Interviews de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, à RTL le 16 mars 1999 et à France 2 le 17, sur la démission de la Commission européenne, le choix du futur président de la Commission et la réforme des institutions communautaires.

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Circonstance : Démission collective du collège des commissaires de la Commission des Communautés européennes le 15 mars 1999

Média : Emission L'Invité de RTL - France 2 - RTL - Télévision

Texte intégral

ENTRETIEN AVEC "RTL" le 16 mars 1999
Q - Jacques Santer, le président démissionnaire, récuse la totalité des conclusions du rapport des Sages. Doit-il, comme il le souhaite, continuer son action jusquà la fin de lannée ?
R - Je crois quil faut que le Conseil européen de la semaine prochaine sempare du sujet et quil traite des aspects de méthode et de calendrier parce quil faut résoudre les problèmes qui nous sont posés. La Commission actuelle ne peut plus prendre dinitiative forte, elle peut expédier les affaires courantes. Cela dit, je crois quil ne serait pas raisonnable de faire nommer, cest une option personnelle, une nouvelle Commission soumise à un Parlement qui lui-même achève son mandat le 13 juin prochain. Je ne suis donc pas favorable, à titre personnel, à la position de M. Gil-Robles. Je crois que le mieux serait peut-être davoir un premier débat sur les liens entre le Parlement et la Commission lors du Conseil européen de Berlin, la semaine prochaine, pour envisager un remplacement de la Commission après les élections européennes.
Q - Considérez-vous que tous les commissaires doivent expédier les affaires courantes, même ceux comme Edith Cresson qui sont nommément mis en cause dans le rapport des Cinq Sages ?
R - Sil y a eu démission collective, cest justement parce que la logique qui a été retenue na pas été dinsister sur les responsabilités personnelles mais sur la responsabilité globale de certains dysfonctionnements. Il faut dailleurs noter, parce quil faut être juste, que cette Commission a travaillé, que son attitude actuelle est digne, respectable, que cette démission est, je crois, un bon choix et, en plus, que le Comité des Experts a souligné quil ny avait pas eu de comportement frauduleux, personnel, de la part de tel ou tel commissaire. Donc, ne posons pas de nouveau ces problèmes. Il est souhaitable que la Commission se voit investie de la charge des affaires courantes, parce quon a besoin dune certaine continuité dans lexécution du travail européen. Cest à mon sens la Commission dans son intégralité.
Q - Estimez-vous nécessaire louverture dune enquête du Parlement européen sur ces
affaires comme certaines le demande ? En fait, souhaitez-vous que la lumière soit faite ?
R - Mais la lumière a précisément été faite. Il faut quand même rappeler la procédure : il y a eu, il y a un mois, une motion de censure devant le Parlement européen, qui na pas été votée et qui a donné lieu à un accord entre le Parlement européen et la Commission qui a accepté elle-même que des travaux soient menés et un Comité dexperts indépendants mis en place. Cest ce Comité qui a rendu un rapport dont les conclusions ont ensuite conduit la Commission à tirer des leçons en démissionnant.
Je crois que maintenant, il faut passer à un autre stade, quil ne faut pas senfoncer dans la crise, quil ne faut pas mettre davantage en cause la Commission mais quil faut en tirer des leçons positives. Elles sont positives. Il faut continuer le travail, penser au remplacement de lactuelle Commission et au-delà, et cest très important, réformer les institutions de lUnion européenne.
Q - Dans quel sens vont ces réformes ? Le recentrage ?
