Texte intégral
Interview à LCI le 14 mai 2001 :
Q - Ministre délégué chargé des Affaires européennes, vous étiez aujourd'hui à Bruxelles pour parler avec vos homologues du problème de l'élargissement. On y reviendra dans un instant mais évidemment, vous avez évoqué entre vous, et vous avez parlé avec quelques journalistes, de ce qui s'est passé en Italie. Vous avez dit que l'élection de Silvio Berlusconi n'était pas une bonne nouvelle pour les gens d'une certaine sensibilité. L'exégèse de cette expression ne signifie-t-elle pas que Berlusconi est de droite, vous, de gauche... et que, donc, cela vous chagrine un peu...? Mais n'y a-t-il pas davantage que cela ?
R - Il y a autre chose. Mais, c'est vrai que pour un homme de gauche qui soutenait Francesco Rutelli et l'Olivier, ce n'est pas une bonne nouvelle. Mais, par ailleurs, il s'est passé quelque chose en Italie. Il ne faut pas, pour autant, en inférer une modification des relations avec ce pays. D'abord, on est passé de la gauche à la droite. Mais c'est une coalition qui comporte plusieurs types de partis. Il y a celui de M. Berlusconi - Forza Italia -, dont on connaît la situation (peut-être les Italiens d'ailleurs demanderont-ils un jour des comptes sur une certaine confusion d'intérêts publics et privés ?) : c'est un parti dont les options sont floues mais qui sont des options de droite classique en Europe. Il y a aussi d'autres partis plus ambigus : l'ex-parti fasciste, qui a au moins le mérite d'avoir abjuré le fascisme, ce qui n'est pas, par exemple le cas du parti de M. Haider en Autriche ; le parti de M. Bossi qui est un parti xénophobe et qui a fait un très mauvais score. Donc, M. Berlusconi ne paraît pas, a priori, prisonnier de ses alliances. En même temps, il faut rester vigilant et attentif. Hubert Védrine le disait ici même ce matin : il n'y a pas de raison d'envisager une modification des relations entre l'Union européenne et l'Italie. Les Italiens ont voté massivement, démocratiquement. C'est un choix qui les regarde. Nous l'acceptons.
Q - Vous utilisez ce mot de "vigilance". Je crois qu'Hubert Védrine a dit que c'était l'état d'esprit des Européens, c'est-à-dire des 14 autres pays de l'Union européenne. Mais au nom de quel magistère ?
R - Tout simplement de ce qui nous rassemble. Il y a deux points de vue : d'abord, celui des valeurs. Nous avons adopté à Nice une charte des droits fondamentaux. Ces valeurs doivent être respectées par chacun, et pas spécialement par M. Berlusconi, pas plus par lui que par un autre. Elles doivent être respectées par nous, par les Autrichiens, par les Allemands, par les Anglais...
Q - Est-ce que M. Berlusconi a dérogé à ces valeurs ?
R - Non, c'est ce que je viens de dire. Il n'y a aucune raison de le supposer, sauf que, si je prends les cas de coalitions de droite en France, nous n'avons jamais eu un parti comme la Ligue au pouvoir. Jamais. Nous n'avons jamais eu un parti post-fasciste au pouvoir. Donc, la situation peut-être davantage une situation d'attention que de vigilance. Nous serons très attentifs à ce qui se produit. Il y a, par ailleurs, un deuxième point de vue, qui est celui de la politique : l'Italie est un grand partenaire de l'Union européenne, nous souhaitons qu'elle le demeure. Nous souhaitons que l'Italie, qui est un des pays fondateurs de l'Union européenne, reste un pays aussi engagé qu'elle l'a toujours été dans l'aventure européenne.
Q - Mais elle observe ni mieux, ni moins bien les directives européennes que la France. On entend la France donner des leçons d'européanisme à l'Italie alors que nous ne sommes pas parmi les meilleurs élèves !
R - Ce n'est pas du tout ce que j'ai fait ! Je dis simplement que l'Italie est un pays fondateur de l'Union européenne. Il ne s'agit pas d'appliquer des directives. Il s'agit de l'état d'esprit dans lequel on est. Honnêtement, la France est un pays qui a une histoire européenne. Nous sommes les fondateurs avec les Allemands de cette aventure européenne. Donc, ne nous jetons pas non plus de la cendre sur les épaules. Si nous évoquons là la politique européenne, c'est simplement parce qu'il y a un nouveau gouvernement. Nous souhaitons que la politique européenne reste dans une continuité. Autrement dit, je préfère une politique "à la démocrate-chrétienne" à une politique "à la Bossi". Je ne voudrais pas que la politique européenne de cette coalition soit celle que préconise M. Bossi, c'est-à-dire une politique non-européenne. Ce n'est pas un jugement de valeurs, mais c'est une attente.
Q - Comment analysez-vous le succès de Berlusconi ?Est-ce sa campagne ? Ses propos qui annoncent qu'il va diriger l'Italie comme une entreprise ? Est-ce l'échec de la gauche qui n'a pas réussi un certain nombre de réformes ?
R - Je ne dirais pas que je n'en sais rien parce que ce n'est pas vrai. Mais je ne suis pas là pour commenter un vote que les Italiens ont émis. On ne peut pas à la fois dire que ce vote est démocratique - et je le dis -, dire qu'il s'agit d'une alternance que l'on reconnaît - je le dis aussi -, dire qu'on est attentif à ce qui va se passer et commenter un vote ! Encore une fois, je suis un militant de gauche. J'aurais souhaité que l'Olivier gagne. J'imagine qu'il y a eu, comme toujours dans une élection, une volonté de changement. Cette volonté de changement s'est tournée vers l'offre politique du moment, une offre politique que nous n'avons pas en France - et j'allais dire, d'une certaine façon, heureusement...
Q - Mais les expressions de vigilance, avant même le scrutin, voire les menaces, les commentaires très défavorables vis-à-vis de Forza Italia, n'ont-ils pas contribué à pousser les électeurs italiens à aller vers Berlusconi, parce qu'ils étaient las de se voir dicter ce qu'ils devaient faire ?
R - Vous observerez que cela ne vient pas des politiques. Un certain nombre de très grands médias - je pense à "The Economist", un journal anglais très sérieux, mais aussi à "El Mundo" et au "Monde" - avait critiqué un aspect de la personnalité de Berlusconi, c'est-à-dire la confusion entre les intérêts publics et privés, puisqu'il possède déjà trois des six chaînes de télévision et que maintenant, les trois autres étant publiques, elles sont sous contrôle du Parlement. Il y a donc là une position dominante qui peut paraître à certains critiquable... Les Italiens n'y ont pas été très sensibles. Je n'irai pas jusqu'à dire, comme d'autres pendant la campagne des élections municipales à Paris, qu'il y a eu une prime à je-ne-sais-quoi. En même temps, constatons cela. Je ne crois pas que cela ait poussé les Italiens à voter pour Berlusconi mais, en même temps, - et c'est assez logique - ils se sont dits qu'ils n'aimaient pas que l'on se mêle de leurs affaires. C'est ce que se disent les électeurs en général. Ils n'aiment pas se voir imposer leur vote de l'extérieur. Cela dit, j'observe que Berlusconi n'a pas eu un triomphe. La gauche a fait un score honorable. Elle a des positions fortes et elle saura se faire entendre. Donc, c'est une alternance démocratique dans un pays démocratique avec une ampleur normale, quand les électeurs manifestent un désir de changement. Ce n'est pas un désaveu, ce n'est une honte pour nos amis de la gauche italienne, dont je rappellerai qu'ils ont travaillé extrêmement bien, et pour leur pays, et pour l'Europe. J'ai le souvenir, lorsque nous sommes arrivés en 1997, que l'on disait que ces "pays du Club Méditerranée" ne seraient jamais membres de l'euro. Ils le sont ! Ils ont discipliné leur économie, leur déficit budgétaire. Beaucoup de bon travail.
Q - C'est peut-être d'ailleurs aussi pour cela que les Italiens ont réagi !
R - Non, je ne crois pas que cela ait pesé beaucoup là-dedans. Mais c'est vrai, en revanche, qu'il y a eu une forme d'instabilité au sein de la gauche : trois Premiers ministres en quatre ans, et puis un nouveau leader. Tout cela a peut-être pesé.
Q - Le fait que la gauche n'ait pas résolu un certain nombre de problèmes, comme les retraites, la réforme de l'Etat, la modernisation de l'administration, cela vous fait-il penser à ce qui se passe quelquefois en France ?
R - Pas du tout. Les choses sont très différentes. Il n'y a pas eu la même situation de stabilité, de cohérence qu'il y a eu en France. Nous avons, nous, le même Premier ministre depuis quatre ans, un Premier ministre qui fait son travail et qui le fait bien. Et nous avons fait beaucoup de réformes, beaucoup.
Q - Pour rester sur l'Europe, je rappelais tout à l'heure que nous n'étions pas très bon élève. Pour 2000, 25 % recours en manquement, 93 directives n'ont pas été transposées dans le droit français. Vous, le ministre chargé des Affaires européennes, vous devez trouver que c'est beaucoup, non ?
R - Je le regrette profondément. Il y a d'abord une sédimentation de retards, qui remonte à extrêmement loin.
Q - Il y a des directives que l'on met plus de 19 ans à mettre en oeuvre !
