Déclaration de M. Bruno Le Maire, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, notamment sur la question du climat, la régulation financière et sur le référendum irlandais concernant le Traité de Lisbonne, au Sénat le 17 juin 2009.

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Circonstance : Déclaration préalable du gouvernement préalable au Conseil européen, au Sénat le 17 juin 2009

Texte intégral


Madame la Présidente,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Je suis très heureux de participer à ce débat préparatoire au Conseil européen qui se tiendra jeudi et vendredi prochains, en présence du président de la République, du Premier ministre M. François Fillon, du ministre des Affaires étrangères et européennes M. Bernard Kouchner, et de moi-même.
Les récentes élections européennes nous ont montré qu'il restait un chemin important à parcourir pour convaincre nos concitoyens de l'importance de l'Europe et du rôle politique qu'elle aura à jouer dans le monde de demain.
Sans commenter ces élections avec un quelconque esprit partisan, je relèverai simplement ce qui a marqué tout le monde : une abstention forte, de l'ordre de 60 % dans la plupart des pays, et la montée de partis eurosceptiques qui vont compliquer l'émergence de majorités claires au Parlement européen.
Cette forte abstention, au moment même où les parlementaires européens vont se voir dotés de pouvoirs supplémentaires en vertu du Traité de Lisbonne, lequel, je l'espère, sera adopté d'ici à la fin de l'année 2009, pose une vraie question politique dans le cadre de la construction européenne.
Nous ne pouvons pas, à chaque législature, donner plus de pouvoirs aux parlementaires européens, qui auront désormais à examiner neuf textes sur dix - ils ne se prononcent aujourd'hui que sur la moitié à peine -, si la participation de nos concitoyens aux élections européennes n'est pas plus forte.
La solution passe certainement par davantage de clarté dans les institutions européennes, ainsi que par des liens plus étroits et plus réguliers entre les parlements nationaux et le Parlement européen - je m'y emploierai car il s'agit, selon moi, de l'une des voies d'avenir. Elle passe également par une volonté politique accrue, par plus d'initiatives, par une plus grande capacité de décision de la part de l'Union européenne sur tous les grands sujets qui préoccupent nos concitoyens.
Concernant plus spécifiquement le Conseil européen, nous examinerons trois sujets de fond essentiels.
Tout d'abord, nous nous pencherons sur la question du climat et la préparation du sommet de Copenhague, qui se tiendra à la fin de l'année 2009. C'est l'une des conclusions que l'on peut immédiatement tirer des élections qui se sont tenues la semaine dernière : le climat et le développement durable préoccupent l'ensemble de nos concitoyens. Il est donc impératif que l'Union européenne arrive unie au sommet de Copenhague, pour défendre, comme elle l'a toujours fait, des ambitions fortes en matière de maîtrise du climat et de renforcement du développement durable pour notre planète.
Or, aujourd'hui, un consensus n'a pas encore été trouvé sur l'ensemble de ces questions, qui feront donc l'objet d'un débat lors du Conseil européen. Nous butons encore sur la question du financement des engagements qui seraient pris par l'Union européenne au sommet de Copenhague, certains estimant que le financement ne doit être défini qu'en fonction des émissions de CO2 de chaque Etat, d'autres qu'il doit dépendre de la richesse de chaque pays. Il reste donc, notamment avec la Pologne, un consensus à trouver sur ce point.
En tout état de cause, la France continuera de défendre, sur ce sujet, une position ambitieuse et réaliste pour l'Europe.
Ambitieuse, parce que le climat et le développement durable sont l'un des moyens d'affirmer la volonté politique de l'Europe, de montrer que cette dernière a un projet politique pour le monde de demain, qu'elle est capable de faire autre chose que de s'occuper de ses propres intérêts, forcément limités, en proposant un modèle de développement viable pour l'ensemble de la planète.
Réaliste, parce qu'il n'est pas question d'imposer de nouvelles contraintes à l'ensemble des pays européens sans que tous les autres pays développés soient soumis aux mêmes contraintes, aux mêmes règles et aux mêmes charges financières qu'imposent ces contraintes.
C'est tout le sens de la proposition du président de la République, lequel souhaite mettre en place une taxe CO2 qui serait imposée aux pays ne respectant pas leurs engagements en matière de développement durable. Nous ne pouvons pas infliger à nos entreprises des contraintes extraordinairement fortes en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et, dans le même temps, laisser entrer librement sur notre territoire des produits provenant de pays qui, n'étant pas obligés de fournir les mêmes efforts, gagneraient ainsi un avantage compétitif.
