Texte intégral
PATRICK BOYER
L'invité aujourd'hui, ALAIN RICHARD, ministre du Gouvernement, dirigeant socialiste, ALAIN RICHARD bonjour !
ALAIN RICHARD
Bonsoir !
PATRICK BOYER
En tant que dirigeant donc socialiste, vous préparez, vous aussi le congrès de Grenoble. Vous êtes l'héritier du courant rocardien, mais Michel Rocard n'est plus aux affaires, il est député européen, le rocardisme existe t-il encore ?
ALAIN RICHARD
En tous cas, il y a dans ma famille socialiste une sensibilité, une approche des problèmes qui repose sur un réalisme, nous nous retrouvons bien l'approche de Lionel Jospin aujourd'hui, parce que c'est aussi une volonté de laisser jouer les initiatives, l'innovation dans la société donc de considérer les citoyens individuellement et plus encore en groupe, comme des acteurs responsables, entre lesquels il doit y avoir des contrats. Le rocardisme existe encore, bien entendu, les hommes, leur parcours se développe. Michel Rocard a un rôle aujourd'hui qui est un rôle toujours aussi inventif et toujours aussi créatif, qui est un rôle un peu d'inspirateur, et puis nous, nous faisons de la politique plus au quotidien.
PATRICK BOYER
Alors que va devenir le rocardisme à Grenoble ?
ALAIN RICHARD
Eh bien, nous essayons avec des amis qui étaient traditionnellement des soutiens de Lionel Jospin, de constituer un groupe central, fort par sa cohésion, par sa solidarité par son refus des surenchères qui essayent de bien faire marcher le Parti socialiste et sa majorité, nous le faisons sans aucun esprit de rejet vis-à-vis de quiconque. Je constate, quand je repense au congrès que nous avons vécu ces 20-25 dernières années, quand je vois aussi ce qu'il se passe dans d'autres formations politiques, que le Parti socialiste, aujourd'hui vit bien sa démocratie interne. Il y a bien entendu des débats mais nous savons, je crois, les maîtriser et en sortir positivement.
PATRICK BOYER
Se sera la fin de la deuxième gauche à Grenoble ?
ALAIN RICHARD
Non justement, l'inspiration de cette approche à la fois de réalisme et de volontarisme social continuera de s'incarner derrière François Hollande, en essayant de tirer toute la logique de l'action du gouvernement de Lionel Jospin, nous pouvons aussi tracer des projets pour l'avenir.
PATRICK BOYER
Alors vous disiez, point central, en quelque sorte vous vous situeriez, ALAIN RICHARD, à l'équilibre entre disons, à gauche Henri Emmanuelli et Julien Dray et à droite Laurent Fabius ?
ALAIN RICHARD
Vous savez que nous faisons un congrès tous les 3 ans, donc nous avons un regard sur ce que nous avons fait depuis 3 ans, et nous essayons de tracer des projets pour les 3 ans qui viennent ça nous emmène jusqu'à la fin 2003. Ce qui a fait réussir notre action, qui je crois inspire confiance aux Français, c'est un cocktail, de modernisation, de dynamisme économique et le volontarisme social, nous voulons utiliser toutes les marges pour lutter contre les inégalités de chance.
PATRICK BOYER
Autrement dit on ne change pas la politique économique du gouvernement ?
ALAIN RICHARD
Moi je crois que c'est un cocktail qui a fonctionné qui est en phase avec les attentes de la société française et que nous ne voyons pas de raisons de changer dans les circonstances.
PATRICK BOYER
Au risque de faire passer le PS pour le parti de l'immobilisme !
ALAIN RICHARD
Non pas du tout, il faut au contraire de la continuité et de la cohérence. Je crois que ce qui nous différencie des motions minoritaires, c'est qu'ils pensent toujours qu'il faut multiplier les mesures prises un peu centralisatrices pour cadrer l'évolution de la société. Or moi je dis, ils ont peut-être été pessimistes dans le passé quand ils nous disaient " en baissant les déficits vous allez étouffer la croissance ", on a baissé les déficits, on a eu une très bonne croissance, ils ont été pessimistes sur l'évolution de notre modernisation économique qu'ils croyaient porteuse de plus de précarité, qu'est ce que je vois en 2000 ? Le nombre de CDI augmente, on nous a dit à un moment, vous avez des croissances d'emplois, c'est vrai mais ce n'est que des CDD, aujourd'hui les CDI augmentent. Les chômeurs de longue durée sont moins nombreux, il commence à y avoir des frémissements de retour à l'emploi dans les quartiers chez les RMIstes, donc je crois que ce cocktail nous l'avons bien choisi, les Français le comprennent et il faut le poursuivre.
