Interview de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, à "Itélé" le 29 octobre 2009, sur les déficits budgétaires dus à la crise économique et sur les attentes du grand emprunt d'Etat.

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Média : Itélé

Texte intégral

G. Roquette.- Bonjour E. Woerth.

Bonjour.

Vous êtes le ministre du Budget, des Comptes publics, de la Fonction publique et de la Réforme de l'Etat. On commence tout de suite par une question d'actualité : la levée du secret défense. C'est le dernier argument, la dernière carte abattue par C. Pasqua qui a été condamné hier à un an de prison ferme dans l'affaire de l'Angolagate. Vous êtes favorable, vous, à la levée du secret défense ?

Moi, je ne peux pas m'exprimer là-dessus, moi je ne connais pas du tout cette affaire. Ca s'est terminé par un jugement, voilà, donc acte. Maintenant, C. Pasqua dit ce qu'il a à dire sur ce sujet. Je rappelle que la levée du secret défense doit être demandée par un juge, et après, c'est au ministère concerné d'y répondre. Moi, je suis plus spécialisé dans le secret bancaire ou dans le secret fiscal que dans le secret défense, par fonction.

Alors, ce qui est intéressant c'est que sur ce sujet-là, il semblerait qu'il y ait en tout cas un consensus politique parce que même si ce n'est pas votre dossier, le Gouvernement n'a pas dit non, et les socialistes y sont favorables aussi. On écoute tout de suite J.-C. Cambadélis qui répondait à une question là-dessus ce matin. (Extrait interview J.-C. Cambadélis - France Info). E. Woerth, quand on est ministre du Budget on connaît les comptes bancaires des Français, en tout cas quand le secret est levé, vous le disiez. Estce qu'il y a beaucoup d'argent qui circule dans ces ventes d'armes avec des gens qui ne se font pas prendre ?

Ecoutez, je ne sais pas non plus. Enfin, il y a beaucoup d'argent qui circule dans tout le monde entier, il y a beaucoup d'argent lié au blanchiment, il y beaucoup d'argent lié au trafic en tout genre, donc il y a évidemment aussi de l'argent lié aux trafics d'armes. C'est une... bien sûr.

En France, beaucoup de commissions, de rétro commissions ?

Non mais, je n'en sais rien ! Là, vous me posez des questions comme ça, le matin, franchement je n'en sais rien. Nous, on lutte contres les paradis fiscaux, on lutte contre la fraude fiscale, on essaie de rendre le monde plus transparent, et Dieu sait que c'est compliqué, et on essaie de faire en sorte que la France soit exemplaire dans ce domaine-là, voilà. Il y a eu une condamnation d'un ancien ministre bien connu, la justice a fait ce qu'elle devait ou ce qu'elle croyait devoir faire, voilà. Il y a une décision de justice. Après, qu'il y ait une tentative de défense de C. Pasqua, je le comprends bien volontiers. Et puis, après on verra ce que la justice souhaite. Vous savez, le secret défense c'est comme... c'est indispensable dans tous les pays du monde, il y a des intérêts nationaux à protéger. Après, lever ou pas, ça dépend des circonstances.

Votre chantier, cette semaine, c'est le budget de la Sécurité Sociale pour 2010. La Sécurité Sociale c'est 23 milliards de déficit cette année, 30 milliards l'année prochaine. Quelles mesures préparez-vous pour essayer de faire baisser ce déficit ? Est-ce que il y aura moins de remboursements ou plus de cotisations ?

D'abord, ce déficit il est dû, franchement, à la crise, c'est-à-dire c'est une chute des recettes considérables de la Sécurité Sociale parce que les recettes elles sont dues au travail, au fond c'est les cotisations sociales sur le travail. S'il y a du chômage, et malheureusement il y a du chômage, il y a moins de recettes. Donc, 65, 70 % même du déficit c'est la chute des recettes.

Donc, ce n'est pas un déficit structurel.