Telle est donc la position que la France défendra au Conseil européen. Je le répète, il s'agit tout à la fois d'une approche ambitieuse, qui vise à donner à l'Europe une véritable volonté politique, et d'une approche réaliste, qui ne grève pas les intérêts des Etats membres.
Le deuxième sujet de fond, sur lequel un consensus reste encore à trouver, c'est celui de la régulation financière.
A cet égard, je souhaite retracer rapidement l'historique de la crise financière et de la réaction européenne.
Lorsque la crise a éclaté à l'automne dernier, la France, qui exerçait la présidence de l'Union européenne, a été la première à réagir, en demandant une réunion de l'ensemble des chefs d'Etat des pays membres de la zone euro. Elle a également été la première à proposer une réunion de l'ensemble des pays les plus développés de la planète, le G20, afin de construire un nouveau système financier et de définir de nouvelles règles pour ce système financier qui verrait la disparition des paradis fiscaux, l'établissement de nouvelles règles prudentielles pour les banques et le contrôle des fonds spéculatifs.
Elle a aussi été la première, avec l'Allemagne, à suggérer, avant la réunion suivante du G20 à Londres en avril dernier, que l'Europe adopte une position forte en matière de régulation financière.
La France, qui a défendu cette idée avec Mme Merkel dans le cadre du G20 de Londres, continuera de le faire lors du Conseil européen qui se tiendra demain et après-demain. Pour nous, il est hors de question de revenir en arrière, en cédant ne serait-ce qu'un seul pouce de terrain sur la nécessité de mieux contrôler le système financier mondial. Certes, nous aurons toujours besoin d'un système financier pour alimenter notre économie. Mais, pour que notre économie soit correctement alimentée, pour éviter toute spéculation, celui-ci doit être encadré par des règles claires.
Il faut donc de la supervision. Il convient également de définir des règles en matière d'effet de levier et de solvabilité des banques. Il faut aussi instaurer - c'est un point d'achoppement avec la Grande-Bretagne - des règles d'analyse microprudentielle, c'est-à-dire les plus fines possible, pour connaître réellement les risques pris par les banques et le système financier en général.
Tel est le deuxième sujet sur lequel la France entend se battre au Conseil européen. Nous avons, depuis des mois, sous l'autorité du président de la République et du Premier ministre, bâti de nouvelles règles pour le système financier. Nous ne pouvons pas accepter que celles-ci soient affaiblies ou amoindries d'une quelconque façon. Ce sujet constituera également l'enjeu de la préparation de la troisième session du G20, qui se tiendra à New York à l'automne prochain.
Le troisième sujet qui fera également l'objet des discussions entre les chefs d'Etat et de gouvernement, demain et après-demain à Bruxelles, c'est le référendum irlandais et les garanties qui devront être données à l'Irlande afin que cette consultation, qui doit avoir lieu au cours de la dernière semaine de septembre ou de la première semaine d'octobre, se déroule dans les meilleures conditions possible.
Pour ce faire, la Présidence française avait pris, en décembre 2008, un certain nombre d'engagements sur les garanties qui seraient apportées par l'Union européenne à l'Irlande. Celles-ci portaient notamment sur la neutralité, la politique européenne de sécurité et de défense ainsi que sur la fiscalité.
Ces garanties doivent désormais être retranscrites en droit européen. La question qui se pose est de savoir si elles prendront la forme d'une déclaration ou, au contraire, d'un protocole plus formel annexé au traité.
Du point de vue français, il n'y a pas de difficulté dès lors que ces garanties ne font que reprendre et expliciter le contenu des traités, sans rien y ajouter ou en retrancher.
En revanche, d'autres Etat, notamment la Grande-Bretagne, estiment que la mise en place d'un protocole à l'occasion de ce Conseil européen pourrait ouvrir la voie à de nouvelles demandes relatives au Traité de Lisbonne. Ils ont donc exprimé un certain nombre de craintes, auxquelles il faudra répondre.
Enfin, le Conseil européen sera également l'occasion d'ouvrir une discussion entre les chefs d'Etat et de gouvernement sur une nomination importante et un sujet politique d'actualité.
La nomination importante, c'est bien évidemment la désignation du futur président de la Commission européenne. Le président de la République a exprimé une position claire sur ce sujet : la France soutient sans ambiguïté la candidature de M. Barroso à un nouveau mandat.