R - Cest le recentrage. Il faut recentrer la Commission, autrement dit, laffaiblir parce que tout cela serait le résultat dun pouvoir excessif quelle aurait pris. Je suis en radicale opposition avec cette thèse. Je pense que cette crise prouve que cest que lorsquon a une Commission trop faible - jai été parlementaire européen en 1994, je me souviens qua lépoque, la Commission avait été investie dextrême justesse, 20 voix de majorités, ce qui était très peu. Il y avait déjà au départ une interrogation sur la capacité de leadership politique de cette Commission - elle nest pas capable dexercer totalement ses responsabilités de façon collégiale et il y a des dysfonctionnements même si, encore une fois, elle a travaillé et que tous ces personnages sont des personnages respectables, qui ont bien travaillé pour lEurope. Je suis donc pour une Commission forte, qui soit politiquement forte, plus collégiale, resserrée, mieux hiérarchisée - pourquoi pas des commissaires et des commissaires adjoints qui soient mieux organisés -, plus responsable devant le Parlement, davantage contrebalancée par le Conseil des ministres qui dont jouer son rôle. Bref, je souhaite quon se saisisse de cette occasion pour réformer en profondeur les institutions européennes et davoir le mécanisme de la Commission, son fonctionnement et cest pour cela que je continuer de penser quil faut lancer maintenant un processus qui aboutit à une réforme des institutions sous la présidence française, en lan 2000. Mais, il y a des réformes simples set pratiques quon peut mettre en place tout de suite.
Q - Cette démission est du pain bénit pour les eurosceptiques - Charles Pasqua et les communistes.
R - Je pense que cette crise peut être salutaire. Dabord, les institutions européennes ne sont pas en panne contrairement à ce que jai pu lire ici ou là. Il demeure un Parlement qui fonctionne. Le Conseil européen est en place. Il va travailler et jespère une deuxième fois que les chefs dEtat et de gouvernement comprendront - je suis sûr quils le feront - quun succès à Berlin la semaine prochaine est dautant plus nécessaire quil y a une crise de la Commission. Derrière cela, cette crise peut être aussi utile si on sen saisit, dune part pour réformer les institutions, dautre part, pour faire plus de transparence et de démocratie et troisièmement, pour mettre en place des mécanismes de travail qui seront beaucoup plus efficaces. Je pense que de ce mal peut sortir du bien et je veux saluer la Commission qui, je crois, dans un contexte difficile par rapport à des dysfonctionnement tout à fait réels, a pris la décision la plus sage, celle de la démission, donc de remettre en jeu son mandat, de continuer peut-être à travailler pour le bien de lEurope mais en faisant en sorte quon aille vers autre chose.
Q - En fait, vous êtes daccord avec François Bayrou qui estime que lEurope dhier est finie et que cest une autre Europe qui commence ?
R - Il ne faut pas non plus dramatiser ce qui est en train de se produire. Cest un des organes des institutions européennes qui aujourdhui démissionne. Mais en même temps, ses commissaires restent en place ; le Conseil européen a le contrôle de laffaire, cest-à-dire les chefs dEtat et de gouvernement, le Parlement. Tout cela est plutôt un bon signe. Je suis plutôt un euro-optimiste et je pense que cela prouve que les politiques vont jouer leur rôle et les politiques, ce sont les ministres, les chefs dEtat de gouvernement réunis au sein du Conseil européen, le Parlement et tout cela doit aboutit à reformater, à redéfinir le rôle dune Commission qui encore une fois, doit être une Commission forte.
Q - Donc, cest plus un renforcement des pouvoirs des ministres, enfin des exécutifs sur la Commission des institutions européennes quun supplément de fédéralisme ?
R - Je ne crois pas du tout à la thèse fédérale pour le moment. Je crois que nous avons de plus en plus déléments fédéraux dans lEurope, leuro en est un, cest clair. Je pense quen matière de défense, on aura aussi des avancées de ce type. On les a dans le domaine du Traité de Schengen de la sécurité intérieure, de la coopération policière et judiciaire qui va être intégrée en partie dans le Traité dAmsterdam que le Sénat vote aujourdhui. Tout cela est positif mais en même temps, ce nest pas le fédéralisme. Les Français, notamment, mais aussi tous les Européens ne sont pas fédéralistes. Ils veulent que les nations continuent à jouer leur rôle et je crois quils insistent beaucoup sur une Europe dans laquelle il y ait une sorte déquilibre entre un Parlement - qui souhaite être de plus en plus légitime, doù limportance des élections européennes - et des chefs dEtat et de gouvernement réunis en conseil qui jouent leur rôle. Cest un organe intergouvernemental dans lequel les nations, les Etats se font entendre et puis une Commission qui doit être garante de lintérêt général. Je suis, si vous voulez, pour quon rehausse toutes les institutions. A la fois le Parlement, le Conseil et la Commission et cest cette autre rampe quil faut inventer maintenant./.
