Interview de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la justice, à Europe 1 le 18 août 2009, portant notamment sur la situation dans les prisons et sur la prévention des suicides de prisonniers.

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Média : Europe 1

Texte intégral

A. Caron.- Depuis le 23 juin, il est secrétaire d'Etat auprès de la ministre de la Justice et des Libertés. M. Alliot-Marie recevra tout à l'heure un rapport sur le suicide en prison ; les prisons c'est justement un dossier auquel vous avez décidé de vous consacrer pleinement, vous nous expliquerez pourquoi dans quelques instants. Vous nous direz notamment ce que vous comptez proposer pour lutter contre la surpopulation carcérale. Et puis, on vous demandera aussi ce que ça vous fait d'avoir pour nouveaux camarades de route P. de Villiers, puisque vous êtes désormais unis dans votre soutien à N. Sarkozy. Généralement, on dit "les amis de mes amis sont mes amis " ; est-ce que cette formule peut s'appliquer à P. de Villiers et à vous-même ?
 
Ça suppose d'en discuter. Vous savez, les meilleures amitiés, c'est comme les meilleurs mariages, ce sont des mariages de raison, c'est-à-dire qu'on sait pourquoi on est ensemble et c'est peut-être le travail qu'il faudra qu'on fasse.
 
Secrétaire d'Etat auprès de la ministre de la Justice et des Libertés, c'est un titre un peu vague en fait. Concrètement, quels sont les contours de votre secrétariat d'Etat ?
 
Je n'ai pas d'attributions spécifiques dans tel ou tel domaine. Il est vrai que le ministère de la Justice est vaste et il y a de nombreux dossiers à prendre en compte et nous sommes convenus avec M. Alliot-Marie de travailler ensemble sur les grands dossiers, que ce soit les enjeux européens. Bien sûr, le dossier des prisons, le dossier de la réforme pénitentiaire est un dossier sur lequel, d'un commun accord, je me pencherai particulièrement. Mais je dirais que tout ce qui relève un petit peu du justiciable, à côté de la dimension régalienne de la fonction qu'incarne la garde des Sceaux, ce qui n'empêchera pas naturellement de suivre aussi ces questions du quotidien, mais toutes ces questions vont me mobiliser.
 
En ce qui concerne les prisons justement, c'est plutôt vous ou plutôt M. Alliot-Marie qui gère le dossier ? On a cru percevoir un intérêt commun pour ne pas dire une rivalité entre vous sur le sujet.
 
Non, il n'y a aucune rivalité entre nous, bien entendu, chacun est à sa place. Il y a un garde des Sceaux, le secrétaire d'Etat que je suis va suivre ce dossier. Simplement, c'est un dossier, je dirais, très important puisque le président de la République a décidé d'en faire une priorité, y compris sur la question extrêmement sensible et importante en France de la poursuite de l'humanisation des prisons. Moi-même, je suis chaque semaine, et j'y serai encore cette semaine, sur le terrain au contact des personnels, toucher du doigt un certain nombre de difficultés et voir comment concrètement on va pouvoir continuer à améliorer la situation française, qui est effectivement quelque peu en décalage par rapport à la situation européenne. Savez-vous qu'en France, nous avons - d'ailleurs, ce qui va à l'encontre de l'idée que nous sommes pour le tout carcéral, d'ailleurs plus personne ne le pense -, nous avons moins de personnes incarcérées que dans la moyenne européenne. Nous avons fait de grands progrès en matière de réponse alternative, le bracelet électronique a d'ailleurs beaucoup progressé ces dernières années. Mais par contre, c'est vrai que nous avons aussi beaucoup moins de places de prison ; nous avons, je crois, 80 places à peu près, pour 100.000 habitants contre 116 dans la moyenne européenne. Et puis, le taux d'occupation est plus important, nous sommes à 106 détenus pour 100 places en moyenne, ce qui est évidemment plus important qu'ailleurs en Europe, où on est, si vous voulez...
 
C'est une des raisons pour lesquelles le Conseil de l'Europe continue à dénoncer la situation des prisons françaises. Les suicides en prison sont en augmentation depuis le début de l'année, le ministère parle de 75 suicides en 2009, les associations avancent le chiffre de 92. M. Alliot-Marie a demandé à l'administration pénitentiaire un rapport sur la question et ce rapport va lui être remis tout à l'heure ; est-ce que vous avez déjà été informé du contenu de ce rapport ?
 
