Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, sur le contenu du plan d'urgence à l'agriculture et les objectifs du futur projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (régulation des marchés agricoles, amélioration de l'organisation de l'agriculture, avenir de la PAC), Paris le 10 novembre 2009.

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Circonstance : Congrès de COOP de France (syndicat national des entreprises coopératives agricoles, agroalimentaires et agro-industrielles), à Paris les 9 et 10 novembre 2009

Texte intégral

Je voudrais d'abord saluer, évidemment, l'engagement coopératif qui est le vôtre et rappeler la réalité que représente la coopération en France.
3000 coopératives, plus de 150 000 salariés, 80 milliards d'euros de chiffre d'affaires avec les filiales, c'est évidemment quelque chose de tout à fait considérable. C'est un modèle économique qui tient la route, surtout en période de crise.
Et puis c'est également, je le dis comme gaulliste, un choix politique qui me convient parfaitement, c'est-à-dire le choix d'une association directe des agriculteurs à l'activité économique qui est la leur à travers la détention du capital dans une coopérative. Et je ne le dis sous forme de discours, Philippe Mangin a eu la gentillesse de rappeler l'engagement personnel qui a été le mien, et qui reste le mien, en faveur du rapprochement de Sodiaal et d'Entremont alliance. C'est une opération difficile, c'est une opération lourde mais vous pouvez compter sur cet engagement parce que je crois qu'il permettra d'aboutir à la constitution d'une grande industrie coopérative laitière et à un paysage concurrentiel équilibré en France, qui correspond là aussi à notre modèle économique.
Je suis également tout aussi mobilisé, et je réponds à votre question sur ce sujet, pour démontrer à la Commission qu'il n'y a pas de distorsion de concurrence des coopératives avec les sociétés commerciales.
Je discute souvent avec la Commission européenne, c'est une partie non négligeable de mon travail, parfois il faut un peu hausser le ton pour se faire entendre, c'est vrai sur ce sujet-là, comme sur d'autre, mais je n'ai pas l'habitude, vous le savez, de mâcher mes mots et si je peux vous aider à vous faire entendre sur ce sujet, je le ferai, bien entendu, très volontiers.
Je voudrais profiter de ce discours pour rappeler dans quelles circonstances nous nous trouvons et quelle est la stratégie que j'entends continuer à suivre avec le Premier ministre et le Président de la République, pour défendre les intérêts agricoles français.
Nous traversons, je l'ai dit, je le redis, et je continuerai à le marteler, une crise économique sans précédent dans l'agriculture française. Eh bien, si nous voulons sortir de cette crise et en sortir plus forts que nous y sommes rentrés, je crois qu'il faut à la fois, du dialogue, de l'audace et de la vision.
Du dialogue pour se comprendre. Il n'est pas toujours évident de se comprendre lorsque les intérêts sont différents, lorsque les intérêts sont aussi divers que ceux du monde agricole français. Eh bien, je crois, je le redis, à la force du dialogue. Je vois ici beaucoup de personnes avec qui je dialogue très régulièrement, au premier rang duquel, Jean-Michel Lemétayer, que j'ai encore vu ce matin très longuement. Il nous arrive d'être en désaccord, il nous arrive d'avoir des différences mais nous travaillons pour le bien de l'agriculture française. Et c'est ce bien-là que nous devons défendre et nous n'y arriverons qu'en échangeant, comme nous allons le faire aujourd'hui à l'occasion de cette journée.
De l'audace également parce que nous ne sommes pas seuls. Il y a, au cas où cela aurait échappé à certains, à l'extérieur évidemment de cette salle, d'autres agricultures européennes. Je pense, par exemple, à l'agriculture allemande, j'aurais l'occasion d'y revenir, qui a gagné en compétitivité, qui a gagné en capacité de concurrence. Je pense naturellement à d'autres agricultures émergentes, je pense à l'agriculture du Brésil, je pense à l'agriculture de l'Inde, je pense à l'agriculture de la Chine. Toutes ces données-là sont nouvelles, toutes ces données-là changent, eh bien nous ne saurons nous y adapter, nous ne saurons être aussi compétitifs que tous ces pays-là que si nous faisons preuve d'audace. L'immobilisme est quelque chose d'interdit pour l'agriculture française.
