Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "Europe 1" le 25 septembre 2009, sur les négociations en cours au G20 de Pittsburgh, la question des bonus, les divergences de points de vue entre pays européens.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- A Pittsburgh, au coeur d'un G20 intense, C. Lagarde est avec nous. C'est un instant de vérité et de décision. On est apparemment entre le clash et le succès. Peut-on dire que l'accord est presque prêt, qu'il est là, presque là ?

Oui, on peut dire ça, il est presque là et en même temps, il est très lointain parce qu'une grande partie du travail technique a été faite, on a passé des heures et des heures à rapprocher les points de vue, à assembler les éléments d'un accord, et rien n'est encore fait parce que d'abord, les chefs d'Etat et de Gouvernement n'ont pas avalisé l'ensemble du document, et puis il y a certains éléments qui sont encore en suspens.

Tout se jouera dans la matinée, mais est-ce que vous pouvez dire que le G20 progresse en matière de contrôle et de réglementation déjà ?

Sur la partie "contrôle et réglementation" du système financier, oui, nous avons fait déjà sur le plan technique de très bonnes avancées.

Pour les bonus, les idées françaises puis européennes sont-elles acceptées au niveau mondial ? Par exemple, le versement différé ?

C'est dans le document actuel, ça n'a pas encore été validé par les chefs d'Etat, mais...

Ca peut l'être ?

Ca peut l'être.

La réduction des bonus garantis, le malus en cas de mauvais résultats, et peut-être même des sanctions ?

"Le malus", ce n'est pas tout à fait comme ça que ça s'appelle dans le langage diplomatique qu'on utilise, mais c'est le même mécanisme, c'est "bonus-malus", et puis "différé de paiement" sur trois ans.

Pouvez-vous dire que le principe d'une limitation est acquis ou est tout proche de la décision ?

Ce qui est sur la table aujourd'hui, c'est un encadrement général : pas de bonus garanti, différé de paiement, bonus-malus, comité des rémunérations. Et puis il y a, je l'espère, un mécanisme de limitation, en particulier dans l'hypothèse où une banque n'est pas suffisamment capitalisée, ça ce n'est pas encore validé.

Et qui décide du montant du bonus, est-ce que ce sont les banques centrales de chaque pays qui auraient un rôle de supervision pour les bonus ?

C'est ce qui est proposé, c'est-à-dire que, les superviseurs - en France ça serait la Commission bancaire - pourraient effectivement vérifier la manière dont les rémunérations sont structurées et le montant des bonus.

"La bagarre" prévue entre Européens - le mot était de N. Sarkozy -, a bien eu lieu apparemment cette nuit, mais elle est, on me le dit, moins dure qu'annoncée. Est-ce que le Président Obama a choisi l'accord plutôt que la confrontation avec les Européens ?

Il y a plusieurs jours qu'on travaille comme ça ; on travaille encore à l'heure où nous parlons, c'est-à-dire qu'il y a des comités de rédaction qui travaillent en ce moment pour rapprocher les points de vue ; dans l'après-midi, on aura les résultats définitifs de l'accord ou pas.

Et s'il y a accord, par exemple sur les bonus, dans quels délais, la décision est-elle applicable ?

Il faut que ce soit applicable, et c'est ce que nous avons suggéré, pour les bonus 2009 qui sont payés 2010.

Donc, tout de suite.

Donc tout de suite.

Les traders ont aggravé la crise mais ils ne l'ont pas créée. L'objectif c'est de réduire peut-être aussi des activités qui sont orientées vers la spéculation. Vous savez que les syndicats français réclament au G20 de taxer les transactions financières. Est-ce que c'est envisagé ?

Ca sera probablement discuté, je ne pense pas que ça sera dans l'accord.

Donc, une autre fois. Le président de la République déclare que les paradis fiscaux et le secret bancaire, c'est terminé. Est-ce qu'il ne pèche par excès d'optimisme ?

Non, pas du tout, pas du tout, parce que depuis le mois d'avril, vous avez pu constater que les vrais paradis fiscaux ont cessé de l'être, puisque ceux qui étaient dans la liste noire en sont sortis ; ceux qui ne coopèrent pas et ne fournissent pas d'informations sont en train de signer à bride abattue des accords avec tous les pays pour donner de l'information. Et puis, ce que j'espère c'est qu'un principe de sanctions et une date limite seront agréés par les présidents et les chefs d'Etat, demain.

Pour encourager le retour à la croissance - ça va être un débat que vous allez avoir - est-ce que la France maintient son plan de relance ? Vous avez annoncé, par exemple, à New York à une télévision américaine, que le gouvernement français allait réduire progressivement les mesures de soutien à l'économie. On a envie de vous demander : c'est vrai, comment, à partir de quand ?