Nous connaissons naturellement, avec la direction de l'administration pénitentiaire, les points les plus sensibles. Vous évoquiez tout à l'heure les règles du Conseil de l'Europe que nous avons fait nôtres en France il y a déjà quelques années, ce sont des critères d'humanisation, de prise en compte des situations individuelles. Et sur ce point d'ailleurs précis, puisque évidemment tous les aspects de cette norme, de ce référentiel européen, ne portent pas sur la question très grave du suicide en prison, mais certains d'entre eux oui. Savez-vous que c'est dans les deux premiers mois de leur arrivée en prison que la plupart des détenus tentent de se suicider, malheureusement parfois réussissent à se suicider. En fait, nous travaillons beaucoup et un des points du rapport ce sera de nous aider, de nous faire des propositions pour travailler encore davantage sur...
 
Il y a des chiffres précis dans le rapport ? Est-ce qu'il y a des chiffres précis ?
 
Les chiffres, on les connaît.
 
C'est ceux que je viens de citer ? Ils sont confirmés par le rapport ?
 
Le point de divergence, mais je ne vais maintenant évidemment pas parler d'un rapport qui ne nous a pas encore été remis bien entendu, mais le point de divergence, puisque vous l'évoquiez tout à l'heure, sur les chiffres, il porte sur quoi en fait ? Il porte sur le fait qu'un certain nombre de personnes se sont suicidées alors qu'elles étaient hospitalisées alors que d'autres, la plupart d'entre elles, se sont suicidées, disons, dans leur cellule. Voilà, il n'y a pas de suicides cachés, nous sommes totalement transparents. Ce que je voulais vous dire, et c'est peut-être le point le plus important par rapport aux propositions, c'est la question du choc carcéral. C'est-à-dire que, je vous le disais à l'instant, la plupart des suicides se font dans les deux premiers mois, or c'est le moment difficile, c'est le moment où chacun doit prendre ses marques, c'est le moment où chacun doit pouvoir, par rapport à ses codétenus, par rapport...
 
...Alors qu'est-ce que vous proposez, justement, pour ces deux premiers mois ?
 
Je vous donne simplement, parce que évidemment des pistes, il y en a plusieurs. Je peux vous dire d'ailleurs qu'un certain travail a déjà été fait puisqu'une circulaire a été diffusée dans les prisons déjà avant l'été sur ces questions, donc ce n'est pas un sujet que l'administration pénitentiaire découvre aujourd'hui, mais comme nous avons trop de suicides nous devons faire mieux. Eh bien, la question très importante c'est un suivi personnalisé, un suivi au sens même qu'on suit chaque personne en prison, on est en contact avec sa famille chaque fois qu'il y a une indication...
 
Est-ce que ça veut dire, par exemple, que chaque détenu qui arrive en prison sera accueilli par un psychologue ?
 
Le contact avec les psychologues existe déjà, mais dès qu'on a...
 
Est-ce que ce sera systématique et qu'il y aura un suivi ?
 
Mais dès qu'on a le moindre sentiment, et vous savez, le personnel de l'administration pénitentiaire est très attentif à ces questions, les familles sont très attentives, les avocats, etc., des intervenants extérieurs comme les psychologues. Dès qu'on a la moindre indication, eh bien on améliore encore le suivi de la personne à chaque étape, soit de ses soins, soit de sa présence dans la prison, soit de manifestation, comment dirais-je, d'inquiétude ou de dépression...
 
Le rapport Albrand préconisait, par exemple, la disposition de caméras dans les cellules des détenus les plus exposés ; est-ce que ça, ça va être fait ?
 
C'est une piste parmi d'autres. Le rapport Albrand est très intéressant, je rencontrerai d'ailleurs monsieur le professeur Albrand la semaine prochaine. A nous, si vous voulez...
 
C'est une piste parmi d'autres, mais ce n'est pas sérieusement envisagé pour l'instant ?
 
On n'en est pas encore aux prises de décisions faisant suite à la présentation du rapport du directeur de l'administration pénitentiaire, qui est un point aujourd'hui, au jour où je vous parle, de la question du suicide, de la situation de ce qui a été fait, de ce qui reste à faire. La question également de la surpopulation...
 
Voilà, justement : est-ce que pour vous, la question du suicide en prison est clairement liée à la question de la surpopulation carcérale ?
 
Oui et non, si vous voulez. Il faut faire attention à la solution toute faite qui va résoudre tous les problèmes et dont on s'aperçoit ensuite que...
 
Non, mais est-ce que c'est lié ? Ma question c'est est-ce qu'il y a un lien pour vous ?
 
