Interview de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la justice, à France Info le 7 octobre 2009, sur les modifications apportées aux conditions de vie des détenus par le projet de loi pénitentiaire.

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Média : France Info

Texte intégral

N. Poincaré.- Le "Choix de France Info", c'est ce matin de parler de la loi pénitentiaire qui revient aujourd'hui devant le Parlement. Plus exactement devant la commission mixte paritaire. Alors c'est un projet élaboré par R. Dati et maintenant défendu par ses successeurs, M. Alliot-Marie, garde des Sceaux et J.-M. Bockel, secrétaire d'Etat à la justice. Bonjour J.-M. Bockel.
 
Bonjour.
 
Alors pour parler de cette loi qui vise principalement à améliorer les conditions de détention en France, on a choisi de vous faire interpeller, de vous faire poser des questions par d'anciens détenus que B. Muller a joints hier. Première question de N. Aurousseau, il a fait sept ans de prison pour braquage. Aujourd'hui c'est un écrivain reconnu. Dernier livre paru, « Le ciel sur la tête ». Question de N. Aurousseau pour vous.
 
N. Aurousseau : Vous savez qu'on se suicide sept fois plus en détention qu'à l'extérieur et qu'on se suicide sept fois plus en quartier disciplinaire qu'en détention. Ce qui fait qu'on se suicide 49 fois plus au quartier disciplinaire qu'à l'extérieur. Comment se fait t-il que voulant réduire le taux de suicide dans les prisons, vous n'avez pas fermé les quartiers disciplinaires avec la loi pénitentiaire ?
 
Voilà la question.
 
Oui les règles pénitentiaires européennes permettent des quartiers pénitentiaires parce que c'est nécessaire.
 
C'est ce qu'on appelle le mitard.
 
Oui mais lorsqu'il y a des problèmes de violence interne, il faut des mesures disciplinaires. La loi d'ailleurs réduit le nombre de jours possibles à ordinairement vingt jours et plus mais de manière tout à fait exceptionnel.
 
C'était un mois et demi le maximum au départ.
 
Il faut savoir que le droit rentre de plus en plus dans ces quartiers. La loi maintenant prévoit donc de manière extrêmement précise les droits qui sont préservés. Je ne parle même pas de l'humanisation de ces quartiers. J'en ai visités plusieurs. Des droits d'abord à se défendre et à avoir un avocat pour s'expliquer devant une telle décision et éventuellement la contester. Aussi tous les droits à l'intérieur : le droit à la fois à l'enseignement, à la formation, à des visites, famille, avocat, le droit également de pratiquer sa religion. Le droit à la promenade.
 
En détention ordinaire. La question c'était sur les...
 
Non je parle du mitard, comme vous dites. Oui parce que l'image qu'on en a, c'est qu'on est complètement enfermé, le pain sec et l'eau. Ce n'est pas du tout la réalité. C'est simplement une mesure d'isolement. Parfois ça permet de calmer le jeu. Mais aujourd'hui la loi - le règlement déjà une dizaine d'années - mais aujourd'hui la loi rentre dans le quartier disciplinaire et je crois qu'il ne faut pas caricaturer cette mesure. J'ajoute que sur la prévention du suicide, on est complètement d'accord sur le fait qu'il y a toute une série de leviers sur lesquels il faut agir pour que le suicide trop important dans nos prisons diminue. Il y a à la fois le nombre trop important de malades psychiatriques, il y a les addictions, il y a le choc carcéral quand on arrive. Il y a bien sûr la surpopulation des prisons et, dans ce domaine-là, on avance à marche forcée pour réduire la densité dans les prisons. Mais encore une fois la nouvelle loi améliore considérablement le respect d'un certain nombre de droits fondamentaux dans les quartiers disciplinaires naturellement.
 
Une deuxième question d'un ancien prisonnier, A. Ben Othman (phon). Il a fait 17 ans de prison en trois fois pour des braquages et voilà ce qu'il vous demande.
 
A. Ben Othman : Comment se fait-il que dans les maisons d'arrêt, on empêche les couples d'avoir des relations sexuelles ? On a dit qu'il y avait des unités de vie familiale au niveau des centres de détention et de maisons centrales, c'est-à-dire une fois qu'on est condamné à des grosses peines. Mais le problème c'est que la majorité des couples se sépare pendant le temps de la maison d'arrêt. Quand on va passer aux assises, des fois on y reste deux, trois, quatre ans, voire cinq ans en attendant d'être transféré. Donc quand on a droit à l'unité de vie familiale en centrale ou en centre de détention, on n'a plus de conjoint. Pouvez-vous me dire ce que vous en pensez ?
 
