Interview de Mme Rachida Dati, ministre de la justice, à RMC le 6 mai 2009, sur les enquêtes judiciaires concernant des chefs d'Etat africains et sur les raisons du mouvement de protestation des surveillants de prison.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin.- Première question : une juge française ouvre une enquête sur trois chefs d'Etat africains, c'est la doyenne des juges du pôle financier de Paris qui a jugé recevable une plainte visant trois chefs d'Etat, et pas des moindres, O. Bongo le Gabonais, D. Sassou Nguesso le Congolais, et le Guinéen T. Obiang. De quoi s'agit-il ? Cette plainte concerne les chefs de recel, de détournement de fonds publics, blanchiment, abus de bien social, abus de confiance et complicité. Est-ce que le Parquet doit faire appel ?
 
Quand vous déposez une plainte - c'est juste pour resituer comment fonctionne cette organisation judiciaire, c'est pour ça qu'au ministère de la Justice, moi, j'ai toujours souhaité faire de la pédagogie. C'est une matière sensible, et à la fois, parfois, ça parait opaque, c'est pour ça d'ailleurs que les Français se sont éloignés de leur justice, pour des raisons de lisibilité. Alors, quand il y a une plainte, vous pouvez déposer plainte auprès du procureur, il peut classer ou poursuivre. Alors, s'il classe, vous pouvez tout à fait vous constituer partie civile auprès du doyen des juges d'instruction, donc vous déposez une plainte auprès du juge d'instruction. Les juges en France sont indépendants, c'est-à-dire qu'ils instruisent, ils ouvrent ou ils n'ouvrent pas, mais de manière indépendante. Donc là, il y a une plainte qui s'est constituée auprès de la doyenne des juges d'instruction, et là, il y a un examen de ce qu'on appelle la recevabilité. Parce que parfois, vous pouvez déposer plainte, et la plainte n'est pas recevable parce que vous n'avez pas un intérêt à agir, vous n'êtes pas concerné, il n'y a pas de critères, on ne peut pas retenir une qualification. La doyenne des juges d'instruction peut considérer qu'une des plaintes était recevable. Donc elle le fait en toute indépendance, donc elle souhaite que cette plainte soit donc recevable, donc instruite.
 
Donc il y a instruction...
 
Voilà.
 
Est-ce que le Parquet... le Parquet a cinq jours pour faire appel. Est-ce que le Parquet doit faire appel ?
 
Encore une fois, je ne suis pas partie à l'affaire, parce que quand vous déposez plainte, le garde des Sceaux n'est pas saisi en direct...
 
Mais vous avez une opinion sur la question ou pas ?
 
Oui, mais je m'exprime en tant que garde des Sceaux, donc en tant que Garde des sceaux, la plainte a été considérée recevable par la juge d'instruction, donc elle prend les éléments. Le Parquet fera des réquisitions, le Parquet, même s'il est sous l'autorité du procureur général, puis du garde des Sceaux, il y a aussi une opportunité des poursuites de faire des poursuites et des réquisitions...
 
Mais vous êtes favorable à des poursuites, en l'occurrence ?
 
Je ne suis pas partie à l'affaire et je ne suis pas sur le contenu de l'affaire, donc je ne vais pas prendre une position.
 
On attendra la décision du Parquet, si j'ai bien compris. Prisons : le blocage est maintenu. Est-ce acceptable de voir des images qui montrent des surveillants de prison frappés par des policiers ?
 
Ce n'est pas acceptable de voir, si les images ou ce que vous dites est avéré. Je dis simplement que, d'abord, il n'y a pas eu de blessé de part et d'autre, il n'y a pas eu de blessé. Et s'il y avait, par exemple, des incidents graves, évidemment, comme à chaque fois lorsqu'il y a des manifestations ou des protestations, il y a des enquêtes administratives ou plus qui sont ouvertes. Je dis quand même qu'on préfère de loin, évidemment, le dialogue à la protestation ou à la manifestation. Moi, je rends hommage quand même aux personnels pénitentiaires, qui est une administration extrêmement responsable, qui souvent, et ils le savent, parce que moi, c'est une administration pour laquelle j'ai donné beaucoup la priorité au sein du ministère de la Justice. Moi, j'ai un véritable attachement pour cette administration, et bien avant que je sois garde des Sceaux, j'étais magistrat, c'est une administration qui fait un travail exceptionnel, dans des conditions difficiles, et de plus en plus difficiles, compte tenu de la population pénale. Mais il faut rappeler aux Français que l'administration pénitentiaire, les surveillants pénitentiaires, contribuent à leur sécurité. Et souvent, on l'oublie, c'est aussi une force de sécurité.
 