Mais, dans le même temps, elle attend de ce dernier qu'il précise dans une déclaration politique ses intentions pour les cinq années à venir, avant qu'il ne soit formellement réélu président de la Commission européenne. A l'occasion du Conseil européen, la partie française apportera donc, sans ambiguïté, un soutien politique à M. Barroso, tout en lui demandant des garanties, sans ambiguïté également, sur son programme.
Le sujet politique d'actualité, c'est bien sûr la situation en Iran, qui est préoccupante. Les dernières élections auraient dû, comme toute élection digne de ce nom, ouvrir une perspective politique et être un facteur de stabilité. Au lieu de cela, une forte instabilité est en train de s'installer dans ce pays, particulièrement à Téhéran ; les libertés publiques sont niées, les journalistes placés sous contrôle et des menaces ont encore été récemment dirigées contre l'ambassade de France. Nous avons demandé qu'une enquête soit conduite sur ce scrutin, et le sujet sera naturellement abordé par l'ensemble des chefs d'Etat et de gouvernement lors du Conseil européen.
Ce Conseil, le premier après les élections européennes de la semaine passée, est important, comme le sera l'année 2009 pour l'Europe. Nous devrons faire un choix, décisif, entre une Europe politique qui affirme sa vision, ses intérêts et sa capacité à peser dans le monde de demain entre les deux grandes puissances que sont les Etats-Unis et la Chine ou une Europe qui, faute de disposer des institutions nécessaires pour s'affirmer, renonce à exister et à défendre ses intérêts et ses valeurs. C'est précisément cette Europe-là que nous refusons, et c'est bien la première que nous défendrons lors du Conseil européen.
Q - (Concernant la nomination du futur président de la Commission européenne et le rôle des institutions européennes)
Q - (A propos des coopérations renforcées)
Q - (Concernant les perspectives du Traité de Lisbonne)
Q- (A propos du renouvellement des membres de la Commission européenne)
Q - (Au sujet de l'engagement de l'Union européenne en Afghanistan)
Q - Qu'attend-on de l'Union européenne ?
R - Mesdames, Messieurs les Sénateurs, la richesse de vos interventions est telle que je répondrai à chacun d'entre vous, notamment afin de satisfaire le souhait conjoint de Chateaubriand et d'Aymeri de Montesquiou de voir le Parlement et l'exécutif collaborer étroitement.
Hubert Haenel a soulevé la question de la nomination du futur président de la Commission européenne, question également abordée par bon nombre d'entre nous, en particulier Robert del Picchia et Bernadette Bourzai. Cette question est légitime, car il s'agit de nommer une personnalité essentielle des institutions européennes. A cet égard, je voudrais être le plus précis possible.
Pourquoi souhaitons-nous procéder dès maintenant à la désignation du futur président de la Commission européenne ? Tout d'abord, parce que les parlementaires européens le réclament. Pour les avoir rencontrés, je peux vous l'affirmer en connaissance de cause : ils sont les premiers à demander à s'exprimer sur cette question. Ils estiment en effet que cette nomination est un élément essentiel des attributions politiques qui leur sont conférées. Or la première session plénière doit se tenir les 14 et 15 juillet prochain.
Aujourd'hui, il se trouve qu'il n'y a qu'un seul candidat déclaré, M. Barroso.
Mais à chacun de savoir ce qu'il souhaite et de prendre ses responsabilités ! Si des groupes parlementaires veulent proposer un autre candidat, qu'ils le fassent ! Il s'agit là d'une question non pas de calendrier, mais de volonté politique. Je comprends parfaitement que l'on puisse être pour ou contre M. Barroso - c'est la liberté démocratique de chacun -, mais que les opposants à cette candidature en proposent une autre et respectent la volonté des eurodéputés de s'exprimer dès les 14 et 15 juillet prochain sur la nomination du président !
Ensuite, nous avons choisi d'opter demain et après-demain pour une décision politique, et non pas juridique. N'y voyez là aucun geste de défiance à l'égard de M. Barroso, puisque nous le soutenons sans ambiguïté, ainsi que l'a annoncé le président de la République. C'est une marque de respect à l'égard des parlementaires européens.