Pouvez-vous lui dire ce que vous en pensez ?
 
Je trouve cette critique justifiée en ce sens que, et la loi aussi d'ailleurs va dans ce sens, nous devons multiplier les unités de vie familiale. Elles existent maintenant depuis quelques années. Nous en sommes à 80 environ. Elles sont principalement destinées effectivement aux personnes condamnées. Il faut qu'elles soient possibles aussi pour les personnes qui sont prévenues. L'unité de vie familiale, c'est une sorte d'appartement dans un contexte pénitentiaire mais évidemment à l'écart des cellules où on peut non seulement avoir une vie sexuelle mais également une vie familiale, une vie intime. C'est un appartement avec plusieurs chambres, une cuisine etc., un lieu de vie. Et évidemment c'est une fréquence d'environ une fois par trimestre, ce qui est peut-être encore insuffisant, pendant une durée qui peut varier d'une demie journée à trois jours. Il y a toute une série de possibilités. Comme on ne pourra pas en faire tout de suite partout, y compris dans les vieux bâtiments, dans les vieilles prisons, vous imaginez que ce n'est pas toujours possible. On met également en place - et ça aussi nous allons le démultiplier -, des parloirs familiaux qui permettent sur une durée plus courte mais qui peut aller jusqu'à 12 heures, la possibilité à la fois d'un contact familial plus approfondi mais aussi la possibilité d'une vie intime et sexuelle. C'est tout à fait normal qu'on développe ces possibilités. Et l'argument présenté par votre auditeur sur le maintien du lien et sur la nécessité, en plus de la peine, en plus de tout ce qui s'est passé, de ne pas détruire des couples et des familles qui ont une certaine stabilité - ce qui est très important aussi et pour le moral de la personne détenue et pour la préparation de sa sortie - c'est un point tout à fait important sur lequel la loi va nous permettre de progresser.
 
Alors troisième question, toujours d'A. Ben Othman, 17 ans de prison. C'est sur les très longues peines.
 
A. Ben Othman : Est-ce que le fait de créer des peines incompressibles de 22 ans, de 30 ans avec des peines de sûreté de 18 ans, de 22 ans, n'est-ce pas une nouvelle manière de condamner à la mort lente ? En rappelant évidemment l'appel des dix de Clairvaux, il y a dix perpétuités de la centrale de Clairvaux qui ont demandé le rétablissement de la peine de mort.
 
Les longues peines de sûreté, 22 ans et même jusqu'à 30 ans pour les cas les plus extrêmes.
 
C'est évidemment pour des faits extrêmement graves. Tout le monde aujourd'hui, depuis qu'il n'y a plus la peine de mort, a la perspective de sortir un jour. La question qui est liée à cette autre question c'est aussi la question de la surveillance ou de la rétention de sûreté. C'est-à-dire comment après la fin d'une peine, et qui peut être éventuellement réduite à la suite de bonnes conditions de détention, enfin un bon comportement, comment éviter que des personnes pour certains types de délit, notamment des gens très dangereux, ne sortent en situation de dangerosité pour autrui. Il y a à la fois pour certains une dimension psychiatrique avec un suivi médical, avec d'ailleurs - c'est un peu d'actualité ces derniers temps -, une incitation peut-être, et il y aura vraisemblablement un texte dans quelques semaines, à accepter un traitement de castration chimique pour un certain nombre de personnes. Ce ne sera jamais obligatoire, ce sera aux gens de le décider. Mais s'ils le refusent, le médecin dira quel est leur degré de dangerosité. Ca c'est une réponse pour un certain nombre de criminels. Pour d'autres, ça se pose en d'autres termes mais une fois qu'on sera plus au clair - on a déjà eu des lois en 2007 et en 2008 qui ont amélioré cette question de la sûreté, une fois qu'on sera plus au clair sur ces questions ; il n'y a jamais l'absence totale de risque évidemment mais que le risque pour les victimes soit vraiment réduit au minimum - la question de la durée très longue de certaines peines pourra peut-être être regardée d'une autre manière.
 
Merci J.-M. Bockel, secrétaire d'Etat à la justice qui répondait donc à des questions enregistrées par B. Muller d'anciens prisonniers sur les conditions de détention et le projet de loi pénitentiaire qui est examiné de nouveau aujourd'hui au Parlement.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 8 octobre 2009