PATRICK BOYER
Aujourd'hui ALAIN RICHARD le Parti socialiste table beaucoup sur Jacques Chirac en le traitant de démagogie dans l'affaire de la vache folle, et si son propos était si responsable que cela pourquoi le gouvernement a-t-il obtempéré en interdisant les farines animales ?
ALAIN RICHARD
Je ne me prononce pas sur une controverse en impliquant le chef de l'Etat, je dis simplement que le gouvernement a commencé à réfléchir et à travailler sur ce problème de santé publique en supprimant les farines animales dans l'alimentation d'un certain nombre de chaînes alimentaires. Nous avions commencé à y réfléchir avant qu'il n'y ait prise de position publique et ce que le Premier ministre a rappelé, c'est qu'un gouvernement doit prendre ses responsabilités quand il prend une décision. Il doit être sûr qu'elle va s'appliquer de façon efficace. J'en sais quelque chose par le rôle que certaines emprises militaires vont jouer, il a bien fallu qu'on étudie tout ça, donc je n'emploie pas de noms d'oiseaux, je dis simplement que ce gouvernement, le gouvernement de Lionel Jospin, a sa méthode de travail, réfléchit et pratique, en responsabilité dans ce dossier comme dans les autres.
PATRICK BOYER
Mais qu'est-ce que le dirigeant socialiste ALAIN RICHARD aurait à reprocher à Jacques Chirac dans cette affaire ?
ALAIN RICHARD
Il attendra de n'être que dirigeant socialiste pour dire ce qu'il pense sur des sujets qui mettent en cause le chef de l'Etat.
PATRICK BOYER
Oui. Un certain nombre de livres en tous cas paraissent, Collombani, Barbier, pour dire que jamais sous la Cinquième République, la fonction présidentielle n'avait été à ce point affaiblie de l'intérieur aujourd'hui.
ALAIN RICHARD
Ce qui se passe c'est que les Français ont choisi plusieurs fois en 97 quand le chef de l'Etat les a consultés en 98, les Français ont à nouveau voté, pour des élections locales importantes. Puis en 99 pour les élections européennes, ils ont maintenu leur choix, en terme de force politique. Aujourd'hui, les forces politiques qui sont derrière le président de la République, au nom desquelles il parle ne sont pas majoritaires dans le pays, je crois que cela n'affecte pas l'Institution présidentielle et que dans les domaines de compétences qui sont clairement ceux du président de la République, le Gouvernement respecte son sentiment.
PATRICK BOYER
Le quinquennat qui démarrera en 2002 doit-il être une restauration tout de même de l'autorité présidentielle ?
ALAIN RICHARD
Je crois que l'autorité présidentielle n'est pas en cause, la question est de savoir si les Français ont le droit de choisir une majorité y compris quand elle est différente de celle d'une majorité précédente qui a choisi un président de la République. Cela existera toujours, y compris, je le fais observer, si il y avait coïncidence entre les deux élections. Ce que beaucoup de Français ne souhaitent pas revoir, c'est un président de la République qui dirigerait tout et qui ferait passer le Gouvernement et le Parlement au troisième plan, nous avons des institutions démocratiques pluralistes.
PATRICK BOYER
Un mot du ministre de la Défense, puisque le général Massu en une du Monde avoue, une fois de plus, la torture en Algérie, mais surtout demande une condamnation par la France de ces pratiques. Seriez-vous pour une telle repentance officielle concernant la guerre d'Algérie?
ALAIN RICHARD
Je crois que ce dont il peut être question, c'est une déclaration d'une prise de positions des autorités de l'Etat. Et donc je ne m'avancerai pas seul, sur l'ensemble d'une situation, dont je rappelle que c'était une situation de guerre, nous l'avons déclaré telle par un vote du Parlement il y a quelques mois. Moi ce que je dis sur cette question maintenant, c'est le travail des historiens, et nous avons fait au ministère de la Défense, j'ai fait faire un travail d'historien. Nous avons maintenant du travail régulièrement entre les historiens algériens et français sur cette question et deuxièmement ma préoccupation comme ministre de la Défense, c'est de dire les règles d'actions des militaires français aujourd'hui excluraient de telles pratiques.