ENTRETIEN AVEC "FRANCE 2" le 17 mars 1999
Q - Vous allez peut-être nous dire comment va se passer maintenant après la démission de la Commission européenne parce quon sy perd un peu ? Il y a une démission qui a été annoncée, hier, mais quand partent les commissaires européens ? Maintenant ? Après les élections de juin ? Jacques Santer veut rester jusquau bout de son mandat.
Quand vont-ils partir et qui décide ?
R - Qui décide, dabord. Ce sont les chefs dEtat et de gouvernement réunis dans ce quon appelle le Conseil européen. Cela tombe bien, même si cest le hasard : il y en a un la semaine prochaine les 24 et 25 mars prévu pour discuter de tout sujet extrêmement important, comme la réforme de la politique commune. A cette occasion, ils vont définir les conditions dans lesquelles la Commission sera remplacée. Ils peuvent le faire tout de suite - cela ne paraît pas raisonnable parce quhonnêtement il ny a pas mal de pain sur le planche - ou ils peuvent décider de le faire dans un sommet extraordinaire qui se déroulerait quelque part entre mars et juin avant les élections européennes. Ils peuvent aussi décider de le faire après les élections européennes.
Pour vous donner mon opinion, cest ce qui me paraîtrait le plus sage. Je ne vois pas comment le Parlement européen actuel, qui termine son mandat en juin, pourrait renommer dans des conditions convenables une nouvelle Commission. La solution qui pourrait être envisagée cest que la Commission actuelle expédie les affaires courantes. Autrement dit, elle ne prend pas dinitiative mais elle continue à gérer, et ensuite elle est remplacée au mois de juin, présentée devant le nouveau Parlement. On peut aussi aller un peu plus vite et je comprends que certains en aient envie. Mais attention, il faut faire les choses de façon efficace : aller vite mais pas se précipiter.
Q - Quelle est lidée ? De changer les hommes mais cest aussi de réformer un peu le système ?
R - Je crois que le rapport du Comité dexperts indépendants a montré les dysfonctionnement du système. Il faut, à la fois, remettre les choses à plat, mieux hiérarchiser la Commission, mieux lorganiser, sassurer quelle fonctionne comme un collège, parce que cest un collège, un collectif ; sassurer que les responsabilités sont bien exercées ; contrôler aussi les services et on a vu quon manquait peut-être paradoxalement de moyens à la Commission. Puis il faut remplacer les hommes et les femmes. Pas tous sans doute mais un certain nombre et notamment hausser le profil politique de cette Commission. Je crois que si elle a échoué - et on le sait depuis le départ - cest peut-être parce quil y a un manque de vision, un manque de charisme. Il faut trouver dans cette Commission des hommes et des femmes forts.
Q - Justement, cest ce que disait Gerhard Schröder hier traçait le profil dun candidat allemand, ou dun nouveau président qui ressemblait singulièrement à Helmut Kohl. Cela pourrait être un bon futur président de Commission ?
R - Pourquoi pas ? Je crois que ce nest quand même pas le candidat idéal. Que faut-il pour être président de la Commission ? Il faut dabord être un homme qui a une vision européenne - Kohl la sans doute - ; il faut un homme qui ait aussi les capacités gestionnaires importantes. Je crois quil faut un homme qui ait été dans les rouages de lEurope au plus haut niveau et il faut aussi - me semble-t-il - un homme qui puisse convenir à la majorité des gouvernements. Ce serait plutôt quelquun qui aurait un profil socialiste ou social-démocrate acceptable en même temps par les gouvernements conservateurs ou linverse. Est-ce Helmut Kohl ? On verra bien. Je crois quil faut quelquun qui ait effectivement un profil extrêmement élevé, plutôt un social-démocrate. Vous me pardonnerez de souhaiter cela ?
