Interview de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la justice, à France 2 le 21 août 2009, sur la situation dans les prisons, sur la prévention des suicides de prisonniers et sur l'élargissement de la majorité présidentielle.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2

Texte intégral

M. Darmon.- Pas facile de se faire une place au soleil quand on s'occupe des gens à l'ombre. Les prisons françaises détiennent nombre de records négatifs, en particulier celui des suicides, un record donc dans les prisons d'un pays démocratique. Pourquoi cette situation ?
 
C'est une situation qui existe depuis longtemps, et je crois qu'elle est liée à différents problèmes, à la fois, à des problèmes de surpopulation carcérale, peut-être des problèmes également d'insuffisante prise en compte de toutes les situations individuelles ; chaque personne est différente, chaque personne a son parcours. Et on se rend compte par exemple, que près de la moitié des suicides en prison intervient avec des personnes qui sont "en préventive", donc qui n'ont pas encore été jugées. Et la plupart de ces suicides intervient dans les deux premiers mois de l'incarcération ; c'est ce qu'on appelle "le choc carcéral", le passage d'une situation de liberté à une situation d'enfermement. Et c'est là-dessus que nous devons travailler. Je dois dire que l'administration pénitentiaire fait depuis des décennies un travail extrêmement important, au niveau du suivi personnel, au niveau des intervenants extérieurs, mais je reconnais que, notamment au regard des normes européennes, de ce que font les pays voisins, certains d'ailleurs comme l'Espagne, viennent d'une situation beaucoup plus dégradée que ce que nous connaissons en France et qui aujourd'hui sont à la pointe, et parfois nous sommes au double de la moyenne européenne, en termes de taux de suicides. Donc, nous avons évidemment un gros travail à continuer à faire.
 
Vous avez effectivement décrit les problèmes : utilisation abusive de la préventive, la promiscuité. Un nouveau rapport a été demandé par la Garde des Sceaux, M. Alliot-Marie, alors que au mois de mai déjà un rapport avait été demandé par l'ancienne Garde des Sceaux. À quoi ça sert d'accumuler les rapports, et au fond, quelles sont les mesures réelles qui peuvent être vraiment prises ?
 
Une synthèse était nécessaire entre tout le travail qui a été fait par différents médecins, psychiatres, par l'administration pénitentiaire. Que faire ? D'abord, ayons à l'esprit que un suicide en prison avant d'être une statistique c'est un drame personnel. Au fond, c'est un échec, c'est un échec d'ailleurs pour nous tous, et je crois que c'est quelque chose qu'on ne saurait banaliser. La prison, qui est une sanction par rapport à des délits ou des crimes qui ont été commis, est en soi une punition très forte, c'est la privation de liberté. Il faut, bien entendu, que pendant ce temps-là, non seulement les personnes soient traitées de manière humaine - je crois que c'est aussi l'honneur et la dignité de notre pays -, qu'elles aient une chance, qu'on leur donne une chance de se réinsérer, et je pense que l'approche doit d'abord être une approche d'ensemble. Vous avez à la fois...
 
Est-ce qu'on peut être un peu concrets. On a eu dans le dernier rapport, excusez-moi, des mesures qui disaient : on va donner des vêtements déchirables, des pyjamas des draps déchirables aux prisonniers. Est-ce que, là, c'est vraiment s'attaque aux causes du suicide en prison et c'est régler le problème ?
 
Toutes ces mesures sont utiles, naturellement...
 
Des gadgets...
 
Non, ce ne sont pas des gadgets. Moi, j'en ai vu dans des prisons où cela existe déjà, et ça évite le passage à l'acte dans certaines situations. Mais je crois que l'essentiel c'est que, d'abord, chaque personne, et notamment les personnes qui sont assez vite détectées comme plus fragiles ou comme découragées, soient prises en compte à la fois au moment de leur arrivée. Ensuite, autre aspect, parce que les éléments de comparaison ne portent pas que sur le suicide, en France, nous avons encore dans des prisons un taux d'activité qui est le tiers de certains pays, c'est-à-dire, le moment où dans la prison, on n'est pas dans sa cellule. Le taux d'activité c'est quoi ? C'est le travail. Alors, ce n'est pas toujours évident dans la conjoncture actuelle, mais il y a d'autres activités, sportives, l'apprentissage. Je vous donne un exemple : beaucoup de personnes, notamment des jeunes, arrivent illettrées en prison, et peut-être même d'ailleurs, il y a toute la réflexion sur la loi pénitentiaire qui va arriver à la rentrée...
 