PATRICK BOYER
Et l'institution militaire que vous connaissez bien accepterait-elle une repentance sur la torture en Algérie ?
ALAIN RICHARD
L'institution militaire aujourd'hui ce sont des hommes et des femmes qui croient aux valeurs de la République, qui savent qu'ils se battent aujourd'hui pour les droits de l'homme, pour les libertés et qui seront je crois satisfaits que la transparence soit faite sur ces questions.
PATRICK BOYER
Merci ALAIN RICHARD ministre, dirigeant socialiste était l'invité de France Info.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 17 avril 2001)
PIERRE GANZ
Bonjour, ALAIN RICHARD !
ALAIN RICHARD
Bonjour, PIERRE GANZ !
PIERRE GANZ
Un mot peut-être sur la situation au Proche-Orient, est-ce que vous pensez qu'un apaisement est possible ?
ALAIN RICHARD
En tout cas tous les partenaires extérieurs, dont l'Europe et la France, doivent y contribuer. Nous y travaillons très attentivement, à la fois en relation bilatérale avec les deux parties. L'autorité palestinienne et le gouvernement israélien, et puis aussi dans le cadre du Conseil de sécurité où on recherche activement tout ce qui pourrait donner une porte de sortie aux deux partenaires. Vous avez vu la déclaration adoptée par le Conseil des ministres des Affaires étrangères européens lundi, vraiment nous sommes actifs dans le rétablissement d'un processus de paix.
PIERRE GANZ
Les Palestiniens demandent de plus en plus une force d'interposition. C'est crédible, c'est possible ?
ALAIN RICHARD
C'est très difficile parce que, d'abord, il n'y a pas d'accord sur ce point et on peut s'attendre au maintien d'un désaccord avec le gouvernement israélien et de ce fait nous nous attendons à ce que le Conseil de sécurité soit divisé sur ce sujet. Donc on examine d'autres solutions probablement à partir de la Commission d'enquête sur laquelle un accord a eu lieu.
PIERRE GANZ
ALAIN RICHARD, on va parler de la Défense en Europe, la Défense européenne, puisque ces deux derniers jours les Quinze ministres européens de la Défense ont précisé les effectifs d'une force de réaction rapide. Est-ce que c'est une armée européenne qui est née ?
ALAIN RICHARD
Non, mais en tout cas c'est un événement et c'est une réalisation. C'est-à-dire que les Européens se sont fixés l'année dernière l'objectif d'avoir une capacité d'action et en un peu plus d'un an ils l'ont fait puisque dès les tous prochains mois, lorsque les échelons de préparation, de décision et de gestion de situation auront été mis en place, nous pourrons l'employer sur décision des Etats cette force pour traiter une situation régionale les armes à la main et donc c'est un très grand changement par rapport à tout ce que nous avons connu de la construction européenne, c'était devenu possible dans les circonstances, les gouvernements, les Etats en ont manifesté la volonté.
PIERRE GANZ
Ça va se traduire comment ? Les soldats ont tous le même uniforme, toutes les armes
ALAIN RICHARD
Non, pas du tout ! On ne cherche pas à faire du symbolique là, on cherche à faire une opération multinationale efficace, avec des gens qui sont habitués à travailler ensemble, nous le faisons déjà au Kosovo, nous le faisons en Bosnie. Donc il faut simplement confirmer un entraînement, à savoir, faire de l'action en commun et puis avoir de bons systèmes de commandement.
PIERRE GANZ
ALAIN RICHARD, quel sera le champ d'intervention de cette force de réaction rapide, uniquement l'Europe ?
ALAIN RICHARD
Depuis que les décisions sur l'action possible de l'Europe en matière de défense ont été prises en 92, on sait que ça peut être pour gérer une crise dans l'Europe ou bien pour soutenir une opération de rétablissement de la paix sous mandat des Nations-Unies et à ce moment-là ça peut être beaucoup plus loin.
PIERRE GANZ
C'est-à-dire que cette force de réaction rapide à travers l'Europe va être beaucoup plus appelée à travailler avec les Nations unies que, par exemple, l'OTAN ?