R - C'est vrai qu'en France, il y a une réticence : on ne sait pas d'où elle émane, peut-être de ce qu'on appelle la bureaucratie, peut-être aussi une certaine tradition qui veut que l'on soit plus attaché à l'identité française. Nous avons fait de très gros efforts car vous avez cité 93 directives. Il fut un temps, pas si lointain, où il y en avait plus de 150 ! Ce gouvernement a fait beaucoup dans ce sens-là pour transposer les directives, y compris en créant des textes qui portent diverses dispositions d'ordre communautaire (les DDOC). On a même procédé par des ratifications par ordonnances. Mais il reste un effort à faire. Je souhaite, effectivement, que mon pays se conforme à ses propres décisions car les directives, rappelons-le, ne nous ont pas été imposées par la Commission, mais ont été adoptées par le Conseil, donc par nous-mêmes.
Q - Comme par exemple la directive sur la régularisation du marché gazier ?
R - Oui...
Q - On a dit qu'il fallait aller plus vite.
R - Nous n'avons pas dit qu'il fallait aller vite. A Stockholm, nous avons dit au contraire que nous ne souhaitions pas aller trop vite dans la libéralisation des services publics.
Q - Trouvez-vous que c'est sain qu'un pays européen, pour des raisons évidentes, qui sont des raisons d'approche des élections, pour ne pas mécontenter le parti communiste, la CGT, des raisons de statut, diffère une décision qu'il a lui-même ratifiée ? Il s'agit donc de la libéralisation du marché du gaz et de l'ouverture de Gaz de France à la concurrence.
R - Vous pensez bien qu'une telle procédure ne nous a pas pris complètement au dépourvu. Je rappellerai que, comme toujours, lorsque s'ouvre une procédure, chacun a le droit de se défendre. Donc, le cas n'est pas jugé, car nous pensons que l'adaptation de la directive sur la libéralisation du marché du gaz n'implique rien quant à la propriété du capital de l'entreprise GDF. C'est la différence.
Q - Je ne parle pas de l'ouverture du capital.
R - Mais, moi, c'est de cela dont je vous parle. Nous pensons avoir pris les dispositions nécessaires pour l'ouverture de notre marché. On nous reproche implicitement de ne pas avoir accepté la privatisation de l'entreprise publique. Voilà de quoi il s'agit.
Q - Mais on a ouvert le marché ?
R - Je pense qu'il est en cours d'ouverture.
Q - Il devait y avoir une loi au Parlement, elle n'a pas été votée. Le projet de loi n'a pas été proposé au Parlement.
R - Nous allons plaider ce cas à Bruxelles. Je vous vois en grand défenseur du libéralisme. Pour notre part, nous pensons avoir fait nos choix politiques.
Q - Je pensais que vous étiez un grand défenseur des directives européennes !
R - Je suis un grand défenseur des directives européennes et un grand défenseur du service public. J'ai toujours pensé que ces deux choses n'étaient pas contradictoires. Le fait d'être dans un vaste marché intérieur n'empêchait pas qu'on affirme le rôle, la place des services publics en France et en Europe. C'est de cela qu'il a été question à Lisbonne, dans certains termes, et à Stockholm, dans d'autres. Je suis plutôt content que nous ayons fait bouger les Européens à un rythme plus maîtrisé, vers un meilleur équilibre entre marché intérieur et services publics. Je continuerai à me battre pour cela. En tant qu'Européen et en tant que Français.
Q - Au 1er janvier, la France, comme les autres membres de l'euro, les Onze, va passer à la monnaie commune et unique...
R - Unique, pas commune. Elle sera commune, mais surtout unique. Certains la voudraient commune, mais nous, nous la voulons unique.
Q - Le Premier ministre a dit, dans des termes techniques, qu'il fallait faire un certain nombre de choses pour préparer cela dans les meilleures conditions. Mais il y a le problème du sens de l'Europe. Alors pourquoi tarde-t-il tant à donner sa propre vision de l'Europe et pourquoi est-on toujours à la remorque de l'Allemagne ?
R - D'abord, un mot sur l'euro. Effectivement, il y a deux problèmes dans l'euro. Il y a un problème technique. Je suis persuadé qu'il n'y aura pas davantage de "bug de l'euro" qu'il n'y a eu de "bug de l'an 2000". Techniquement, nous serons prêts et le gouvernement tout entier est mobilisé. Le Premier ministre, dans une réunion de ministres exceptionnelle la semaine dernière, nous a fait passer le message en ce sens-là. Et il y a la dimension politique et psychologique. Il faut effectivement rappeler pourquoi nous faisons l'euro. Nous le faisons pour peser dans le monde, pour que l'Europe soit capable de résister à la mondialisation, pour éviter les fluctuations de change. Il va falloir répéter cela. C'est le sens des campagnes de communication et de sensibilisation, car il ne faut pas qu'il soit perdu de vue que nous avons bien fait de choisir cette monnaie, qui est déjà la nôtre.
Q - Et donc il faut préciser la vision que l'on a de cette Europe...
R - Absolument. L'euro est un élément de l'Europe, mais ce n'est pas le seul. C'est en quelque sorte le couronnement monétaire de l'union économique, mais il y a bien d'autres aspects. Et donc, il y a l'Europe politique. Vous avez dit que la France était en retard par rapport à l'Allemagne. Je conteste cette version des choses. Nous avons eu, il y a 6 mois, un sommet sous Présidence française à Nice. Nous avons signé un traité qui va être ratifié par notre Parlement assez rapidement.
Q - En juin ?
R - Je pense, sans problème, dans la mesure où il a été signé sous l'égide d'un Conseil européen que présidait Jacques Chirac avec Lionel Jospin à ses côtés. La logique voudrait qu'au Sénat et à l'Assemblée nationale, une majorité soit rassemblée. Mais c'est un traité qui a de bons aspects et des aspects insuffisants. Compte tenu de ces aspects insuffisants, nous avons tous décidé de lancer un grand débat sur l'avenir de l'Europe à l'horizon 2004. Nous devons alors arriver à définir quelque chose qui pourrait être, par exemple, une Constitution européenne. Maintenant, chacun apporte ses contributions. Le SPD l'a fait, avec un texte, sous l'égide de son président, qui est le chancelier Schröder.
Q - Joschka Fischer s'est exprimé ; ensuite, Jacques Chirac a parlé. Gerhard Schröder s'exprime ; on se dit que, bientôt, Lionel Jospin va parler...
R - Lionel Jospin va parler très bientôt, dans le courant du mois de juin.
Q - Vous ne trouvez pas regrettable qu'on ait le sentiment de se déterminer toujours par rapport aux positions allemandes ?
R - Mais il ne s'agira pas de se déterminer par rapport aux propositions de Gerhard Schröder ! J'ai lu, ici ou là, qu'il fallait répondre à Schröder. Il ne s'agit pas de lui répondre, de le contredire, de le critiquer, de le copier, mais il s'agit de dire ce que nous, nous pensons. Et ce que Lionel Jospin fera, ce n'est pas une réponse circonstanciée à Gerhard Schröder. Ce sera l'expression de sa conviction. Il dira l'Europe qu'il veut et il le dira de tous points de vue. Il dira à la fois quel doit être le contenu de l'identité européenne, du projet européen, quelles doivent être les institutions de cette Europe. Car il ne faut pas non plus se livrer à un concours de beauté. Si on fait des discours pour savoir quelle est la place respective de la Commission, du Conseil, du Parlement, ceux qui nous écoutent - et ils sont nombreux - n'y comprennent peut-être pas grand chose. Ce qui importe, c'est de faire de bonnes institutions, pour mener de bonnes politiques. Dire quel rôle doit jouer l'Europe dans notre vie, comment nous souhaitons qu'elle marche et peut-être aussi comment nous souhaitons quelle soit une expression plus démocratique des intentions de nos concitoyens. Ce sera cela le discours de Lionel Jospin, un discours de fond.
Q - Quand vous regardez le projet qui a été présenté par Gerhard Schröder, avez-vous le sentiment que c'est l'expression d'une certaine volonté de constituer une Europe germanique, allemande, au sens où, pour ce qui est de la solidarité, on en fait un peu moins, on se rassemble sur le territoire allemand, mais en revanche, on veut davantage de pouvoirs pour le Parlement européen, on veut Europol... ?
R - Je dirai les choses un peu différemment.
Q - Redoutez-vous cela ?
R - Non, je ne le redoute pas, mais j'ai la sensation que le texte du SPD, qui n'est pas l'expression du gouvernement, même si c'est quelque chose d'un peu subtil à comprendre...
Q - J'ai cru comprendre qu'au dîner, l'autre soir, rue de Longchamp, quand Jacques Chirac a demandé à Gerhard Schröder si c'était bien son texte, ça l'était !
R - Je crois que le président de la République a raison, au sens où ce texte est un texte du SPD et pas un texte du gouvernement. En même temps, peut-être le bouchon était-il poussé un peu loin quand on expliquait qu'il n'avait rien à voir. Donc, le chancelier Schröder a eu raison de dire qu'il connaissait le président du SPD, puisque c'était lui-même. Mais j'en reviens au fond de l'affaire. Ce que propose le texte du SPD c'est, au fond, une Europe peu intégrée, avec des institutions très intégrées, très fédérales, et pour le coup, des institutions à l'allemande. Une Europe peu intégrée : par exemple, on propose de renationaliser la politique agricole commune, qui est tout de même le cur de l'Europe de 1957 ; on propose de mettre fin aux politiques de solidarité, de type politique régionale. Pourtant, ce sont celles qui permettent de construire des écoles, des routes ou des universités dans nos provinces. En même temps, on propose des institutions où le Conseil des ministres, c'est-à-dire l'émanation des Etats, des nations, des peuples, devient une deuxième chambre du Parlement européen. Donc, on a à la fois des institutions très intégrées à l'allemande, fédérales - pas le fédéralisme d'Etats-nations mais le fédéralisme pur - et de l'autre côté, des politiques de fond qui ne sont pas suffisamment communautaires. Ce n'est pas la vision française. Je ne crois pas que ce sera celle que développera le Premier ministre. Il ne s'agit pas de contredire Gerhard Schröder, mais de dire ce que nous croyons. S'il y a un fédéralisme à l'allemande - et cette expression n'est pas critiquée par certains - pourquoi n'y aurait-il pas un fédéralisme à la française ?
