Interview de Mme Cécile Duflot, secrétaire nationale des Verts, à Europe 1 le 4 septembre 2009, sur le débat sur la contribution climat énergie ou "taxe carbone" et l'impératif d'engager "socialement" la transition énergétique.

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Circonstance : Entretien du Président de la République avec Mme Cécile Duflot, secrétaire nationale des Verts, à l'Elysée le 3 septembre 2009

Média : Europe 1

Texte intégral

M.-O. Fogiel.- Vous êtes la secrétaire nationale des Verts. C'est aujourd'hui donc que le Président N. Sarkozy va présider à l'Elysée une réunion autour de la future taxe carbone. Vous l'avez rencontré hier, alors que le débat fait rage depuis plusieurs jours. Vous avez été surprise quand il vous a dit que rien n'avait été arbitré, contrairement à ce que dit F. Fillon ?

Pour rien vous cacher, on était surpris, Jean-Paul et moi, d'y aller, en pensant effectivement que c'était déjà arbitré. Donc, on s'attendait à ne pas rester très longtemps. Il nous a effectivement dit que ça n'était pas le cas, puisque pour nous, aujourd'hui, les éléments qui ont été annoncés ce serait à la fois la naissance et la mort de la taxe carbone, simultanément.

C'est-à-dire que ce qu'a annoncé F. Fillon dans le Figaro Magazine, pour vous, c'est très, très négatif par rapport à votre combat pour l'écologie ?

Parce que pour nous, c'est à la fois... ça deviendrait effectivement une taxe à la fois inefficace et injuste, alors que la contribution climat énergie ça peut être le moyen de préparer la transition énergétique dont on a besoin pour affronter le réchauffement climatique. Donc c'est cela pour nous qui est très important, c'est de dire qu'il faut que cet objectif-là soit atteint. Il y a trois éléments indispensables : que l'ensemble des secteurs soit touché, que cette contribution soit à un niveau élevé pour qu'elle donne les moyens, et que la redistribution soit intégrale et en particulier pour les plus fragiles...

On a bien compris, mais est-ce que vous avez l'impression que tout est ouvert, ou que N. Sarkozy vous a fait un peu passer le temps, hier, à l'Elysée ?

Eh bien, écoutez, je ne suis pas complètement naïve non plus. Mais c'est pour nous, et pour nous les écologistes, un combat qui dure depuis toujours. Donc, on ne pouvait pas ne pas dire l'intégralité de cette position quand on nous invite à l'exposer...

Mais vous l'avez trouvé à l'écoute ?

Ecoutez ! En tout cas, on a discuté longtemps, et on a pu, nous, exposer les arguments sur le fond, précisément. Donc, on verra bien. Il y a une lutte de lobbies, d'influence. Moi je ne suis pas rassurée que les arbitrages n'aient pas été rendus. Je suis soulagée dans un premier temps, mais pas...

Soulagée mais pas rassurée. Est-ce que vous trouvez que J.-L. Borloo défend suffisamment votre dossier ?

Moi je crois que... ce qui est difficile c'est qu'il faut avoir du courage politique, parce que c'est un courage de moyens et de long terme.

Et il ne l'a pas ?

Et je pense que c'est toujours difficile pour les politiques...

Donc, il n'a pas le courage politique aujourd'hui de vos ambitions à vous ?

Là, c'est très simple, d'ici la semaine prochaine, les arbitrages seront rendus. Donc on verra, on verra.

Donc, vous allez le juger sur pièces ? Vous avez entendu ce sondage exclusif TNS-Sofres-Logica pour Europe 1 publié hier soir : deux Français sur trois ne veulent pas de la taxe carbone ; 60 % des sympathisants Verts sont opposés à cette taxe carbone. Vous leur répondez quoi ? Vous êtes forcément déçue, d'abord ?

Tout le problème c'est de savoir de quoi on parle. Si on parle d'effectivement ce qui a été annoncé il y a quelques jours, je suis d'accord avec eux : ça ne sert à rien, ce sera inutile. D'ailleurs, on ne pourra pas avoir les moyens d'agir.

Non, on parle d'une taxe en général, et beaucoup de Français n'ont pas envie d'être taxés en plus, même pour l'écologie ?

Mais alors ça, ce qui me surprend, c'est plutôt qu'il y ait 30 % de gens qui soient d'accord. Si on dit simplement "on va instaurer une nouvelle taxe", c'est même très positif qu'il y ait un tiers des gens qui soient d'accord, parce que ce qu'il faut dire, et ce qui est pour nous très important, c'est de faire en sorte qu'on s'organise pour que les Françaises et les Français qui auront du mal à subir la crise de l'augmentation des dépenses énergétiques dans quelques années soient le mieux préparés. Il faut qu'on soit exemplaire, et c'est comme cela qu'on ira mieux dans quatre, cinq ans. Alors c'est toujours difficile de prendre des décisions pour dans quatre, cinq, dix ans...

