Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, à "Canal Plus" le 21 octobre 2009, sur la réponse globale gouvernementale nécessaire aux difficultés des agriculteurs.

Prononcé le

Média : Canal Plus

Texte intégral

M. Biraben et C. Roux.- M. Biraben : Nous allons recevoir maintenant notre invité politique, B. Le Maire, ministre de l'Agriculture. Depuis qu'il est arrivé à ce ministère, il jongle avec la colère des agriculteurs, se fait chahuter par les producteurs de lait et négocie à Bruxelles. "La plus grave crise du secteur depuis trente ans", selon lui. L'Europe a dégagé 280 millions d'euros pour les éleveurs laitiers, d'urgence. « Insuffisant » disent les syndicats que vous avez reçus hier. Bonjour, soyez le bienvenu.

Bonjour.

C. Roux : Bonjour. Avant de parler des agriculteurs, on va évidemment parler de l'affaire Clearstream et de D. de Villepin. Vous êtes l'ancien directeur de cabinet de D. de Villepin. Est-ce que vous comprenez la violence de sa réaction après le réquisitoire d'hier ?

Vous savez, il y a une procédure qui est en cours, le réquisitoire c'est une étape dans une procédure, et moi je me suis fixé comme règle de ne pas faire de commentaire sur une procédure judiciaire en cours. Je crois que c'est la sagesse. Après, il y a une procédure qui doit permettre d'établir la vérité. Je crois que ce que tout le monde souhaite dans cette affaire c'est qu'on fasse toute la lumière et toute la vérité, et on le saura au moment où la justice rendra sa décision, pas au moment des réquisitions.

C. Roux : Vous le connaissez bien, vous l'avez trouvé très marqué au sortir de ce réquisitoire ?

Je le connais bien, j'ai de l'amitié pour lui, j'ai travaillé longtemps avec lui, et j'ai des sentiments personnels que je garderai pour moi.

C. Roux : L'absence de peine d'inéligibilité requise, est-ce que c'est une bonne nouvelle ?

On verra quelle sera la décision de justice qui, je crois, doit être rendue en janvier prochain.

C. Roux : C'est une position inconfortable d'être ministre de N. Sarkozy et ami de D. de Villepin en ce moment ?

Très franchement, non !

C. Roux : Non ?

Ce n'est pas une position inconfortable. Ce qui compte pour moi c'est de faire bien mon travail et, Dieu sait que c'est un travail difficile.

C. Roux : Et d'être un ami fidèle.

Et d'être un ami fidèle.

C. Roux : On passe à l'agriculture.

M. Biraben : Vous pouvez respirer !

C. Roux : Vous avez reçu hier les syndicats agricoles. Les producteurs de lait ont obtenu donc de Bruxelles une enveloppe de 50 millions d'euros. Qui seront les premiers bénéficiaires ?

Moi, je souhaite qu'on cible ces aides sur les exploitants laitiers qui sont les plus en difficulté. Alors, je vois que certains ont fait des divisions un peu rapides en disant : c'est aux alentours de 50 millions qu'on divise par 90 000 exploitants laitiers, donc ça fait pas grandchose.

C. Roux : Tout le monde n'a pas besoin de cette aide.

Mais tout le monde n'a pas autant besoin de cette aide. Et pour cette aide européenne, comme pour les aides supplémentaires sur lesquelles nous sommes en train de travailler, je souhaite qu'on les cible sur les agriculteurs qui sont les plus en difficulté, qu'on fasse très attention...

C. Roux : ...c'est-à-dire sur les petites exploitations, les grandes exploitations ?

Ce n'est pas forcément les petites ou les grandes, c'est particulièrement les jeunes agriculteurs qui viennent de s'installer, qui ont investi 150 000 ou 200 000 euros pour mettre leur exploitation aux normes et qui ont des charges financières très lourdes, ou ceux qui ont investi il y a un an ou deux ans, qui ont mis 200 à 250 000 euros dans leur exploitation. C'est eux qui sont aujourd'hui les plus menacés.

C. Roux : Ca veut dire que ça va être des enveloppes attribuées au cas par cas ?

Ca veut dire qu'on va faire attention à bien cibler sur ceux qui pourraient disparaître à cause de la crise alors même qu'ils sont les plus dynamiques.

C. Roux : On a entendu J. Bové dire « Bruxelles s'est contenté d'une aumône » ; « le compte n'y est pas » disent l'essentiel des syndicats. On a entendu aussi la commissaire danoise qui vous a dit : « vous avez plumé la poule aux oeufs d'or ». Est-ce que votre ligne de crédit est épuisée à Bruxelles ou est-ce que c'est de l'intox ?

Je crois surtout que c'est une somme qui est importante, c'est près de 300 millions d'euros. Moi, je voudrais quand même qu'on regarde la réalité des chiffres.

C. Roux : 50 millions pour la France.

300 millions d'euros, ce n'est pas rien, et 50 millions d'euros pour la France ça n'est pas rien non plus. Je rappelle simplement que le total de l'enveloppe que chaque année l'Union européenne dépense pour le lait c'est 600 millions d'euros, 620 exactement pour les interventions sur le marché du lait. Donc, quand on rajoute près de 300 millions d'euros, c'est quasiment la moitié de l'enveloppe qu'on rajoute pour aider le secteur qui est en crise. Donc, ça n'est pas rien ! Et puis, par ailleurs, ça s'ajoute à tout ce que nous faisons à l'échelle nationale et qui sera complété dans les jours à venir pour permettre à tous les exploitants de passer ce moment difficile dans les meilleures conditions possibles.