Et puis nous avons besoin de vision parce que nous devons savoir où nous voulons aller. Nous voulons savoir quelle agriculture nous voulons défendre en France, comme en Europe. Nous voulons savoir aussi, je tiens à le dire aussi clairement que cela, si nous voulons encore une agriculture en Europe. Parce que si nous la voulons encore, il faut accepter d'en payer le prix, il faut accepter d'en définir l'organisation, il faut accepter d'en définir les modalités, ce sera tout l'objet de la négociation de la PAC 2013, j'aurais l'occasion d'y revenir.
Pour en arriver là, il faut d'abord commencer par le commencement et donc répondre à la crise que traverse aujourd'hui l'agriculture française. C'est tout l'objet du plan qui a été annoncé par le Président de la République à Poligny, le 27 octobre. C'est un plan d'aide sans précédent. Et l'urgence d'aujourd'hui, je le dis le plus clairement possible, ce n'est pas de rediscuter le plan lui-même, ce n'est pas se demander si 1 milliard 650 millions d'euros, qui représente, encore une fois, une somme sans précédent, c'est assez ou pas assez. L'urgence c'est de mettre en oeuvre le plan tout de suite, sans attendre. Et nous avons signé hier avec toutes les banques concernées les conventions de prêts bonifiés qui doivent permettre aujourd'hui à chaque agriculteur français de se rendre la tête haute dans sa banque en sachant qu'il aura l'argent dont il a besoin, soit pour consolider sa dette, soit pour avoir un nouvel emprunt, soit pour avoir l'aide dont il a besoin. Il est impératif aujourd'hui que chaque agriculteur français trouve une réponse aux questions qu'il se pose sur les difficultés qu'il peut rencontrer. C'est l'engagement qu'a pris le Président de la République à Poligny, c'est l'engagement que je défendrai comme ministre de l'Agriculture. Je tiens à préciser d'ailleurs que ces 650 millions d'euros d'aides budgétaires supplémentaires représentent un effort considérable de la part du budget de l'Etat. Ils seront votés en projet de loi de finances rectificatif d'ici quelques jours, vous savez que le Premier ministre m'a donné son accord hier, les aides seront donc bien disponibles dans le budget de l'Etat, ce sont des aides nouvelles, et c'est une aide considérable de la part de l'Etat français.
Dans ces aides, je ne vais pas toutes les détailler, vous les connaissez et ce n'est pas l'objet principal de mon intervention, je tiens à signaler aussi qu'une partie importante sera consacrée à l'allègement du coût du travail dans le travail occasionnel dans l'ensemble des filières agricoles. Notre objectif, il est bien, pour répondre à l'interpellation de Philippe Mangin, de gagner en compétitivité, de répondre à ce défi de la compétitivité. Grâce à cet allègement massif du coût du travail occasionnel dans l'ensemble des filières agricoles, nous ferons passer le coût du travail, pour les salariés occasionnels, à un peu plus de 9 euros, c'est un gain de compétitivité majeur pour l'ensemble des filières agricoles. Je tiens à préciser aussi que ce n'est pas la fin de l'histoire, et c'est pour le travail occasionnel comme c'est vrai pour la d'autres questions de compétitivité des filières agricoles. Nous devons nous pencher aussi sur la question du travail permanent. Et je le dis aussi en raison des polémiques que j'ai vues surgir ici ou là ces derniers jours, nous devrons le faire dans le cadre du droit du travail national et des règles européennes. La France n'a pas vocation à être moins-disante dans le domaine social. Elle doit gagner en compétitivité bien sûr, mais elle doit défendre aussi une harmonisation par le haut. L'harmonisation doit faire partie, dans tous les secteurs, d'un des objectifs politiques stratégiques de la France. Harmonisation sociale, harmonisation aussi dans le domaine environnemental, et je crois que nous aurions intérêt dans ce secteur-là à valider une harmonisation par le haut de façon à ce que nos concurrents européens soient soumis aux mêmes règles que nous en matière de développement durable et de respect de l'environnement. La taxe carbone telle qu'elle a été définie par le Président de la République et le Premier ministre met en place un régime particulier qui est favorable à l'agriculture : 75% d'exonération de la taxe avec un remboursement anticipé pour ne pas peser sur les trésoreries des agriculteurs, les 25% restants, je veux le dire très clairement pour répondre une nouvelle fois à Philippe Mangin, ils seront intégralement redistribués au profit des exploitations qui réduiront leur bilan carbone. Tout l'argent reviendra aux agriculteurs. Enfin, nous prévoirons, par voie d'amendements, une exonération des activités de séchage pour les entreprises qui s'engagent à réduire leur émission de gaz à effets de serre.
