Texte intégral
Madame le Secrétaire perpétuel, Chère Hélène Carrère d'Encausses
Madame la Présidente du Conseil supérieur des Archives, Mme Georgette Elgey
Mesdames et Messieurs les Elus,
Messieurs les Ministres,
Monsieur le Secrétaire général,
Cher Maître,
Mesdames et Messieurs,
Parfois, dans la vie politique, on éprouve un sentiment de fierté collective. Cette fierté collective, je la ressens aujourd'hui en inaugurant ici, à La Courneuve, le bâtiment qui désormais abrite les archives diplomatiques de la France.
Dans quelques jours, des centaines de chercheurs, d'étudiants, de citoyens du monde entier franchiront ces portes pour explorer notre passé, livrer de nouveaux faits à notre connaissance, renouveler les interprétations. Et pour tenter de nous orienter dans le monde changeant de notre présent.
L'événement est important pour la mémoire nationale.
Le fonds qui est ici réuni constitue très probablement les archives diplomatiques les plus riches du monde. C'est aussi l'un des plus anciens, puisque certaines pièces remontent au Moyen-âge. Mais ce trésor était un trésor caché ! Nos archives étaient éparpillées sur onze sites différents. Elles étaient souvent difficiles à consulter et entreposées dans des conditions très précaires. Le manque de place empêchait de les mettre toutes à la disposition du public. Pensez que le Parlement, l'année dernière, a adopté une loi qui ramène de 30 à 25 ans les délais de consultation de nos archives et, par conséquent, élargit très heureusement l'accès à la mémoire de la nation. Or, nous étions en difficulté, faute d'espace, d'appliquer cette loi. Nous le pouvons aujourd'hui et j'en suis très particulièrement heureux ! Nous pouvons enfin répondre, dans ce grand centre d'archives, à la volonté de connaître de nos contemporains. Des dizaines de kilomètres de documents - 80, n'est-ce pas Jean -, 430 000 ouvrages, des milliers de cartes et de documents audiovisuels, jusqu'ici inaccessibles, vont enfin pouvoir être communiqués. Ils vont bénéficier de conditions de consultation, mais aussi de conservation et de reproduction exceptionnelles, grâce à des ateliers de reliure, de dorure, de photographie, de numérisation dotés des équipements les plus modernes. C'est une bonne nouvelle pour le monde des archives, pour le monde de la connaissance et peut-être pour le monde de la compréhension. Une bonne nouvelle pour la valorisation de notre patrimoine. Une bonne nouvelle pour le monde de la recherche.
Mais l'événement, Mesdames et Messieurs, est aussi architectural.
Le ministère a confié à l'un de nos grands architectes, Henri Gaudin, la conception de ce bâtiment. Henri Gaudin est l'architecte, entre autres, du stade Charléty et du Musée Guimet et il a posé, dans le paysage urbain de La Courneuve, un remarquable geste artistique. Lumières, courbes, volumes, matériaux : il a livré une méditation poétique pleine de surprises et de sérénité, ce dont on a besoin et qui n'est pas fréquent. J'aime particulièrement la cour centrale, foyer de lumière et de respiration au coeur du bâtiment. J'aime aussi l'immense salle de consultations. Je ne connais rien de plus tentant que de s'asseoir là et d'avoir devant soi ces archives pour les consulter. Ce bâtiment ressemble aux lieux d'études monastiques, avec la modernité en plus bien entendu. Je n'ai aucune attirance spéciale pour les lieux monastiques, mais enfin c'est à cela que cela fait penser. Ce bâtiment est à la hauteur de notre riche histoire diplomatique et de nos ambitions passées et futures. A la hauteur des attentes immenses de nos publics.
Je veux rendre hommage au travail d'Henri Gaudin, à son architecture inspirée, nourrie de réflexion philosophique, qui refuse la marchandisation de l'espace, qui nous invite à l'habiter plutôt qu'à le consommer.
Je veux redire, à cette occasion, l'importance de la création architecturale dans nos sociétés. Nous avons besoin de "cette écriture première de l'humanité", comme disait Victor Hugo, pour marquer de la façon la plus visible notre passage. Pour mettre de l'ordre dans le chaos du monde. Pour lutter contre sa pesanteur et, comme vous l'avez si bien écrit Cher Henri Gaudin, "alléger la matière et la rendre plus docile à nos désirs".
