Déclaration de M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel, sur les obligations de l'Etat face au développement du commerce de services éducatifs et de formations, Paris le 3 avril 2001.

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Circonstance : Déjeuner débat sur "Les échanges de services éducatifs : avantages et risques", réunion des ministres de l'OCDE à Paris le 3 avril 2001

Texte intégral

La France vit sous le régime juridique de la liberté de l'enseignement. Elle a libéralisé au cours du cycle de l'Uruguay son enseignement privé, qui est ouvert aux opérateurs étrangers.
La conception française de l'éducation et de la formation, toutefois, exclut de traiter ce champ comme un pur marché, au sens où les régulations à l'uvre au sein d'un marché sont de nature strictement économique.
L'éducation et la formation font en effet en France l'objet d'un droit collectif, individuel et social :
collectif parce qu'elles concourent à la prospérité du pays,
individuel parce qu'elles doivent favoriser non seulement la productivité, mais aussi l'épanouissement de chacun,
social enfin parce accessible à tous, elles fournissent des clés pour l'exercice d'une véritable citoyenneté.
Cette conception n'exclut nullement le développement d'un secteur de formation privé, qu'il soit français ou étranger, mais elle crée des obligations pour l'État, en termes de contrôle, d'incitation, d'orientation.
A cet égard, la question posée par le document cadre de l'Organisation sur le point de savoir si les pouvoirs publics peuvent exercer un contrôle sur la qualité des programmes proposés par des fournisseurs étrangers ne correspond pas à notre problématique, le fait que les fournisseurs soient étrangers ou nationaux ne changeant rien à l'obligation faite à l'État d'exercer son contrôle et son influence de diverses façons. Il le peut, car il le doit. Au demeurant, il ne faut pas exagérer la difficulté de l'entreprise. L'État dispose de moyens efficaces à cette fin.
L'État peut et doit, selon nos conceptions, se donner la capacité de financer partiellement ou complètement des formations, soit qu'il en ouvre l'accès gratuitement au public étudiant dans ses établissements, soit qu'il soutienne de ses subventions certaines d'entre elles.
Ce mode d'intervention permet de favoriser le développement de formations qui ne correspondent pas à une nécessité économique ou d'enrichir des formations par des éléments plus généraux, voire des éléments culturels.
Il revient en l'espèce à l'État de faire en sorte que l'objectif de ces formations ne soit pas la mise sur le marché de personnels " prêts à l'emploi ", voire prêts à un seul emploi.
Par ailleurs, cette intervention garantit que l'accès à ces formations est égal pour tous ceux qui ont l'aptitude à s'y soumettre. Elle constitue donc un facteur important pour un accès démocratique aux savoirs et aux savoir-faire.
Il revient également à la collectivité de définir des normes de qualification. Selon les traditions nationales, ce peut être le fait d'organismes variés. En France, c'est l'Etat qui joue ce rôle, en se réservant le monopole de la délivrance de certaines certifications, soit directement, soit indirectement en validant certaines d'entre elles. Il va de soi que la définition des compétences que recouvrent ces certifications, établie en concertation avec les milieux professionnels concernés, prend en compte les besoins du marché.
Un bon système de garantie des diplômes, quel qu'il soit, apparaît indispensable, pour minimiser les risques d'abus et d'une façon générale, pour préserver leur valeur d'échange. Cette valeur d'échange constitue un gage de progrès pour l'économie.
Elle est également une condition préalable à la reconnaissance des diplômes hors des frontières du pays où ils ont été délivrés et favorise donc finalement l'échange de services éducatifs.
A une conception de marchandisation de l'éducation, la France préfère une conception de coopération éducative dans un objectif de co-développement durable.
En matière de coopération, toutefois, la France intervient fréquemment en réponse aux appels d'offre, voire en complétant la vente d'un bien industriel par un volet de transfert de technologie et de formation des personnels concernés. Mais il importe de souligner qu'une logique purement et systématiquement commerciale de l'échange des services de formation grèverait lourdement la coopération avec les pays en voie de développement et en fausserait l'action.
L'intensification des échanges de services éducatifs, à la faveur, notamment du développement des nouvelles technologies, est un état de fait. Elle apparaît bien comme une chance pour les individus, pour les économies, pour les prestataires de services concernés eux-mêmes, qui, exposés à des comparaisons internationales, sont poussés à améliorer leurs services. En revanche, ces échanges progresseront d'autant mieux que les services en cause seront encadrés par des autorités légitimes qui garantiront leur qualité.
A contrario, une dérégulation poussée et un désengagement des pouvoirs publics ne manqueraient pas d'engendrer un désordre contre-productif et une standardisation commerciale à l'échelle mondiale des services éducatifs, au mépris des besoins spécifiques de chaque économie nationale et au détriment d'un bien précieux entre tous, la diversité culturelle.
(Source http://www.enseignement-professionnel.gouv.fr, le 23 avril 2001)