Une fois passé ce temps de la réponse immédiate, nous aurons besoin de mettre en oeuvre un plan audacieux pour réformer l'agriculture française. Ce plan doit figurer dans la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche que je déposerai au Conseil d'Etat dans les prochains jours pour ensuite être présenté au Conseil des ministres et être sur le bureau des assemblées avant la fin de l'année 2009. Il doit nous permettre d'avancer dans trois directions.
La première direction, c'est la stabilisation des revenus des agriculteurs. Je ne connais personne qui se lancerait à 20 ou 25 ans dans une activité économique avec des variations aussi importantes que celles que connaissent les agriculteurs français depuis des années. Je rappelle que les agriculteurs français ont perdu en 2008 près de 20% de leurs revenus. Je rappelle qu'ils perdront plus de 10% de leurs revenus en 2009. Je rappelle qu'ils ont désormais un revenu systématiquement inférieur au revenu moyen des salariés français. Ce sont des situations qui ne sont pas acceptables. L'un des objectifs majeurs du gouvernement est bien de parvenir à stabiliser le revenu des agriculteurs de telle sorte, et je le pour William Villeneuve que je vois là, que tous les jeunes agriculteurs s'installent stables de manière confiante dans leur activité agricole. Pour stabiliser ce revenu, nous avons besoin de prendre des mesures simples et claires. Nous avons besoin d'un nouveau dispositif assurantiel. Et de ce point de vue là, la loi prévoira l'extension de la déduction pour aléas à la gestion des aléas économiques de façon à prévenir tous les agriculteurs contre les aléas économiques. Je suis également en train d'examiner le plan d'épargne professionnel agricole que vous proposez et qui me semble un dispositif intéressant pour répondre à cette question de la stabilisation du revenu. Je regarde également les moyens qui nous permettraient d'étendre le dispositif assurantiel de manière plus significative que ce qui a été fait jusqu'à présent. Tous ces dispositifs assurantiels doivent permettre aux agriculteurs d'obtenir un revenu plus stable. Ils doivent leur permettre de moins dépendre des aléas de plus en plus importants et des subventions extérieures. Ils doivent permettre tout simplement de permettre à l'agriculteur en France d'être maître de son destin.
La deuxième orientation de cette loi de modernisation, c'est l'amélioration de l'organisation de l'agriculture française. Je crois que cette amélioration doit se faire en tenant compte que l'ensemble des éléments de cette organisation : les organisations de producteurs bien sûr, mais la mise en place aussi de contrats écrits pour l'ensemble des activités agricoles françaises et en dernier lieu les interprofessions, dont le Président de la République a rappelé qu'elles devaient jouer un rôle toujours plus important dans les décisions et les orientations des filières. Sur les organisations de producteurs, on peut évidemment mieux faire, il faut notamment encourager la fédération des organisations de producteurs. On peut dans beaucoup de secteurs améliorer les choses à l'exemple de la forêt, et je veux là-aussi être très direct, le décret sur la reconnaissance des organisations de producteurs pour la forêt sera signé début 2010. Il tiendra compte des spécificités du secteur forestier, je tiens de ce point de vue là à saluer après vous tout le dynamisme des compagnies forestières qui ont été en première ligne après la tempête Klaus. Mais nous devons faire attention dans cette consolidation des organisations de producteurs, en avançant dans ce renforcement de la fédération, nous devons faire attention à ce que chacun puisse avancer à son rythme. De ce point-là, je veillerai, dans le cadre de la loi, à ce que chacun puisse avancer à son rythme.
