Déclaration de M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel, sur les mesures prises pour lutter contre la violence dans les lycées professionnels, Paris le 5 mars 2001.

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Circonstance : Dispositif de prévention de la violence dans les lycées professionnels, à Paris le 5 mars 2001

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Chefs d'Établissement,
La violence en milieu scolaire est une préoccupation grandissante pour nos personnels comme pour nos jeunes et leurs parents.
Cette violence prend à revers l'idéal éducatif Républicain. Elle en est la négation.
J'ai donc décidé de proposer aux 1700 lycées professionnels publics ou sous contrat d'engager ensemble une action méthodique en profondeur pour relever le défi que ce phénomène nous lance.
Voici l'objectif que je vous propose :
- éradiquer toute violence de nos lycées professionnels. Pour y parvenir, je vous propose de mettre en partage des principes de références pour l'action et d'organiser un dispositif cohérent de mesures qui les traduisent en actes.
LES PRINCIPES
Premier principe : la vérité nous intéresse
Parce qu'elles sont vécues comme un échec par nous, adultes et pédagogues, les manifestations de violence en milieu scolaire peuvent souvent être occultées. Elles sont alors subies comme une humiliation contre laquelle nous ne pourrions rien opposer d'autre que notre patience ou notre résignation. C'est un syndrome courant de ceux qui ont à subir la violence que d'en assumer la culpabilité. Dès lors, non seulement la souffrance des victimes directes ou indirectes se trouve augmentée mais de surcroît les diagnostics préventifs sont impossibles à établir. Je demande qu'il soit clairement et pédagogiquement rappelé à l'ensemble de la communauté scolaire que la lutte contre la violence est notre cause commune et que notre objectif est de l'éradiquer.
En un mot, il faut déculpabiliser les victimes, jeunes ou adultes, parce que la vérité nous intéresse. La vérité est la matière première de notre action.
Une conséquence directe de ce principe est que le résultat de l'action que je vous propose doit lui aussi être rigoureusement soumis à ce principe. C'est-à-dire que nos succès comme nos échecs nous intéressent également pour pouvoir progresser en efficacité. L'auto-évaluation du dispositif est donc une obligation pour nous.
Deuxième principe : la confiance en soi
J'affirme que nos équipes sont en mesure d'atteindre l'objectif.
Notre option fondamentale, notre raison d'être, réside dans l'idée que l'élévation du niveau des savoirs et de la culture des jeunes est l'appui essentiel de leur émancipation existentielle.
La pédagogie est notre outil. C'est de cette façon qu'a été relevé le défi de l'alphabétisation, ou celui de la massification et combien d'autres encore. C'est aussi par la pédagogie que nous combattons le racisme et l'intolérance. La violence relève du même ordre de défi. Si nous en connaissons les racines sociales et psychologiques, cette connaissance ne vaut pas excuse. Aucun pseudo-déterminisme n'est indépassable par le libre choix moral des individus. En témoigne le comportement de l'immense majorité de ceux qui, à conditions égales, ne s'abandonnent jamais. Notre parti pris reste celui des lumières et de la liberté de conscience en cette matière aussi !
Troisième principe : le discernement d'abord
En matière de violences, toute généralisation est incapacitante. Elle anéantit le discernement indispensable si l'on veut agir concrètement et efficacement, au cas particulier, comme c'est la nécessité.
En effet, le passage à la violence est l'aboutissement d'un processus complexe, nouant des causes multiples, toujours singulières. Aucune analyse uniforme n'est opérationnelle.
Par contre, le repérage précis des facteurs et des fauteurs de violence, l'identification fine des causes, des vecteurs et des formes particulières de violence permettent d'établir de véritables protocoles d'actions durables.
Quatrième principe : l'enseignement et le respect de la règle
La violence est un obscurantisme : celui de la loi du plus fort. Nous y opposons le droit de chacun à bénéficier de la protection de la règle, applicable à tous. Dès lors, le rappel de la règle, de son sens, des procédures qui l'établissent et la légitiment, des raisons du consentement à son application sont des vecteurs pédagogiques incontournables. La première question à traiter est donc de vérifier où, quand et comment la règle est elle-même enseignée puis illustrée. Partant de là, l'application de la règle peut devenir claire pour tous.
Il va de soi qu'une conséquence essentielle de ce principe est l'obligation pour les adultes de se conformer eux-mêmes à la règle qu'ils enseignent.
Cinquième principe : la prévention d'abord
S'il n'était question que de répondre aux cas constatés, il n'y aurait aucun besoin d'engager la mobilisation générale que je propose. Je souhaite pourtant, quelle que soit la situation de chacun de nos établissements, que tous s'engagent dans une pratique construite et méthodique de prévention de la violence. De la sorte, non seulement nous travaillerons pour la qualité de vie et de formation dans nos établissements, mais encore nous contribuerons à abaisser le niveau de la violence juvénile hors les murs de l'établissement, comme c'est également notre mission éducative.
Adhérer au principe de prévention, c'est repousser le fatalisme d'après lequel la violence serait irrémédiable. C'est faire vivre la mission émancipatrice de l'école.