Oui, bien sûr. C'est-à-dire que pour certains individus ça crée forcément une tension, ça fait forcément un climat dans des cellules surpeuplées qui ne favorise pas, je dirais, une certaine sérénité. Mais pour d'autres, l'isolement, être seul, pas les cellules d'isolement, être seul, ne pas être avec un codétenu, est un facteur anxiogène. Et nous le savons d'ailleurs. Une des propositions sur laquelle nous travaillons, c'est le rôle que peuvent jouer certains codétenus, je dirais, particulièrement solides, préparés pour aider un détenu plus fragile à passer le cap des premières semaines, à passer le cap, je dirais, d'un état d'esprit suicidaire.
 
Il nous reste deux minutes, j'ai encore deux petites questions...
 
Je vous en prie...
 
Je vous prie de m'excuser de vous interrompre. N. Sarkozy souhaite assouplir les règles des aménagements de peine, pourtant le Président a soutenu plusieurs lois qui favorisent l'incarcération, comme les peines planchers ; est-ce qu'aujourd'hui il y a une marche arrière ?
 
Je vais vous dire, là aussi on parle sans savoir. Depuis l'an dernier, on a regardé simplement les chiffres depuis l'an dernier, le nombre d'incarcérations en France a diminué de 2,5 % et le nombre...
 
Les peines planchers, on ne parle pas sans savoir, ça existe...
 
Non, mais je vous dis les peines planchers c'est bien, mais on ne peut pas déduire...
 
Donc vous êtes pour les peines planchers ?
 
Oui, mais on ne peut pas déduire de l'application des peines planchers qu'il y a eu une augmentation, c'est ce que je suis en train de vous dire, des incarcérations, au contraire. Et d'ailleurs, puisque vous parlez des intentions du Président, il souhaite que nous favorisions, et nous allons continuer à le faire, les mesures alternatives chaque fois que c'est possible, pour des courtes peines, je vous ai parlé tout à l'heure du bracelet électronique, il y a d'autres mesures alternatives qui ont tout augmenté. Et donc, c'est ça aujourd'hui qui est en train de se passer sans tambour ni trompette, sans grande déclaration. C'est une augmentation de toutes les alternatives à la prison, sachant que, bien entendu, chaque fait commis doit obtenir une réponse. On n'est pas dans le laxisme, on n'est pas dans la non application.
 
Il nous reste trente secondes, un mot quand même sur P. de Villiers, qui a rejoint ce qu'on appelle "le comité de la majorité présidentielle". Vous qui venez du Parti socialiste, est-ce que vous auriez imaginé un jour être dans une association politique avec le Mouvement pour la France de P. de Villiers ?
 
Non, je ne l'aurais pas imaginé. Je suis favorable...
 
Et ça vous fait quoi ?
 
Je suis favorable à l'élargissement de la majorité, je pense que c'est une bonne idée, mais cet élargissement doit se faire non pas contre - contre le Parti socialiste par exemple -, il doit se faire pour des propositions, pour une politique de réforme. Et il faut qu'au sein de ce comité, avec les nouveaux venus, avec P. de Villiers, nous puissions vérifier, travailler...
 
Vous avez des points communs avec P. de Villiers ?
 
Il faut que nous trouvions... Ecoutez, on a tous l'amour de notre pays, on partage un certain nombre de valeurs...
 
Ça fait beaucoup de monde alors, si vous vous alliez avec tous les gens qui ont l'amour de leur pays !
 
Non mais, je veux dire qu'il faut que nous puissions nous retrouver sur un projet, il faut que nous puissions nous retrouver sur un certain nombre de positions concrètes. Il faut que sur la question européenne nous puissions trouver des terrains d'entente. On n'a pas à être d'accord sur tout bien entendu.
 
Est-ce que ça vous dérange un petit peu quand même ou pas du tout ?
 
J'ai évoqué la semaine dernière le fait que ce n'était pas quelque chose d'anodin. Nous avons tout de même eu par le passé un certain nombre de différences importantes. Si vous voulez, pour que l'élargissement de la majorité auquel je crois soit vraiment une réussite aux yeux des Français, qu'on élargisse vers la droite, c'est bien, mais il faut qu'on ne perde pas l'aide gauche de la majorité, qui se retrouve aujourd'hui dans cette politique de réformes. Et pour cela, il y a un certain travail à faire pour faire émettre des propositions sur lesquelles nous pouvons nous retrouver. Ce n'est pas hors de portée.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 18 août 2009