Je suis un spécialiste de Proust, vous l'avez rappelé, mais j'aime la littérature française tout court. Je me souviens de ce mot de Voltaire, qui un jour devait se rendre, toutes affaires cessantes, voir une personnalité très importante et le dit à son cochet. Son cochet fouette les chevaux, la calèche avance à toute vitesse sur des chemins un peu défoncés, elle menace de renverser, et Voltaire dit à travers la fenêtre à son cochet : « Ralentissez, monsieur, je suis pressé ». Et bien je crois qu'en matière d'organisation de producteurs il faudra savoir avancer au rythme de chacun, en tenant compte des contraintes des uns et des autres.
Deuxième élément de l'organisation, parce que je crois qu'il n'y a pas que l'organisation de producteurs, même si on peut progresser sur ce sujet là. Le deuxième élément, c'est le contrat. Le contrat écrit doit devenir, dans la France agricole, la règle de la relation commerciale. Et pour le coup, cette règle figurera dans la loi de modernisation de l'agriculture, je m'y engage aujourd'hui. Alors je veux bien préciser les choses là aussi pour lever toute ambiguïté. Les contrats, ce n'est pas l'intégration. Les contrats, ce n'est pas la transformation des agriculteurs en salariés industriels. Les contrats préservent, au contraire, l'indépendance et la liberté de manoeuvre des agriculteurs français. Ces contrats devront reposer sur trois éléments.
Le premier, c'est une définition par la loi. Ca semble aller de soi, mais c'est une garantie importante que je donne aujourd'hui. La forme des contrats devra être définie par la loi. Ces contrats devront comprendre notamment des indications et des engagements sur les volumes, sur les prix et sur la durée.
Deuxième élément : ces contrats ne pourront pas être les mêmes pour toutes les filières, parce que la situation dans la filière du lait n'est pas la même que dans la situation de la filière des céréales, qui n'est pas la même dans la filière de l'élevage. A chaque fois les contraintes de production sont différentes. Donc il faudra que les interprofessions jouent un rôle dans la définition de ces contrats pour les différentes filières.
Enfin, troisième élément que je tiens à souligner : il faudra qu'il y ait bien entendu une garantie publique dans la mise en oeuvre de ces contrats. Je crois que c'est aussi un élément d'assurance important pour l'ensemble des producteurs que de savoir que la puissance publique continuera de jouer un rôle dans la surveillance de mise en oeuvre de ces contrats. Troisième pilier de l'organisation agricole : ce sont les interprofessions, le Président de la République l'a dit très clairement à Poligny : nous souhaitons renforcer leur rôle, leur rôle d'initiative, leur rôle de décision, leur rôle d'orientation des filières. Cela passera aussi par une réévaluation de ces missions et de leur fonctionnement.
J'ajoute enfin sur la question de l'organisation agricole qu'il est indispensable que nous puissions mieux définir les relations en termes de prix et de marges entre les producteurs et l'aval de la filière. Nous avons un observatoire des prix et des marges, très bien. Je crois que c'est une décision importante et utile qui avait été prise par Christine Lagarde et Luc Chatel à l'époque, et reprise par Hervé Novelli aujourd'hui. Je souhaite que cet observatoire ne soit pas simplement un instrument d'observation mais aussi un instrument d'aide à la décision. Je proposerai donc au Premier ministre et au Président de la République, dans le cadre de cette loi de modernisation de l'agriculture, un renforcement de l'observatoire des prix et des marges pour avoir une vision plus précise de la répartition de la valeur ajoutée entre producteurs, industriels et distributeurs, et pour nous permettre d'en tirer toutes les conséquences. Voilà les quelques éléments que je voulais vous apporter sur le projet de loi de modernisation de l'agriculture.