Sixième principe : répression et réparation
Nos dispositifs académiques prévoient tous un accompagnement juridique des victimes.
Je demande que tout ce qui relève de la sanction légale soit systématiquement porté à la connaissance de la justice. L'engagement des actions de justice, leur déroulement et leurs conclusions doivent être connus de l'ensemble de la communauté scolaire. De plus, les règlements intérieurs de nos établissements doivent tous prévoir des sanctions, par réparations, contre les actes de transgression de la règle de vie de l'établissement en ce qui concerne les dégradations de quelque sorte qu'elles soient. Naturellement les voies de connaissance et d'accès au droit doivent être disponibles dans chaque établissement comme je le propose.
Septième principe : la généralisation des bonnes pratiques
Contre la violence, l'École est déjà riche d'une expérience approfondie et de pratiques multiples. Chaque jour sur le terrain, les serviteurs de l'Ecole républicaine font déjà face à la situation avec succès.
Dans l'enseignement professionnel, ce sont quelques 700 000 élèves qui travaillent quotidiennement, et pacifiquement, avec 60 000 professeurs dans les 1722 lycées professionnels répartis sur le territoire national. Je dis aux lycéens et à leurs parents ainsi qu'aux personnels enseignants et non-enseignants, aux équipes de direction, à tout l'encadrement et aux personnels médico-sociaux que c'est de cette réalité qu'il faut partir. Que ce soit pour la prévention pédagogique ou pour la réaction aux cas de violence, c'est donc d'abord par une généralisation de ce qui se fait déjà de plus efficace sur le terrain que le fléau sera combattu et vaincu.
À cette expérience s'ajoute celle, précieuse, des partenaires locaux naturels de l'école : les équipes des collectivités locales, les travailleurs sociaux, les associations de quartiers. Un fonds considérable de capacité d'identification rationnelle des problèmes et de savoir-faire opératoire est ainsi disponible. Je souhaite qu'il soit pleinement mis à profit s'il ne l'est déjà.
LES MESURES
1 - Mise en place d'un comité de prévention de la violence dans chaque établissement
Dans chaque établissement, que des problèmes aient été constatés ou pas, je demande que l'on constitue un comité de prévention de la violence sous la présidence du chef d'établissement.
Je souhaite qu'il dispose d'une " formation élargie ", qui intégrera toutes les parties prenantes de la communauté scolaire. Réuni à intervalles réguliers, celui-ci analysera collectivement la situation, évaluera les problèmes, proposera les initiatives de tous ordres à prendre et rendra compte au Conseil d'administration. C'est lui qui entendra les comptes-rendus du travail accompli et proposera les efforts à accomplir. En " formation restreinte ", il assurera la mise en place, la continuité et la coordination des actions. En particulier, cette formation prendra en charge la mise en place des autres dispositions que je propose.
2 - Développer les partenariats
Parce que la violence peut venir d'hors les murs, parce qu'elle y a, en tout état de cause, ses racines, parce que la vie de nos jeunes est un tout, le comité de prévention de la violence devra se rapprocher des intervenants qu'il est conduit à rencontrer hors de l'établissement : clubs de prévention, associations de quartier, clubs sportifs, centres culturels, travailleurs sociaux. Autant que de besoin, ils seront invités aux réunions élargies du Comité de Prévention.
Ces partenariats doivent permettre un échange de signalements, le cas échéant, une continuité d'action pédagogique individualisée, une médiation quand il le faut.
3 - Création de point d'accès au droit
Le dispositif de " maison du droit et de la justice " mis en place à l'initiative du Ministère de la Justice dans les collectivités locales offre une opportunité efficace dont il faut se saisir. Il est ainsi possible de créer des permanences de point d'accès au droit dont disposent déjà de nombreuses missions locales pour l'emploi et PAIO. Ouvrir de telles permanences dans nos établissements nous permettra de rendre concrète la démarche de recours au droit et à la loi face à l'ensemble des difficultés qu'un jeune rencontre et qui peuvent être à l'origine de son trouble. Il me paraît important de nous doter ici d'une ouverture adossée à un dispositif puissant et expérimenté que nous ne saurions reconstituer.
4 - Les points " d'écoute violence "
Une des clefs des progrès de prévention à accomplir est dans le développement des capacités de verbalisation et de communication des souffrances par nos jeunes.
Nous devons accepter l'idée que cette écoute n'est pas toujours possible dans le contexte de la relation maître-élève. Nous devons comprendre que souvent les jeunes se sentent -à bon droit ou pas- privés d'écoute.
Dès lors, bien sûr, l'identification des ressources humaines déjà accessibles dans l'établissement doit être clairement établie. Mais on devra s'attacher à élargir la capacité d'écoute déjà disponible. On pourra aussi mettre en place un dispositif de jeunes médiateurs pour lesquels existe déjà une formation adaptée.
Je propose que nos établissements tirent de plus profit des moyens mis à disposition des préfectures par le Ministère de la Ville et qu'ils demandent à disposer de postes " d'adultes-relais ".