Dès lors que le Conseil européen et le Parlement européen se partagent le pouvoir de nomination du président de la Commission, il nous semble plus respectueux des prérogatives des parlementaires européens de prendre une simple décision politique. Nous verrons quelle sera la réaction des présidents des groupes parlementaires, et la décision définitive sera prise par le Parlement européen lors de la session des 14 et 15 juillet prochain.
Tels sont les éléments très précis que je souhaitais porter à votre connaissance, Mesdames, Messieurs les Sénateurs.
La question de la nomination du président de la Commission européenne est importante. Je le répète, que chacun prenne ses responsabilités. Si d'autres personnes veulent se porter candidates, qu'elles se présentent !
Par ailleurs, l'abstention est un réel sujet de préoccupation, et je retiens nombre de propositions qui ont été formulées ici. Nous devons oeuvrer pour faire en sorte que le taux de participation soit beaucoup plus élevé lors des prochaines élections européennes. Il nous faut tirer les leçons des différentes tentatives menées par le passé pour améliorer ce taux.
C'est très généreux de vouloir tout confier au Parlement européen, estimant que lui seul, sur la seule base de sa légitimité, pourra faire en sorte de réduire l'abstention, mais c'est peut-être un peu naïf, parce que nous avons déjà essayé, et cela n'a pas marché !
Je crois personnellement à une autre voie, que nous n'avons pas suffisamment expérimentée ; je le dis pour avoir participé activement aux travaux des commissions des affaires européennes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Il s'agit d'associer plus étroitement le Parlement national, celui où se reconnaissent malgré tout les citoyens, au Parlement européen. Si les parlementaires européens pouvaient venir rendre compte, tous les mois, de leurs travaux à ces deux commissions parlementaires et échanger sur des sujets concrets, les citoyens français, ou les autres citoyens européens, se rendraient mieux compte du travail concret réalisé par les parlementaires européens à Bruxelles ou à Strasbourg.
Je ne citerai pour exemple que la récente loi Hadopi : n'est-il pas absurde que les sénateurs et les députés examinent un projet de loi portant sur le contrôle de l'accès à Internet, tandis que les parlementaires européens mènent en parallèle d'autres travaux sur ce même sujet, et ce sans aucune concertation entre eux ?
Par ailleurs, Hubert Haenel a posé la question de savoir s'il fallait lier la nomination du président la Commission européenne aux résultats de l'élection européenne. Là aussi, il faut être très précis et prudent. A titre personnel, je suis favorable à ce que la désignation du président de la Commission européenne soit effectivement liée aux résultats du vote au Parlement européen. Après tout, l'élection des parlementaires nationaux entraîne une modification de l'exécutif et de la tête de celui-ci !
En l'espèce, il m'aurait paru plus naturel, et peut-être plus convaincant pour les citoyens européens, de savoir que la victoire du Parti populaire européen aurait entraîné la nomination de M. Barroso au poste de président de la Commission européenne et celle des partis sociaux-démocrates la désignation d'un autre candidat. Cela aurait permis de mettre un visage sur cette élection. Comme vous l'avez souligné, Monsieur Haenel, cette piste est à explorer.
Je vous rejoins encore lorsque vous affirmez que nous devons veiller à faire en sorte que la nomination du président de la Commission européenne, qui serait liée aux résultats de l'élection du Parlement européen, n'entraîne pas de facto toute la Commission européenne. En effet, nous n'avons pas intérêt à politiser la Commission européenne, qui est la garante de l'intérêt général européen et doit rester, à mon sens, l'expression du pluralisme démocratique et non celle d'une majorité parlementaire stricte. Oui à la nomination d'un président de la Commission liée aux résultats de l'élection des parlementaires ! Non à une Commission européenne intégralement liée à ces résultats ! Tel est en tout cas l'état de ma réflexion actuelle.
Par ailleurs, nombre d'entre vous, dont Hubert Haenel, ont abordé la question des coopérations renforcées, des noyaux durs, de la capacité d'un certain nombre d'Etats à avancer plus loin ensemble.
Sur ce sujet, il faut également être précis et savoir quels principes nous nous fixons. J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer à plusieurs reprises sur cette question devant vous : nous ne devons rien faire qui puisse remettre en cause l'unité historique de l'Europe. S'il est bien un succès que l'Europe a remporté au cours de ces dernières années, c'est celui d'avoir réussi, au-delà des totalitarismes politiques et des réticences des gouvernements, à retrouver son unité par la seule volonté des peuples. Cette unité constitue le gage le plus précieux de la force politique européenne.