Et vous préconisez quoi : créer des ateliers, des métiers délocalisés ?
 
Oui, et puis même dans certains cas, pourquoi ne pas rendre obligatoire pour les personnes illettrées l'apprentissage du lire et de l'écrire. Ensuite, il y a la dimension de santé. Je pense, que dans ce domaine-là, en lien avec les familles, en lien avec un certain nombre d'intervenants extérieurs, les personnels de l'administration pénitentiaire, il faut que nous ayons vraiment la possibilité, mieux encore qu'aujourd'hui, d'intervenir dès qu'il y a un problème. Pourquoi ne pas créer un numéro vert, qui permette pour les familles, pour les gens qui à un moment donné ont un indice, de réagir tout de suite, même la nuit. Autre exemple, qui fait partie d'ailleurs des propositions de la Garde des Sceaux, c'est l'idée qu'il y ait un référent, un autre détenu, quelqu'un de solide, quelqu'un qui serait motivé, quelqu'un qui aurait évidemment cette capacité, qui serait encouragé à le faire, et qui, en quelque sorte, viendrait en aide au détenu fragile, ayant des tentations suicidaires. Il y a autre chose, il y a des addictions ; en prison, plus peut-être, et c'est souvent d'ailleurs la cause du délit de l'incarcération, vous avez des gens qui sont alcooliques, concernés par des drogues...
 
Alors, toute une série de mesures pour humaniser et prendre en compte...
 
...et puis il y a la préparation de la sortie, parce que la réinsertion n'est possible que si le temps de prison n'a pas été perdu, que si un travail a été fait, des apprentissages, et ensuite il faut préparer la sortie. Dernière chose, les alternatives à la prison nous les avons beaucoup développées. Dans ce domaine-là, nous avons bien progressé, et nous allons poursuivre. Donc, on sait ce qu'il faut faire, on s'en donnera les moyens, c'est une volonté du président de la République, et je gage qu'en quelques années, nous allons respecter les référentiels européens, et que ce soit sur l'humanisation des prisons, sur la question du suicide, sur la question de la réinsertion, nous allons être à un niveau acceptable, normal, digne de notre pays.
 
L'actualité politique, la rentrée également qui est assez chargée. Vous vous voyez dans un meeting, assis entre le chasseur F. Nihous et l'eurosceptique, très virulent, P. de Villiers ? Pour vous, c'est ça la majorité présidentielle ?
 
Je dirais qu'il faut aussi leur poser la question. Est-ce que c'est la majorité présidentielle, le comité de liaison, qui rejoint de Villiers, ou est-ce que c'est lui qui nous rejoints ? D'abord, c'est lui qui nous rejoint, qui rejoint la politique de réformes, l'axe de cette politique ne changera pas ; C'est sur cette politique, sur ces réformes, sur cette modernisation...
 
Quand vous dites que "le ralliement de P. de Villiers n'est pas anodin", qu'est-ce que ça veut dire ?
 
Il n'est pas anodin en ce sens que c'est une personnalité politique qui a eu souvent des positions extrêmement tranchées, parfois choquantes, extrêmement critiques, y compris récemment à l'égard du Gouvernement, du Président, de notre politique. Il a le droit d'évoluer. Ce que je souhaite simplement...Moi, je suis favorable à ce rassemblement, je suis favorable à l'élargissement de la majorité, y compris vers la droite. Je pense que ça crée une dynamique...
 
Vous venez de la gauche, vous. Et donc, favorable à l'ouverture à la droite extrême ?
 
... en tant que président de la Gauche moderne... Je ne fais pas d'amalgame entre P. de Villiers et le Front national, je ne diabolise pas sa personne. Mais je considère en tant que président de la Gauche moderne, représentant de l'aile gauche de la majorité, que, premièrement, on ne fait pas simplement un rassemblement, y compris pour les régionales contre, on le fait avec des propositions, on le fait avec un travail en commun, avec un certain nombre d'idées qu'on partage. Ce travail, nous allons le faire.
 
C'est une bonne chose pour vous ?
 
Oui, c'est une bonne chose, mais il est important que, en ouvrant à droite, en élargissant de ce côté-là, on ne perde pas un certain nombre d'électeurs de sensibilité de gauche qui nous ont suivis, qui adhèrent à la politique de réformes du Président. Et la Gauche moderne, c'est aussi, par ses exigences, par son adhésion, un permis de voter pour ces personnes qui, à gauche, nous permettront aussi de gagner en 2012.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 21 août 2009