Oui, c'est également l'idée qu'on tient bien la dépense, quoi. Depuis quinze ans, on n'a jamais autant tenu la dépense de l'assurance, notamment de l'Assurance maladie. Et en ce qui concerne les retraites, il y aura une réforme l'année prochaine, il y a un débat sur les retraites. Donc, ce qu'il faut faire aujourd'hui c'est en réalité affronter ce déficit, laisser se faire, au fond, la chute des recettes parce que si on augmente les impôts on tue la sortie de crise et puis on appauvrit les Français. Donc, il n'est pas question de faire cela. Et puis, en même temps, rechercher des recettes supplémentaires, non pas par une augmentation généralisée des impôts, le Gouvernement a dit et redit que ce n'est pas notre politique, mais en même temps on peut essayer de faire en sorte que par exemple des activités qui ne supportent pas de charges sociales pour telle ou telle raison, on appelle ça des niches sociales, puissent en supporter.


Par exemple ?

Je prends l'exemple... il y a plusieurs exemples, par exemple les contrats d'assurance vie. Quand on les dénoue, notamment par le décès de la personne sur certaines formes de contrats d'assurance vie, il n'y a pas de cotisations sociales. Il faut qu'il y ait des cotisations sociales, il n'y a pas de raison...

... c'est une mesure qui sera très impopulaire ça, parce que vous savez que l'assurance vie c'est l'un des principaux placements des Français.

Oui, mais ça touche pas...

... justement parce que c'était fiscalement et socialement intéressant.

Parce que fiscalement ça continue à être intéressant et socialement ça doit continuer aussi à être intéressant. Juste quand il y a un contrat d'assurance vie, sous certaines formes, je n'ai pas du tout le temps de rentrer dans le détail, dans tous les cas il y a bien prélèvements sociaux, et puis il y a un cas où i n'y a pas prélèvements sociaux. Donc, il faut juste mettre les choses aux normes. Evidemment, chaque fois qu'on touche les niches sociales, il y a évidemment à chaque fois, beaucoup, beaucoup, de gens qui disent : « il ne faut pas faire ça, attention », bon. Moi, je remarque simplement que si on taxe toujours le travail, à ce moment-là on rend le travail moins compétitif, et le travail il s'en va de France. Donc, on doit élargir la base...

Et c'est pour ça que vous avez baissé la taxe professionnelle ?

...Elargir la base, en réalité, de nos prélèvements sociaux.

Vous disiez à l'instant : « on tient bien la dépense ». C'est presque de la provocation.

Mais c'est vrai !

A un moment où vous annoncez 116 milliards d'euros de déficit budgétaire l'année prochaine !

Oui, mais c'est vrai.

Qui est un record absolu !

Mais parce c'est un vrai problème de recettes, parce que l'impôt sur les sociétés s'effondre, parce que la TVA il y en a moins, parce que l'impôt sur le revenu...ça, c'est le fruit totalement de la crise. Jamais la dépense de l'Etat n'a été aussi bien tenue. Alors, je sais bien que de dire ça, avec autant de déficit, ça peut être paradoxal, mais jamais ça été aussi bien tenu.

Parce que le déficit c'est une dépense aussi, parce qu'il y a de la dette avec des emprunts qu'il faudra rembourser, donc il faut payer les intérêts.

Mais si vous faites le contraire, c'est-à-dire si vous vous dites j'ai 116 milliards d'euros de déficit en 2010, il y en avait...enfin, c'est 20 ou 25 milliards de moins qu'en 2009 ? Donc, il y a bien une amélioration. Mais si vous vous dites que c'est à cause des recettes, si vous cherchez à compenser, ça veut dire que vous augmentez les impôts. C'est ça le débat. Aucun pays ne le fait, les Allemands baissent, les Allemands, et Dieu sait qu'on ne peut pas dire qu'ils ne sont pas rigoureux sur le plan budgétaire, mais les Allemands vont baisser leurs impôts. Les Français ont baissé leurs impôts. Nous avons depuis 2007 baissé de 16 milliards d'euros les impôts, personne ne le dit. Eh bien je le dis, 16 milliards d'euros de baisse d'impôts, 10 sur les ménages, 6 sur les entreprises, dont en grande partie la taxe professionnelle, c'est très important de le faire pour la compétitivité du pays.