Q - On y verra un peu plus clair quand Lionel Jospin se sera exprimé. Je rappelais que vous étiez à Bruxelles aujourd'hui. On y a discuté du problème de l'élargissement. Au prochain sommet à Göteborg, arrivera-t-on à un calendrier ? Autrement dit, arrivera-t-on à dire à un certain nombre de pays, comme la Pologne, qu'ils pourront entrer dans l'Union à telle date ?
R - Cette question est assez mal posée. Je pense qu'il serait prématuré de donner aujourd'hui le fil directeur que l'on va suivre pour chaque pays et les dates d'entrée de chaque pays.
Q - Ils attendent cela avec impatience !
R - C'est exact. Mais on entre maintenant dans le cur des négociations. A Bruxelles, aujourd'hui, on a constaté certaines difficultés. Nous ne sommes pas parvenus à conclure le dossier sur la libre circulation des travailleurs, sur la politique régionale. Nous avons de très grandes questions devant nous, par exemple celui de l'avenir de la politique agricole commune, de la justice et des affaires intérieures... Donc, c'est maintenant que l'on entre dans ce débat et je crois que prendre des engagements risquerait presque d'être imprudent, ou même, serait pénalisant pour certains pays candidats. En revanche, il y a une date qu'il faut affirmer : en juin 2004, il y a les prochaines élections au Parlement européen. Il est possible, il est souhaitable, il faut qu'il y ait, dans ce Parlement européen, des représentants des nouveaux Etats membres de pays d'Europe centrale et orientale. Il faut donc que nous fassions tout pour que ces traités soient, non seulement signés, mais ratifiés, à ce moment-là. Voilà une date ! Cette date a commencé d'être affirmée à Nice. Nous sommes pour qu'on la renforce, sans pour autant nous enfermer dans un carcan contraignant, car il risquerait d'être un faux rendez-vous, un leurre pour les pays candidats et artificiel pour les pays membres.
Q - Donc, je retiens cette date pour un certain nombre de pays. Cela signifie-t-il qu'ils auront les mêmes droits et les mêmes devoirs que les autres pays, par exemple sur la libre circulation des travailleurs ?
R - Rappelons une chose. Ce n'est pas le premier élargissement pour l'Union européenne. Nous étions six au départ, nous avons été neuf, dix, douze, quinze. A chaque fois qu'il y a un élargissement, certains pays candidats - c'était le cas de l'Espagne, du Portugal - demandent des dérogations ou des périodes transitoires, lorsque ce n'est pas l'Union européenne qui le demande elle-même. Sur la libre-circulation des travailleurs, ayons un peu de mémoire. Nous, Français, nous avions demandé aux Espagnols et aux Portugais une période transitoire en 1986. A l'usage, nous nous sommes aperçus qu'il n'y avait pas tant de problèmes et nous l'avons réduite. Je pense que c'est ce qui se passera cette fois-ci. Il n'est pas anormal de demander des périodes transitoires. Cela ne signifie pas qu'ils n'ont pas tous les droits mais que ces droits s'introduisent progressivement. Je suis persuadé qu'en pratique, on découvrira que le phénomène n'est pas si grave et qu'on ira assez vite. Il n'y a pas de membres de deuxième classe dans l'Union européenne. Il y a une adaptation progressive de l'acquis communautaire, qui est parfois complexe.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 mai 2001)
Interview à Europe 1 le 16 mai :
Q - Je ne sais pas si vous avez lu Libération ce matin, mais il y a beaucoup de commentateurs qui vous reprochent, ou en tout cas qui reprochent à la classe politique française, une vigilance trop molle à l'égard de Silvio Berlusconi.
R - Il y en a aussi beaucoup qui nous reprochent une vigilance trop forte. C'est notamment le cas d'à peu près toute la droite française. J'ai lu des déclarations de M. Giscard d'Estaing, de M. Fillon, de M. Balladur. Pour eux, M. Berlusconi est, semble-t-il, une sorte d'exemple. Je crois que notre attitude, en réalité, est tout à fait adaptée - c'est d'ailleurs ce que soulignait Libération ce matin. Nous savons que c'est une victoire, qui n'est pas comme les autres : d'abord, parce que c'est la victoire d'un parti-entreprise et c'est une innovation en Europe ; ensuite, parce que l'homme, qui dirige cette coalition, concentre désormais sur lui beaucoup de responsabilités publiques et privées et ça aussi, c'est original en Europe ; enfin, parce qu'il a des alliés qui sont un peu particuliers, des post-fascistes - c'est le parti de M. Fini - même s'ils ont abjuré le fascisme, et des xénophobes - c'est le cas de M. Bossi. En même temps, on est obligé de reconnaître que, d'une part, c'est un vote démocratique, c'est l'alternance, c'est le changement et que d'autre part, les alliés de M. Berlusconi ont été réduits, notamment M. Bossi. Donc, il faut être attentif à ce qu'ils font, mais il n'y a aucune raison de porter une suspicion. D'où, notre mot : être attentif et s'il le faut, vigilant, mais, en même temps, nous n'avons pas de suspicion particulière par rapport à ce gouvernement.
Q - Je ne vais pas vous demander, évidemment, de révéler ce que sera à l'avance le projet de Lionel Jospin. Il va le faire. Mais peut-on en avoir l'idée directrice ? Maintenant, on se rend compte que l'on approche d'échéances très importantes, comme le rappelait François Clémenceau, et qu'il va bien falloir que la France ait dans ce domaine, en tout cas du côté de Matignon, une position.
R - D'abord, nous n'avons pas qu'une position. Nous avons tout de même une pratique. Et nous avons aussi des engagements. Que faisons-nous depuis quatre ans ? Nous avons, d'abord, essayé de réorienter la construction européenne vers la croissance et l'emploi. Ce sont des sujets dont on ne parlait jamais en Europe depuis 1997. Maintenant, on consacre, chaque année, un sommet à ces questions-là. On a fait bouger les objectifs de l'Union européenne. Il ne s'agit plus uniquement de lutter contre l'inflation, mais d'avoir pour objectif la croissance et l'emploi. Ensuite, nous avons un grand rendez-vous qui est celui de l'euro. Souvenez-vous, en 1997, la dissolution a été faite un peu à cause de ces interrogations. Nous l'avons fait. Enfin, il y a une volonté politique, qui est d'aller vers une Europe construite, structurée, qui soit à la fois fédérale et respectueuse des identités nationales, en rien souverainiste. Lionel Jospin n'est pas souverainiste. Les socialistes ne sont pas souverainistes. Les socialistes sont des fédéralistes, mais plutôt, pour emprunter la formule de Jacques Delors, pour une fédération d'Etats-nations, c'est-à-dire une fédération dans ses structures - la Commission, le Parlement - mais aussi respectueuse des nations, à travers le Conseil des ministres. Je vois mal, à dire vrai, Jacques Chirac ou Lionel Jospin siéger comme représentants de l'Etat de France, comme il y a l'Etat du Texas, à égalité avec Malte, qui lui serait l'équivalent du Wyoming ou de l'Arkansas, dans un Sénat européen. Ce n'est pas logique. Ce n'est d'ailleurs pas ainsi que l'on fonctionne depuis 50 ans. Bref, que va dire Lionel Jospin ? Il va à la fois présenter un projet pour l'Europe : quelle est sa vision de l'Europe ? comment est-elle un modèle social, culturel ? comment joue-t-elle un rôle dans le monde ? C'est ce qu'il a déjà dit à Bruxelles. Et puis, il présentera son architecture institutionnelle, puisque c'est désormais un exercice obligé. Mais n'oublions pas que le débat institutionnel, en lui-même, ne vaut pas grand chose. On fait de bonnes institutions, oui, mais pour faire de bonnes politiques. Donc, il présentera les bonnes politiques et les bonnes institutions.
Q - Qu'est-ce qui vous gêne dans ce projet annoncé par le SPD allemand et totalement assumé par le chancelier Gerhard Schröder ? Qu'est-ce qui vous dérange idéologiquement, spirituellement, philosophiquement ?
R - D'abord, il ne me dérange pas. Puisqu'il y a ce débat d'ici 2004, que chacun s'exprime ! Je ne suis ni choqué par le fond, ni par la forme. Schröder parle librement, le SPD, Jospin, le PS parleront librement. Il n'y a rien de choquant là-dedans, y compris d'ailleurs par rapport à l'amitié franco-allemande.