Le président de la République, vous le savez, accorde une attention toute particulière à la construction urbaine et architecturale. Il est bien décidé à réhabiliter le geste de l'architecte, à lui redonner toute sa place dans nos politiques - le président Mitterrand voulait le faire également, le président Chirac l'a fait partiellement, et pas mal -, et à imprimer à tout cela un nouveau souffle. Je suis heureux que le ministère des Affaires étrangères et européennes participe à ce mouvement.
Mesdames et Messieurs,
L'événement d'aujourd'hui est enfin un événement social et politique. Le ministère des Affaires étrangères et européennes est le premier ministère régalien à délocaliser un de ses bâtiments en banlieue. Je ne mets pas ce mot entre guillemets, la banlieue ne m'effraie pas. J'ai moi-même été élevé à Montreuil-sous-Bois, puis à Fontenay-sous-Bois, j'allais à l'école dans ces banlieues. Je suis heureux que nous ayons conduit cette délocalisation, qui n'est pas péjorative, au contraire, elle est épanouissante et nous l'avons conduite en déplaçant le seul de nos immeubles qui soit ouvert au public et nous le faisons dans l'une des communes que l'on disait les plus défavorisées de la région parisienne.
La ségrégation territoriale, les ghettos, sont un mal qui menace toutes nos sociétés. Nous devons leur opposer la solidarité urbaine, la solidarité des territoires, la continuité des espaces publics. Sans cette solidarité, il n'y a pas d'égalité des chances. Sans cette lutte contre les fractures territoriales qui verrouillent l'avenir des individus, les principes de notre République sont (ridiculisés) insuffisants. Sur ce thème, reconnaissons-le, nous faisons beaucoup de discours ! Aujourd'hui, c'est un acte que pose le gouvernement auquel j'appartiens. D'ailleurs, je profite de cet acte de société, qui témoigne donc d'une confiance et d'une solidarité, pour remercier tous mes prédécesseurs, une chaîne de prédécesseurs qui ont décidé de cette délocalisation. Je pense bien sûr à Hubert Védrine, mais aussi à Dominique de Villepin - je salue son père -, à Michel Barnier et à Philippe Douste-Blazy. C'est aussi à eux qu'il appartiendrait d'inaugurer ce bâtiment. Je suis particulièrement heureux que ce centre ait déjà offert des emplois aux jeunes de Seine-Saint-Denis, en particulier dans le cadre du programme Pacte.
Cet acte, vous le savez, sera suivi. Bientôt, c'est le fonds contemporain des archives nationales qui s'installera à Pierrefitte-sur-Seine. Ce sont l'Ecole Pratique des Hautes études et l'Ecole des Hautes études en Sciences sociales qui devraient s'implanter à Aubervilliers. Il s'agit là d'un grand chantier dans lequel (mon) notre ministère se trouve aux avants-gardes. Eh oui : ce ministère des Affaires étrangères et européennes, que l'on caricature comme conservateur - et qui, il faut le reconnaître l'est souvent mais pas toujours - est l'un de ceux qui va à la rencontre de cette France remplie d'énergie et d'intelligence qu'est la France des banlieues. Une France qui est aussi remplie d'espoir, un espoir auquel nous devons répondre.
Mesdames et Messieurs,
J'ai parlé tout à l'heure de "fierté collective". Je veux insister sur le mot "collectif".
L'oeuvre que nous inaugurons aujourd'hui a bénéficié du concours de nombreuses volontés. J'adresse mes remerciements à ceux de mes prédécesseurs qui, depuis 1999, ont permis sa réalisation. Je remercie très particulièrement le Secrétaire perpétuel de l'Académie française, Hélène Carrère d'Encausse, mon amie, mon admiration, ma collègue - nous étions ensemble au Parlement européen - qui a suivi le projet dès le premier jury de concours et dont les conseils, les recommandations ont été d'une très grande aide.
