Interview de M. Christian Estrosi, ministre de l'industrie, à "France Info" le 29 juillet 2009, sur le projet de réforme de La Poste, sur la poursuite de l'annonce de fermeture de sites industriels et l'importance du maintien du dialogue social.

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Média : France Info

Texte intégral

C. Bayt-Darcourt.-  Bonjour, C. Estrosi. Vous avez beaucoup de travail au ministère de l'Industrie, que vous occupez depuis le remaniement du mois dernier - on vous voit partout. Vous avez lu Libération, ce matin ?
 
Je n'ai pas encore lu Libération. Je me suis concentré sur la présentation de mon dossier au Conseil des ministres sur La Poste.
 
On va en parler, bien évidemment ! Le journal Libération vous surnomme "l'omniministre" ; vous n'avez pas peur du malaise ?
 
Je laisse cette responsabilité au journaliste de Libération.
 
Bon, alors parlons de l'actualité du jour, votre présentation donc, ce matin en Conseil des ministres, du projet de réforme de La Poste ; elle va devenir une société anonyme et ce changement de statut fait craindre aux syndicats une privatisation, qui se traduirait par des tournées de courrier moins nombreuses dans les zones rurales et par des suppressions d'emplois. La première question sur ce sujet ce n'est pas moi qui vais vous la poser, c'est G. Albessard de Force ouvrière. On l'écoute.
 
G. Albessard ( FO) : Est-ce que monsieur Estrosi peut nous garantir qu'en 2012, il y aura un service public de qualité, égalitaire, permettant l'accès de la distribution à tout le monde et sans une réduction d'emplois très massive ?
 
Alors votre réponse, C. Estrosi ?
 
Ma réponse est simple : on me demande si en 2012, je peux le garantir, ce service public de qualité, je réponds "oui". C'est l'objet du texte que je présente ce matin, qui, je le rappelle, émane d'une décision européenne de 1997, validée par le gouvernement socialiste de l'époque, qui ouvre à la concurrence à partir de 2011. Donc, c'est une obligation pour le Gouvernement de s'y conformer. Et le Gouvernement, pour s'y conformer, veut garantir à 100 % la poursuite du caractère public de La Poste, avec la confirmation que le capital de La Poste ne sera détenu que par des acteurs publics, que les quatre missions de service public de La Poste - le service universel du courrier, l'aménagement du territoire, l'accessibilité bancaire et la distribution de la presse - seront confortées par la loi et dotées d'un financement pérenne et transparent. Et surtout, je le dis au représentant de FO qui m'a interrogé, que le droit et le statut public des salariés sera conforté, y compris leur régime de retraite ; j'y serai personnellement particulièrement attentif.
 
Alors il y a quand même des contre exemples, C. Estrosi : France Télécom ou GDF marié à Suez sont aujourd'hui des sociétés majoritairement privées, alors qu'au début on avait dit que l'Etat resterait majoritaire.
 
Oui, mais justement c'est toute la responsabilité qui pèse sur mes épaules. Moi je veux être l'ambassadeur à la fois de cette grande entreprise publique qu'est La Poste et de ces 300.000 postiers qui ont un véritable savoir-faire. Nous devons avoir une véritable ambition industrielle. La Poste investit près de 3,5 milliards d'euros pour rester une grande entreprise concurrentielle ; nous sommes confrontés à de grands groupes européens dans le domaine de la distribution, qui à partir de 2011 pourrait nous fragiliser. Avec l'arrivée d'Internet, avec la dématérialisation, nous voyons bien que nous devons nous renforcer. Qu'est-ce que cela va permettre ? Je veux que les Français le sachent : nous allons permettre à l'Etat d'investir 1,2 milliard d'euros et à la Caisse des dépôts et consignations, qui est un établissement totalement public, d'apporter 1,7 milliard d'euros. C'est-à-dire que nous allons injecter près de 2,9 milliards d'euros d'investissements à La Poste pour compléter les investissements qui ont contribué à la modernisation de leur outil de travail et ainsi faire de La Poste un leader européen qui conserve tout son caractère public.
 
Est-ce que l'Etat a vraiment les moyens de cette dépense, cette injection ?
 
Oui, puisque c'est le projet de loi qui va le préciser et je vais l'indiquer clairement ce matin au Conseil des ministres.
 
On va changer de sujet. C. Estrosi, vous receviez hier les syndicats d'Alcatel Lucent. Le groupe a annoncé un nouveau plan social avec 850 suppressions de postes. Vous leur avez promis qu'il n'y aurait pas de fermetures de sites en France ; vous avez des garanties de la part des dirigeants ?
 