Cela dit, il y a deux différences majeures. La première, c'est que lorsqu'on regarde le fond des politiques, on s'aperçoit que c'est un document qui propose, en fait, une Europe peu intégrée. Il propose de renationaliser la politique agricole commune à travers le co-financement, c'est-à-dire le fait que les aides directes seraient assumées par les Etats, l'objectif étant assez logique dans l'intérêt allemand : payer moins. Les politiques régionales, celles qui permettent de construire des universités, des routes etc. seraient renvoyées à la solidarité nationale, le tout pour avoir un budget de l'Europe assez réduit. En effet, c'est vrai que l'Europe repose beaucoup sur les financements, l'Allemagne étant le premier contributeur net. Nous, nous sommes pour des politiques plus intégrées, nous voulons conserver la Politique agricole commune, nous voulons conserver les politiques régionales, nous voulons même en développer d'autres. J'ajoute qu'à titre personnel, je ne serais pas opposé à ce qu'il y ait un jour un impôt européen, un budget européen plus conséquent pour des politiques qui touchent réellement nos concitoyens. Ce matin, je remettais des prix dans un concours de jeunes lycéens sur l'avenir des territoires. Tout ce qui concerne la mobilité des étudiants, des chercheurs, l'échange...doit être développé considérablement. Voilà pour le fond. Il y a une deuxième différence sur les institutions. Au fond, le texte du SPD propose un modèle fédéral à l'allemande avec un exécutif qui deviendrait unique - la Commission - et un parlement à deux chambres - un Bundestag, le Parlement européen actuel et un Bundesrat, une chambre des Länder, qui serait le Conseil des ministres actuel. Je ne crois pas, je le répète, que l'on puisse transformer le Conseil des ministres en Sénat, en deuxième chambre. Honnêtement, j'ai été parlementaire européen, je sais ce qu'est le Parlement européen, il a d'énormes qualités, mais les gouvernements ne peuvent pas être la deuxième chambre du Parlement européen. C'est impossible. Donc, de ce point de vue-là, nous allons présenter des solutions alternatives.
Q - C'est-à-dire ?
R - C'est-à-dire un système qui permette de rénover ce qui existe aujourd'hui, qui a été créé par des Européens, par Jean Monnet, par Robert Schuman, par Maurice Faure, par de Gasperi, bref, par des gens qui avaient des convictions européennes : c'est-à-dire trois institutions qui représentent bien l'originalité de l'Europe : la Commission, qui est une institution assurément fédérale, le Parlement européen, qui doit monter en puissance et le Conseil des ministres, qui doit être profondément rénové.
Q - La Commission, vous souhaitez, par exemple, qu'elle ait plus d'autonomie, plus de marges de manuvre, qu'elle puisse accélérer davantage ses travaux, qu'elle ait un président, par exemple, qui soit choisi parmi la majorité qui se dessine politiquement dans les nations ?
R - Toutes ces idées sont très intéressantes et Lionel Jospin donnera sa réponse. A l'évidence, je ne suis pas pour le statu quo, je suis pour qu'on fasse des choix importants en termes d'efficacité, de démocratie sur chaque institution : la Commission, le Parlement et le Conseil. Simplement, je ne suis pas pour qu'on en supprime une parce qu'au fond, je pense que dans ce triangle, il y a une intuition géniale qui a été celle de ceux qu'on appelle les pères fondateurs de l'Union européenne : représenter l'intérêt général européen, c'est la Commission ; représenter le peuple européen, c'est le Parlement européen ; mais aussi respecter les Etats, qui sont une source de légitimité à travers leurs différences linguistiques, de culture et cela, c'est le Conseil. Je crois que l'avenir est là, dans l'amélioration de ce triangle. Chaque institution aujourd'hui connaît sa crise, c'est clair. Il faut la résoudre, il faut remettre tout cela en cohérence, mais ne pas supprimer une institution ou la reléguer à l'état de je ne sais quoi, une deuxième chambre ou un Sénat. D'ailleurs, d'une façon générale, j'aime beaucoup le Sénat, mais je pense que l'expérience que nous avons n'incite pas à la reproduire au niveau de l'Europe.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mai 2001)
Interview dans "La Croix" du 17 mai :
Q - Quelles leçons tirez-vous des élections qui viennent de se dérouler dimanche en Italie ?
R - En Italie, Silvio Berlusconi l'a emporté avec une grande formation politique récente. J'observe que cette formation, basée sur le concept de l'entreprise, est alliée avec d'autres, les post-fascistes et une ligue parfois xénophobe. L'important est de voir comment cela va fonctionner, mais sans porter de jugement de valeur a priori. Bien sûr, pour des hommes de ma sensibilité politique, ce résultat ne provoque pas une très grande joie. Mais il faut respecter les alternances, les changements démocratiques voulus par les peuples.
Q - Vous dites qu'il faut respecter les alternances. Pourtant après les élections autrichiennes, vous vous étiez prononcé pour une mise en quarantaine d'un gouvernement qui s'était allié à l'extrême droite.
R - Si ma position est différente en ce qui concerne l'Italie, c'est parce que la nature des partis et le rapport de forces ne sont pas semblables. En Italie, le parti de Bossi, le plus éloigné des idéaux européens, pèse un peu moins de 4 %. Ensuite, Jorg Haider, le chef de l'extrême droite autrichienne, fait volontiers référence au IIIe Reich et utilise une rhétorique qui frise, à l'occasion, le racisme et l'antisémitisme. On ne peut pas mettre sur le même plan Silvio Berlusconi. C'est une alternance de droite pas tout à fait classique, mais en rien illégitime. Je considère donc qu'il faut rester attentif au respect des valeurs européennes, mais surtout espérer que l'Italie reste un pays fortement ancré dans l'Union européenne.
Q - Un bon bilan de la gauche et une droite victorieuse ! N'y a-t-il pas dans le scrutin italien des leçons qui vous font réfléchir ?
R - La situation est très différente ! La coalition d'arrivée n'était pas exactement la coalition de départ. L'Olivier s'était défait, n'avait en tout cas pas gardé jusqu'au bout sa cohérence. Alors que Lionel Jospin s'apprête à fêter sa quatrième année à Matignon, la gauche italienne a eu, pendant le même temps, trois présidents du Conseil. Et une quatrième personne pour conduire sa campagne. Ma conclusion est donc que la cohérence de la gauche plurielle est la clé de son succès. La défaire serait une faute. Il y a là une responsabilité collective pour tous les partis qui la composent.
Q - L'Europe a compté dans la campagne italienne. En sera-t-il de même en France ?
R - J'espère que l'on parlera de l'Europe dans les débats électoraux de 2002 et que les Français choisiront un concept clair sur l'avenir de l'Union. Que cette dernière soit présente et importante au sein de la campagne, je le souhaite. Mais les sujets nationaux demeureront sans doute primordiaux dans les choix des Français
Q - Pourquoi, alors, le Premier ministre ne s'est-il pas exprimé plus tôt sur sa vison de l'Europe ?
R - Je ne comprends pas cette impatience. Depuis que nous sommes au pouvoir, notre politique européenne est marquée par une orientation fondamentale, un engagement et une volonté. L'orientation fondamentale, c'est la volonté marquée de réorienter l'Europe vers la croissance et l'emploi, des sujets dont on ne parlait absolument pas en 1997. Notre engagement, c'est de réaliser l'euro. Souvenez-vous en 1997, les choses n'étaient pas acquises et c'est sans doute pour cela que le président de la République a décidé la dissolution. Quant à notre volonté, c'est de bâtir une Europe politique dans une Union élargie.
De ce point de vue, le grand débat institutionnel n'a commencé qu'il y a un an, avec le discours de Joschka Fischer. Puis le président de la République a exposé ses idées fin juin 2000 à Berlin, à la veille de la présidence française de l'Union européenne. Dès lors, le Premier ministre pouvait difficilement répondre. Soit il se serait aligné sur la position de Jacques Chirac - or il ne partage évidemment pas toutes ses idées -, soit il l'aurait contredit, et la France n'aurait plus alors parlé d'une seule voix, ce qui l'aurait affaiblie pendant sa présidence. La réserve de Lionel Jospin était obligée. Il peut maintenant parler, et il le fera prochainement.
Q - Le discours de Lionel Jospin sera forcément comparé aux positions allemandes.
R - Mais lesquelles ? Celles de Joschka Fischer ou celles du SPD ? Celles-ci sont d'ailleurs la position d'un parti, dont on a retenu huit ou neuf lignes : un Conseil transformé en deuxième Chambre législative, idée sur laquelle nous sommes en désaccord. Pourquoi toujours penser que nous sommes en train de répondre aux Allemands ? Le discours de Lionel Jospin sera une vision française, socialiste, personnelle du Premier ministre.
Q - Et novatrice ?
R - Ce sera un discours complet. Il y aura sa vision des institutions mais pas uniquement cela. Il dira aussi ce qu'il faut attendre de l'Europe. Et il va surprendre par son audace et satisfaire par son réalisme ! Il ne faut pas voir Lionel Jospin comme un Européen tiède. C'est un Européen convaincu, conscient de l'intérêt général de l'Europe et des intérêts français. Pensez-vous que le chancelier Schroeder ne fait pas attention aux intérêts allemands ?
Ne peut-il y avoir un fédéralisme à la française et ce fédéralisme-là n'est-il pas mieux à même de réunir les Européens ?
Q - Dans le même temps, un débat sur l'Europe débute en France. Comment cela s'harmonise-t-il ?