Lorsque la Lettonie prend, eu égard aux difficultés financières dramatiques qu'elle connaît aujourd'hui, des mesures drastiques pour essayer de répondre aux exigences financières de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international, nous avons un devoir de solidarité envers ce pays, même si celui-ci n'est pas au coeur des préoccupations de la France, de l'Allemagne ou de l'Italie. La Lettonie est un Etat membre de l'Union européenne comme les autres !
Naturellement, nous pouvons avancer dans la mise en place de coopérations renforcées, nous pouvons essayer d'aller plus loin avec un certain nombre d'Etats, comme nous l'avons fait en matière de défense, de monnaie ou de circulation des personnes. Toutefois, veillons à laisser toujours la porte ouverte. Si certains vont plus loin, c'est non pas pour se distancer des autres, mais, au contraire, pour permettre aux autres de les rejoindre un jour. On le voit précisément avec l'euro : de nombreux Etats sont en train de frapper à notre porte et nous aurions tort de ne pas leur donner la perspective d'adhérer un jour à l'euro.
Enfin, je ne peux que souscrire à la perspective d'une Europe politique, que Hubert Haenel appelle de ses voeux. Mais entendons-nous bien sur ce que recouvrent ces termes. Une Europe politique, c'est une Europe qui porte un projet, qui est capable de prendre des décisions, et c'est probablement ce qui lui est le plus difficile actuellement ; c'est aussi, on l'oublie trop souvent, une Europe de la responsabilité : qui fait quoi, au nom de quelle légitimité ? C'est tout le problème : aujourd'hui, nos concitoyens ne savent pas d'où vient la norme européenne, qui prend la décision et pour quelles raisons.
J'en viens aux remarques formulées par Robert del Picchia à propos du Traité de Lisbonne et des garanties demandées par le gouvernement irlandais.
Je suis entièrement d'accord avec vous, Monsieur le Sénateur, le Traité de Lisbonne ne survivrait pas à un deuxième vote négatif de l'Irlande. J'ai eu l'occasion de vous le dire à plusieurs reprises, l'année 2009 est décisive pour l'Europe : en matière d'institutions, soit le Traité de Lisbonne est signé à la fin de cette année, soit nous retomberons dans les errements institutionnels européens précédents.
Sommes-nous favorables à un protocole pour retranscrire les garanties données à l'Irlande ? Cela ne nous pose pas de problèmes dès lors que ce protocole ne dit ni plus ni moins que ce qui figure dans le traité. Il n'est pas question d'aller plus loin dans les garanties que nous donnons à l'Irlande en matière de fiscalité ; j'aurais l'occasion d'y revenir ultérieurement.
Nous aurons besoin d'un véhicule pour retranscrire ces garanties. Cela pourrait être le traité d'adhésion de la Croatie à l'Union européenne ; c'est même le véhicule juridique le plus approprié. Certes, cela suppose de régler le différend territorial entre la Croatie et la Slovénie. Je m'y emploie quasiment tous les jours, en liaison étroite avec le commissaire Olli Rehn, chargé de l'élargissement de l'Union européenne. Cela reste un sujet difficile à traiter.
Sur le fond, il ne faut perdre de vue ni la perspective de la ratification cette année du Traité de Lisbonne ni les obstacles qui doivent être levés un à un : la signature du président Václav Klaus, celle du président Lech Kaczynski, la levée du blocage entre la Croatie et la Slovénie et, bien entendu, le soutien à la politique britannique et au Premier ministre, Gordon Brown, pour éviter des élections anticipées qui soulèveraient de sérieuses difficultés.
J'en viens à la question que vous posiez sur la Commission. Là encore, je ne peux que redire ce que j'ai énoncé précédemment : nous voulons une désignation du président de la Commission sur la base du soutien politique que nous apportons à M. Barroso.
Viendra le renouvellement de l'ensemble des membres de la Commission dans les délais appropriés, c'est-à-dire au mois de novembre. En effet, le mandat de la Commission court jusqu'au 1er novembre. De plus, nous devons prendre en compte un événement politique important : les élections fédérales en Allemagne, qui se dérouleront le 27 septembre 2009. Chaque Etat sera alors en mesure de se prononcer sur le choix des commissaires.
Vous avez soulevé le problème délicat du nombre de députés français au Parlement européen. Ils sont soixante-douze. Une fois ratifié le Traité de Lisbonne, ils seront soixante-quatorze, soit deux députés de plus.
