Interview de M. Christian Estrosi, ministre de l'industrie, à "Canal Plus" le 6 novembre 2009, sur le projet de loi sur le changement de statut de La Poste et sur la perception du style présidentiel par l'opinion publique.

Prononcé le

Média : Canal Plus

Texte intégral

C. Roux et M. Biraben.- M. Biraben : Voilà que notre invité politique est arrivé. C. Estrosi, le ministre de l'Industrie, qui a en charge le dossier sensible de l'ouverture du capital de La Poste. Après une votation populaire sur le sujet, qui a mobilisé, la gauche poursuit le combat au Sénat, où le texte est actuellement débattu. Un dossier malgré tout moins sensible que l'accumulation de psychodrames au sein de la majorité...

C. Roux : C'est un anniversaire aujourd'hui, on est à la mi-mandat. N. Sarkozy a reconnu des erreurs, des fautes de goût, notamment ses vacances sur le yacht de monsieur Bolloré. Est-ce qu'il était nécessaire, indispensable, de tourner la page du "bling bling" ?

Moi, je ne jugerai pas le président de la République sur ses sentiments, ses émotions, qui démontrent la dimension humaine qu'a notre chef de l'Etat. Vous avez dit que nous sommes à mi-mandat, ce que je retiens c'est qu'il y a eu près de 90 réformes, que cet homme a modernisé notre pays, là où pendant vingt ou trente ans, personne n'avait osé faire bouger les lignes, comme il l'a fait et que c'est ce qui nous permet sans doute de résister mieux que d'autres au coeur de la crise que nous connaissons, et qui est sans précédent depuis 1929.

C. Roux : 65 % des Français, dans un sondage BVA/La Matinale, sont insatisfaits du style présidentiel. Sur ce point précis, est-ce que vous souhaitez qu'il revienne à une conception plus classique de sa fonction ?

Moi, je souhaite que l'on tire toutes les conséquences au terme du mandat. Bien évidemment qu'à mi-mandat, et c'est le cas pour tous les chefs de l'Etat, quand on est au coeur des réformes, sans doute les plus difficiles qui plus est, personne n'a jamais eu, au cours de la Ve République, ni même de la IVe, à gérer une crise d'une telle ampleur. Chacun est aussi conscient, lorsqu'on lui dit : « Mais si c'était quelqu'un d'autre ? », et tout le monde dit « Oui, effectivement, si c'était quelqu'un d'autre, peut-être que la France ne résisterait pas aussi bien ». Donc on voit aussi que dans cette enquête on ne pose pas toutes les questions aux Français, sur les grandes avancées pour notre pays, en matière environnementale, en matière de justice, d'équité, en direction des plus vulnérables notamment. Je suis moi-même au coeur d'une grande réforme devant le Parlement, qui démontre que nous nous plaçons de manière concurrentielle, offensive, pour conquérir des parts de marché, créer des emplois et lutter contre les délocalisations.

C. Roux : C'est étonnant, parce qu'à chaque fois que l'on reçoit des membres de la majorité, on nous explique que tout va bien à mi-mandat, c'est formidable, les réformes s'accumulent. Lui, reconnaît un certain nombre d'erreurs, notamment sur l'EPAD, sur l'affaire J. Sarkozy. C'est un problème, pour un membre du Gouvernement, de reconnaître qu'il peut y avoir un faux plat, qu'il peut y avoir, à un moment, peut-être, d'un trou d'air à la mi-mandat ?

Mais reconnaître ses erreurs, d'abord, c'est une marque d'humilité, de modestie qui est forte, de la part du président de la République. C'est sa manière à lui d'apprécier peut-être un moment, un trou d'air, qu'il a eu dans... Mais, vous savez, quand on est amené à être à 300 %, comme il l'est, pour son pays, où tous les matins quand on se lève et tous les soirs quand on se couche, on se dit : « est-ce que j'en ai fait suffisamment ? », et en même temps qu'au passage, on se dit « tiens, peut-être que ça, j'aurais dû l'apprécier différemment »...

C. Roux : C'est bien de le dire...

Je crois que c'est bien de le dire, parce que ça fait partie de sa personnalité, être transparent, être en pleine vérité.

C. Roux : Alors, puisque c'est un moment de vérité, avec vous, ce matin, à la mi-parcours de son mandat, on voit la majorité qui se fait entendre en ordre dispersé. Hier, on a reçu J.-F. Copé qui nous disait : « Mais cette cacophonie, c'est très bien, c'est du débat au sein de la majorité, continuons comme ça ». Est-ce que vous pensez que cette attitude-là de la majorité, de certains membres du Gouvernement, les Français le comprennent ?