R - Le discours de Lionel Jospin n'est pas là pour clore le débat. Ce sera sa contribution à celui-ci. D'ailleurs, l'avenir de l'Europe ne se décide pas uniquement entre Français et Allemands, il y a tous les autres et notamment les Anglais, les Espagnols, les Italiens et demain les pays candidats. Le débat commence, je souhaite que l'expression de tous - y compris celle du Premier ministre - contribue à l'alimenter.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 mai 2001)
Q - Ministre délégué chargé des Affaires européennes, vous étiez aujourd'hui à Bruxelles pour parler avec vos homologues du problème de l'élargissement. On y reviendra dans un instant mais évidemment, vous avez évoqué entre vous, et vous avez parlé avec quelques journalistes, de ce qui s'est passé en Italie. Vous avez dit que l'élection de Silvio Berlusconi n'était pas une bonne nouvelle pour les gens d'une certaine sensibilité. L'exégèse de cette expression ne signifie-t-elle pas que Berlusconi est de droite, vous, de gauche... et que, donc, cela vous chagrine un peu...? Mais n'y a-t-il pas davantage que cela ?
R - Il y a autre chose. Mais, c'est vrai que pour un homme de gauche qui soutenait Francesco Rutelli et l'Olivier, ce n'est pas une bonne nouvelle. Mais, par ailleurs, il s'est passé quelque chose en Italie. Il ne faut pas, pour autant, en inférer une modification des relations avec ce pays. D'abord, on est passé de la gauche à la droite. Mais c'est une coalition qui comporte plusieurs types de partis. Il y a celui de M. Berlusconi - Forza Italia -, dont on connaît la situation (peut-être les Italiens d'ailleurs demanderont-ils un jour des comptes sur une certaine confusion d'intérêts publics et privés ?) : c'est un parti dont les options sont floues mais qui sont des options de droite classique en Europe. Il y a aussi d'autres partis plus ambigus : l'ex-parti fasciste, qui a au moins le mérite d'avoir abjuré le fascisme, ce qui n'est pas, par exemple le cas du parti de M. Haider en Autriche ; le parti de M. Bossi qui est un parti xénophobe et qui a fait un très mauvais score. Donc, M. Berlusconi ne paraît pas, a priori, prisonnier de ses alliances. En même temps, il faut rester vigilant et attentif. Hubert Védrine le disait ici même ce matin : il n'y a pas de raison d'envisager une modification des relations entre l'Union européenne et l'Italie. Les Italiens ont voté massivement, démocratiquement. C'est un choix qui les regarde. Nous l'acceptons.
Q - Vous utilisez ce mot de "vigilance". Je crois qu'Hubert Védrine a dit que c'était l'état d'esprit des Européens, c'est-à-dire des 14 autres pays de l'Union européenne. Mais au nom de quel magistère ?
R - Tout simplement de ce qui nous rassemble. Il y a deux points de vue : d'abord, celui des valeurs. Nous avons adopté à Nice une charte des droits fondamentaux. Ces valeurs doivent être respectées par chacun, et pas spécialement par M. Berlusconi, pas plus par lui que par un autre. Elles doivent être respectées par nous, par les Autrichiens, par les Allemands, par les Anglais...
Q - Est-ce que M. Berlusconi a dérogé à ces valeurs ?
R - Non, c'est ce que je viens de dire. Il n'y a aucune raison de le supposer, sauf que, si je prends les cas de coalitions de droite en France, nous n'avons jamais eu un parti comme la Ligue au pouvoir. Jamais. Nous n'avons jamais eu un parti post-fasciste au pouvoir. Donc, la situation peut-être davantage une situation d'attention que de vigilance. Nous serons très attentifs à ce qui se produit. Il y a, par ailleurs, un deuxième point de vue, qui est celui de la politique : l'Italie est un grand partenaire de l'Union européenne, nous souhaitons qu'elle le demeure. Nous souhaitons que l'Italie, qui est un des pays fondateurs de l'Union européenne, reste un pays aussi engagé qu'elle l'a toujours été dans l'aventure européenne.
Q - Mais elle observe ni mieux, ni moins bien les directives européennes que la France. On entend la France donner des leçons d'européanisme à l'Italie alors que nous ne sommes pas parmi les meilleurs élèves !
R - Ce n'est pas du tout ce que j'ai fait ! Je dis simplement que l'Italie est un pays fondateur de l'Union européenne. Il ne s'agit pas d'appliquer des directives. Il s'agit de l'état d'esprit dans lequel on est. Honnêtement, la France est un pays qui a une histoire européenne. Nous sommes les fondateurs avec les Allemands de cette aventure européenne. Donc, ne nous jetons pas non plus de la cendre sur les épaules. Si nous évoquons là la politique européenne, c'est simplement parce qu'il y a un nouveau gouvernement. Nous souhaitons que la politique européenne reste dans une continuité. Autrement dit, je préfère une politique "à la démocrate-chrétienne" à une politique "à la Bossi". Je ne voudrais pas que la politique européenne de cette coalition soit celle que préconise M. Bossi, c'est-à-dire une politique non-européenne. Ce n'est pas un jugement de valeurs, mais c'est une attente.
Q - Comment analysez-vous le succès de Berlusconi ?Est-ce sa campagne ? Ses propos qui annoncent qu'il va diriger l'Italie comme une entreprise ? Est-ce l'échec de la gauche qui n'a pas réussi un certain nombre de réformes ?
R - Je ne dirais pas que je n'en sais rien parce que ce n'est pas vrai. Mais je ne suis pas là pour commenter un vote que les Italiens ont émis. On ne peut pas à la fois dire que ce vote est démocratique - et je le dis -, dire qu'il s'agit d'une alternance que l'on reconnaît - je le dis aussi -, dire qu'on est attentif à ce qui va se passer et commenter un vote ! Encore une fois, je suis un militant de gauche. J'aurais souhaité que l'Olivier gagne. J'imagine qu'il y a eu, comme toujours dans une élection, une volonté de changement. Cette volonté de changement s'est tournée vers l'offre politique du moment, une offre politique que nous n'avons pas en France - et j'allais dire, d'une certaine façon, heureusement...
Q - Mais les expressions de vigilance, avant même le scrutin, voire les menaces, les commentaires très défavorables vis-à-vis de Forza Italia, n'ont-ils pas contribué à pousser les électeurs italiens à aller vers Berlusconi, parce qu'ils étaient las de se voir dicter ce qu'ils devaient faire ?
R - Vous observerez que cela ne vient pas des politiques. Un certain nombre de très grands médias - je pense à "The Economist", un journal anglais très sérieux, mais aussi à "El Mundo" et au "Monde" - avait critiqué un aspect de la personnalité de Berlusconi, c'est-à-dire la confusion entre les intérêts publics et privés, puisqu'il possède déjà trois des six chaînes de télévision et que maintenant, les trois autres étant publiques, elles sont sous contrôle du Parlement. Il y a donc là une position dominante qui peut paraître à certains critiquable... Les Italiens n'y ont pas été très sensibles. Je n'irai pas jusqu'à dire, comme d'autres pendant la campagne des élections municipales à Paris, qu'il y a eu une prime à je-ne-sais-quoi. En même temps, constatons cela. Je ne crois pas que cela ait poussé les Italiens à voter pour Berlusconi mais, en même temps, - et c'est assez logique - ils se sont dits qu'ils n'aimaient pas que l'on se mêle de leurs affaires. C'est ce que se disent les électeurs en général. Ils n'aiment pas se voir imposer leur vote de l'extérieur. Cela dit, j'observe que Berlusconi n'a pas eu un triomphe. La gauche a fait un score honorable. Elle a des positions fortes et elle saura se faire entendre. Donc, c'est une alternance démocratique dans un pays démocratique avec une ampleur normale, quand les électeurs manifestent un désir de changement. Ce n'est pas un désaveu, ce n'est une honte pour nos amis de la gauche italienne, dont je rappellerai qu'ils ont travaillé extrêmement bien, et pour leur pays, et pour l'Europe. J'ai le souvenir, lorsque nous sommes arrivés en 1997, que l'on disait que ces "pays du Club Méditerranée" ne seraient jamais membres de l'euro. Ils le sont ! Ils ont discipliné leur économie, leur déficit budgétaire. Beaucoup de bon travail.
Q - C'est peut-être d'ailleurs aussi pour cela que les Italiens ont réagi !
R - Non, je ne crois pas que cela ait pesé beaucoup là-dedans. Mais c'est vrai, en revanche, qu'il y a eu une forme d'instabilité au sein de la gauche : trois Premiers ministres en quatre ans, et puis un nouveau leader. Tout cela a peut-être pesé.
Q - Le fait que la gauche n'ait pas résolu un certain nombre de problèmes, comme les retraites, la réforme de l'Etat, la modernisation de l'administration, cela vous fait-il penser à ce qui se passe quelquefois en France ?
R - Pas du tout. Les choses sont très différentes. Il n'y a pas eu la même situation de stabilité, de cohérence qu'il y a eu en France. Nous avons, nous, le même Premier ministre depuis quatre ans, un Premier ministre qui fait son travail et qui le fait bien. Et nous avons fait beaucoup de réformes, beaucoup.
Q - Pour rester sur l'Europe, je rappelais tout à l'heure que nous n'étions pas très bon élève. Pour 2000, 25 % recours en manquement, 93 directives n'ont pas été transposées dans le droit français. Vous, le ministre chargé des Affaires européennes, vous devez trouver que c'est beaucoup, non ?
R - Je le regrette profondément. Il y a d'abord une sédimentation de retards, qui remonte à extrêmement loin.
Q - Il y a des directives que l'on met plus de 19 ans à mettre en oeuvre !
