupables alors qu'ils sont victimes et, souvent, les adultes qui les entourent ne voient pas ou ne veulent pas voir. Il y a aussi beaucoup de lâcheté dans cette loi du silence, de la part d'adultes qui savent mais qui ont peur du scandale. Dans la plupart des cas, cela oppose des notables et des enfants fragiles, timides, silencieux et parfois socialement défavorisés."
Il y a des affaires de pédophilie qui sont concernent des "particuliers", disons. Mais en ce moment, on a l'impression que certaines institutions de l'Etat sont elles aussi coupables : coupable la justice de ne pas avoir mené correctement l'enquête sur les disparues de l'Yonne ; coupable l'éducation nationale de ne pas savoir voir certains cas de pédophilie. Comment peut-on - peut-être par la formation, l'information - faire le ménage chez soi ?
- "Ce sont d'abord les criminels qui sont coupables. Ce sont d'abord ces adultes qui profitent de la faiblesse des enfants ou de celle des personnes handicapées. Et il y a bien sûr des dysfonctionnements. Je crois qu'on en sort. Pendant trois ans, je me suis battue à l'Education nationale pour mettre en place des instructions officielles pour lever la loi du silence. Cela n'a pas été facile. Il y a, par exemple, des gens qui m'ont dit que "jouer, ce n'est pas grave" ! Si, c'est grave. Un enfant touché est un enfant blessé. Sa l'est famille aussi. On en parle très peu, les familles sont en grande souffrance, les frères et soeurs... Il faut soigner les victimes en prenant en charge globalement le groupe familial et puis mettre le doigt sur les dysfonctionnements. Il y a quelque chose de réconfortant dans ce qui se passe : c'est la fermeté du Gouvernement, de tous les ministères concernés, par rapport au fait de dire la vérité, de dire les choses telles qu'elle sont, de ne pas avoir peur de mettre en cause des personnes importantes, des notables, qui ont eu pignon sur rue et qui ont joué de cette notabilité pour imposer une loi du silence."
Effectivement, certaines institutions sont plus visées que d'autres dans ce type d'affaires ?
- "Tous les métiers liés à l'enfance. En même temps, il ne faut pas non plus voir de la pédophilie partout. Mais il faut savoir capter le message d'un enfant - par exemple, dans le cas d'un enfant déprimé - parce que c'est difficile parfois à dire avec les mots. Il faut donc croire la parole de l'enfant. C'est ce qui a beaucoup changé : l'affirmation du droit de l'enfant à se faire respecter a beaucoup fait pour la levée de la loi du silence. C'est la même chose pour le racket ; l'abus sexuel est d'ailleurs une forme de racket. Comme pour le racket, comme pour l'abus sexuel, l'enfant se tait, il est écrasé par cette loi du silence. Aujourd'hui, des procédures claires existent dans l'Education nationale. Je suis en train de les étendre dans les institutions qui accueillent des enfants : les enfants placés à l'Aide sociale à l'enfance - c'est-à-dire qui ont été retirés aux parents - sont des proies encore beaucoup plus faciles. Je veux donc que l'on soit extrêmement vigilant sur cette question. Il faut que tous les adultes sachent regarder, sachent percevoir un message de désarroi et de grande souffrance."
Selon vous, si on parle en ce moment beaucoup d'affaires de pédophilie, c'est justement parce qu'on a justement réussi à briser cette loi du silence et pas parce qu'il y en a plus ?
- "Bien sûr, c'est parce qu'on a réussi à briser la loi du silence. Il n'y a donc pas de fatalité à la pédophilie. Il faut d'abord que les pédophiles aient peur d'être découverts pour qu'ils arrêtent de procéder à ces actes. C'est finalement parce qu'il y avait une impunité totale qu'ils passaient à l'acte. Les pédophiles savent parfaitement ce qu'ils font, même si après ils savent bien jouer la comédie. Ils savent parfaitement qu'ils commettent un crime ou un délit. Il faut donc mettre les mots justes sur les faits justes, pour que l'enfant, la victime, se reconstruise."