Il ne faut pas retirer les mesures brutalement. La croissance est en train tout doucement de repartir, c'est comme quelqu'un qui réapprend à marcher avec des béquilles, si vous retirez les béquilles, il se casse la figure.

D'autant plus que le malade est loin d'être guéri ?

Donc, il n'est pas question de retirer les béquilles d'un seul coup. En revanche, il faudra au fur et à mesure que la croissance se stabilise, se solidifie, se consolide, retirer les mesures de relance, petit à petit, tranquillement.

Dans quels délais vous imaginez ça ? Parce que les entreprises attendent des crédits, les entreprises attendent qu'on les aide, qu'on les soutienne ?

De toute façon, le plan de relance doit aller à son terme. Vous savez que une partie était financée sur 2009, une partie sur 2010, donc, sur 2010 ça va continuer. Et puis, il y a des mesures que j'espère nous maintiendrons. Je pense aux entreprises, en particulier à l'exonération de taxe professionnelle sur les investissements productifs ; je pense au crédit impôt-recherche, dont le remboursement sera pérennisé au titre de l'année 2010. Donc, voilà, des mesures qu'on envisage déjà.

Mais à partir de Pittsburgh, est-ce que vous pouvez dire que cette réunion, ce G20 est utile, qu'il va rétablir d'une certaine façon la croissance et d'abord la confiance dans les opinions inquiètes ?

Si accord il y a un peu plus tard dans la journée à Pittsburgh, ce sera fondamental. Pour deux raisons : parce que ce sera un signal collectif du soutien à la croissance, et surtout parce que ce sera la détermination collective de la discipline dans le secteur financier, de la mesure et de la halte aux risques démesurés.

On y va, on est proche ?

On n'est pas encore au bout et il faut de toute façon l'accord politique définitif, plus tard dans la journée.

Et, aujourd'hui, le G20 se met d'accord pour qu'au Fmi et à la Banque mondiale, les pays les plus représentés, l'Europe, la Russie, l'Arabie Saoudite, fassent plus de place à d'autres, pour mieux refléter le nouveau monde issu de la crise ? Vous pensez qu'on y arrivera et on sent que les Chinois seront, et ils le disent déjà, les premiers bénéficiaires ?

C'est encore un point qui est en débat, à l'heure où je vous parle.

Pour le G20, est-ce que Pittsburgh est une étape, je veux dire est-ce qu'il va continuer, est-ce qu'il v a y avoir d'autres rendez-vous, peut-être pas en 2009 mais en 2010 ?

Ca a toujours été la position du président de la République. Le G8, le G7, très bien ! Mais se réunir sans les Chinois, sans les Brésiliens, sans les Indiens, ça n'a pas de sens. Donc, le G20, aujourd'hui, correspond bien plus à une expression collective qui représente véritablement 85 % du Produit intérieur brut mondial.

Est-ce que vous confirmez que le choix du Canada et de la Corée du Sud est pratiquement assuré pour les prochains G20 ?

Ce que je peux vous dire, c'est que c'est assuré pour le "G20 Finance", parce que nous, de toute façon, les ministres des Finances, se réuniront au Canada, puis en Corée. Je crois que la logique ça serait que les chefs d'Etat et de Gouvernement poursuivent ces réunions et instituent véritablement un rendez-vous de coordination et de discipline mondiale dans un domaine économique et financier où c'était tellement nécessaire.

Vous n'arrêtez pas de discuter- les chefs d'Etat aussi -, avec vos collègues du G20. Est-ce que vous sentez qu'il y aura des progrès vers une coordination des politiques économiques mondiales et que d'une certaine façon, le G20 est le lieu privilégié de gouvernance politique de la planète ?

La coordination économique mondiale, on en a besoin. Cela a été clair pendant la crise, c'est clair en sortie de crise. Les problèmes sont d'ordre mondial, et c'est sans doute une des meilleures instances, parce qu'à 20 on peut arriver à travailler pour faire avancer les choses.

Est-ce que c'est un lieu comme un noyau de ce qui peut devenir la gouvernance politique, économique du monde ?

Au cours des douze derniers mois, elle l'a prouvé. Un groupe de 20 pays représentant 85 % du monde économique peut faire avancer les choses. Regardez, sur les paradis fiscaux, sur la rémunération, sur la supervision, sur la réorganisation des institutions financières comme le Fonds monétaire ou la Banque mondiale, le G20 a pu changer les choses.

Il est utile ?

Bien sûr qu'il est utile.

Alors, on peut dire tant mieux pour les citoyens. Je vous remercie.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 25 septembre 2009