R - C'est vrai qu'en France, il y a une réticence : on ne sait pas d'où elle émane, peut-être de ce qu'on appelle la bureaucratie, peut-être aussi une certaine tradition qui veut que l'on soit plus attaché à l'identité française. Nous avons fait de très gros efforts car vous avez cité 93 directives. Il fut un temps, pas si lointain, où il y en avait plus de 150 ! Ce gouvernement a fait beaucoup dans ce sens-là pour transposer les directives, y compris en créant des textes qui portent diverses dispositions d'ordre communautaire (les DDOC). On a même procédé par des ratifications par ordonnances. Mais il reste un effort à faire. Je souhaite, effectivement, que mon pays se conforme à ses propres décisions car les directives, rappelons-le, ne nous ont pas été imposées par la Commission, mais ont été adoptées par le Conseil, donc par nous-mêmes.
Q - Comme par exemple la directive sur la régularisation du marché gazier ?
R - Oui...
Q - On a dit qu'il fallait aller plus vite.
R - Nous n'avons pas dit qu'il fallait aller vite. A Stockholm, nous avons dit au contraire que nous ne souhaitions pas aller trop vite dans la libéralisation des services publics.
Q - Trouvez-vous que c'est sain qu'un pays européen, pour des raisons évidentes, qui sont des raisons d'approche des élections, pour ne pas mécontenter le parti communiste, la CGT, des raisons de statut, diffère une décision qu'il a lui-même ratifiée ? Il s'agit donc de la libéralisation du marché du gaz et de l'ouverture de Gaz de France à la concurrence.
R - Vous pensez bien qu'une telle procédure ne nous a pas pris complètement au dépourvu. Je rappellerai que, comme toujours, lorsque s'ouvre une procédure, chacun a le droit de se défendre. Donc, le cas n'est pas jugé, car nous pensons que l'adaptation de la directive sur la libéralisation du marché du gaz n'implique rien quant à la propriété du capital de l'entreprise GDF. C'est la différence.
Q - Je ne parle pas de l'ouverture du capital.
R - Mais, moi, c'est de cela dont je vous parle. Nous pensons avoir pris les dispositions nécessaires pour l'ouverture de notre marché. On nous reproche implicitement de ne pas avoir accepté la privatisation de l'entreprise publique. Voilà de quoi il s'agit.
Q - Mais on a ouvert le marché ?
R - Je pense qu'il est en cours d'ouverture.
Q - Il devait y avoir une loi au Parlement, elle n'a pas été votée. Le projet de loi n'a pas été proposé au Parlement.
R - Nous allons plaider ce cas à Bruxelles. Je vous vois en grand défenseur du libéralisme. Pour notre part, nous pensons avoir fait nos choix politiques.
Q - Je pensais que vous étiez un grand défenseur des directives européennes !
R - Je suis un grand défenseur des directives européennes et un grand défenseur du service public. J'ai toujours pensé que ces deux choses n'étaient pas contradictoires. Le fait d'être dans un vaste marché intérieur n'empêchait pas qu'on affirme le rôle, la place des services publics en France et en Europe. C'est de cela qu'il a été question à Lisbonne, dans certains termes, et à Stockholm, dans d'autres. Je suis plutôt content que nous ayons fait bouger les Européens à un rythme plus maîtrisé, vers un meilleur équilibre entre marché intérieur et services publics. Je continuerai à me battre pour cela. En tant qu'Européen et en tant que Français.
Q - Au 1er janvier, la France, comme les autres membres de l'euro, les Onze, va passer à la monnaie commune et unique...
R - Unique, pas commune. Elle sera commune, mais surtout unique. Certains la voudraient commune, mais nous, nous la voulons unique.
Q - Le Premier ministre a dit, dans des termes techniques, qu'il fallait faire un certain nombre de choses pour préparer cela dans les meilleures conditions. Mais il y a le problème du sens de l'Europe. Alors pourquoi tarde-t-il tant à donner sa propre vision de l'Europe et pourquoi est-on toujours à la remorque de l'Allemagne ?
R - D'abord, un mot sur l'euro. Effectivement, il y a deux problèmes dans l'euro. Il y a un problème technique. Je suis persuadé qu'il n'y aura pas davantage de "bug de l'euro" qu'il n'y a eu de "bug de l'an 2000". Techniquement, nous serons prêts et le gouvernement tout entier est mobilisé. Le Premier ministre, dans une réunion de ministres exceptionnelle la semaine dernière, nous a fait passer le message en ce sens-là. Et il y a la dimension politique et psychologique. Il faut effectivement rappeler pourquoi nous faisons l'euro. Nous le faisons pour peser dans le monde, pour que l'Europe soit capable de résister à la mondialisation, pour éviter les fluctuations de change. Il va falloir répéter cela. C'est le sens des campagnes de communication et de sensibilisation, car il ne faut pas qu'il soit perdu de vue que nous avons bien fait de choisir cette monnaie, qui est déjà la nôtre.
Q - Et donc il faut préciser la vision que l'on a de cette Europe...
R - Absolument. L'euro est un élément de l'Europe, mais ce n'est pas le seul. C'est en quelque sorte le couronnement monétaire de l'union économique, mais il y a bien d'autres aspects. Et donc, il y a l'Europe politique. Vous avez dit que la France était en retard par rapport à l'Allemagne. Je conteste cette version des choses. Nous avons eu, il y a 6 mois, un sommet sous Présidence française à Nice. Nous avons signé un traité qui va être ratifié par notre Parlement assez rapidement.
Q - En juin ?
R - Je pense, sans problème, dans la mesure où il a été signé sous l'égide d'un Conseil européen que présidait Jacques Chirac avec Lionel Jospin à ses côtés. La logique voudrait qu'au Sénat et à l'Assemblée nationale, une majorité soit rassemblée. Mais c'est un traité qui a de bons aspects et des aspects insuffisants. Compte tenu de ces aspects insuffisants, nous avons tous décidé de lancer un grand débat sur l'avenir de l'Europe à l'horizon 2004. Nous devons alors arriver à définir quelque chose qui pourrait être, par exemple, une Constitution européenne. Maintenant, chacun apporte ses contributions. Le SPD l'a fait, avec un texte, sous l'égide de son président, qui est le chancelier Schröder.
Q - Joschka Fischer s'est exprimé ; ensuite, Jacques Chirac a parlé. Gerhard Schröder s'exprime ; on se dit que, bientôt, Lionel Jospin va parler...
R - Lionel Jospin va parler très bientôt, dans le courant du mois de juin.
Q - Vous ne trouvez pas regrettable qu'on ait le sentiment de se déterminer toujours par rapport aux positions allemandes ?
R - Mais il ne s'agira pas de se déterminer par rapport aux propositions de Gerhard Schröder ! J'ai lu, ici ou là, qu'il fallait répondre à Schröder. Il ne s'agit pas de lui répondre, de le contredire, de le critiquer, de le copier, mais il s'agit de dire ce que nous, nous pensons. Et ce que Lionel Jospin fera, ce n'est pas une réponse circonstanciée à Gerhard Schröder. Ce sera l'expression de sa conviction. Il dira l'Europe qu'il veut et il le dira de tous points de vue. Il dira à la fois quel doit être le contenu de l'identité européenne, du projet européen, quelles doivent être les institutions de cette Europe. Car il ne faut pas non plus se livrer à un concours de beauté. Si on fait des discours pour savoir quelle est la place respective de la Commission, du Conseil, du Parlement, ceux qui nous écoutent - et ils sont nombreux - n'y comprennent peut-être pas grand chose. Ce qui importe, c'est de faire de bonnes institutions, pour mener de bonnes politiques. Dire quel rôle doit jouer l'Europe dans notre vie, comment nous souhaitons qu'elle marche et peut-être aussi comment nous souhaitons quelle soit une expression plus démocratique des intentions de nos concitoyens. Ce sera cela le discours de Lionel Jospin, un discours de fond.
Q - Quand vous regardez le projet qui a été présenté par Gerhard Schröder, avez-vous le sentiment que c'est l'expression d'une certaine volonté de constituer une Europe germanique, allemande, au sens où, pour ce qui est de la solidarité, on en fait un peu moins, on se rassemble sur le territoire allemand, mais en revanche, on veut davantage de pouvoirs pour le Parlement européen, on veut Europol... ?
R - Je dirai les choses un peu différemment.
Q - Redoutez-vous cela ?
R - Non, je ne le redoute pas, mais j'ai la sensation que le texte du SPD, qui n'est pas l'expression du gouvernement, même si c'est quelque chose d'un peu subtil à comprendre...
Q - J'ai cru comprendre qu'au dîner, l'autre soir, rue de Longchamp, quand Jacques Chirac a demandé à Gerhard Schröder si c'était bien son texte, ça l'était !
R - Je crois que le président de la République a raison, au sens où ce texte est un texte du SPD et pas un texte du gouvernement. En même temps, peut-être le bouchon était-il poussé un peu loin quand on expliquait qu'il n'avait rien à voir. Donc, le chancelier Schröder a eu raison de dire qu'il connaissait le président du SPD, puisque c'était lui-même. Mais j'en reviens au fond de l'affaire. Ce que propose le texte du SPD c'est, au fond, une Europe peu intégrée, avec des institutions très intégrées, très fédérales, et pour le coup, des institutions à l'allemande. Une Europe peu intégrée : par exemple, on propose de renationaliser la politique agricole commune, qui est tout de même le cur de l'Europe de 1957 ; on propose de mettre fin aux politiques de solidarité, de type politique régionale. Pourtant, ce sont celles qui permettent de construire des écoles, des routes ou des universités dans nos provinces. En même temps, on propose des institutions où le Conseil des ministres, c'est-à-dire l'émanation des Etats, des nations, des peuples, devient une deuxième chambre du Parlement européen. Donc, on a à la fois des institutions très intégrées à l'allemande, fédérales - pas le fédéralisme d'Etats-nations mais le fédéralisme pur - et de l'autre côté, des politiques de fond qui ne sont pas suffisamment communautaires. Ce n'est pas la vision française. Je ne crois pas que ce sera celle que développera le Premier ministre. Il ne s'agit pas de contredire Gerhard Schröder, mais de dire ce que nous croyons. S'il y a un fédéralisme à l'allemande - et cette expression n'est pas critiquée par certains - pourquoi n'y aurait-il pas un fédéralisme à la française ?