Le calcul au plus fort reste n'est pas une solution juridique possible. En effet, cela aurait supposé l'adoption d'une loi électorale avant le scrutin, ce qui, vous en conviendrez, aurait jeté la confusion dans l'esprit des électeurs. Un nouveau scrutin sera donc nécessaire pour élire ces deux députés européens supplémentaires. Nous recherchons actuellement, sous l'égide du secrétaire général du gouvernement, la solution juridique la plus appropriée pour la désignation de ces deux députés supplémentaires.
Enfin, vous avez abordé la question de l'Afghanistan. Sur ce sujet-là, les choses progressent au sein de l'Union européenne, notamment sur l'initiative de la France et de Bernard Kouchner. Des gendarmes seront envoyés en Afghanistan et constitueront une force de sécurité supplémentaire. Une force de police sera en fonction prochainement.
Je rappelle que se tient aujourd'hui à Bruxelles le premier sommet entre l'Union européenne et le Pakistan, qui se trouve à proximité de l'Afghanistan. C'est tout de même le signe d'une capacité de l'Europe à prendre davantage ses responsabilités dans cette zone.
J'aurai l'occasion de revenir sur les questions relatives à l'Ukraine et à la Russie, qui ont fait l'objet de longs développements de M. de Montesquiou.
Monsieur Fauchon, vous avez été sévère pour l'Union européenne... C'est probablement mérité, mais pas sur tous les points. Quoi qu'il en soit, il s'agit d'une incitation à progresser encore, ce qui est toujours nécessaire en politique, y compris européenne.
Vous avez condamné l'illisibilité des textes européens. C'est vrai pour nombre d'entre eux. Lorsque nous étions jeunes, nous avons tous appris ceci : "Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement - Et les mots pour le dire arrivent aisément". Malheureusement, c'est rarement le cas en matière européenne. Mais nous nous employons à simplifier le plus possible ces textes juridiques.
Vous avez posé une question politique fondamentale : qu'attend-on de l'Union européenne ?
Pensons aux grandes étapes de la construction européenne : d'abord, nous nous sommes mis d'accord sur la Communauté européenne du charbon et de l'acier, la CECA ; ensuite, l'Acte unique européen a permis la réalisation du marché intérieur ; enfin, nous avons mis en place la monnaie unique.
Aujourd'hui, ce qui manque à l'Europe, c'est un projet politique clair. Le président de la République, qui a consacré toute son énergie à la présidence française de l'Union européenne, a demandé au prochain président de la Commission de présenter pour la première fois un programme politique.
Que sera l'Europe dans les cinq années à venir ? Que sera-t-elle pour elle-même dans les domaines de l'énergie, de la santé, de l'éducation, de la protection sociale, et pour le reste du monde - ce qui est nouveau - en matière climatique et de régulation financière ? Pour la première fois de son histoire, l'Europe va proposer au monde des solutions de développement ambitieuses et qui tiennent la route !
Q - (Concernant les éventuelles garanties données à l'Irlande sur le plan de la fiscalité)
Q - (A propos de l'abstention aux dernières élections européennes)
Q - (Au sujet du modèle social européen)
Q - (Concernant la gestion de la crise financière et économique par les 27)
Q- (Au sujet de l'entente franco-allemande)
Q - (A propos du budget européen)
R - Je reviens sur les garanties données à l'Irlande sur le plan de la fiscalité. Je le dis très clairement, quitte à reconnaître que notre ambassadeur à Dublin vous a donné une information erronée à cet égard : il n'y aura rien de plus que ce qui figure dans le traité. Dans la section B des garanties données à l'Irlande et figurant dans le texte qui sera présenté au Conseil européen, il est précisé - pour le coup, cela s'énonce clairement, car cela se conçoit bien ! - qu'aucune des dispositions du Traité de Lisbonne ne modifie en quoi que ce soit les compétences de l'Union dans le domaine fiscal. Cela ne nous interdit pas d'avancer vers davantage de coopération fiscale entre les Etats membres.
Madame David, vous avez commencé votre intervention en évoquant le taux d'abstention aux élections européennes et l'interprétation que l'on pouvait en faire. Attention quand même à ne pas le surinterpréter ! Certes, le taux d'abstention est une préoccupation majeure pour la démocratie européenne, et il faut y remédier. Mais je ne suis pas sûr qu'il faille aller jusqu'à considérer la ratification du Traité de Lisbonne par le Parlement français comme étant un déni de démocratie. Vous êtes les représentants du peuple français, au même titre que les députés à l'Assemblée nationale ! Par conséquent, lorsque le Parlement français adopte la loi autorisant la ratification du Traité de Lisbonne, c'est le peuple français lui-même qui ratifie ce traité.