ALAIN RICHARD
En tout cas, les Européens y sont disposés. C'est un point dont nous avons encore parlé de façon précise entre ministres de la Défense ces deux derniers jours, je crois que ça correspond aussi à la vision que l'Europe peut avoir de son rôle, c'est-à-dire le respect de la loi internationale, la recherche de solutions équilibrées. Donc si les Européens veulent avoir progressivement une action internationale, y compris dans les crises, plutôt que de laisser les autres régler les situations, eh bien il faut en passer par là, cette résolution est prise, donc nous avons, je crois, fait un vrai progrès.
PIERRE GANZ
Quelle est la compatibilité de ce système avec celui de l'OTAN ?
ALAIN RICHARD
L'OTAN dans notre vision a une fonction de défense collective par rapport à des risques majeurs qui aujourd'hui ne sont pas perceptibles mais qui peuvent réapparaître. Donc tous les Etats qui en sont membres ont bien l'intention de le rester. En revanche, nous pensons que pour des opérations plus limitées mais demandant de combiner l'outil militaire avec une action diplomatique, avec une action humanitaire ou économique, là l'Union européenne a de réelles possibilités. Et puis, que voulez-vous, aujourd'hui 53 % du PIB mondial est fait par l'Europe et les Etats-Unis, 25 % par les Etats-Unis, 28 % par l'Europe. Il n'est pas illégitime que l'Europe qui a acquis, je dirais, droit de citer dans beaucoup d'éléments des rapports internationaux ait aussi des moyens limités, pragmatiques de traiter une crise par les armes.
PIERRE GANZ
Pour être totalement crédible, ALAIN RICHARD, est-ce que les Nations européennes doivent augmenter leur budget de Défense ?
ALAIN RICHARD
Il faudrait en tout cas que leur contribution à cet effort commun soit plus équilibrée puisqu'il y a des différences substantielles entre nous et puisqu'on est en union économique. Il vaudrait mieux que chacun mette à peu près un écot comparable mais en attendant simplement en utilisant mieux les capacités dont nous disposons en national, en les faisant travailler ensemble et en coordonnant nos politiques d'équipement pour nous donner ensemble les moyens qu'il manque. Je pense, par exemple, aux avions de transport
PIERRE GANZ
Il y a un problème de logistique, vous savez dans un cas précis comme ça l'Europe aura besoin des Etats-Unis pour transporter sa force de réaction rapide à 10000 kilomètres ou 5000 kilomètres.
ALAIN RICHARD
Si c'était une opération à courte échéance, nous aurions besoin de moyens complémentaires qui pourraient être soit civils, soit effectivement une contribution militaire d'autres pays. D'ailleurs, j'en profite pour dire que personne n'imagine que l'Europe utilise cette force pour une action à laquelle s'opposeraient les Etats-Unis.
PIERRE GANZ
Quelle leçon vous tirez justement de l'intervention européenne au Kosovo, je parle des troupes européennes, la brigade franco-allemande et autres, qui sont déjà allées là-bas pendant six mois ?
ALAIN RICHARD
Ils ont joué leur rôle et le bilan qu'on peut faire au bout d'un an et demi c'est que comme prévu, enfin comme c'était annoncé, l'épuration ethnique a été inversée, que des conditions encore insuffisantes de cohabitation entre les communautés existent. Nous ne sommes pas dans une situation de combats permanents mais si les protagonistes d'une situation comme là-bas, qui ont toujours la tentation de passer à la violence, voyaient que la force internationale qui est là baisse sa garde ça recommencerait.
PIERRE GANZ
La force d'intervention rapide européenne aurait existé il y a dix ans, elle serait intervenue tout de suite en Yougoslavie ?
ALAIN RICHARD
En tout cas notre objectif c'est bien de rendre nos dirigeants capables de prendre une telle décision et que nous l'assumions par nous-mêmes, donc nous en sommes, je crois, très près maintenant.
PIERRE GANZ
Maintenant que l'outil militaire est en gestation très avancée, est-ce que l'unité politique sur une politique de sécurité extérieure commence à se faire davantage ?
ALAIN RICHARD
Si vous regardez par rapport à il y a dix ans ou il y a quinze ans, mesurez le nombre de cas dans lesquels nous avons des positions proches ou identiques. Et je crois que le fait d'avoir un outil supplémentaire qui nous amènera à prendre nos responsabilités conduira à encore plus d'esprit de concertation pour que l'Europe globalement soit crédible, c'est l'intérêt de tout le monde.
PIERRE GANZ
Merci, ALAIN RICHARD, bonne journée !