Q - On y verra un peu plus clair quand Lionel Jospin se sera exprimé. Je rappelais que vous étiez à Bruxelles aujourd'hui. On y a discuté du problème de l'élargissement. Au prochain sommet à Göteborg, arrivera-t-on à un calendrier ? Autrement dit, arrivera-t-on à dire à un certain nombre de pays, comme la Pologne, qu'ils pourront entrer dans l'Union à telle date ?
R - Cette question est assez mal posée. Je pense qu'il serait prématuré de donner aujourd'hui le fil directeur que l'on va suivre pour chaque pays et les dates d'entrée de chaque pays.
Q - Ils attendent cela avec impatience !
R - C'est exact. Mais on entre maintenant dans le cur des négociations. A Bruxelles, aujourd'hui, on a constaté certaines difficultés. Nous ne sommes pas parvenus à conclure le dossier sur la libre circulation des travailleurs, sur la politique régionale. Nous avons de très grandes questions devant nous, par exemple celui de l'avenir de la politique agricole commune, de la justice et des affaires intérieures... Donc, c'est maintenant que l'on entre dans ce débat et je crois que prendre des engagements risquerait presque d'être imprudent, ou même, serait pénalisant pour certains pays candidats. En revanche, il y a une date qu'il faut affirmer : en juin 2004, il y a les prochaines élections au Parlement européen. Il est possible, il est souhaitable, il faut qu'il y ait, dans ce Parlement européen, des représentants des nouveaux Etats membres de pays d'Europe centrale et orientale. Il faut donc que nous fassions tout pour que ces traités soient, non seulement signés, mais ratifiés, à ce moment-là. Voilà une date ! Cette date a commencé d'être affirmée à Nice. Nous sommes pour qu'on la renforce, sans pour autant nous enfermer dans un carcan contraignant, car il risquerait d'être un faux rendez-vous, un leurre pour les pays candidats et artificiel pour les pays membres.
Q - Donc, je retiens cette date pour un certain nombre de pays. Cela signifie-t-il qu'ils auront les mêmes droits et les mêmes devoirs que les autres pays, par exemple sur la libre circulation des travailleurs ?
R - Rappelons une chose. Ce n'est pas le premier élargissement pour l'Union européenne. Nous étions six au départ, nous avons été neuf, dix, douze, quinze. A chaque fois qu'il y a un élargissement, certains pays candidats - c'était le cas de l'Espagne, du Portugal - demandent des dérogations ou des périodes transitoires, lorsque ce n'est pas l'Union européenne qui le demande elle-même. Sur la libre-circulation des travailleurs, ayons un peu de mémoire. Nous, Français, nous avions demandé aux Espagnols et aux Portugais une période transitoire en 1986. A l'usage, nous nous sommes aperçus qu'il n'y avait pas tant de problèmes et nous l'avons réduite. Je pense que c'est ce qui se passera cette fois-ci. Il n'est pas anormal de demander des périodes transitoires. Cela ne signifie pas qu'ils n'ont pas tous les droits mais que ces droits s'introduisent progressivement. Je suis persuadé qu'en pratique, on découvrira que le phénomène n'est pas si grave et qu'on ira assez vite. Il n'y a pas de membres de deuxième classe dans l'Union européenne. Il y a une adaptation progressive de l'acquis communautaire, qui est parfois complexe.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 mai 2001)
Interview à Europe 1 le 16 mai :
Q - Je ne sais pas si vous avez lu Libération ce matin, mais il y a beaucoup de commentateurs qui vous reprochent, ou en tout cas qui reprochent à la classe politique française, une vigilance trop molle à l'égard de Silvio Berlusconi.
R - Il y en a aussi beaucoup qui nous reprochent une vigilance trop forte. C'est notamment le cas d'à peu près toute la droite française. J'ai lu des déclarations de M. Giscard d'Estaing, de M. Fillon, de M. Balladur. Pour eux, M. Berlusconi est, semble-t-il, une sorte d'exemple. Je crois que notre attitude, en réalité, est tout à fait adaptée - c'est d'ailleurs ce que soulignait Libération ce matin. Nous savons que c'est une victoire, qui n'est pas comme les autres : d'abord, parce que c'est la victoire d'un parti-entreprise et c'est une innovation en Europe ; ensuite, parce que l'homme, qui dirige cette coalition, concentre désormais sur lui beaucoup de responsabilités publiques et privées et ça aussi, c'est original en Europe ; enfin, parce qu'il a des alliés qui sont un peu particuliers, des post-fascistes - c'est le parti de M. Fini - même s'ils ont abjuré le fascisme, et des xénophobes - c'est le cas de M. Bossi. En même temps, on est obligé de reconnaître que, d'une part, c'est un vote démocratique, c'est l'alternance, c'est le changement et que d'autre part, les alliés de M. Berlusconi ont été réduits, notamment M. Bossi. Donc, il faut être attentif à ce qu'ils font, mais il n'y a aucune raison de porter une suspicion. D'où, notre mot : être attentif et s'il le faut, vigilant, mais, en même temps, nous n'avons pas de suspicion particulière par rapport à ce gouvernement.
Q - Je ne vais pas vous demander, évidemment, de révéler ce que sera à l'avance le projet de Lionel Jospin. Il va le faire. Mais peut-on en avoir l'idée directrice ? Maintenant, on se rend compte que l'on approche d'échéances très importantes, comme le rappelait François Clémenceau, et qu'il va bien falloir que la France ait dans ce domaine, en tout cas du côté de Matignon, une position.
R - D'abord, nous n'avons pas qu'une position. Nous avons tout de même une pratique. Et nous avons aussi des engagements. Que faisons-nous depuis quatre ans ? Nous avons, d'abord, essayé de réorienter la construction européenne vers la croissance et l'emploi. Ce sont des sujets dont on ne parlait jamais en Europe depuis 1997. Maintenant, on consacre, chaque année, un sommet à ces questions-là. On a fait bouger les objectifs de l'Union européenne. Il ne s'agit plus uniquement de lutter contre l'inflation, mais d'avoir pour objectif la croissance et l'emploi. Ensuite, nous avons un grand rendez-vous qui est celui de l'euro. Souvenez-vous, en 1997, la dissolution a été faite un peu à cause de ces interrogations. Nous l'avons fait. Enfin, il y a une volonté politique, qui est d'aller vers une Europe construite, structurée, qui soit à la fois fédérale et respectueuse des identités nationales, en rien souverainiste. Lionel Jospin n'est pas souverainiste. Les socialistes ne sont pas souverainistes. Les socialistes sont des fédéralistes, mais plutôt, pour emprunter la formule de Jacques Delors, pour une fédération d'Etats-nations, c'est-à-dire une fédération dans ses structures - la Commission, le Parlement - mais aussi respectueuse des nations, à travers le Conseil des ministres. Je vois mal, à dire vrai, Jacques Chirac ou Lionel Jospin siéger comme représentants de l'Etat de France, comme il y a l'Etat du Texas, à égalité avec Malte, qui lui serait l'équivalent du Wyoming ou de l'Arkansas, dans un Sénat européen. Ce n'est pas logique. Ce n'est d'ailleurs pas ainsi que l'on fonctionne depuis 50 ans. Bref, que va dire Lionel Jospin ? Il va à la fois présenter un projet pour l'Europe : quelle est sa vision de l'Europe ? comment est-elle un modèle social, culturel ? comment joue-t-elle un rôle dans le monde ? C'est ce qu'il a déjà dit à Bruxelles. Et puis, il présentera son architecture institutionnelle, puisque c'est désormais un exercice obligé. Mais n'oublions pas que le débat institutionnel, en lui-même, ne vaut pas grand chose. On fait de bonnes institutions, oui, mais pour faire de bonnes politiques. Donc, il présentera les bonnes politiques et les bonnes institutions.
Q - Qu'est-ce qui vous gêne dans ce projet annoncé par le SPD allemand et totalement assumé par le chancelier Gerhard Schröder ? Qu'est-ce qui vous dérange idéologiquement, spirituellement, philosophiquement ?
R - D'abord, il ne me dérange pas. Puisqu'il y a ce débat d'ici 2004, que chacun s'exprime ! Je ne suis ni choqué par le fond, ni par la forme. Schröder parle librement, le SPD, Jospin, le PS parleront librement. Il n'y a rien de choquant là-dedans, y compris d'ailleurs par rapport à l'amitié franco-allemande.