Je voudrais ajouter un dernier point qui paraît aller de soi, mais qui fait partie de ces évidences sur lesquelles le décalage entre le discours et la réalité est tel que le discours n'est plus crédible. Ce point, c'est la préservation des terres agricoles. Nous avons chaque année 70 000 ou 75 000 hectares de surfaces agricoles, qui disparaissent au profit de l'urbanisation ou de la construction de grandes infrastructures. Je rappelle qu'au début des années 1960, ce chiffre était de l'ordre de 30 000 par an. Il a donc plus que doublé en l'espace d'un demi siècle. Nous perdons tous les 10 ans l'équivalent d'un département en surface agricole utile en France. Dans les départements d'Outre-mer, si nous n'y prenons pas garde, dans les Antilles par exemple, au rythme où va la disparition agricole, dans 30 ans il n'y aura plus de terre agricole dans les Antilles françaises. Tout cela, c'est la réalité de la disparition des terres agricoles. Nous ne pouvons pas à la fois être une grande puissance agricole, nous proclamer grande puissance agricole, et admettre que nous perdons chaque année autant de notre capital. Je proposerai donc, toujours dans le cadre de cette loi de modernisation, que nous renforcions de manière significative les dispositifs existants permettant de contrôler l'évolution des terres agricoles en France. Je le dis avec beaucoup de gravité, nous sommes de ce côté-là, et cela fera la transition avec les éléments sur la PAC, à un moment-clef de l'histoire de l'agriculture française. Il faut bien sûr prendre des mesures d'urgence pour aider les agriculteurs les plus en difficulté. Mais il faut aussi avoir le courage de faire les réformes qui s'imposent. Il faut avoir le courage de prendre les mesures de modernisation nécessaires. Il faut aussi avoir le courage de dire la vérité sur la concurrence devant laquelle nous devons faire face, et notamment avec les grands pays européens. Parce que nos premiers concurrents, ce ne sont pas le Brésil, l'Inde ou la Chine, notre premier concurrent, en même temps que notre premier partenaire, c'est d'abord l'Europe, ce sont d'abord les pays européens. Je rappelle que les parts de marché que nous avons perdues dans le secteur laitier, nous ne les avons pas perdues au profit de la Nouvelle-Zélande, au profit des Etats-Unis, au profit de l'Inde et du Brésil, nous les avons perdues au profit de l'Allemagne. Si nous perdons des parts de marché dans le secteur laitier aujourd'hui, c'est aussi parce que nous devons gagner en compétitivité par rapport à notre premier voisin, notre premier partenaire, mais aussi notre premier concurrent qui s'appelle l'Allemagne. Et ces réalités-là, mieux vaut les voir en face, plutôt que de voir jour après jour, comme je le vois, les chiffres s'égrener qui montrent un affaiblissement de notre position concurrentielle, qui montrent également que pour la première industrie exportatrice de France qu'est l'industrie agroalimentaire, nous aurons perdu en un an 50% de notre excédent commercial. Il est donc urgent de réagir, et urgent de prendre les décisions qui s'imposent.
Tout cela doit se faire, et j'en terminerai par là, dans un cadre européen sur lequel la bataille, je ne le cache pas, sera longue et sera difficile. Et là aussi, nous sommes à un moment tout à fait clef de l'histoire européenne. Je ne dis pas simplement de l'histoire de l'agriculture européenne, je dis que nous sommes à un moment clef de l'historie européenne. Parce que ne l'oublions pas, la première, la seule politique européenne, c'est la politique agricole commune. Et par conséquent, tout ce qui détricote la politique agricole commune détricote l'ambition politique de l'Europe. Et tout ce qui affaiblit la politique agricole commune, affaiblit la vision politique que nous pouvons avoir de l'Europe. Soit nous estimons que l'intérêt de l'Union européenne, c'est de s'approvisionner en matières alimentaires au meilleur coût possible, et dans ce cas là, il n'y aura qu'un juge arbitre, ce sont les prix. Et le match par les prix, je vous le dis, c'est un match perdu d'avance pour l'Europe. Il n'y a pas de concurrence par les prix possible pour l'agriculture européenne avec les choix qu'elle a faits aujourd'hui par rapport à d'autres agricultures mondiales. Nous ne parviendrons jamais avec les contraintes légitimes que nous avons imposées à nos producteurs dans toutes les filières. Nous ne parviendrons jamais à être aussi concurrentiels que d'autres pays qui n'ont pas les mêmes contraintes sanitaires, pas les mêmes contraintes environnementales, pas les mêmes contraintes en termes d'emploi. Et tant que les contraintes ne seront pas les mêmes, le kilo de boeuf argentin sera toujours moitié moins cher que le kilo de boeuf Salers ou le kilo de viande limousine. Tant que les contraintes ne seront pas les mêmes, le kilo de tomates produit dans n'importe quel pays du monde sera toujours moins cher que le kilo de tomates produit dans le Vaucluse ou dans les Bouches-du-Rhône. C'est une réalité économique d'évidence, mais qu'il est bon de rappeler.