C. Roux : Donc, vous considérez d'une certaine manière que le compte est bon, que vous avez suffisamment fait pour la filière du lait et que la crise est en voie de règlement, que tous les ingrédients sont réunis ?

Je pense qu'on ferait une vraie erreur en pensant que la bonne stratégie est d'essayer de chercher d'obtenir toujours plus d'argent de la part de Bruxelles. Ce n'est pas ça la solution. La solution c'est de faire des décisions massives, nationales et européennes, notamment sur les trésoreries des exploitants, pour leur permettre de passer cette année 2009 qui est une année calamiteuse pour l'agriculture française, et en même temps d'ouvrir des perspectives structurelles, parce que c'est bien cela que demandent les exploitants. Ce qu'ils demandent avant tout, et d'ailleurs les manifestants l'ont exprimé avant hier à Luxembourg, c'est de dire : « mais qu'est-ce que nous allons devenir dans deux ans, dans trois ans, dans cinq ans, est-ce que vous allez nous garantir une stabilité du marché ? », c'est ça qu'ils demandent.

C. Roux : Alors, c'est vrai qu'on a beaucoup parlé des producteurs de lait, mais là on apprend, par exemple, que le prix du porc s'effondre, il est passé à 1 euros la carcasse. Ça n'a jamais été le cas, enfin depuis cinq ans, si nos souvenirs sont bons. Est-ce que là aussi vous allez faire un effort pour les producteurs de porc ?

Vos souvenirs sont bons, et là où en revanche on ne peut pas avoir de souvenir, c'est qu'on n'a jamais vu en France une crise dans laquelle tous les secteurs étaient touchés avec violence. Le lait c'est un secteur qui a été mis en avant, qui souffre effectivement, mais le secteur du porc souffre, l'élevage souffre terriblement, les fruits et légumes souffrent, la viticulture souffre, toutes les filières agricoles sont frappées aujourd'hui.

C. Roux : Donc, ça veut dire qu'il faut une réponse globale.

Ça veut dire qu'il faut une réponse globale et ce sur quoi je travaille, les propositions que je soumettrai au Premier ministre et au président de la République d'ici la fin de la semaine, c'est une réponse globale pour toutes les filières.

C. Roux : Est-ce qu'on peut faire une comparaison en disant que vous vous apprêtez à faire pour l'agriculture ce qu'on a fait pour l'automobile ? Est-ce que c'est un peu l'idée ?

Oui, je pense que c'est exactement l'idée. Et l'idée de fond qu'il y a derrière ce n'est pas verser de l'eau dans du sable, c'est de se dire que si nous n'intervenons pas, la crise nous fera faire disparaître des capacités, des talents, un savoir-faire qui ne reviendront jamais en France. C'est ce qui avait été dit sur l'industrie automobile. C'est pour ça que l'Etat était intervenu. C'est ce que je dis aujourd'hui pour l'agriculture française. Si on n'intervient pas, on verra disparaître un savoir-faire et une capacité stratégique...

C. Roux : ... ça veut dire quoi « intervenir » ? Ça veut dire faire des chèques, « intervenir » ? Qu'est-ce que ça veut dire ?

Intervenir ça veut dire soutenir financièrement, notamment sur les questions de trésorerie, toutes les exploitations qui ont aujourd'hui des difficultés majeures et qui pourraient disparaître alors même qu'elles sont les plus dynamiques et qu'elles participent à l'effort économique français...

C. Roux : Sans contrepartie ?

Et c'est prévoir aussi le moyen pour elles de redémarrer, c'est-à-dire d'avoir de nouvelles capacités financières qui leur permettent de se projeter dans l'avenir.

C. Roux : Eux, ce qu'ils demandent aussi c'est de la régulation.

Alors, ce qu'ils demandent aussi - c'est le troisième aspect - c'est des garanties pour l'avenir, c'est-à-dire une régulation européenne qui stabilise les revenus. Je me bats pour cela depuis trois mois, et je crois que nous avons réussi à inverser le cours des choses. On était parti pour une dérégulation totale des marchés européens, on a marqué des points lundi, et la décision stratégique qui a été prise c'est une régulation des marchés.

C. Roux : Est-ce que vous allez demander des contreparties en échange de ces aides ? Une adaptation, une nouvelle agriculture ?

Je crois que ce n'est pas en termes de contreparties qu'il faut réfléchir. En revanche, il faut que chacun ait conscience que l'agriculture française elle a besoin de trois choses : elle a besoin d'un soutien financier important pour passer l'année 2009 ; elle a besoin d'une régulation européenne à l'autre bout pour stabilise les choses et au milieu on a besoin...

C. Roux : ...elle a besoin de s'adapter ?

... on a besoin de décisions structurelles...

C. Roux : ... elle a besoin de s'adapter ou pas ?

On a besoin d'adaptation, notamment dans l'organisation des filières, dans l'organisation des productions, de façon à ce que nous soyons plus compétitifs et plus forts face à la concurrence.

C. Roux : Pardonnez-moi, je ne vois pas bien à quoi ça peut ressembler dans vingt ans l'agriculture vue par B. Le Maire. C'est des grandes exploitations qu'on a soutenues et qu'on a laissé disparaître les petites exploitations ?

Par exemple, dans la filière viticole, qui est une très belle filière française, vous avez plus de 280 organisations de producteurs qui défendent chacun des intérêts légitimes, mais à 280 organisations de producteurs vous défendez mal vos intérêts. Je pense qu'ils ont intérêt à se regrouper. Dans le secteur laitier, je pense que les producteurs ont intérêt à se regrouper. Et dans toutes les filières, je crois qu'il y a des efforts d'organisation à faire. (.../...)

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 octobre 2009