Cela dit, il y a deux différences majeures. La première, c'est que lorsqu'on regarde le fond des politiques, on s'aperçoit que c'est un document qui propose, en fait, une Europe peu intégrée. Il propose de renationaliser la politique agricole commune à travers le co-financement, c'est-à-dire le fait que les aides directes seraient assumées par les Etats, l'objectif étant assez logique dans l'intérêt allemand : payer moins. Les politiques régionales, celles qui permettent de construire des universités, des routes etc. seraient renvoyées à la solidarité nationale, le tout pour avoir un budget de l'Europe assez réduit. En effet, c'est vrai que l'Europe repose beaucoup sur les financements, l'Allemagne étant le premier contributeur net. Nous, nous sommes pour des politiques plus intégrées, nous voulons conserver la Politique agricole commune, nous voulons conserver les politiques régionales, nous voulons même en développer d'autres. J'ajoute qu'à titre personnel, je ne serais pas opposé à ce qu'il y ait un jour un impôt européen, un budget européen plus conséquent pour des politiques qui touchent réellement nos concitoyens. Ce matin, je remettais des prix dans un concours de jeunes lycéens sur l'avenir des territoires. Tout ce qui concerne la mobilité des étudiants, des chercheurs, l'échange...doit être développé considérablement. Voilà pour le fond. Il y a une deuxième différence sur les institutions. Au fond, le texte du SPD propose un modèle fédéral à l'allemande avec un exécutif qui deviendrait unique - la Commission - et un parlement à deux chambres - un Bundestag, le Parlement européen actuel et un Bundesrat, une chambre des Länder, qui serait le Conseil des ministres actuel. Je ne crois pas, je le répète, que l'on puisse transformer le Conseil des ministres en Sénat, en deuxième chambre. Honnêtement, j'ai été parlementaire européen, je sais ce qu'est le Parlement européen, il a d'énormes qualités, mais les gouvernements ne peuvent pas être la deuxième chambre du Parlement européen. C'est impossible. Donc, de ce point de vue-là, nous allons présenter des solutions alternatives.
Q - C'est-à-dire ?
R - C'est-à-dire un système qui permette de rénover ce qui existe aujourd'hui, qui a été créé par des Européens, par Jean Monnet, par Robert Schuman, par Maurice Faure, par de Gasperi, bref, par des gens qui avaient des convictions européennes : c'est-à-dire trois institutions qui représentent bien l'originalité de l'Europe : la Commission, qui est une institution assurément fédérale, le Parlement européen, qui doit monter en puissance et le Conseil des ministres, qui doit être profondément rénové.
Q - La Commission, vous souhaitez, par exemple, qu'elle ait plus d'autonomie, plus de marges de manuvre, qu'elle puisse accélérer davantage ses travaux, qu'elle ait un président, par exemple, qui soit choisi parmi la majorité qui se dessine politiquement dans les nations ?
R - Toutes ces idées sont très intéressantes et Lionel Jospin donnera sa réponse. A l'évidence, je ne suis pas pour le statu quo, je suis pour qu'on fasse des choix importants en termes d'efficacité, de démocratie sur chaque institution : la Commission, le Parlement et le Conseil. Simplement, je ne suis pas pour qu'on en supprime une parce qu'au fond, je pense que dans ce triangle, il y a une intuition géniale qui a été celle de ceux qu'on appelle les pères fondateurs de l'Union européenne : représenter l'intérêt général européen, c'est la Commission ; représenter le peuple européen, c'est le Parlement européen ; mais aussi respecter les Etats, qui sont une source de légitimité à travers leurs différences linguistiques, de culture et cela, c'est le Conseil. Je crois que l'avenir est là, dans l'amélioration de ce triangle. Chaque institution aujourd'hui connaît sa crise, c'est clair. Il faut la résoudre, il faut remettre tout cela en cohérence, mais ne pas supprimer une institution ou la reléguer à l'état de je ne sais quoi, une deuxième chambre ou un Sénat. D'ailleurs, d'une façon générale, j'aime beaucoup le Sénat, mais je pense que l'expérience que nous avons n'incite pas à la reproduire au niveau de l'Europe.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mai 2001)
Interview dans "La Croix" du 17 mai :
Q - Quelles leçons tirez-vous des élections qui viennent de se dérouler dimanche en Italie ?
R - En Italie, Silvio Berlusconi l'a emporté avec une grande formation politique récente. J'observe que cette formation, basée sur le concept de l'entreprise, est alliée avec d'autres, les post-fascistes et une ligue parfois xénophobe. L'important est de voir comment cela va fonctionner, mais sans porter de jugement de valeur a priori. Bien sûr, pour des hommes de ma sensibilité politique, ce résultat ne provoque pas une très grande joie. Mais il faut respecter les alternances, les changements démocratiques voulus par les peuples.
Q - Vous dites qu'il faut respecter les alternances. Pourtant après les élections autrichiennes, vous vous étiez prononcé pour une mise en quarantaine d'un gouvernement qui s'était allié à l'extrême droite.
R - Si ma position est différente en ce qui concerne l'Italie, c'est parce que la nature des partis et le rapport de forces ne sont pas semblables. En Italie, le parti de Bossi, le plus éloigné des idéaux européens, pèse un peu moins de 4 %. Ensuite, Jorg Haider, le chef de l'extrême droite autrichienne, fait volontiers référence au IIIe Reich et utilise une rhétorique qui frise, à l'occasion, le racisme et l'antisémitisme. On ne peut pas mettre sur le même plan Silvio Berlusconi. C'est une alternance de droite pas tout à fait classique, mais en rien illégitime. Je considère donc qu'il faut rester attentif au respect des valeurs européennes, mais surtout espérer que l'Italie reste un pays fortement ancré dans l'Union européenne.
Q - Un bon bilan de la gauche et une droite victorieuse ! N'y a-t-il pas dans le scrutin italien des leçons qui vous font réfléchir ?
R - La situation est très différente ! La coalition d'arrivée n'était pas exactement la coalition de départ. L'Olivier s'était défait, n'avait en tout cas pas gardé jusqu'au bout sa cohérence. Alors que Lionel Jospin s'apprête à fêter sa quatrième année à Matignon, la gauche italienne a eu, pendant le même temps, trois présidents du Conseil. Et une quatrième personne pour conduire sa campagne. Ma conclusion est donc que la cohérence de la gauche plurielle est la clé de son succès. La défaire serait une faute. Il y a là une responsabilité collective pour tous les partis qui la composent.
Q - L'Europe a compté dans la campagne italienne. En sera-t-il de même en France ?
R - J'espère que l'on parlera de l'Europe dans les débats électoraux de 2002 et que les Français choisiront un concept clair sur l'avenir de l'Union. Que cette dernière soit présente et importante au sein de la campagne, je le souhaite. Mais les sujets nationaux demeureront sans doute primordiaux dans les choix des Français
Q - Pourquoi, alors, le Premier ministre ne s'est-il pas exprimé plus tôt sur sa vison de l'Europe ?
R - Je ne comprends pas cette impatience. Depuis que nous sommes au pouvoir, notre politique européenne est marquée par une orientation fondamentale, un engagement et une volonté. L'orientation fondamentale, c'est la volonté marquée de réorienter l'Europe vers la croissance et l'emploi, des sujets dont on ne parlait absolument pas en 1997. Notre engagement, c'est de réaliser l'euro. Souvenez-vous en 1997, les choses n'étaient pas acquises et c'est sans doute pour cela que le président de la République a décidé la dissolution. Quant à notre volonté, c'est de bâtir une Europe politique dans une Union élargie.
De ce point de vue, le grand débat institutionnel n'a commencé qu'il y a un an, avec le discours de Joschka Fischer. Puis le président de la République a exposé ses idées fin juin 2000 à Berlin, à la veille de la présidence française de l'Union européenne. Dès lors, le Premier ministre pouvait difficilement répondre. Soit il se serait aligné sur la position de Jacques Chirac - or il ne partage évidemment pas toutes ses idées -, soit il l'aurait contredit, et la France n'aurait plus alors parlé d'une seule voix, ce qui l'aurait affaiblie pendant sa présidence. La réserve de Lionel Jospin était obligée. Il peut maintenant parler, et il le fera prochainement.
Q - Le discours de Lionel Jospin sera forcément comparé aux positions allemandes.
R - Mais lesquelles ? Celles de Joschka Fischer ou celles du SPD ? Celles-ci sont d'ailleurs la position d'un parti, dont on a retenu huit ou neuf lignes : un Conseil transformé en deuxième Chambre législative, idée sur laquelle nous sommes en désaccord. Pourquoi toujours penser que nous sommes en train de répondre aux Allemands ? Le discours de Lionel Jospin sera une vision française, socialiste, personnelle du Premier ministre.
Q - Et novatrice ?
R - Ce sera un discours complet. Il y aura sa vision des institutions mais pas uniquement cela. Il dira aussi ce qu'il faut attendre de l'Europe. Et il va surprendre par son audace et satisfaire par son réalisme ! Il ne faut pas voir Lionel Jospin comme un Européen tiède. C'est un Européen convaincu, conscient de l'intérêt général de l'Europe et des intérêts français. Pensez-vous que le chancelier Schroeder ne fait pas attention aux intérêts allemands ?
Ne peut-il y avoir un fédéralisme à la française et ce fédéralisme-là n'est-il pas mieux à même de réunir les Européens ?
Q - Dans le même temps, un débat sur l'Europe débute en France. Comment cela s'harmonise-t-il ?
R - Le discours de Lionel Jospin n'est pas là pour clore le débat. Ce sera sa contribution à celui-ci. D'ailleurs, l'avenir de l'Europe ne se décide pas uniquement entre Français et Allemands, il y a tous les autres et notamment les Anglais, les Espagnols, les Italiens et demain les pays candidats. Le débat commence, je souhaite que l'expression de tous - y compris celle du Premier ministre - contribue à l'alimenter.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 mai 2001)