Non, je ne partage pas tout à fait cette même appréciation, même si je dois reconnaître que J.-F. Copé fait beaucoup pour aider nos réformes à être adoptées et être votées par le Parlement. Nous avons besoin, dans des instants comme ceux-là, de montrer notre unité, de nous rappeler que l'élection du président de la République, N. Sarkozy, nous a amenés - nous, moi-même, qui est élu député - à nous engager sur un projet, sur un programme. Ce qui nous a fait beaucoup de mal au cours des vingt dernières années, chaque fois que nous avons perdu les élections, c'est parce que nous n'avions pas respecté les engagements que nous avions pris devant les Français. Eh bien pour la première fois, nous les respectons. Ce qui compte, c'est de faire le bilan au terme du mandat. Et je crois que c'est à l'honneur de notre majorité, du Gouvernement et du Président, de démontrer qu'on respecte nos engagements. Et je dis à ceux qui, ici ou là, voudraient jouer leur partition personnelle, de démontrer qu'ils sont en cohérence avec les engagements que nous avons pris. La taxe professionnelle, pour moi, le ministre de l'Industrie, de dire à toutes les entreprises, les PME, les industriels français, qu'à partir du 1er janvier prochain, ils ne paieront plus cet impôt si injuste sur les investissements productifs, c'est important de démontrer que l'on respecte...

C. Roux : C'est irresponsable de leur part, pour terminer sur cette partie politique ? C'est irresponsable, dans un contexte comme celui-ci (inaud.) ?

Non, le débat parlementaire est très important parce qu'il permet d'ajuster les choses. On sait bien, par exemple, sur un sujet comme celui-là, qu'il faut un lien entre la collectivité territoriale et l'entreprise. Et donc, je suis sûr que ce débat, qui est riche et qui démontre que chaque parlementaire, peut, avec sa personnalité et son expérience, apporter, mais qu'au terme du débat sur la loi de finances, tout le monde soit callé, les engagements respectés.

C. Roux : La Poste. Alors, il y a, H. Guaino, dont on a parlé sur le grand emprunt, qui vous a un peu savonné la planche. Le conseiller spécial du président de la République a expliqué en fait que ce qu'une loi peut faire, une autre loi peut le défaire, alors que vous expliquiez que La Poste serait "imprivatisable". Est-ce qu'il ne vous complique pas un peu la tâche, H. Guaino ?

Vous n'allez pas jusqu'au bout des choses, car H. Guaino en dit beaucoup plus, et il dit : « Ce n'est pas éternel, mais (inaud.) pour C. Estrosi, c'est la solution juridique la plus élevée de toutes, pour garantir l'avenir à 100 % public de La Poste ». Et pour le mot "éternel", bien évidemment, il s'agit d'une boutade. Il rajoute aussi que bien évidemment, la seule majorité qui pourrait défaire le coté « imprivatisable » de La Poste - qui est le néologisme que j'utilise, parce que ce n'est pas un mot français, bien évidemment, pour bien faire comprendre de quoi il s'agit -, que la seule majorité qui pourrait le défaire, ce sont les socialistes, qui ont privatisé France Télécom, qui ont privatisé EADS, Thomson, ou encore les Autoroutes du Sud de la France, et bien d'autres organismes publics encore.

C. Roux : Mais, le problème, c'est qu'il y a déjà des précédents en matière de privatisation. On pense bien évidemment à ce qu'avait dit N. Sarkozy en 2004 à propos de GDF, il nous avait dit : « Mais non, vous allez voir, il n'y aura pas de privatisation », et après il y a une réalité économique qui fait...

J'avais promis que ce serait « imprivatisable », hier, devant le Sénat, j'ai accepté un amendement de monsieur B. Retailleau, qui fait qu'en inscrivant le préambule de la Constitution de 1946, qui fait que l'on reconnaît un service public à caractère national de La Poste, en inscrivant noir sur blanc ses quatre grandes missions de service public, sur l'aménagement du territoire, sur le prix unique du timbre, sur le service bancaire, sur la livraison de la presse, par exemple, pour pouvoir...

C. Roux : Juste, pour revenir sur 2004, on avait confiance en N. Sarkozy...

Pour pouvoir privatiser...

C. Roux : ...en 2004, pourquoi est-ce que les...

Ce que j'essaie de vous expliquer, c'est qu'il faudrait un gouvernement qui supprime du texte ces quatre missions de service public pour que ça devienne privatisable, c'est extrêmement difficile. En tout cas, et le gouvernement et la majorité parlementaire, qui, je vous le rappelle, est unie, et s'il y a bien un débat parlementaire, entre les centristes et l'UMP, tout le monde est uni autour de la réforme que je propose. C'est bien celle qui est autour de moi aujourd'hui. Nous l'avons inscrit noir sur blanc, donc, qui pourrait rendre privatisable La Poste, si ce n'est les socialistes s'ils revenaient ? Nous voyons bien que dans la démarche d'obstruction parlementaire qu'ils conduisent aujourd'hui, quelque part, ça les dérange que nous rendions ce caractère « imprivatisable ».

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 novembre 2009