Soit au contraire, et c'est la voie que je défends, nous estimons que l'intérêt européen est de donner à l'Europe son indépendance alimentaire. Soit nous estimons que l'Europe doit conserver un secteur stratégique comme l'agriculture, soit nous estimons que nous devons garantir la sécurité sanitaire la meilleure au monde pour les 500 millions de citoyens européens, soit nous estimons que nous devons garantir l'équilibre et l'aménagement de tous les territoires européens et pas seulement certaines parcelles de territoires agricoles en Europe, soit nous estimons que nous devons rester le modèle que nous sommes aujourd'hui dans le monde, en matière d'environnement et de développement durable et de lien entre développement durable et agriculture. Et dans ce cas-là, il faut une PAC ambitieuse. C'est cette PAC ambitieuse que je veux défendre. C'est cette PAC volontariste que je veux continuer à porter au nom de la France et au nom de tous les pays européens plus nombreux que l'on ne l'imagine qui sont prêts à soutenir une grande ambition politique pour les 15 ou 20 ans à venir.
Mais pour cela, il ne faut pas en rester à des discours datés, il ne faut pas s'en tenir à des mesures, qui ont fait leur temps, qui ne tiennent pas la route ou qui irritent nos partenaires. Il ne faut pas systématiquement ressasser les mêmes discours. Il ne faut pas systématiquement avancer sur la base des mêmes propositions, parce que là, nous n'arriverons pas à convaincre nos partenaires. Or, le premier défi pour nous, c'est de convaincre les autres pays européens. C'est de faire preuve d'initiative, c'est de faire preuve d'imagination et de clarté dans notre discours. Pour moi, la politique agricole commune doit avoir une nouvelle légitimité. Cette légitimité, pardonnez-moi de le dire aussi brutalement, ce ne sont pas les agriculteurs qui la donneront. La seule légitimité de la PAC se trouve dans l'alimentation des 500 millions de citoyens européens. C'est un renversement majeur par rapport à ce qui a été fait il y a 30 ou 40 ans, mais c'est un renversement qui est nécessaire. Nous devons tous plaider ici pour cette révolution intellectuelle. La PAC n'est pas au service des agriculteurs, la PAC elle est au service des 500 millions de citoyens européens. C'est parce qu'elle aura sa légitimité que nous pourrons défendre une PAC ambitieuse. C'est parce que nous défendrons l'idée d'une bonne alimentation pour les 500 millions de citoyens européens que nous pourrons réclamer d'avantage pour les agriculteurs français qui font cette alimentation et qui fondent cette PAC.
Deuxième élément de clarification du débat : à partir du moment où l'ambition est aussi forte que celle-là, oui il faut maintenir le budget de la politique agricole commune, et donc nous ne sommes pas favorables à une réduction du budget de la PAC telle qu'il est envisagé aujourd'hui dans certains documents de la Commission. Je ne crois pas à une politique qui consiste à déshabiller Pierre pour habiller Paul, je ne crois pas à une politique qui consiste à réduire de 15 ou 20 milliards le budget de la PAC pour financer le budget de l'éducation, de la recherche ou du spatial. Tous ces secteurs sont stratégiques donc tous ces secteurs doivent avoir un financement à la hauteur de nos ambitions.
Troisième élément essentiel de la position française : il est indispensable que la nouvelle politique agricole que j'appelle une politique alimentaire et agricole européenne soit fondée sur une véritable régulation des marchés. Il n'y aura pas de PAC sans un objectif stratégique de l'alimentation. Il n'y aura pas de PAC sans un budget garanti tel qu'il est aujourd'hui. Et il n'y aura pas de PAC sans une régulation des marchés agricoles.