Un autre dossier dont vous vous occupez, celui de l'autorité parentale. Partager l'autorité parentale, pour vous, c'est finalement instaurer la parité à l'envers ?
- "Oui, je lance la réforme du droit de la famille, avec au premier rang le renforcement des relations parents-enfants. Au fond, l'idée toute simple est que les adultes ont conquis des libertés, que l'histoire du couple est plus instable. Donc, en contrepartie, il faut renforcer les droits de l'enfant pour garder un lien éducatif avec son père et avec sa mère, quelle que soit l'histoire de ce couple - qu'ils soient ensemble, séparés, divorcés."
Parce qu'il y a un déséquilibre pour le père en ce moment ?
- "Ce n'est pas un déséquilibre pour le père. Le problème n'est pas de renforcer les droits d'un adulte contre l'autre, c'est d'affirmer le droit de l'enfant d'être éduqué, élevé, par son père et par sa mère. Cela veut dire concrètement changer la loi pour que la garde alternée puisse être possible ; cela veut dire donner au père un livret de paternité au même titre que la mère reçoit un livret de maternité ; c'est permettre au père, pour qu'il exerce son droit d'hébergement, d'avoir accès à un logement social de la taille suffisante - aujourd'hui, un père qui divorce n'a pas sa situation familiale prise en compte pour l'accès au logement - ; cela veut dire aussi et surtout, affirmer la responsabilité des deux parents à l'égard de l'école, pour qu'ils puissent équitablement suivre ensemble les bulletins de notes, les décisions d'orientation, le cheminement scolaire de leur enfant."
C'est un texte sur lequel vous travaillez en ce moment. Vous allez le présenter d'ici quelques semaines en Conseil des ministres. Cela devrait passer au Parlement à l'automne ?
- "Je l'espère !"
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le mars 2001)
- "Il faut déjà que tous les adultes apprennent à respecter le corps des enfants. On ne dira jamais assez l'horreur, l'abomination des crimes et des délits commis sur les enfants. On ne redira jamais assez la lourdeur de la loi du silence, parce que les enfants ont peur de parler, ils ont peur de ne pas être crus. Ils se sentent coupables alors qu'ils sont victimes et, souvent, les adultes qui les entourent ne voient pas ou ne veulent pas voir. Il y a aussi beaucoup de lâcheté dans cette loi du silence, de la part d'adultes qui savent mais qui ont peur du scandale. Dans la plupart des cas, cela oppose des notables et des enfants fragiles, timides, silencieux et parfois socialement défavorisés."
Il y a des affaires de pédophilie qui sont concernent des "particuliers", disons. Mais en ce moment, on a l'impression que certaines institutions de l'Etat sont elles aussi coupables : coupable la justice de ne pas avoir mené correctement l'enquête sur les disparues de l'Yonne ; coupable l'éducation nationale de ne pas savoir voir certains cas de pédophilie. Comment peut-on - peut-être par la formation, l'information - faire le ménage chez soi ?
- "Ce sont d'abord les criminels qui sont coupables. Ce sont d'abord ces adultes qui profitent de la faiblesse des enfants ou de celle des personnes handicapées. Et il y a bien sûr des dysfonctionnements. Je crois qu'on en sort. Pendant trois ans, je me suis battue à l'Education nationale pour mettre en place des instructions officielles pour lever la loi du silence. Cela n'a pas été facile. Il y a, par exemple, des gens qui m'ont dit que "jouer, ce n'est pas grave" ! Si, c'est grave. Un enfant touché est un enfant blessé. Sa l'est famille aussi. On en parle très peu, les familles sont en grande souffrance, les frères et soeurs... Il faut soigner les victimes en prenant en charge globalement le groupe familial et puis mettre le doigt sur les dysfonctionnements. Il y a quelque chose de réconfortant dans ce qui se passe : c'est la fermeté du Gouvernement, de tous les ministères concernés, par rapport au fait de dire la vérité, de dire les choses telles qu'elle sont, de ne pas avoir peur de mettre en cause des personnes importantes, des notables, qui ont eu pignon sur rue et qui ont joué de cette notabilité pour imposer une loi du silence."
