Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "France Inter" le 22 septembre 2009, sur le débat autour du changement de statut de La Poste, et sur les enjeux de la réunion du G20 de fin septembre.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

N. Demorand.- Grève à la Poste, contestation du changement de statut de l'entreprise ; "c'est la privatisation certaine", disent les syndicats pour le formuler en quelques mots. Que répondez-vous ?

Que ce n'est pas une privatisation. Ce que nous prévoyons c'est de réorganiser La Poste pour permettre de la renforcer. Cette magnifique institution a besoin de capitaux, elle a besoin de capitaux dans un contexte où, compte tenu de la réglementation européenne, le marché va s'ouvrir à la concurrence. Donc se renforcer en capital, ça veut dire recevoir plus d'argent pour être plus forte. Qu'est-ce que nous prévoyons ? Nous prévoyons en toute hypothèse que l'actionnariat reste public. Une institution qui s'appelle la Caisse des Dépôts et Consignation, qui est une grande institution, sous le contrôle du Parlement, qui sera appelée à participer au capital de La Poste. Mais en tout état de cause, les missions de service public, c'est-à-dire ce qui compte pour les Français, la distribution du courrier, la distribution de la presse, la possibilité d'aller ouvrir son Livret A, d'aller retirer de l'argent, d'aller en remettre, y compris dans des toutes petites quantités, tout ça c'est inchangé, ce sera garanti par le texte de loi.

Et pourtant, les précédents indiquent souvent que les évolutions de statuts des entreprises publiques sont la première étape vers la privatisation. Et on entend beaucoup l'exemple de GDF aujourd'hui : "jamais elle ne sera privatisée", avait dit le président de la République à l'Assemblée nationale. Jamais, jamais, jamais, au grand jamais ! Eh bien cela n'a pas été le cas. Alors qui croire ?

Il faut croire la détermination que nous avons de préserver les services pour les usagers. C'est ça qui est important. Ensuite, que le capital soit ouvert à la CDC, ou que ce ne soit pas ouvert, ce n'est pas ça qui est déterminant, ce qui est déterminant c'est le service pour l'usager, ce sont les missions de service public, c'est le fait que dans tous les points où, aujourd'hui, il y a un bureau de poste ou un point poste, nous garantirons que ces bureaux de poste ou ces points poste restent en l'état, et continuent leur mission d'aménagement du territoire, qui relève là aussi de la mission de service public.

Mais pourquoi l'Etat ne paye-t-il pas sa facture à La Poste ? C'est ce que disait O. Besancenot ici, hier, à ce micro, postier, en plus de faire de la politique. Il disait que l'Etat doit des sommes d'argent faramineuses à La Poste, et "on aimerait bien les récupérer", en substance...

Je ne pense pas qu'il passe beaucoup de temps à distribuer le courrier monsieur Besancenot...

"70 % du temps", a-t-il hier...

Tant mieux, c'est bien. La Poste, c'est une institution qui aujourd'hui dégage de l'argent, c'est une institution qui fonctionne en étant efficace. Il n'est pas question de devoir de l'argent à La Poste. La Poste fonctionne, elle génère un bénéfice, il y a une Banque postale, dont je souligne au passage qu'elle s'est particulièrement bien comportée dans la crise, donc il n'y a pas d'état d'âme à avoir sur le sujet.

Et pas de référendum, comme le demande le PS sur le sujet, pour consulter les Français ? Cela n'en vaut pas la peine ?

Non...

C'est quand même une entreprise importante dans le paysage ?

Mais c'est une institution importante dans le paysage, c'est pour cela que je n'utilise pas vraiment le mot "entreprise", encore que il y a un vrai esprit d'entreprise dans toute La Poste, mais c'est une institution importante. On est contents d'avoir son bureau de poste, on est contents d'avoir un véritable contact, et ça, il faut à tout prix le maintenir, quoi qu'il arrive.

Donc, il n'est pas question, dernier mot, de revenir sur cette réforme ?

Non, mais pas du tout, pas du tout ! C'est évidemment la modernisation, c'est la possibilité pour La Poste d'investir, de devenir plus moderne, de gérer la situation de l'après-courrier. Savez-vous que le volume du courrier est en baisse constante, parce qu'on s'envoie des e-mails, on utilise des moyens électroniques. Il faut absolument que La Poste prenne ce virage-là, et surtout qu'elle ne se laisse pas distancer et qu'elle soit en bonne situation de concurrence.

Parlons du G20. A la Une du Figaro ce matin, "la France durcit le ton avant le G20", grand entretien avec H. Guaino, conseiller spécial du président de la République. Pourquoi durcir le ton ?