Contribuent avec difficulté à leur sécurité, d'après ce qu'ils nous disent. Allons sur le fond, sur le fond du dossier, vous prévoyez de renforcer les surveillances de nuit dans les plus petits établissements ; vous prévoyez de revoir les modalités des surveillances spéciales de détenus potentiellement suicidaires, et vous prévoyez la création d'un bureau d'aide sociale au 1er juillet. Ce sont les propositions que vous faites, elles sont insuffisantes, disent les surveillants.
 
Alors, je vous explique juste : avec les organisations syndicales de l'administration pénitentiaire, ce sont des organisations syndicales extrêmement responsables. Moi, j'ai des rapports directs avec eux, et depuis très longtemps. Donc on se voit régulièrement. Nous nous étions vus en décembre, justement parce que j'ai pris en compte leurs préoccupations, parce que ce sont des organisations syndicales qui parlent de leurs conditions, mais moi, je trouve qu'il faut ajouter qu'ils parlent aussi de la condition des détenus. Et souvent, vous avez parfois des organisations qui ne parlent que de leurs conditions ; eux parlent aussi de la condition des personnes détenues. Et donc...
 
Parce qu'ils ont double rôle : garder et insérer, réinsérer...
 
Oui, mais, moi, je trouve que c'est à leur honneur de parler aussi des conditions et de faire part des conditions de détention, qui se sont aussi dégradées pour les personnes détenues. Et donc, en décembre, nous avons mis en place un groupe de travail, à leur demande d'ailleurs, ce que j'ai accepté, parce que c'était nécessaire, et ce groupe de travail a travaillé sur des mesures qu'ils souhaitaient, notamment la création d'un bureau d'action sociale, des modalités particulières pour ce qu'on appelle "les surveillances spéciales" pour les détenus en particulière fragilité ou vulnérabilité. Egalement sur la gestion prévisionnelle des ressources humaines, de voir comment on peut réorganiser, dans certains établissements, l'affectation de personnels - c'est une de leurs demandes, et je trouve que c'est très responsable - ; l'audit d'établissements pénitentiaires pour savoir quels sont les établissements qui doivent être réorganisés, et pas avoir une vision globale et générale depuis la centrale. Et donc, de ce groupe de travail, il y a eu des conclusions en février, je les ai revues en mars pour pouvoir les mettre en oeuvre. Nous nous sommes revus la semaine dernière, avec les organisations syndicales, et les mesures...
 
 
 
Ça n'a pas empêché la mobilisation... Sur la mobilisation, ça concerne 7 % de l'effectif de l'administration pénitentiaire.
 
Vous voulez dire par-là que tous les surveillants de prison ne sont pas devant les prisons à manifester et à protester ?
 
Parce qu'ils sont responsables. D'abord, ils n'ont pas le droit de grève mais à la fois ils sont très responsables, ils n'ont pas quitté, malgré leurs difficultés, ils n'ont pas quitté leurs activités et leurs missions. Vraiment, moi, je rends hommage à cette responsabilité. Ils ont demandé...
 
Est-ce que vous considérez que la colère est forte ?
 
Les difficultés sont légitimes, c'est-à-dire que le fait qu'ils aient des préoccupations, c'est légitime, et je les entends. C'est pour ça que j'accède à leurs mesures...
 
Et c'est légitime de les voir manifester, protester devant les prisons, bloquer les prisons ?
 