(source http://www.defense.gouv.fr, le 17 avril 2001)
L'invité aujourd'hui, ALAIN RICHARD, ministre du Gouvernement, dirigeant socialiste, ALAIN RICHARD bonjour !
ALAIN RICHARD
Bonsoir !
PATRICK BOYER
En tant que dirigeant donc socialiste, vous préparez, vous aussi le congrès de Grenoble. Vous êtes l'héritier du courant rocardien, mais Michel Rocard n'est plus aux affaires, il est député européen, le rocardisme existe t-il encore ?
ALAIN RICHARD
En tous cas, il y a dans ma famille socialiste une sensibilité, une approche des problèmes qui repose sur un réalisme, nous nous retrouvons bien l'approche de Lionel Jospin aujourd'hui, parce que c'est aussi une volonté de laisser jouer les initiatives, l'innovation dans la société donc de considérer les citoyens individuellement et plus encore en groupe, comme des acteurs responsables, entre lesquels il doit y avoir des contrats. Le rocardisme existe encore, bien entendu, les hommes, leur parcours se développe. Michel Rocard a un rôle aujourd'hui qui est un rôle toujours aussi inventif et toujours aussi créatif, qui est un rôle un peu d'inspirateur, et puis nous, nous faisons de la politique plus au quotidien.
PATRICK BOYER
Alors que va devenir le rocardisme à Grenoble ?
ALAIN RICHARD
Eh bien, nous essayons avec des amis qui étaient traditionnellement des soutiens de Lionel Jospin, de constituer un groupe central, fort par sa cohésion, par sa solidarité par son refus des surenchères qui essayent de bien faire marcher le Parti socialiste et sa majorité, nous le faisons sans aucun esprit de rejet vis-à-vis de quiconque. Je constate, quand je repense au congrès que nous avons vécu ces 20-25 dernières années, quand je vois aussi ce qu'il se passe dans d'autres formations politiques, que le Parti socialiste, aujourd'hui vit bien sa démocratie interne. Il y a bien entendu des débats mais nous savons, je crois, les maîtriser et en sortir positivement.
PATRICK BOYER
Se sera la fin de la deuxième gauche à Grenoble ?
ALAIN RICHARD
Non justement, l'inspiration de cette approche à la fois de réalisme et de volontarisme social continuera de s'incarner derrière François Hollande, en essayant de tirer toute la logique de l'action du gouvernement de Lionel Jospin, nous pouvons aussi tracer des projets pour l'avenir.
PATRICK BOYER
Alors vous disiez, point central, en quelque sorte vous vous situeriez, ALAIN RICHARD, à l'équilibre entre disons, à gauche Henri Emmanuelli et Julien Dray et à droite Laurent Fabius ?
ALAIN RICHARD
Vous savez que nous faisons un congrès tous les 3 ans, donc nous avons un regard sur ce que nous avons fait depuis 3 ans, et nous essayons de tracer des projets pour les 3 ans qui viennent ça nous emmène jusqu'à la fin 2003. Ce qui a fait réussir notre action, qui je crois inspire confiance aux Français, c'est un cocktail, de modernisation, de dynamisme économique et le volontarisme social, nous voulons utiliser toutes les marges pour lutter contre les inégalités de chance.
PATRICK BOYER
Autrement dit on ne change pas la politique économique du gouvernement ?
ALAIN RICHARD
Moi je crois que c'est un cocktail qui a fonctionné qui est en phase avec les attentes de la société française et que nous ne voyons pas de raisons de changer dans les circonstances.
PATRICK BOYER
Au risque de faire passer le PS pour le parti de l'immobilisme !
ALAIN RICHARD
Non pas du tout, il faut au contraire de la continuité et de la cohérence. Je crois que ce qui nous différencie des motions minoritaires, c'est qu'ils pensent toujours qu'il faut multiplier les mesures prises un peu centralisatrices pour cadrer l'évolution de la société. Or moi je dis, ils ont peut-être été pessimistes dans le passé quand ils nous disaient " en baissant les déficits vous allez étouffer la croissance ", on a baissé les déficits, on a eu une très bonne croissance, ils ont été pessimistes sur l'évolution de notre modernisation économique qu'ils croyaient porteuse de plus de précarité, qu'est ce que je vois en 2000 ? Le nombre de CDI augmente, on nous a dit à un moment, vous avez des croissances d'emplois, c'est vrai mais ce n'est que des CDD, aujourd'hui les CDI augmentent. Les chômeurs de longue durée sont moins nombreux, il commence à y avoir des frémissements de retour à l'emploi dans les quartiers chez les RMIstes, donc je crois que ce cocktail nous l'avons bien choisi, les Français le comprennent et il faut le poursuivre.