Mais tout à l'heure, vous avez été interpellée par une auditrice d'Europe 1 à 7h15, qui dit : "On est des ménages modestes, on ne peut pas, Mme Duflot !"

Mais parce que... ce qui n'est pas explicité - mais c'est normal parce que pour l'instant, ce n'est pas dans le projet du Gouvernement, et c'est très dommage - c'est que nous, ce qu'on veut, c'est que les ménages modestes ils aient les moyens de pouvoir mettre en oeuvre des travaux pour eux, améliorer l'isolation thermique de leur logement, changer leur mode de chauffage et se préparer pour plus tard, parce que sinon, dans quelques années, ce sera encore plus violent, si on n'en bouge pas.

Et vous l'avez dit à N. Sarkozy ?

Oui, bien sûr que je l'ai dit, avec la même véhémence. Et c'est pour cela que je me suis fâchée en expliquant que ne pas engager la France et les Français dans la transition énergétique, que c'était démagogue. Parce que l'on dit, effectivement, aujourd'hui, entre guillemets, "tout va bien", ce qui n'est d'ailleurs le cas...

Vous l'avez traité de démagogue ?

Non, non, non, non. Je parle de ceux qui disent : il ne faut pas de taxe carbone, point.

Est-ce que vous avez l'impression - C. Duflot, on a compris - d'être instrumentalisée par N. Sarkozy ? Est-ce que, par exemple, ce n'est pas une façon, en Ile-de-France pour les régionales, d'affaiblir V. Pécresse puisque vous, si vous y allez, eh bien finalement - et que vous êtes plutôt du côté de la droite - ça affaiblirait J.-P. Huchon ?

On ne se connaît pas, M. Fogiel...

Pas encore...

...mais je n'ai pas une tête à être instrumentalisée très facilement, donc... Simplement, il y a des combats auxquels je crois. Donc je ne peux pas ne plus en parler au prétexte que il y aurait un risque d'instrumentalisation. En revanche, je dis pleinement quelles sont nos propositions, et que dans la situation dans laquelle le Gouvernement a annoncé ce projet - Gouvernement auquel je m'oppose, je ne vais pas...

Vous ne pourriez pas être ministre de l'Ecologie dans un grand élan d'ouverture, par exemple ?

Eh bien, non, je peux vous dire que ça c'est juste pas possible, il y a zéro risque, voilà !

Zéro risque.

Il y a zéro risque ! Mais en revanche, je considère que la contribution climat énergie c'est un sujet fondamental.

Et quand S. Royal, puisqu'elle dit que c'est fondamental, mais qu'elle est contre, elle propose plutôt qu'instaurer une taxe carbone "inefficace et injuste, il vaudrait mieux taxer les compagnies pétrolières comme Total à la mesure des profits qu'elles réalisent du fait de la consommation d'énergies fossiles". Vous ne dites pas qu'elle a raison ?

D'abord, ce n'est pas incompatible, premièrement. Et deuxièmement, la réalité c'est qu'il faut engager cette transition énergétique, c'est cela qui est juste, socialement, surtout socialement. Par ailleurs...

Mais, S. Royal est-ce que ce n'est pas juste et social et en même temps ce qu'elle propose ?

Oui mais sauf que c'est...j'allais dire que c'est une goutte d'eau par rapport au problème. Bien sûr qu'il faut considérer qu'aujourd'hui les super profits de Total et d'autres sont scandaleux, mais ce qui est nécessaire, c'est de réduire notre consommation énergétique, notamment en supprimant tout le gâchis. Et aujourd'hui, il y a des gens qui dépensent des euros considérables en fuel ou en électricité, alors que ça ce n'est pas forcément utile puisque ça sert à chauffer l'atmosphère, ce qui, de plus, est une catastrophe sur le plan climatique. Il y a un ultimatum climatique qui n'attendra pas 2010 ou 2012, c'est aujourd'hui qu'il faut traiter le problème.

Vous avez demandé à N. Sarkozy d'éteindre la lumière de son bureau quand il quittait la pièce pour faire des économies ?

Oui, mais là, vous êtes à la limite taquin, mais vous êtes... Et ce qui est gênant quand on critique les "écolos" et qu'on pense qu'ils s'intéressent juste au fait qu'on éteigne la lumière quand on sort de la pièce, c'est que l'ultimatum climatique c'est un problème pour les générations futures et il est de notre responsabilité de résoudre ce problème. Ce n'est pas un truc rigolo, c'est quelque chose de à la fois dramatique, mais contre lequel on peut agir, voilà.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 7 septembre 2009