Q - Certains commissaires pourraient-ils retrouver leur poste ? Je pense notamment à Yves Thibault de Silguy, commissaire français, qui est déjà candidat à sa propre succession ?
R - Ne parlons pas des personnes, aujourdhui, si vous le voulez bien, dautant que vous avez compris que ma thèse était plutôt que cette Commission devait expédier les affaires courantes donc de façon assez sereine, mettons jusquau mois de juin. Peut-être pour un mois, deux mois, trois mois. On verra.
Q - Avez-vous déjà eu des candidatures depuis hier ?
R - Pas encore. Vous savez, il y avait déjà avant, des gens qui étaient intéressés par la Commission. Je ne vois pas dobstacle à ce que tel ou tel commissaire qui a bien fait sa tâche puisse être renommé. Le fait quil y ait eu une démission collective ne signifie pas que chacun des individus est en cause. Il ne me paraît pas illégitime que dans tel ou tel pays, pourquoi pas le nôtre, tel ou tel commissaire puisse être confirmé.
Q - Vous lavez évoqué, il y a un Sommet à Berlin dans huit jours. Après la crise en Allemagne, afin après le départ dOskar lafontaine et la démission de la Commission de Bruxelles aujourdhui comment allez-vous faire pour travailler ? Vous allez quand même pouvoir avancer sur les dossiers-clés comme le financement de lEurope, la réforme de la Politique agricole commune ou cela va être un peu plus difficile ?
R - Oui, honnêtement oui, parce que de toute façon la Commission avait un peu terminé son rôle sur ces dossiers. On est dans la dernière semaine : le chancelier Schröder va être à Paris, vendredi, nous allons avoir une très importante réunion dimanche des ministres des Affaires étrangères et européennes ; ensuite un Sommet la semaine prochaine. Ce sont les politiques qui sont en charge et cest à eux de résoudre le dossier. Ils ont les éléments pour cela. Je suis plutôt optimiste sur ce Sommet de Berlin. Je pense quà partir du moment où il y a cette crise de la Commission, où il y a ce climat, les chefs dEtat et de gouvernement seront dautant plus tentés de montrer que lEurope peut marcher et quils peuvent entre eux, au niveau politique, trouver les solutions. Je pense quà Berlin laccord est possible, souhaitable mais, encore une fois, pas à nimporte quelle condition. Je pense notamment à tout ce qui concerne la Politique agricole commune. Nous avons des exigences afin que ce qui a été présenté comme un accord il y a quelques jours à Bruxelles soit substantiellement amélioré. Mais nous y allons avec un état desprit positif.
Q - Le Parlement européen na-t-il pas donné un peu une leçon de démocratie. Il y avait un caricaturiste qui disait « prévarication, plus népotisme, plus fraude égale démission ». Est-ce une leçon de démocratie ou est-ce : « avant les élections européennes, on fait parler de nous » ?
R - Je ne dirais pas quil y a un peu des deux, mais je vais insister sur laspect démocratique. Cest vrai que cest en commençant à censurer la Commission, en mettant en place le Comité dexperts indépendants puis en mettant la pression quil a contraint la Commission à la démission et donc joué son rôle pour ceux qui pourraient penser quaprès cette crise il nest pas utile de voter. Je crois que cest le contraire : ce Parlement prouve quil est très important et, en même temps, je crois quil ne faut pas quil abuse de ses pouvoirs.
Q - Ce qui se passe en France nest pas transposable ?
R - Il y a ces pouvoirs qui existent dans notre Parlement. Mais quon aille vers un Parlement qui exerce vraiment ses responsabilités jusquà la censure, jusquau contrôle, oui. Quon aille dans le parlementarisme, cest-à-dire que chaque acte de lexécutif soit contrôlé par le Parlement ou plutôt mis sous tutelle du Parlement, je ne le crois pas. Il faudra trouver cet équilibre./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 mars 1999)