PATRICK BOYER
Aujourd'hui ALAIN RICHARD le Parti socialiste table beaucoup sur Jacques Chirac en le traitant de démagogie dans l'affaire de la vache folle, et si son propos était si responsable que cela pourquoi le gouvernement a-t-il obtempéré en interdisant les farines animales ?
ALAIN RICHARD
Je ne me prononce pas sur une controverse en impliquant le chef de l'Etat, je dis simplement que le gouvernement a commencé à réfléchir et à travailler sur ce problème de santé publique en supprimant les farines animales dans l'alimentation d'un certain nombre de chaînes alimentaires. Nous avions commencé à y réfléchir avant qu'il n'y ait prise de position publique et ce que le Premier ministre a rappelé, c'est qu'un gouvernement doit prendre ses responsabilités quand il prend une décision. Il doit être sûr qu'elle va s'appliquer de façon efficace. J'en sais quelque chose par le rôle que certaines emprises militaires vont jouer, il a bien fallu qu'on étudie tout ça, donc je n'emploie pas de noms d'oiseaux, je dis simplement que ce gouvernement, le gouvernement de Lionel Jospin, a sa méthode de travail, réfléchit et pratique, en responsabilité dans ce dossier comme dans les autres.
PATRICK BOYER
Mais qu'est-ce que le dirigeant socialiste ALAIN RICHARD aurait à reprocher à Jacques Chirac dans cette affaire ?
ALAIN RICHARD
Il attendra de n'être que dirigeant socialiste pour dire ce qu'il pense sur des sujets qui mettent en cause le chef de l'Etat.
PATRICK BOYER
Oui. Un certain nombre de livres en tous cas paraissent, Collombani, Barbier, pour dire que jamais sous la Cinquième République, la fonction présidentielle n'avait été à ce point affaiblie de l'intérieur aujourd'hui.
ALAIN RICHARD
Ce qui se passe c'est que les Français ont choisi plusieurs fois en 97 quand le chef de l'Etat les a consultés en 98, les Français ont à nouveau voté, pour des élections locales importantes. Puis en 99 pour les élections européennes, ils ont maintenu leur choix, en terme de force politique. Aujourd'hui, les forces politiques qui sont derrière le président de la République, au nom desquelles il parle ne sont pas majoritaires dans le pays, je crois que cela n'affecte pas l'Institution présidentielle et que dans les domaines de compétences qui sont clairement ceux du président de la République, le Gouvernement respecte son sentiment.
PATRICK BOYER
Le quinquennat qui démarrera en 2002 doit-il être une restauration tout de même de l'autorité présidentielle ?
ALAIN RICHARD
Je crois que l'autorité présidentielle n'est pas en cause, la question est de savoir si les Français ont le droit de choisir une majorité y compris quand elle est différente de celle d'une majorité précédente qui a choisi un président de la République. Cela existera toujours, y compris, je le fais observer, si il y avait coïncidence entre les deux élections. Ce que beaucoup de Français ne souhaitent pas revoir, c'est un président de la République qui dirigerait tout et qui ferait passer le Gouvernement et le Parlement au troisième plan, nous avons des institutions démocratiques pluralistes.
PATRICK BOYER
Un mot du ministre de la Défense, puisque le général Massu en une du Monde avoue, une fois de plus, la torture en Algérie, mais surtout demande une condamnation par la France de ces pratiques. Seriez-vous pour une telle repentance officielle concernant la guerre d'Algérie?
ALAIN RICHARD
Je crois que ce dont il peut être question, c'est une déclaration d'une prise de positions des autorités de l'Etat. Et donc je ne m'avancerai pas seul, sur l'ensemble d'une situation, dont je rappelle que c'était une situation de guerre, nous l'avons déclaré telle par un vote du Parlement il y a quelques mois. Moi ce que je dis sur cette question maintenant, c'est le travail des historiens, et nous avons fait au ministère de la Défense, j'ai fait faire un travail d'historien. Nous avons maintenant du travail régulièrement entre les historiens algériens et français sur cette question et deuxièmement ma préoccupation comme ministre de la Défense, c'est de dire les règles d'actions des militaires français aujourd'hui excluraient de telles pratiques.
