Interview de M. Gérard Larcher, président du Sénat, à Europe 1 le 3 novembre 2009, sur le statut de La Poste, la réforme de la taxe professionnelle et la situation en Afghanistan.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Bonjour G. Larcher. La gauche manifeste devant le Sénat pour soutenir la gauche du Sénat contre le changement de statut de La Poste. C'est vous qui présidiez cette nuit la séance. Les sénateurs vont-ils rejeter la réforme de La Poste ?
 
Tout d'abord, bonjour J.-P. Elkabbach. La Poste c'est un sujet important, important pour les Français, important pour les territoires. Et le débat que nous avons eu hier soir en début de discussion générale est un débat qui va sur le fond avec passion.
 
Est-ce qu'ils vont revoter le réforme ?
 
Un service public national, 17.000 points de contacts, 2,7 milliards d'investissements pour La Poste, c'est l'avenir de La Poste qui se joue dans ce changement de statut. Je pense que la majorité sénatoriale quand elle aura reçu un certain nombre de garanties votera parce que c'est l'intérêt de La Poste, c'est l'intérêt du territoire, la transformation du statut de La Poste.
 
Mais est-ce que vous comprenez que les adversaires de cette réforme, les opposants redoutent que malgré les promesses cette Poste soit un jour privatisée ?
 
Elle ne peut pas être privatisée d'autant que l'amendement que B. Retailleau et P. Hérisson, le rapporteur, vont conjointement défendre affirme que La Poste est un service publique national, et là-dessus il y a la protection de la Constitution.
 
La taxe professionnelle arrive en débat au Sénat, aussi. Tout se passe au Sénat. J.-P. Raffarin conduit la fronde d'une trentaine ou presque de sénateurs de la majorité avec en plus J. Arthuis. Est-ce que J. Larcher est un frondeur de plus ? Oui non ?
 
Non, J. Larcher n'a pas le rôle d'être un frondeur, d'être Condé ou un autre. Il a le rôle de faire que cette Assemblée s'exprime et montre à quoi sert le Sénat. Eh bien, vous allez voir à quoi on sert. D'abord les parlementaires ils sont d'accord dans leur majorité pour qu'on remplace la taxe professionnelle qui est antiéconomique pour nos entreprises. Par contre, ils veulent que la contribution économique territoriale qui va remplacer la taxe professionnelle apporte un certain nombre de garanties aux collectivités territoriales.
 
Donc on ne leur a pas encore donné les garanties ?
 
Dès la fin août, avec G. Longuet, puis avec J. Arthuis, j'ai dit au président de la République et au Premier ministre - G. Longuet l'a redit fortement - qu'il fallait laisser au Parlement le soin de définir comment serait réglée la contribution économique...
 
Donc, le Gouvernement vous donne des textes qui sont inachevés et pas préparés ou pas assez bien préparés ?
 
En tous les cas, nous allons avoir un débat dans l'ordre. Un débat dans l'ordre pour faire connaître...
 
C'est bien de reconnaître qu'il y a du désordre !
 
Cher J.-P. Elkabbach, je pense qu'il faut un débat dans l'ordre et vous verrez que le Sénat, après le séminaire du 5 novembre organisé par le président Arthuis, eh bien conduira un débat que je pense dans l'ordre.
 
Est-ce qu'aujourd'hui vous nous dites que le Gouvernement doit renoncer à cette réforme ou la retarder ?
 
Personnellement, j'ai fait un certain nombre de propositions.
 
Oui ou non ?
 
Je pense que le Gouvernement a besoin, dans le cadre du projet de loi de Finances, de conduire cette réforme, que le Gouvernement ne peut pas la conduire n'importe comment, qu'il devra écouter le Sénat, prendre en compte ce que le Sénat va dire à partir du 19 novembre.
 
Et les sénateurs conduits par J. Raffarin, votre ami, en l'état disent qu'ils ne voteront pas la réforme. Est-ce que vous leur dites : Allez, chiche, on vous prend au mot ?
 
Je pense qu'en l'Etat la réforme ne sera pas votée, parce qu'il n'y aura pas l'apport du Sénat. Mais quand il y aura l'apport du Sénat, je crois qu'une majorité pourra se dégager comme cela s'est dégagé sur l'Hôpital. Souvenez-vous, avant l'examen, il y avait en plus des centaines de milliers de manifestants dans les rues et le Sénat a trouvé la solution.
 
Depuis vous avez été élu face à lui à la présidence du Sénat, J.-P. Raffarin paraît ne pas trouver un rôle, une place à la mesure de ses ambitions. Qu'est ce qu'il cherche J.-P. Raffarin ? Pourquoi ce raffut ?
 
J.-P. Raffarin il est un parlementaire parmi les parlementaires. Il exprime avec un certain nombre de collègues dans une tribune ce que J. Longuet, J. Arthuis et beaucoup d'autres collègues ont exprimé, notamment C. Belot et la mission...
 
Vous banalisez son action et ses propos !
 
Non. Mais qu'est-ce que j'avais dit à vos confrères du Monde ? Qu'est-ce que j'avais dit, début juillet ? Le texte ne sortira pas du Sénat comme il y est rentré. Eh bien, maintenant nous avons le rendez-vous. Et ce rendez-vous il va se prolonger sur la réforme des collectivités territoriales à partir de la mi décembre.
 
On voit bien que dans l'ordre, d'abord la réforme sur la taxe professionnelle et ensuite les collectivités locales ?
 