Cette régulation des marchés, qu'est-ce que ça veut dire ? Ca veut dire trois choses. D'abord, ça veut dire des instruments qui nous permettent de garantir des équilibres de marché et tout simplement la défense de nos intérêts. C'et la préférence communautaire renouvelée, telle que l'a proposé le Président de la République et sur laquelle nous travaillons pour lui donner davantage corps. Et c'est la taxe carbone aux frontières car je ne vois pas pourquoi nous taxerions nos propres productions si nous ne sommes pas capables de taxer des importations qui ne respectent pas les mêmes contraintes en terme de diffusion de carbone. Là-dessus, nous devons être intraitables. Il faut de la préférence communautaire. Il faut une taxe carbone aux frontières.
Deuxième élément, nous avons besoin de maintenir des instruments d'intervention pour stabiliser les marchés lorsque les marchés le requièrent. C'est ce que nous avons réussi à obtenir avec le marché du lait, comme quoi l'impossible n'est pas si impossible que cela, en régulant davantage le marché du lait, en prévoyant des instruments d'intervention, du stockage privé amélioré, du stockage public et d'autres instruments d'intervention que nous avons mis en place.
Enfin en troisième lieu, troisième pilier de cette régulation, ce sont des aides légitimes et je rejoins parfaitement les réflexions qui sont faites par Philippe Mangin sur ce sujet-là, il est évident que nous devrons réfléchir à la relégitimation des aides qui sont apportées aux agriculteurs. Nous pouvons réfléchir à des idées comme la modulation des aides en fonction de la situation réelle des marchés. Nous pouvons réfléchir à toute idée qui donner la sentiment à nos partenaires que nous sommes prêts à avancer et que nous ne restons pas dans des schémas qui sont figés. Nous pouvons réfléchir à toute idée qui donnera le sentiment à tous les citoyens européens que les aides que nous apportons aux agriculteurs sont non seulement légitimes mais indispensables. Voilà les trois piliers que je propose pour cette régulation des marchés agricoles à l'échelle européenne : un équilibre des marchés, des aides relégitimées et des instruments d'intervention efficaces pour stabiliser les marchés.
Je prendrai l'initiative, avant la fin de l'année, d'une réunion avec les 21 Etats membres avec lesquels nous avons proposé et obtenu une régulation des marchés du lait de façon à réfléchir à ces propositions et à engager l'initiative sur cette redéfinition de la politique agricole commune d'ici 2013. Le combat ne commence pas demain ou dans six mois, le combat doit commencer aujourd'hui.
Enfin pour terminer, dès la semaine prochaine, dans le cadre de la FAO à Rome, je représenterai le gouvernement et le Président de la République, nous porterons une proposition franco-brésilienne sur le contrôle international de cession des terres agricoles. Philippe Mangin en a parlé, c'est un des sujets géostratégiques majeurs sur lesquels il est indispensable de nous pencher. Nous proposerons également, comme je l'ai fait à l'échelle européenne, de réfléchir davantage à la mise en place de marchés à terme permettant de stabiliser les prix de certaines matières agricoles. Enfin, j'irai naturellement à l'OMC, à la réunion interministérielle de Genève à la fin du mois de novembre pour faire valoir également nos vues en matière de commerce mondial et de commerce des marchés agricoles.
Voilà les quelques éléments que je voulais vous présenter aujourd'hui. Je suis très heureux que nous puissions avoir cette première rencontre collective après toutes les rencontres que j'ai eues avec votre président. Je voudrais profiter de cette rencontre pour vous dire l'importance que j'attache aux contacts directs avec l'ensemble des représentants de la Coopération française, l'importance que j'attache à ce contact direct avec les représentants syndicaux, Jean-Michel Lemétayer, William Villeneuve et avec les représentants de la Coopération, Philippe Mangin ou d'autres qui sont présents aujourd'hui, à un moment où il ne s'agit rien de moins que de redéfinir la place de l'agriculture en France et les modalités de renforcement de l'agriculture en Europe. Nous avons besoin de ce dialogue régulier. Je vous le redis, du dialogue, de l'audace, de la vision, c'est cela qui nous permettra de rester la première agriculture en Europe et de faire de l'Europe la première puissance agricole au monde.
Je vous remercie.
Source http://www.coopdefrance.coop, le 24 novembre 2009