Leur permanence dans l'établissement ouvrirait une capacité nouvelle de signalement en cas de situation de danger des jeunes les consultant, ou d'aiguillage de leurs démarches hors et dans les murs de l'établissement.
5 - L'information des enseignants
Les témoignages convergent montrant qu'une constante de situation dans nos établissements est la sous-information de nos enseignants concernant les voies de recours dont ils disposent dans l'institution, leur méconnaissance des dispositifs disponibles, leur ignorance des outils du droit applicable en la matière et d'ailleurs des obligations qui en découlent
Cette information indispensable doit impérativement être partagée.
Chaque établissement doit y pourvoir et, dans tous les cas, les prochaines journées de préparation de la rentrée doivent l'intégrer.
6 - Les signalements - le dépaysement
Cette information devra tout particulièrement tenir compte de la notion d'obligation de signalement à l'autorité judiciaire* qui s'impose dès lors qu'un jeune se trouve en situation de danger comme sa violence peut en attester.
Car il est évident que notre institution ne peut pas tout et qu'il est des domaines d'intervention qui ne sont pas dans ses compétences notamment lorsque se manifestent de très graves troubles psychologiques ou qu'une situation de danger moral extrême existe en famille ou dans le quartier du jeune, dévastant son équilibre.
Toutefois, dans des cas moins extrêmes, il apparaît que des mesures de dépaysement provisoire peuvent constituer une occasion profitable pour le jeune en l'extrayant du contexte où son comportement prend racine.
Je vais donc étudier les possibilités pour nos établissements de recourir les uns aux autres pour rendre possible ce dépaysement dans la continuité de la scolarité. Je crois en effet que pour nous, les mesures d'exclusion, même temporaires, doivent être aussi exceptionnelles que l'échec de l'institution qu'elle signale.
* circulaire du 14 mai 1996 relative à la coopération entre le ministère de l'éducation nationale de l'enseignement supérieur et de la recherche, le ministère de la justice, le ministère de la défense et le ministère de l'intérieur pour la prévention de la violence en milieu scolaire.
7 - L'action pédagogique
La lutte contre la violence, le rejet de celle-ci, sa signification sociale et morale, l'élucidation de ses causes, le repérage de ses manifestations dans la vie sociale et culturelle en général, l'affirmation des valeurs de construction de soi qui s'y opposent, fournissent la matière première abondante de parcours pédagogiques. L'enseignement de nombreuses disciplines peut y puiser des arguments. Des initiatives pédagogiques nombreuses ont déjà été menées sur ces sujets. Je demande qu'une analyse des opportunités et un appel à projets et à compétences soient organisés dans tous nos établissements.
Le site Internet du Ministère ouvrira ensuite une rubrique d'affichage des initiatives proposées dans nos établissements pour faciliter l'échange des bonnes pratiques.
J'insiste : ici se trouve le cur de notre efficacité et l'esprit même de notre mission.
8 - Le comité national contre la violence
J'ai proposé à Madame Sonia Heinrich, qui l'a acceptée, l'ouverture d'une septième commission au sein du Comité national contre la violence qu'elle préside depuis l'installation de ce dernier en octobre 2000. Cette commission sera spécialement vouée aux lycées professionnels. Je nommerai dans les prochains jours un chargé de mission qui pilotera l'ensemble du dispositif que je viens de vous proposer.
Son correspondant au sein de mon cabinet sera Monsieur Nicolas Voisin, par ailleurs professeur de lycée professionnel. Ce dernier aura notamment pour tâche de vous tenir vous-même régulièrement informés de l'avancée de ce qui sera entrepris dans l'ensemble des établissements, et au Comité national contre la violence. Il tiendra alimentée la rubrique du site Internet du Ministère sur ce sujet.
Site du plan anti-violence
Pour conclure ce courrier, je voudrais encore faire plusieurs observations :
1/ un tel plan d'ensemble de lutte contre la violence n'a de sens que si chacun dans son métier se sent impliqué et si chacun à sa place se considère responsable d'une part de l'action.
2/ les mesures mises en uvre pour assurer protection, aide, soutien et assistance à tous les personnels confrontés à des problèmes de violence ne seront jamais prises en défaut.
Nos personnels doivent savoir que l'institution tout entière est à leur côté en toutes circonstances. Dans chaque académie, sous la responsabilité du recteur, une cellule est chargée de traiter l'accompagnement juridique, l'aide matérielle et psychologique de l'ensemble des personnels concernés.
Enfin, je souhaite que ce courrier vous conduise à me faire connaître vos réactions et vos suggestions sous quinzaine.
En effet, je prévois de vous adresser dans les meilleurs délais les fiches techniques détaillées correspondant aux huit points constituant ce programme d'actions. J'attends de chacun de vous que vous m'aidiez par vos contributions.
Je vous prie de croire, Mesdames et Messieurs les Chefs d'Établissement, en l'assurance de mes sentiments les meilleurs.
(source http://www.education.gouv.fr, le 15 mars 2001)