Le G20, c'est quoi ? Cela va être la réunion, en fin de semaine, des chefs d'Etat et de gouvernement de 20 pays qui représentent 80 % du PIB mondial. Cela veut dire que ça engage un gros paquet de l'humanité. On n'y retrouve pas seulement les Français, les Allemands, les Italiens, les Anglais pour l'Europe, mais aussi les Chinois, les Indiens, les Russes, les Coréens, les Saoudiens, les Américains. Et à 20, ces chefs d'Etat et de gouvernement vont essayer de faire plusieurs choses. La première chose, c'est de donner un signal très fort pour continuer les plans de soutien à l'économie, puisque ce qui a été fait au cours des douze derniers mois, ça nous a permis de stabiliser la chute. Maintenant que "le malade", si j'ose dire, est sur ses béquilles, il ne s'agit pas de lâcher les béquilles et de le laisser retomber, il faut continuer l'effort, il faut le soutenir. Premier message. Et j'espère qu'on aura un accord sur ce point-là. Deuxième message, parce que la crise ne sera pas terminée tant qu'on n'aura pas traité le mal à la racine, premièrement, et deuxièmement tant que les économies n'auront pas recommencé à créer de l'emploi, il faut absolument qu'on régule le système financier de manière efficace, et de manière globale, parce qu'on ne peut pas le réguler dans un coin de la planète et laisser le reste de la planète en zone d'ombre. Alors sur ce terrain-là, nous, on a des exigences. Première exigence : nous voulons que le système fou des bonus, tel qu'il a été vécu au cours des dernières années, arrête. Pourquoi ? Pas pour persécuter les traders, ce n'est pas l'objet, mais pour simplement mettre un système en règle avec les politiques de risques des banques. Si vous donnez à un jeune opérateur de marché, brillant, talentueux, des incitations à faire tourner les portefeuilles, à prendre des décisions très rapides, à toujours maximiser le profit de court terme, on a ce qu'on a aujourd'hui, c'est-à-dire une crise financière sur les bras à gérer. Ça, on ne le veut plus.

Il n'y aura pas de plafonnement de ces bonus ?

Nous voulons des règles qui puissent jouer partout, parce que, même chose, si on règle un petit morceau de la planète et qu'on laisse en jachère le reste, les mauvaises herbes iront dans la jachère. Donc il faut que ça puisse s'appliquer partout.

Elle est où sur terre cette jachère ?

...Et donc, il faut impérativement qu'il y ait...

C'est quoi : c'est les Etats-Unis, c'est où C. Lagarde ?

...Il faut impérativement qu'il y ait un encadrement des bonus, et c'est ce à quoi je passe actuellement mes jours et une bonne partie de mes nuits, puisqu'on est en négociations sur les éléments du communiqué, il faut impérativement que, premièrement, les bonus garantis soient interdits ; on ne peut pas dire à un opérateur de marché : "quoi que tu fasses, même si tu fais des pertes, pas de problème mon garçon, tu toucheras des milles et des cents, quoi qu'il arrive", ça ce n'est pas possible ! Deuxièmement, il faut qu'on introduise le facteur temps, parce qu'il ne faut pas que quelqu'un soit uniquement géré dans le court terme ; nos vies elles ne sont pas du court terme ; les relations contractuelles ce n'est pas du court terme, il n'y a donc pas de raison que la rémunération d'un opérateur soit dictée par le court terme. Donc, il faut qu'on diffère sur des périodes de trois ans le paiement et le droit à bonus, pour que ce qu'un opérateur aura réalisé en 2010, eh bien on vérifie qu'en 2011 et en 2012 ça fonctionne et que ce soit une opération réussie.

Voilà, donc, pas de plafonnement, mais ce dispositif-là, à travers le temps ?

Et un troisième élément, qui est un bonus-malus ; il faut qu'on gagne si on a été très bon, mais il faut qu'on perde si on a été mauvais. Donc, ces trois éléments sont déterminants, et il faut aussi que dans les établissements qui sont en difficulté, qui font appel par exemple aux deniers publics, à notre argent, de contribuables, il faut que là il y ait une autorité de supervision de marché qui puisse entrer dans le système de rémunérations et dire : ça, ce n'est pas possible, c'est non.

Dernière question : êtes-vous favorable, comme semble le souhaiter H. Guaino, à ce que les activités de dépôt et les activités de marché des banques soient séparées ? Ce fut le cas par le passé.

Oui, c'était le cas aux Etats-Unis, il y a fort longtemps, c'est ce qu'on appelle "the glass steagall act" : d'un côté, on mettait les banques d'affaires, de l'autre côté, les banques de dépôts.

C'était pendant "les Trente glorieuses" et H. Guaino dit : "elles ont été glorieuses les Trente glorieuses, donc, ça n'a pas empêché l'économie d'être florissante". Oui, certes, mais... Je ne vous sens pas très réceptive là-dessus.

D'abord, je suis ouverte à toutes les propositions intelligentes...

Et celle-là, quel est son statut alors ?

Il faut l'examiner, et il faut l'examiner à l'aune de la réalité d'aujourd'hui. On ne va pas toujours dupliquer ce qui a été fait dans le passé, on peut peut-être essayer d'inventer un peu. Ce que j'observe aujourd'hui, c'est que les banques qui ont entraîné le système vers sa perte, c'était des banques d'affaires, ce n'était pas des banques de dépôts. Lehman Brothers, qui nous a tous plombés il y a un an, c'était une banque d'affaires. Donc, la distinction banques d'affaires-banques de dépôts, je ne suis pas sûre que ce soit le remède absolu à la situation de crise actuelle. En revanche, que les banques doivent accumuler du capital, avoir des réserves, se prémunir contre le risque quand elles ont des profils de risques, alors là, oui, des deux mains.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 septembre 2009