Mais le dialogue est ouvert, les prisons ne sont pas bloquées puisque les transfèrements ont pu avoir lieu, les parloirs n'ont pas été interrompus. C'est pour ça que je dis : je rends hommage à leur responsabilité. Alors, avec leurs organisations syndicales, ils ont demandé la création d'un bureau d'action sociale ; oui, c'est légitime, on doit le faire. Ils m'ont demandé de revoir les modalités du contrôle des arrêts maladie ; oui, j'ai accepté. Pourquoi ? Parce que c'est une profession particulière, et les contrôles d'arrêts maladie ne doivent pas se faire comme ça, de manière un petit peu aléatoire, ils sont à revoir. Ils m'ont demandé une chose, parce que ce sont eux qui m'ont saisie sur ce sujet, alors ça parait un peu technique : il y a une prime spéciale, une prime de sujétion, qui est retirée en cas d'arrêt maladie, souvent sur des critères qui ne sont pas très clairs. Ce sont eux qui m'ont alertée là-dessus. Je me suis engagée à revoir à ce que ces primes ne soient pas retirées lorsque par exemple le traitement n'est pas retiré en cas de congé maladie. Ça, ils ont raison, c'était une revendication légitime à laquelle j'ai accédé. Ils m'ont demandé également de renforcer les effectifs de nuit dans certains établissements, et notamment les plus petits. Hier, nous discutions, et nous allons sans doute l'acter aujourd'hui. [Nous allons] revoir un certain nombre d'établissements pénitentiaires, là où il est nécessaire de renforcer la surveillance de nuit, parce que certains établissements pénitentiaires vont évidemment être fermés, compte tenu par exemple de la vétusté ou par le fait aussi d'ouverture d'autres établissements pénitentiaires. Je tiens quand même à dire que le ministère de la Justice est le seul ministère où tous les départs à la retraite sont remplacés, où le budget a fortement augmenté : pour la pénitentiaire 6,5 % l'année dernière, et aujourd'hui nous avons encore une augmentation de 4,5 %...
 
Est-ce que les effectifs vont augmenter ?
 
Bien sûr. On a eu 1.100 emplois créés nouveaux en 2008, 1.264 en 2009. Et ça a été une volonté...
 
Et d'autres emplois nouveaux seront créés ?
 
Ils sont créés pour 2009 les 1.264. D'ailleurs, dans les 1.264...
 
Pas plus donc ?
 
Il y a eu 177 emplois de plus, supplémentaires, qui ont été octroyés et créés, en plus, entre les deux réunions, la dernière réunion syndicale et celle d'hier. Il y a eu 177 emplois de débloqués, qui sont créés, notamment sans doute pour les établissements pénitentiaires qui demandent...
 
E. Woerth a dit hier : on ne donne plus rien, terminé. Je ne sais pas si vous l'avez entendu, mais il a été très clair.
 
Oui, je l'ai entendu, parce que E. Woerth est dans son rôle...
 
...On n'augmente pas le budget et pas de personnels en plus...
 
Parce que nous sommes aussi dans un contexte de finances publiques extrêmement contraint...
 
Donc vous n'irez pas plus loin que les propositions que vous venez de faire ?
 
Mais vous savez, l'amélioration des conditions de travail de l'administration pénitentiaire, ce n'est pas qu'une histoire d'augmentation d'effectifs ou de moyens, sinon, ça se saurait. On a vu dans certaines...
 
Mais vous n'irez pas plus loin donc ?
 
Sur les mesures, les revendications ne portent pas uniquement sur les augmentations d'effectifs. Quand il y a eu la demande d'augmentation d'effectifs, nous avons débloqué 177 emplois supplémentaires. Il y a des mesures sur le fait de ne plus retirer cette prime spéciale, sur le fait d'avoir une gestion prévisionnelle, sur la demande de la création d'un bureau d'action sociale. Donc les revendications portent aussi sur l'organisation de l'administration pénitentiaire.
 
Ça, effectivement, on a entendu d'ailleurs les surveillants de prison sur l'antenne de RMC. Mais le personnel pénitentiaire va être consulté aujourd'hui. Vous avez donné...
 
Oui, il a été consulté hier soir, suite au...
 
...Un ultimatum, vous avez dit : 11 heures, il faut obtenir...
 
Ce n'est pas... non...
 
 
 
Les syndicats ont dit : elle nous a donné un ultimatum...
 
Non, ce n'est pas mon vocabulaire, et ils le savent très bien. Ce n'est pas un ultimatum, nous avons fait un relevé de conclusions hier, ils m'ont dit, ils ont indiqué qu'il fallait qu'ils consultent leur base, donc hier soir, et nous nous revoyons ce matin.
 
Imaginons qu'ils disent non, que se passe-t-il ?
 
J'ai confiance dans leur responsabilité, voilà. Les réunions avec eux se passent toujours très, très bien.
 
Mais vous avez d'autres propositions sous le coude ?
 
C'est les modalités, il faut voir les modalités. Nous avons...
 
Vous pouvez aller un peu plus loin encore ?
 