Donc, vous attendez la reprise pour rembourser les déficits ?

J'attends un regain d'activité, et ce regain d'activité il amène des recettes fiscales et, au fond, il rend la France plus compétitive, plus apte à affronter la compétition dans le monde. On ne peut pas dire, à chaque fois qu'il y a une délocalisation, c'est une horreur, et en même temps rien faire contre ça. On doit conserver le travail en France. Et ce n'est pas en augmentant les impôts qu'on le fera. Et le déficit il est dû à la crise, il n'est pas dû à une mauvaise gestion des dépenses, il est dû à la crise qui a fait chuter les recettes. Pour la Sécurité Sociale, comme pour l'Etat.

D'accord. Alors, vous nous dites « on tient bien la dépense », il y a au moins un sujet sur lequel, apparemment, il n'y a pas consensus, c'est le budget de la France quand elle a présidé l'Union européenne. On écoute tout de suite là-dessus le président de la Cour des Comptes, P. Séguin. (Extrait interview P. Séguin - Europe 1). Alors, ce que raconte P. Séguin, là, c'est que pendant la présidence française de l'Union européenne, il y a eu le Sommet de l'Union pour la Méditerranée en juillet 2008, ça s'est passé au Grand Palais. Pourquoi ? Parce que comme la France avait vendu son Centre de conférence internationale, elle a dû équiper en catastrophe le Grand Palais. Budget pour ça : 16 millions d'euros pour une après-midi de réunion. Quand même, ce n'est pas très raisonnable tout ça !

Si ! Enfin, si, ce n'est pas... il faut bien regarder les choses autrement, ça demanderait un petit peu plus de temps. On a une politique immobilière, l'Etat, qui est à la fois de vendre et à la fois de reconstruire. Donc, nous vendons. L'année dernière, on a vendu pour 4 ou 500 millions d'euros, enfin cette année plutôt, 2009, 4 ou 500 millions d'euros. L'année prochaine, j'espère qu'on vendra pour un milliard d'euros. Ce n'est pas la vente de bijoux de famille, comme le dit le président Séguin, c'est la vente d'immobiliers qui ne sont plus utiles, et on regroupe... Par exemple, le ministère de la Défense va vendre beaucoup d'immobiliers et il va regrouper l'ensemble de ses services au lieu que ce soit sur 36 000 services. Et, au fond, l'Etat, au travers de cela fait aussi des bénéfices. Et quand le président Séguin parle du Centre Kléber, sur l'ensemble de l'opération, l'Etat français a fait un bénéfice dans cette vente et les services du ministère des Affaires étrangères ont été regroupés. Alors, la France a-t-elle ou pas besoin d'un centre de conférences, parce que Kléber c'était un centre de conférences qui était totalement inadapté ? Donc, aujourd'hui, est-ce que la France a besoin d'un centre de conférences modernes, ce qu'on n'a pas, c'est vrai, à Paris il n'y a pas de centre de conférences, c'est incroyable mais c'est comme ça, moderne répondant aux critères aujourd'hui des conférences internationales ? Evidemment qu'on se pose la question, et évidemment qu'au ministère des Affaires étrangères, notamment B. Kouchner est évidemment favorable à cela. Je pense que ce sera le cas, mais c'est des centaines et des centaines de millions d'euros d'investissement. Pourquoi pas ? C'est un sujet qu'il faut évoquer. Mais rien à voir avec les dépenses ponctuelles qui ont été faites sur la présidence française de l'Union européenne. Mais il y a une politique immobilière, et cette politique immobilière ce n'est pas de vendre les bijoux de famille, c'est de vendre l'immobilier inutile. Alors, on ne peut pas dire d'un côté "il faut réduire les déficits", et de l'autre quand on vend de l'immobilier inutile, quand on réforme les administrations et qu'on les re-concentre, ce serait pas une bonne idée. Ben si, c'est une bonne idée ! C'est très difficile, vous savez, la réduction de la dépense publique. Ce n'est jamais la bonne réduction, ce n'est jamais au bon endroit.