J'ai reçu, parce que conformément à ma volonté, je veux qu'il y ait en permanence un dialogue social avec les ouvriers, avec ce savoir-faire de ceux qui ont contribué dans un grand groupe comme Alcatel à ce qu'Alcatel soit un leader industriel, notamment dans le domaine des télécommunications. Nous sommes à la pointe d'un certain nombre de brevets et alors qu'un certain nombre d'erreurs ont été commises, notamment avec le rachat de Lucent, il y a quelques années de cela, aujourd'hui fragilisent Alcatel, je ne veux pas que ce savoir-faire français en grande partie soit perdu et que le savoir-faire des ouvriers soit perdu. Voilà pourquoi je dialogue avec ces ouvriers, en même temps que je veille auprès des dirigeants d'Alcatel à ce qu'ils respectent un certain nombre d'engagements. Premier engagement, à ce qu'il n'y ait aucune délocalisation dans le domaine de la R&D, de la recherche et du développement, et des grandes politiques d'innovations industrielles ; ce serait inacceptable. On avait annoncé 150 délocalisations vers l'étranger, quand on sait que la France investit en matière de crédit d'impôt recherche au côté d'Alcatel ces dernières années, qu'il y a un grand nombre de brevets que nous devons aux ingénieurs, aux techniciens, aux ouvriers d'Alcatel, ce ne serait pas acceptable. J'ai obtenu des engagements et par ailleurs, alors qu'était sous-entendue la fermeture d'un certain nombre de sites, j'ai reçu l'engagement qu'aucun site ne verra son activité cesser sur le territoire national.
 
Alors, on va parler aussi des New Fabris ou encore des Nortel. Il y a eu beaucoup de tensions dans les entreprises, ces derniers temps, avec séquestration de patrons, même menaces d'explosion de l'usine, mais en même temps vous les recevez à chaque fois les salariés. Donc, ça marche ?
 
Non, ça ne marche pas, parce que je n'ai jamais reçu sous la menace et que j'ai fixé très clairement les règles du jeu.
 
Mais ils se sont faits connaître, comme ça !
 
La menace est une impasse et ils ont compris que pour dialoguer avec le ministre en charge de l'Industrie, qui est totalement ouvert et qui souhaite renforcer en permanence le dialogue social, il ne faut pas qu'il y ait de menaces et c'est pour cela que, chaque fois qu'on a retiré la menace, j'ai ouvert mes portes, on a discuté, on a trouvé des solutions. C'est comme cela que nous avons abouti sur Nortel et c'est comme cela aussi que je souhaite, sur un modèle bien différent, puisque Nortel, c'était la poursuite d'une activité pour qu'il y ait un repreneur à la fin août pour maintenir ce fleuron industriel. Malheureusement, [s'agissant de] New Fabris je suis arrivé [alors que] le tribunal de commerce avait prononcé à la fois la liquidation à la cessation de l'activité. Et là, je comprends le désarroi, l'inquiétude des ouvriers, parce que derrière un plan, derrière des contraintes économiques, derrière des projets de financement, il y a aussi des hommes, des femmes, des ouvriers, des familles qui sont inquiètes, et j'ai le devoir aussi de prendre en compte cette dimension humaine. Voilà pourquoi, à partir du moment où ils ont cessé toute menace, je les ai reçus. J'ai essayé d'être celui qui a facilité le dialogue avec les grands constructeurs automobiles, pour obtenir de leur part le rachat des stocks, le rachat de l'outillage et qu'en même temps, la totalité de ce qui serait racheté par les constructeurs automobiles puisse être redistribué en aide à la recherche d'un nouvel emploi, parce que l'avenir, pour ces ouvriers, cela ne passe pas simplement par une prime, c'est surtout leur redonner la dignité par le travail.
 
On a appris ce matin dans le journal Les Echos que le prix de l'électricité allait augmenter pour les particuliers de 1,9 % à la mi-août. vous confirmez ?
 
Je ne peux pas contester qu'à un moment, alors que l'électricité en France est au tarif le plus faible que l'on connaisse dans tous les pays de l'Union européenne, grâce d'ailleurs à la politique ambitieuse énergétique de notre pays, il y ait un réajustement. Bon, nous sommes par rapport à la situation actuelle où nous devons préserver le pouvoir d'achat des Français sur en tout cas une phase d'augmentation qui est difficilement contestable.
 
Il y a le Conseil des ministres donc, ce matin. Après, ce sera les vacances. Où partez-vous ?
 
D'ailleurs, dois-je vous rappeler qu'on parlait il y a quelques jours de cela de plus de 7 % d'augmentation...
 
C'est vrai.
 
...certains même de 20 %...
 
P. Gadonneix, qui souhaite 20 % sur trois ans, lui. Donc, quand on parle de 1,9 %,... C'est raisonnable.
 
...on voit bien que c'est un chiffre qui contredit les chiffres des semaines passées.
 
Après le travail, donc les vacances. C. Estrosi, c'est où, pour vous ?
 
Les vacances pour moi ?
 
À Nice ?
 
Non, les vacances, c'est une période où, avec les conflits sociaux, les difficultés, les plans de la rentrée je dois rester mobilisé de toutes mes forces. Je me contenterai de gravir...
 
Pas de vacances ?
 
... les montagnes trois jours par semaine, parce que c'est ma passion - le Cervin, les Ecrins, le Mont Viso, comme chaque année. Et puis en dehors de cela je serai deux jours par semaine au guidon à mon ministère ou à la mairie, parce que je dois rester proche aussi de mes administrés.
 
Eh bien, bon travail à Nice et bon repos quand même à vous, C. Estrosi.
 
Merci d'être venu ce matin.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 30 juillet 2009