Déclaration de M. François Hollande, Premier secrétaire du PS, le 30 janvier 2001, sur les positions du parti socialiste concernant les relations de la France avec les pays arabes, les rapports euro-méditerranéens, la place de l'Europe et des organisations internationales dans les négociations visant à l'instauration de la paix au Proche-Orient.

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Circonstance : Déjeuner de parlementaires et responsables du Parti socialiste avec les ambassadeurs des pays membres de la Ligue arabe à Paris le 30 janvier 2001

Texte intégral


Mesdames et messieurs les Ambassadeurs des pays membres de la Ligue arabe,
Je vous remercie pour votre invitation. L'initiative prise par votre doyen, M. Aly Maher, qui me permet d'être parmi vous avec des parlementaires (Claude Estier, François Loncle), des responsables socialistes (Henri Nallet, Régis Passerieux, Michel Vauzelle), s'inscrit dans les rapports plus étroits que vous voulez établir avec les grandes forces politiques de mon pays, pour mieux en comprendre les positions et les débats avant les grandes échéances de 2002 qui permettront de rétablir une cohérence et une clarté au sein de l'Exécutif.
Je voudrais donner à cette invitation une dimension plus large.
Les relations que la France entretient avec les pays arabes doivent impérativement être approfondies, bien sûr au regard de notre histoire commune, des caractéristiques de la géographie qui firent de la Méditerranée une mer commune, mais aussi au regard des rapports économiques qui doivent s'intensifier, au-delà des échanges de matières premières.
Mais il y a des raisons plus fortes encore qui justifient cette accélération de nos échanges.
1 - Des raisons françaises d'abord, si l'on s'attache à la place de la culture arabe dans notre pays
François Mitterrand rappelait déjà, il y a près de 15 ans dans un discours à la Sorbonne, qu'il faut considérer la langue et la culture arabes comme l'une des composantes de la culture et de la civilisation de l'Europe, et plus encore de notre pays. C'est une partie de notre vie au quotidien (media, création musicale, etc). L'Institut du Monde Arabe, au cur du Paris historique, en est la preuve. Je peux vous dire que L Jospin y est personnellement attaché.
Les priorités à l'enseignement de la langue arabe et à son statut au baccalauréat ont été écartés, mais il faut faire un effort pour que de plus en plus d'élèves, et pas seulement ceux dont les familles sont d'origine arabe, choisissent cette langue ou les autres langues dites "rares", face aux choix en apparence plus utilitaires.
C'est aussi l'occasion de dire quelques mots de la place de l'islam en France. Aucun gouvernement français n'a conduit une politique aussi systématique pour faciliter aux musulmans de France le plein exercice de leurs droits. Les deux ministres successifs de l'Intérieur, chargés des cultes, ont d'ailleurs gardé la même équipe, pour assurer la continuité de l'entreprise. Il s'agit ni plus ni moins que d'assurer à tous les musulmans vivant en France, dans le cadre de notre droit public laïc qui garantit l'égalité de toutes les croyances, la possibilité concrète de pratiquer décemment leur culte.
Comme suite à la " Consultation " lancée par le gouvernement, cette année devrait déboucher, sur la mise en place par les musulmans de France eux-mêmes d'une instance représentative du culte musulman.
2 - Des raisons européennes ensuite
Nous accordons une place importante dans notre réflexion de politique extérieure sur les rapports euro-méditerranéens.
Tout le monde convient que le récent sommet de Marseille, en novembre 2000, n'a pas répondu, en raison de l'aggravation de la crise au Proche-Orient, aux grandes espérances, que notre pays avait placées en lui. Il n'en reste pas moins que le processus euro-méditerranéen lancé il y a 5 ans à Barcelone a trois mérites :
Il existe. C'est une initiative volontariste des Quinze. Dans une région longtemps gérée dans le cadre de la guerre froide, puis livrée à l'hyper puissance américaine, elle a l'ambition de contribuer à l'organisation d'un monde multipolaire. L'initiative américaine rivale n'a pas été très convaincante.
Il associe l'ensemble des Quinze (et demain plus, au nom de l'acquis communautaire) à un partenariat avec douze pays du sud et de l'est de la Méditerranée. Comme nous disions : " pas d'élargissement sans approfondissement ", nous devrions dire " pas d'élargissement sans approfondissement du dialogue politique en Méditerranée ".
Il ouvre un guichet, même insuffisamment doté. L'amélioration des procédures administratives est une priorité, quand on sait que les crédits n'ont été jusque là consommés qu'à 27 %.
Cependant ce processus reste trop limité :
Né dans la vague de la pensée libérale, il fait une confiance -à nos yeux- excessive au marché et à la zone de libre-échange prévue en 2010, pour résoudre tous les problèmes de modernisation et de gouvernance. Cette perspective fragilise un certain nombre de gouvernements, et en fait hésiter d'autres. À notre avis, un effort tout particulier devrait être fait, non seulement pour les politiques de mise à niveau, mais pour l'amélioration de la situation sociale, sanitaire et éducatif des pays signataires des accords de partenariat.
L'Europe doit aborder de façon moins frileuse la question de la circulation des personnes, notamment pour faciliter la délivrance des visas et le développement des relations entre les sociétés civiles de nos pays.
Nos objectifs sont :
D'avoir une réflexion commune sur la mondialisation, ses effets et la place spécifique à accorder à la défense du pluralisme culturel ;