J'exprime ma reconnaissance aux secrétaires généraux et aux directeurs de ce ministère, en particulier aux directeurs des Archives et du service de l'Immobilier, en particulier à Jean Mendelson qui a consacré des mois et des mois, nuit et jour, non seulement à ce bâtiment mais au déménagement des archives. Pouvez-vous imaginer ce que représente ce déménagement, durant lequel chaque pièce a été transportée comme si elle était unique, par des déménageurs très spécialisés, des étages d'archives, puisque cela fait ici 80 kilomètres linéaires ? Donc, merci Jean, merci à tous ses collaborateurs. Ils ont fait face aux réticences de départ. Ils ont surmonté des obstacles financiers et juridiques d'envergure énormes, en fait. Ils ont convaincu de l'utilité de notre projet leurs collègues, la communauté des archivistes - conservateurs par excellence et par définition -, des universitaires, des chercheurs. Ils ont mis en oeuvre l'un des plus grands déménagements de l'Etat.
Pour tous les agents de ces services qui sont venus à La Courneuve, je sais que le changement n'a pas été évident : on ne met pas un terme à une longue présence au Quai d'Orsay ou rue La Pérouse sans un pincement au coeur, qui concerne sa vie personnelle, ses contacts avec l'environnement, avec sa famille, avec soi-même. Mais je sais que, après ces premiers mois passés ici, ces personnels ont découvert les avantages de ce bâtiment ; et je les remercie d'avoir mis leur enthousiasme au service de la réussite de ce beau défi. Entre ces trois sites, nous allons donc aménager des navettes, nous allons voir avec le personnel comment nous pourrons leur faciliter l'accès. Evidemment, nous le ferons avec les élus ici. Après une petite concertation, il sera facile de régler ou, en tout cas, d'essayer de régler ces problèmes de déplacement.
Enfin, je veux dire ma gratitude aux élus de la Ville, au maire, au Conseil général, les élus du Département et de la Région. A tous merci. Merci aux dirigeants et aux ouvriers des entreprises qui ont collaboré à l'édification de ce magnifique immeuble. Sans eux non plus, sans leur compétence et leur engagement, ce chantier n'aurait pas été accompli.
Mesdames et Messieurs,
Cette ouverture des archives diplomatiques à La Courneuve s'inscrit dans la série de réformes du ministère des Affaires étrangères et européennes que j'ai engagées en entrant au gouvernement. Cette réforme est profonde : vous savez que nous avons créé la direction générale de la Mondialisation avec des disciplines qui n'étaient même pas envisagées et qui font partie d'une connaissance nécessaire de notre monde en mouvement. Et cela n'est pas fini, nous allons aussi nous atteler à la réforme de la direction culturelle, la direction de la Perspective est en mouvement, tout est en mouvement, nous ne nous arrêterons pas.
Avec cette réforme ici et ce transport des archives, nous touchons non seulement à la mémoire mais aussi à un outil placé au coeur de notre diplomatie. Car une diplomatie sans archives est une diplomatie sans preuve, une diplomatie aveugle et impuissante. C'est donc ce coeur et cette mémoire de l'une des plus vieilles et des plus prestigieuses diplomaties qui se trouvent désormais logés dans une France vraiment contemporaine. Je vous remercie de veiller sur eux. De veiller sur ce bâtiment, témoignage de notre créativité, de notre désir de connaître, de notre confiance dans l'avenir !
Nous sommes aujourd'hui un 3 septembre. Hélène Carrère d'Encausse me le rappelait tout à l'heure, le 3 septembre marque cette année le 70ème anniversaire du déclenchement de la Deuxième guerre mondiale. C'est évidemment l'occasion de se rappeler le sens ultime de ce que nous faisons en créant ce bâtiment et en y plaçant notre mémoire. C'est la lutte contre l'oubli, contre la violence qui, ici comme ailleurs, inspire notre action. C'est elle qui la justifie. La lutte pour la paix et pour la démocratie.
Je souhaite longue vie à ce lieu. Vous y êtes les bienvenus. Il est votre lieu, puisqu'il est celui de tous les Français et de tous ceux qui s'intéressent au destin de notre nation. Je vous remercie beaucoup.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 septembre 2009