Je comprends tout à fait votre préoccupation relative au modèle social européen. Nous avons essayé de faire avancer les choses.
Nous avons obtenu le doublement des crédits du Fonds européen d'ajustement à la mondialisation et la simplification des règles d'attribution. Je vous rejoins sur un point : il n'est pas possible, alors que nous affrontons la crise économique la plus grave qu'ait connue l'Union européenne depuis trente ans, que seuls 52 millions d'euros soient employés sur les 500 millions d'euros disponibles du Fonds !
Nous allons contrôler que ces crédits parviennent à ceux à qui ils sont destinés, les salariés licenciés, qui en ont besoin pour pouvoir suivre une formation financée par l'Union européenne. Notre objectif est de faire en sorte que ces salariés s'éloignent le moins possible du marché du travail.
Nous voulons également que soient reconnus les services publics, même si nous avons une divergence sur ce point : vous réclamez une directive-cadre globale, alors que nous nous battons pour des directives séparées. Il s'agit d'une question posée notamment par Pierre Bernard-Reymond.
J'en viens aux questions financières. Pour ce qui est de la directive McCreevy, il reste des points qui ne nous satisfont pas, notamment la question du contrôle des produits financiers ou des responsables des fonds spéculatifs. En effet, nous estimons qu'il faut contrôler non seulement les responsables des fonds spéculatifs, mais également les produits eux-mêmes.
En revanche, nous considérons que la Commission a bien repris les propositions du rapport de Jacques de Larosière qui est notre feuille de route en matière de supervision financière.
Monsieur Bernard-Reymond, je vous rejoins parfaitement sur le fait qu'il faut s'engager à lutter contre l'abstention. Nous ferons le maximum !
Vous avez également évoqué la question de l'entente franco-allemande. J'en suis, vous le savez, un farouche partisan. Vous souhaitez que nous allions plus loin ; nous le ferons ! Mais, encore une fois, il faudra attendre les élections du 27 septembre 2009 en Allemagne.
Le 9 novembre 2009 est un autre rendez-vous important : l'Allemagne fêtera les vingt ans de la chute du mur de Berlin.
Il nous reste à construire beaucoup de projets avec l'Allemagne, et des projets encore plus importants que ceux que nous avons accomplis en matière de régulation financière ou de climat. Vous ne serez pas déçus !
Enfin, vous vous êtes plaint que le budget européen ne représentait que 1 % du produit intérieur brut de l'Union européenne. Il est vrai que c'est peu. Mais la priorité doit être de deux ordres.
D'abord, il faut mieux utiliser les fonds et surtout vérifier qu'ils sont bien employés. Par exemple, des fonds attribués à la France dans le cadre du programme Erasmus ne sont pas utilisés en totalité. C'est également le cas pour un certain nombre de politiques structurelles. Par conséquent, des progrès restent à faire en matière d'emploi des fonds européens.
Ensuite, nous devons mieux répartir le fardeau. A quoi bon demander une augmentation du budget européen si nous ne réglons pas au préalable cette question ? Je pense notamment au problème du chèque britannique, qui devra être résolu avant toute augmentation du budget, c'est-à-dire avant toute contribution supplémentaire des contribuables français.
Q - (Concernant la stratégie de Lisbonne)
Q - (Au sujet de la supervision financière)
Q - (A propos de la sécurité énergétique)
Q - (Concernant la crise laitière)
Q - (Concernant le plan de relance, les mesures concrètes pouvant être prises en matière de régulation financière et de lutte contre les paradis fiscaux)
Q - (A propos de la question climatique)
R - Monsieur de Montesquiou, la stratégie de Lisbonne fait partie des priorités françaises. Nous allons proposer à la Présidence suédoise, puis à la Présidence espagnole, un texte de révision de cette stratégie, afin qu'elle ne soit pas uniquement déclaratoire : elle doit comporter des propositions concrètes et contraignantes.