PATRICK BOYER
Et l'institution militaire que vous connaissez bien accepterait-elle une repentance sur la torture en Algérie ?
ALAIN RICHARD
L'institution militaire aujourd'hui ce sont des hommes et des femmes qui croient aux valeurs de la République, qui savent qu'ils se battent aujourd'hui pour les droits de l'homme, pour les libertés et qui seront je crois satisfaits que la transparence soit faite sur ces questions.
PATRICK BOYER
Merci ALAIN RICHARD ministre, dirigeant socialiste était l'invité de France Info.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 17 avril 2001)
PIERRE GANZ
Bonjour, ALAIN RICHARD !
ALAIN RICHARD
Bonjour, PIERRE GANZ !
PIERRE GANZ
Un mot peut-être sur la situation au Proche-Orient, est-ce que vous pensez qu'un apaisement est possible ?
ALAIN RICHARD
En tout cas tous les partenaires extérieurs, dont l'Europe et la France, doivent y contribuer. Nous y travaillons très attentivement, à la fois en relation bilatérale avec les deux parties. L'autorité palestinienne et le gouvernement israélien, et puis aussi dans le cadre du Conseil de sécurité où on recherche activement tout ce qui pourrait donner une porte de sortie aux deux partenaires. Vous avez vu la déclaration adoptée par le Conseil des ministres des Affaires étrangères européens lundi, vraiment nous sommes actifs dans le rétablissement d'un processus de paix.
PIERRE GANZ
Les Palestiniens demandent de plus en plus une force d'interposition. C'est crédible, c'est possible ?
ALAIN RICHARD
C'est très difficile parce que, d'abord, il n'y a pas d'accord sur ce point et on peut s'attendre au maintien d'un désaccord avec le gouvernement israélien et de ce fait nous nous attendons à ce que le Conseil de sécurité soit divisé sur ce sujet. Donc on examine d'autres solutions probablement à partir de la Commission d'enquête sur laquelle un accord a eu lieu.
PIERRE GANZ
ALAIN RICHARD, on va parler de la Défense en Europe, la Défense européenne, puisque ces deux derniers jours les Quinze ministres européens de la Défense ont précisé les effectifs d'une force de réaction rapide. Est-ce que c'est une armée européenne qui est née ?
ALAIN RICHARD
Non, mais en tout cas c'est un événement et c'est une réalisation. C'est-à-dire que les Européens se sont fixés l'année dernière l'objectif d'avoir une capacité d'action et en un peu plus d'un an ils l'ont fait puisque dès les tous prochains mois, lorsque les échelons de préparation, de décision et de gestion de situation auront été mis en place, nous pourrons l'employer sur décision des Etats cette force pour traiter une situation régionale les armes à la main et donc c'est un très grand changement par rapport à tout ce que nous avons connu de la construction européenne, c'était devenu possible dans les circonstances, les gouvernements, les Etats en ont manifesté la volonté.
PIERRE GANZ
Ça va se traduire comment ? Les soldats ont tous le même uniforme, toutes les armes
ALAIN RICHARD
Non, pas du tout ! On ne cherche pas à faire du symbolique là, on cherche à faire une opération multinationale efficace, avec des gens qui sont habitués à travailler ensemble, nous le faisons déjà au Kosovo, nous le faisons en Bosnie. Donc il faut simplement confirmer un entraînement, à savoir, faire de l'action en commun et puis avoir de bons systèmes de commandement.
PIERRE GANZ
ALAIN RICHARD, quel sera le champ d'intervention de cette force de réaction rapide, uniquement l'Europe ?
ALAIN RICHARD
Depuis que les décisions sur l'action possible de l'Europe en matière de défense ont été prises en 92, on sait que ça peut être pour gérer une crise dans l'Europe ou bien pour soutenir une opération de rétablissement de la paix sous mandat des Nations-Unies et à ce moment-là ça peut être beaucoup plus loin.
PIERRE GANZ
C'est-à-dire que cette force de réaction rapide à travers l'Europe va être beaucoup plus appelée à travailler avec les Nations unies que, par exemple, l'OTAN ?