De donner priorité à la démocratie : Au-delà de la simple " gouvernance ", nous sommes persuadés que nous partageons des valeurs universelles, qui sont celles de la démocratie et des Droits de l'Homme. Dans ce domaine, nous ne voulons donner de leçons à personne.
Notre approche se fonde sur l'idée que nous marchons, chacun à notre rythme et sur notre voie, vers des objectifs, qui sont des valeurs partagées. C'est pourquoi nous appuyons fermement tous les processus de démocratisation en cours, et dont nous nous sentons solidaires. C'est pourquoi il nous arrive aussi de dire notre regret, lorsque nous avons l'impression qu'une régression se produit, ici ou là, dans le domaine des droits de l'homme et des libertés politiques.
3 - Raisons internationales, enfin
Depuis cinquante ans, le Proche-Orient ne vit pas en paix, par conséquent le monde non plus. Il n'y aura d'équilibre dans le monde que si toutes les sources de conflit sont définitivement taries.
Nous ne pouvons pas échanger entre nous sans évoquer l'inquiétude, et même l'angoisse, qui nous étreint à propos du Proche-Orient (380 morts, 5000 blessés depuis fin septembre 2000). Les perspectives liées à l'issue des élections israéliennes ne nous rassurent pas.
Nos positions de principe sont connues. Nous avons pris la peine d'en débattre collectivement au sein du Parti socialiste avant de publier, il y a quelques mois, un texte de référence précis sur ce sujet. Nous sommes animés par un esprit positif, et souhaitons utiliser pour le service de la paix nos liens avec les forces de progrès en Israël, et nos relations anciennes avec le mouvement palestinien, et notamment Fatah, devenu un membre écouté de l'Internationale Socialiste. Vous avez rappelé que François Mitterrand a été le premier Chef d'État européen à avoir parlé du droit des Palestiniens à leur État souverain et indépendant. Lionel Jospin a toujours rappelé ces principes et la légitimité du peuple Palestinien.
Il nous faut maintenant tirer des leçons du non aboutissement du processus de paix et prendre de nouvelles initiatives, ayant les objectifs suivants :
Il s'agit d'un accord de paix définitif et global
Nous comprenons que les Palestiniens, ne peuvent se satisfaire ni de l'imprécision qui a existé dans les accords intérimaires, ni de l'absence de garantie que tout ce qui a été signé sera scrupuleusement appliqué par le cosignataire, et non pas remis en cause en cas de changement politique interne.
Il faut donc élaborer, sans contrainte de calendrier autre que celui agréé par les parties, une solution durable et précise, l'expérience d'Oslo (depuis 93) ayant démontré que l'ambiguÏté n'est pas toujours créative, mais conduit à des remises en cause permanentes et à des atermoiements et à des retards. La sortie du conflit doit être définitive ; voilà pourquoi, il faut accepter de rentrer dans le détail et de faire respecter la chose signée.
L'essentiel est de faire que les avancées conceptuelles des dernières négociations soient consolidées et " restent sur la table " d'une façon ou d'une autre (notamment Toba)
Il est devenu clair pour tout le monde, que les colonies sont un obstacle majeur à toute paix durable. Des avancées intéressantes mais insuffisantes ont eu lieu sur la question de Jérusalem, comme sur celle des conditions de viabilité d'un Etat palestinien ; il faut tout faire pour que ces propositions restent valables. Mais sans l'affirmation du droit des réfugiés au retour, prévu dans les Nations-Unies, et même si ce droit n'implique pas une application massive, il manquera une base à la paix.
C'est pourquoi nous voudrions mieux associer l'Europe, et aussi l'ONU à l'inévitable reprise des négociations, et aux garanties nécessaires à toute solution durable.
Le rôle des Etats-Unis est irremplaçable, mais notre présence, créative, pourrait aider à mieux équilibrer l'approche de certains dossiers (cf. l'impression d'unilatéralisme donnée par les Etats-Unis aux Palestiniens).
En ce qui concerne le rôle de la Communauté internationale, les Etats-Unis ne peuvent pas être les seuls médiateurs (ONU, Europe). Il n'y aura pas de paix au Proche-Orient sans l'Europe.
La position du PS n'est ni la neutralité, ni l'équilibre, c'est le respect des principes pour garantir durablement la paix. Il faut, d'ici là, assurer le maintien de la coopération quotidienne entre nos pays européens et la population palestinienne. Comment assurer sa protection, et sauvegarder son niveau de vie d'un dramatique effondrement en train de se produire. Notre " maître mot " est celui de disponibilité envers toute initiative souhaitée également par les deux parties, que ce soit le PS ou l'IS, comme cela doit être au niveau de la diplomatie française et européenne.
Conclusion
Que signifie " la politique arabe de la France " ?
S'il s'agit de dire que la France devrait avoir envers les pays arabes une " politique à part ", différente de celle mise en uvre envers les autres pays, fondée sur d'autres principes et d'autres règles, ce serait au mieux de l'orientalisme, au pire de la gestion mercantile.
En revanche, s'il s'agit de constater qu'il existe une profonde réalité politique, historique, culturelle, populaire, faite d'une langue, d'une culture, d'un avenir commun qui s'appelle le monde arabe " de l'Océan au Golfe " et que cet ensemble a vocation à travailler durablement avec la France et l'Europe, alors c'est cette politique là que les socialistes entendent promouvoir.
C'est dans ce cadre que nous sommes prêts à travailler plus étroitement avec vous sur l'ensemble de ces questions.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 15 février 2001).