Sur la question des marchés financiers et la supervision financière, nous ne ferons pas marche arrière. Christine Lagarde se bat matin, midi et soir, au sein du Conseil ECOFIN et un peu partout dans le reste du monde, pour que les vieilles habitudes ne reprennent pas le dessus. Mais il est vrai qu'il est difficile de prendre une bonne habitude en matière politique et encore plus difficile d'en perdre une mauvaise.
Nous continuerons à nous battre dans la mesure du possible, et je ne doute pas que nous aurons gain de cause sur ce sujet.
Vous avez aussi longuement parlé de la sécurité énergétique. Cette question sera abordée au Conseil européen ; c'est même le sujet principal du dîner des chefs d'Etat de jeudi soir.
Je partage votre appréciation : il y a un risque important de nouvelle crise entre l'Ukraine et la Russie non seulement pour les raisons politiques que vous connaissez bien, mais aussi pour des raisons économiques.
La partie russe nous a fait un certain nombre de propositions que nous examinons actuellement. Une seule n'est pas acceptable : celle qui conduirait à changer la nature de la relation de la Russie à l'Union européenne, qui est aujourd'hui une relation de fournisseur à client. Nous avons écarté la proposition russe qui ferait de l'Union européenne le banquier et le prêteur de la Russie. Une telle relation serait trop risquée pour nos finances publiques, et ce pour des raisons évidentes.
En revanche, nous soutenons la construction de nouveaux gazoducs, y compris le gazoduc Nord Stream, dont nous deviendrions partie par l'intermédiaire de GDF - Suez.
Nous soutenons également l'inversion des flux gaziers, le mécanisme d'alerte précoce et, comme le président de la République l'a proposé, nous cherchons à mettre en oeuvre une centrale d'achat du gaz qui nous permettrait d'avoir un poids plus important dans la négociation avec la partie russe. Sur toutes ces questions que vous connaissez parfaitement, je crois que nous sommes en plein accord. Nous ne voulons pas que se renouvelle une crise énergétique comme celle que nous avons connue voilà seulement quelques mois.
Madame Bourzai, selon vous, le marché ne peut pas tout régler. C'est bien la ligne politique que nous voulons défendre. Il faut des règles, faute de quoi le marché diverge et n'apporte pas les solutions attendues.
S'agissant de la question du lait, nous avons eu, avec les sénateurs normands ici présents, MM. Joël Bourdin et Charles Revet, que je salue au passage, un certain nombre de contacts avec les producteurs laitiers ; je les ai déjà rencontrés à trois reprises dans ma circonscription en Haute-Normandie.
Il est évident que, même après la suppression des quotas, des règles seront nécessaires pour maîtriser la production laitière ; sinon, les producteurs laitiers ne pourront pas s'en sortir. Cela doit faire partie des orientations politiques que nous demandons au président de la Commission. Cette dernière a déjà pris un certain nombre de mesures d'urgence, comme les avances sur les aides 2009-2010.
J'en viens au plan de relance et à la Banque européenne d'investissement, la BEI. Celle-ci a joué un rôle majeur en matière de relance. En effet, elle a majoré de 30 % son engagement annuel en faveur du développement durable, de l'énergie et des infrastructures. Elle a fourni 30 milliards d'euros de prêts aux PME ; à la rentrée, nous mettrons en place un mécanisme destiné à vérifier que ces fonds leur parviennent bien. La BEI a également accordé 7 milliards d'euros de prêts au secteur automobile.
En ce qui concerne le climat, je puis vous assurer que l'accord politique conclu en décembre débouchera de manière concrète sur la mise en place d'un marché des droits d'émission de carbone, l'instauration de quotas gratuits et le développement des énergies renouvelables. Il ne s'agit donc pas simplement de déclarations de principe, mais d'une volonté politique se traduisant en actes.
Enfin, s'agissant des mesures concrètes pouvant être prises en matière de régulation financière et de lutte contre les paradis fiscaux, je soulignerai, à titre d'exemple, que pour la première fois un accord fiscal a été signé entre la Suisse et la France, assurant à notre administration fiscale qu'elle pourra bénéficier, sur demande, d'une transparence totale sur les comptes bancaires ouverts dans ce pays. Il s'agit là d'une avancée très concrète, dont les Français ont parfaitement compris la portée.
Mesdames, Messieurs les Sénateurs, ma conviction reste inchangée et ma détermination rejoint la vôtre. Nous construirons ensemble, exécutif et Parlement, l'Europe politique que nos citoyens réclament et qui répond à nos intérêts nationaux.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 juin 2009