Effectivement, certaines institutions sont plus visées que d'autres dans ce type d'affaires ?
- "Tous les métiers liés à l'enfance. En même temps, il ne faut pas non plus voir de la pédophilie partout. Mais il faut savoir capter le message d'un enfant - par exemple, dans le cas d'un enfant déprimé - parce que c'est difficile parfois à dire avec les mots. Il faut donc croire la parole de l'enfant. C'est ce qui a beaucoup changé : l'affirmation du droit de l'enfant à se faire respecter a beaucoup fait pour la levée de la loi du silence. C'est la même chose pour le racket ; l'abus sexuel est d'ailleurs une forme de racket. Comme pour le racket, comme pour l'abus sexuel, l'enfant se tait, il est écrasé par cette loi du silence. Aujourd'hui, des procédures claires existent dans l'Education nationale. Je suis en train de les étendre dans les institutions qui accueillent des enfants : les enfants placés à l'Aide sociale à l'enfance - c'est-à-dire qui ont été retirés aux parents - sont des proies encore beaucoup plus faciles. Je veux donc que l'on soit extrêmement vigilant sur cette question. Il faut que tous les adultes sachent regarder, sachent percevoir un message de désarroi et de grande souffrance."
Selon vous, si on parle en ce moment beaucoup d'affaires de pédophilie, c'est justement parce qu'on a justement réussi à briser cette loi du silence et pas parce qu'il y en a plus ?
- "Bien sûr, c'est parce qu'on a réussi à briser la loi du silence. Il n'y a donc pas de fatalité à la pédophilie. Il faut d'abord que les pédophiles aient peur d'être découverts pour qu'ils arrêtent de procéder à ces actes. C'est finalement parce qu'il y avait une impunité totale qu'ils passaient à l'acte. Les pédophiles savent parfaitement ce qu'ils font, même si après ils savent bien jouer la comédie. Ils savent parfaitement qu'ils commettent un crime ou un délit. Il faut donc mettre les mots justes sur les faits justes, pour que l'enfant, la victime, se reconstruise."
Un autre dossier dont vous vous occupez, celui de l'autorité parentale. Partager l'autorité parentale, pour vous, c'est finalement instaurer la parité à l'envers ?
- "Oui, je lance la réforme du droit de la famille, avec au premier rang le renforcement des relations parents-enfants. Au fond, l'idée toute simple est que les adultes ont conquis des libertés, que l'histoire du couple est plus instable. Donc, en contrepartie, il faut renforcer les droits de l'enfant pour garder un lien éducatif avec son père et avec sa mère, quelle que soit l'histoire de ce couple - qu'ils soient ensemble, séparés, divorcés."
Parce qu'il y a un déséquilibre pour le père en ce moment ?
- "Ce n'est pas un déséquilibre pour le père. Le problème n'est pas de renforcer les droits d'un adulte contre l'autre, c'est d'affirmer le droit de l'enfant d'être éduqué, élevé, par son père et par sa mère. Cela veut dire concrètement changer la loi pour que la garde alternée puisse être possible ; cela veut dire donner au père un livret de paternité au même titre que la mère reçoit un livret de maternité ; c'est permettre au père, pour qu'il exerce son droit d'hébergement, d'avoir accès à un logement social de la taille suffisante - aujourd'hui, un père qui divorce n'a pas sa situation familiale prise en compte pour l'accès au logement - ; cela veut dire aussi et surtout, affirmer la responsabilité des deux parents à l'égard de l'école, pour qu'ils puissent équitablement suivre ensemble les bulletins de notes, les décisions d'orientation, le cheminement scolaire de leur enfant."
C'est un texte sur lequel vous travaillez en ce moment. Vous allez le présenter d'ici quelques semaines en Conseil des ministres. Cela devrait passer au Parlement à l'automne ?
- "Je l'espère !"
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le mars 2001)