ALAIN RICHARD
En tout cas, les Européens y sont disposés. C'est un point dont nous avons encore parlé de façon précise entre ministres de la Défense ces deux derniers jours, je crois que ça correspond aussi à la vision que l'Europe peut avoir de son rôle, c'est-à-dire le respect de la loi internationale, la recherche de solutions équilibrées. Donc si les Européens veulent avoir progressivement une action internationale, y compris dans les crises, plutôt que de laisser les autres régler les situations, eh bien il faut en passer par là, cette résolution est prise, donc nous avons, je crois, fait un vrai progrès.
PIERRE GANZ
Quelle est la compatibilité de ce système avec celui de l'OTAN ?
ALAIN RICHARD
L'OTAN dans notre vision a une fonction de défense collective par rapport à des risques majeurs qui aujourd'hui ne sont pas perceptibles mais qui peuvent réapparaître. Donc tous les Etats qui en sont membres ont bien l'intention de le rester. En revanche, nous pensons que pour des opérations plus limitées mais demandant de combiner l'outil militaire avec une action diplomatique, avec une action humanitaire ou économique, là l'Union européenne a de réelles possibilités. Et puis, que voulez-vous, aujourd'hui 53 % du PIB mondial est fait par l'Europe et les Etats-Unis, 25 % par les Etats-Unis, 28 % par l'Europe. Il n'est pas illégitime que l'Europe qui a acquis, je dirais, droit de citer dans beaucoup d'éléments des rapports internationaux ait aussi des moyens limités, pragmatiques de traiter une crise par les armes.
PIERRE GANZ
Pour être totalement crédible, ALAIN RICHARD, est-ce que les Nations européennes doivent augmenter leur budget de Défense ?
ALAIN RICHARD
Il faudrait en tout cas que leur contribution à cet effort commun soit plus équilibrée puisqu'il y a des différences substantielles entre nous et puisqu'on est en union économique. Il vaudrait mieux que chacun mette à peu près un écot comparable mais en attendant simplement en utilisant mieux les capacités dont nous disposons en national, en les faisant travailler ensemble et en coordonnant nos politiques d'équipement pour nous donner ensemble les moyens qu'il manque. Je pense, par exemple, aux avions de transport
PIERRE GANZ
Il y a un problème de logistique, vous savez dans un cas précis comme ça l'Europe aura besoin des Etats-Unis pour transporter sa force de réaction rapide à 10000 kilomètres ou 5000 kilomètres.
ALAIN RICHARD
Si c'était une opération à courte échéance, nous aurions besoin de moyens complémentaires qui pourraient être soit civils, soit effectivement une contribution militaire d'autres pays. D'ailleurs, j'en profite pour dire que personne n'imagine que l'Europe utilise cette force pour une action à laquelle s'opposeraient les Etats-Unis.
PIERRE GANZ
Quelle leçon vous tirez justement de l'intervention européenne au Kosovo, je parle des troupes européennes, la brigade franco-allemande et autres, qui sont déjà allées là-bas pendant six mois ?
ALAIN RICHARD
Ils ont joué leur rôle et le bilan qu'on peut faire au bout d'un an et demi c'est que comme prévu, enfin comme c'était annoncé, l'épuration ethnique a été inversée, que des conditions encore insuffisantes de cohabitation entre les communautés existent. Nous ne sommes pas dans une situation de combats permanents mais si les protagonistes d'une situation comme là-bas, qui ont toujours la tentation de passer à la violence, voyaient que la force internationale qui est là baisse sa garde ça recommencerait.
PIERRE GANZ
La force d'intervention rapide européenne aurait existé il y a dix ans, elle serait intervenue tout de suite en Yougoslavie ?
ALAIN RICHARD
En tout cas notre objectif c'est bien de rendre nos dirigeants capables de prendre une telle décision et que nous l'assumions par nous-mêmes, donc nous en sommes, je crois, très près maintenant.
PIERRE GANZ
Maintenant que l'outil militaire est en gestation très avancée, est-ce que l'unité politique sur une politique de sécurité extérieure commence à se faire davantage ?
ALAIN RICHARD
Si vous regardez par rapport à il y a dix ans ou il y a quinze ans, mesurez le nombre de cas dans lesquels nous avons des positions proches ou identiques. Et je crois que le fait d'avoir un outil supplémentaire qui nous amènera à prendre nos responsabilités conduira à encore plus d'esprit de concertation pour que l'Europe globalement soit crédible, c'est l'intérêt de tout le monde.
PIERRE GANZ
Merci, ALAIN RICHARD, bonne journée !
(source http://www.defense.gouv.fr, le 17 avril 2001)