Les revendications qu'ils ont faites, on a pratiquement accédé à toutes les demandes. Il faut voir les modalités et la mise en oeuvre. Nous sommes en train de discuter des modalités et de la mise en oeuvre. Mais je le rappelle, sur les primes spéciales, nous envisageons de ne plus les retirer quand le traitement est maintenu, quand le salaire est maintenu, alors qu'avant, quand le salaire était maintenu, nous pouvions retirer la prime en cas d'arrêt maladie ; la création du bureau d'action sociale, qui est nécessaire, la gestion prévisionnelle des emplois pour évidemment éviter les vacances de postes dans certains établissements ; renforcer les effectifs de nuit dans un certain nombre d'établissements, et notamment les plus petits. Donc toutes les demandes qui ont été faites, nous les avons examinées, et nous sommes en train d'examiner les modalités de mise en oeuvre. D'ailleurs, ils sont partis avec ces propositions hier, je verrai tout à l'heure le retour des réponses de leur base.
 
Est-il vrai que dans la nouvelle prison de Lyon, par exemple, on met déjà des matelas par terre, parce qu'on a déjà trop de détenus dans cette nouvelle prison ? Est-il vrai que dans la nouvelle prison de Béziers, on ajoute aussi des lits ; à Nancy, 150 lits rajoutés...
 
Alors, monsieur Bourdin, j'aime bien aussi qu'on resitue les choses dans leur contexte...
 
Ce sont les surveillants qui le disent, je n'ai pas inventé...
 
Bien sûr, la surpopulation carcérale, c'est une réalité...
 
J'entends ça depuis quinze ans, vingt ans...
 
Non, non, non, de 1975 à 1995, la surpopulation avait explosé. La surpopulation a toujours existé...
 
...1995, on est en 2009 !
 
Oui, mais justement, le programme d'ampleur de construction de places de prison pour lutter contre la surpopulation, c'est construire des prisons et aménager les peines, c'est-à-dire d'autres modalités d'exécution de la peine pour réinsérer les personnes détenues, et ne plus avoir une conception de la privation de liberté uniquement entre quatre murs. Donc construire des places de prison, le programme d'ampleur date de 1987. Puis, 2002, puis 2007. Alors, il y a certains gouvernements... Moi, c'est ce que je disais hier à l'Assemblée : moi, je veux bien que la gauche fasse des leçons, je veux bien. Moi, j'entends, c'est important, je trouve qu'on doit... Vous savez, c'est un drame pour tous les gardes des Sceaux la surpopulation carcérale. C'est un drame pour l'institution judiciaire, mais également, et en particulier, pour l'administration pénitentiaire. Il faut construire des établissements pénitentiaires, on a besoin pour cela d'avoir des terrains, et puis ensuite de passer des marchés, et puis ensuite des délais de construction. Souvent, nous ne trouvons pas aussi facilement que cela des terrains ; vous savez très bien que parfois, il y a des collectivités qui ne souhaitent pas avoir des établissements pénitentiaires...
 
...Qui ne veulent pas avoir de prison sur leur commune.
 
Donc nous avons pris la responsabilité de construire des places de prison. Juste un exemple, sans vouloir faire de polémique : entre 1997 et 2002, 4 % des places de prison ont été fermées, sans doute à juste titre, pour des raisons de vétusté, pas de construction de places de prison en contrepartie. Donc moi, je veux bien, mais nous, on prend nos responsabilités, on construit des places de prison. En moins de deux ans, d'ici fin 2009, nous aurons construit près de 9.000 places de prison supplémentaires. Et le programme, on remplit nos objectifs, nous aurons 13.000 places de plus d'ici 2012. Alors, il faut construire des places de prison, mais il faut aussi développer ce qu'on appelle les alternatives à l'incarcération, c'est aussi tout l'objet de la loi pénitentiaire : les bracelets électroniques, l'assignation à résidence, la libération conditionnelle, la semi-liberté. Tout cela a été fortement développé, et je m'y suis engagée personnellement, puisque, juste un chiffre : en deux ans, les aménagements de peines - puisqu'on nous avait prédit une explosion de la population carcérale, ça n'a pas été le cas - ont été augmentés de plus de 50 %, et je n'ai pas procédé aux grâces collectives et il n'y a pas eu de loi d'amnistie. Donc c'est vraiment une politique ambitieuse, mais aussi volontariste, d'aménager les peines, c'est-à-dire d'avoir d'autres modalités d'exécution de la privation de liberté, que ce ne soit pas uniquement la prison.
 
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 14 mai 2009