C'est là, j'allais dire où il faudra se donner une clause de rendez-vous. Parce qu'une fois qu'on saura qui fait quoi, il faudra sans doute réajuster un certain nombre de choix sur la taxe professionnelle.
 
Les députés ont supprimé les avantages fiscaux accordés aux sportifs de haut niveau au nom du droit à l'image. R. Bachelot est pour, R. Yade est contre, X. Bertrand en appelle à vous, J.-F. Copé est mécontent. Est-ce que vous souhaitez que le Sénat rétablisse les avantages des sportifs ?
 
Moi je suis pour l'équité fiscale entre les Français. J'ai beaucoup de respect pour les 1.200 joueurs de football et de rugby concernés mais je pense qu'aujourd'hui nous devons, tranquillement et sereinement, rechercher plus d'équité fiscale. Voilà pourquoi il m'étonnerait - mais c'est la liberté du Sénat - que le Sénat ne reprenne pas assez largement les positons de l'Assemblée nationale.
 
C'est-à-dire que les footballeurs, les handballeurs, les rugbymen ne resteront pas des privilégiés intouchables.
 
Cela fait 36 millions d'exonérations, c'est plus que la somme qu'on consacre au sport amateur. D'un côté, 1.200 joueurs, que je respecte - important pour l'image du sport - et de l'autre côté, des millions d'amateurs. Le principe d'équité du Parlement doit être respecté.
 
Des sénateurs rebelles, des députés aussi qui appartiennent à la majorité présidentielle... qu'est-ce qui se passe en ce moment ? Est-ce qu'ils croient que l'Elysée et Matignon sont affaiblis ?
 
Non, je pense que le Parlement est en train, j'allais dire de prendre en compte les nouveaux pouvoirs que la réforme constitutionnelle lui a donnés. Et je dois dire, on le voit au travers de La Poste : un texte par exemple qui est celui de la commission. Ça a une tonalité différente, on l'a senti dès hier soir.
 
Reconnaissez, vous avez dit vous-même "il faut un débat dans l'ordre, pas dans le désordre". Mais c'est bizarre, le chat est là, à l'Elysée, et les souris dansent ! Est-ce qu'elles n'ont plus peur du chat ?
 
Je pense que la nature de la souris parlementaire est de parlementer, donc de débattre, pas simplement de danser, parce que souvenez-vous de "La cigale et de la fourmi". Eh bien, nous sommes aussi fourmis au Sénat et, tout doucement, au côté des cigales qui parfois s'expriment uniquement en chantant, nous allons faire un travail en profondeur car quand l'hiver sera venu, nous aurons nos réserves pour l'hiver et le printemps.
 
C'est Jean de la Fontaine qui sera content. Mais attention au coup de patte du chat s'il a encore des griffes. Alors, vous rentrez d'Afghanistan, avec des sénateurs de toutes tendances, d'un voyage dont vous vous souviendrez. Vous avez vécu le terrible attentat de Kaboul. Vous étiez presque déjà à votre hôtel.
 
En tous les cas, ce que nous avons vu d'abord c'est des soldats de l'armée française aujourd'hui engagés avec détermination au côté des Afghans pour sécuriser, pour j'allais dire ne pas revenir à la situation d'avant 2001. Je voudrais simplement dire ce que c'était avant 2001 : pas de police, pas de justice, pas d'armée, surtout pas d'éducation pour les jeunes femmes. Aujourd'hui, 40 % des jeunes filles sont scolarisés.
 
Les attentats continuent. Est-ce que les soldats français sont en danger aujourd'hui ?
 
Chaque soldat est par nature en danger et nous, nous devons de leur assurer les meilleurs moyens, ce qui est le cas. Et en même temps, il y a aux Afghans à répondre : demain, lutter contre la corruption c'est essentiel. Monsieur Karzaï a beaucoup à balayer devant sa porte...
 
Lui le corrompu, le fraudeur va être le premier à lutter contre sa fraude...
 
Il a beaucoup à balayer devant sa porte. La deuxième des choses, c'est qu'il faut continuer à assurer le transfert aux Afghans et notamment à l'armée afghane, à la police et à la justice afghanes. Voilà pourquoi le général Mac Crystal propose une analyse qui nous semble particulièrement intéressante.
 
Est-ce que vous pensez que Abdullah Abdullah, que vous avez vu, Karzaï que vous avez vu, vont gouverner ensemble ?
 
En tout les cas, cet appel à un projet de Gouvernement qui soit commun est indispensable pour que les Afghans demain puissent avoir leur destin en main et ne reviennent pas aux horribles heures d'avant 2001. C'est aussi un enjeu de société.
 
Vous avez connu l'attentat, vous étiez à l'hôtel, et votre hélicoptère la nuit a servi de cible ?
 
Oui, n'exagérons pas. Nous avons vécu des choses en direct. Ce n'est rien à côté de ce que nos soldats vivent, à côté de ce que des fonctionnaires internationaux vivent et ont payé de leur vie, pour 5 d'entre eux, la semaine dernière, ne l'oublions pas.
 
C'est drôle, des sénateurs sur tous les fronts : à la guerre, la vraie, et en première ligne pour les réformes. Est-ce que cela veut dire qu'on a besoin, si on fait appel à eux, à des conservateurs ?
 
On a besoin j'allais dire de deux chambres. Donc, il y a un vrai dialogue. C'est cela la démocratie en profondeur.
  Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 12 novembre 2009