Mais il y a un problème de lisibilité quand même dans tout ça, parce que - on prend cet exemple très précis, mais il y en a d'autres -, vous dites : « il faut lutter contre les déficits », et en même temps on va annoncer d'un jour à l'autre un grand emprunt, de quoi ? 40 milliards d'euros, c'est la dernière somme qui court, en tout cas c'est le pronostic de M. Rocard.

Enfin, je n'ai pas à donner de chiffre. Ce qui compte dans le grand emprunt c'est, au fond, d'investir sur les dépenses d'avenir, c'est de se poser des questions sur les dépenses d'avenir sur lesquelles la France est en retard, sur lesquelles on doit jouer plus de compétitivité. C'est ce que je disais, c'est deux sujets différents. On a la fois nos dépenses courantes, le budget de l'Etat, au fond, qui sert à financer l'école de vos enfants, votre défense, votre police, vos implantations internationales, les prestations sociales immenses que l'on verse en France. Et puis de l'autre, on a des dépenses d'investissements à faire qui ne sont pas suffisantes en France. Et l'enjeu, je le dis, l'enjeu des années à venir, c'est que la France elle recommence réellement à investir sur le plan public, ce qu'elle ne fait plus.

40 milliards, vous ne confirmez pas ce chiffre ?

Non, pas du tout. Pour le ministre du Budget, plus la fourchette est basse mieux le ministre du Budget se porte.

Donc, ça veut dire quand même « doucement sur la dépense », c'est ça le message ?

Mais évidemment, doucement sur la dépense, évidemment on doit limiter la dépense, et on a la limite plutôt bien.

Et le financement...

On a limite plutôt bien. Et en même temps, on ne doit pas appuyer sur le frein de la dépense lorsque l'avenir est en cause.

D'accord.

Donc, il y a les deux. Il faut limiter les dépenses de fonctionnement, et donc vendre aussi avec beaucoup d'autres initiatives l'immobilier inutile, voilà, par exemple.

D'accord, on a compris. Et le financement de cet emprunt, plutôt auprès des Français ou plutôt sur les marchés financiers ?

Le moins cher possible, voilà.

Le moins cher.

Le financement le moins cher possible.

Le moins cher possible, ça veut dire sur les marchés financiers parce que c'est beaucoup moins cher aujourd'hui d'emprunter auprès des marchés financiers, sur le marché obligataire, que d'emprunter auprès des Français.

C'est vrai ! Donc, financement le moins cher possible.

Donc, vous êtes quasiment en train de nous annoncer que ça sera comme ça.

Mais, moi, je veux dire, on ne va pour le plaisir augmenter ce prix de l'emprunt. Ce qui compte c'est la rentabilité de l'emprunt, c'est qu'est-ce qu'en retirera l'entreprise France au bout du compte. Elle doit en retirer... Et les Français, ça doit être positif, donc le prix de l'emprunt il doit être inférieur à la rentabilité de l'emprunt. Tous les chefs d'entreprise qui nous écoutent savent ça par coeur.

On saura quand le montant exact de cet emprunt ?

La Commission Juppé-Rocard rend ses conclusions, je crois, d'ici le 10 novembre. Après, il y aura un débat à l'Assemblée nationale, au Sénat, un peu partout dans le pays pour savoir ce qu'est une dépense d'avenir, et puis on parlera des nanotechnologies, des biotechnologies, enfin de tous ces sujets, des grandes infrastructures. Et puis, j'imagine qu'il y aura des décisions politiques prises dans les mois qui viennent. Et à ce moment-là, on fixera le montant de l'emprunt, les modalités de cet emprunt, et puis il y aura un texte financier en début d'année prochaine.

Donc, on saura en début d'année prochaine qui a eu les étrennes avec l'argent du grand emprunt. Merci E. Woerth. Bonne journée.

Ce sera la France, ce sera la France. Les étrennes c'est pour la France, c'est la compétitivité de notre pays.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 novembre 2009