Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, lors de la conférence de presse conjointe avec son homologue palestinien, M. Riad Al-Malki, sur la signature du document cadre de partenariat entre la France et les Territoires palestiniens, Paris le 15 décembre 2009.

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Circonstance : Signature du document cadre de partenariat entre la France et les Territoires palestiniens à Paris le 15 décembre 2009

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureux d'accueillir une fois de plus mon ami le ministre Riad Al-Malki. Des événements évidemment multiples se sont produits depuis notre dernière rencontre. Nous devions signer le document de partenariat entre la France et les Territoires palestiniens à Ramallah, mais le président de l'Autorité palestinienne était à Amman à ce moment-là. Je ne me suis donc pas rendu à Ramallah et je n'ai pas pu signer ce document avec mon ami Riad. Cette signature a donc été reportée à aujourd'hui, mais la solidarité entre la France et la population palestinienne ne date pas d'hier.
Ce document-cadre porte sur un montant de deux cents millions d'euros de dons sur trois ans, ce qui fait soixante-huit millions d'euros par an, avec évidemment des priorités. L'ambassadeur Duquesne pourra vous en parler dans le détail.
Il s'agit à la fois d'une aide-projet, d'une aide budgétaire et d'une aide humanitaire.
Vous connaissez le soutien de la France au plan de réforme et de développement du Premier ministre Salam Fayyad. Nous avons des contacts très suivis avec Salam Fayyad et nous apprécions beaucoup, non seulement son efficacité et son esprit d'initiative, mais la détermination avec laquelle il suit les plans qu'il a présentés et que nous avons acceptés. Ces plans consistent à bâtir les institutions du futur Etat palestinien.
Je crois que c'est le moment ou jamais de soutenir la création de cet Etat palestinien, malgré les difficultés que cela comporte. Lors du précédent chapitre, si j'ose dire, de cette longue histoire, c'est-à-dire le chapitre Annapolis, nous avions beaucoup d'espoirs qui se sont révélés, je l'espère, pas complètement vains mais qui sont bien difficiles à mettre en oeuvre ; nous sommes dans cette phase de difficultés.
Nous venons de nous entretenir avec Riad et, vous le savez, la France et l'Autorité palestinienne, partagent la même analyse. Nous devons retourner aux négociations politiques et faire tout ce que nous pouvons imaginer pour y retourner dans de bonnes conditions. J'ajoute, de plus, que nous sommes les responsables du suivi de la Conférence internationale de Paris des donateurs pour l'Etat palestinien. Il y a longtemps que les acteurs de la Conférence de Paris ne se sont pas réunis. Il faudrait que l'on organise une réunion au début de l'année.
En terme d'aide budgétaire, nous venons de verser, en plus des vingt-cinq millions versés en début d'année, un million et demi pour que le budget palestinien puisse se consolider.
Nous avons également signé un protocole de relations politiques entre l'Autorité palestinienne, le futur Etat palestinien et la France. Cela ne vous étonne pas parce que les rencontres sont très fréquentes : des échanges diplomatiques et des rencontres techniques.
Dernier point, il y a quelques jours, l'Union européenne a produit un texte unanime - cela n'a pas été facile d'être unanime -, un texte que tout le monde a accepté à propos du Moyen-Orient et de la phase actuelle des indispensables négociations. La France n'y a pas été pour rien et il faut aussi saluer, bien sûr, l'obstination de la Présidence suédoise.
A propos des opérations financées dans les Territoires palestiniens, vous savez que j'ai signé en Israël le document qui nous permettait de reconstruire l'hôpital Al-Quds à Gaza. Depuis la Conférence de Paris, nous avons d'autres projets, pour certains déjà financés et cela continue. Sur tout cela et sur ce qui a été interrompu, je voudrais donner la parole à Pierre Duquesne, l'ambassadeur chargé du suivi de la Conférence des donateurs de Paris pour l'Etat palestinien.
M. Pierre Duquesne, - La Conférence de Paris continue à bien marcher. C'était le 17 décembre 2007, nous allons fêter jeudi son second anniversaire. Deux ans après, malgré Gaza, malgré les vicissitudes politiques, nous sommes toujours dans un cercle vertueux où il y a plus d'argent donné que promis à Paris et plus de réformes faites par l'Autorité palestinienne que promises à Paris.
L'année dernière, le soutien s'est élevé à trois milliards de dollars pour l'ensemble de la communauté internationale, sur les trois catégories d'aide que rappelait le ministre. Cette année, on fera le décompte précis à la fin de l'année, mais je ne serais pas étonné que nous soyons autour de 2,5 milliards de dollars. Pour ce qui concerne la seule aide budgétaire, aujourd'hui, il y a 1,3 milliard de dollars, alors que l'Autorité palestinienne, en début d'année, demandait 1,1 milliard de dollars. Les budgets progressent et les projets aussi. Nous avons des petits projets en Cisjordanie et le million et demi de dollars qui vient d'être signé va permettre de financer d'autres petits projets très concrets de ce genre. Nous avons aussi des projets de dimension moyenne.
Nous réalisons, via l'Agence française de Développement, des opérations dans le domaine de l'eau et l'assainissement, des opérations de santé, la pharmacie centrale, etc. A Gaza, la France est engagée dans deux projets. Pour le projet de station d'assainissement des eaux de Betlaya, nous venons de recevoir cinq offres de consortium internationaux pour construire une nouvelle station après avoir consolidé l'ancienne. En ce qui concerne l'hôpital Al-Quds, le ministre en parlait, la France consacre deux millions d'euros et nous aurons, dans les premières semaines de 2010, les réponses aux appels d'offres.
Le ministre a de nouveau obtenu de Benyamin Netanyahou, lors de son déplacement en Israël, il y a trois semaines, la promesse absolument formelle qu'Israël laissera entrer les matériels nécessaires. C'est-à-dire, pour ce qui concerne notre aide, essentiellement du matériel médical et, subsidiairement, du matériel du génie civil.

Q - Je souhaiterais savoir honnêtement si lors de vos négociations avec Israël, vous ne vous sentez pas parfois frustrés? Pensez-vous qu'aujourd'hui Israël est suffisamment fort pour ignorer les plus fortes pressions diplomatiques ?
R - S'agit-il d'une question relevant de la psychologie, de la psychanalyse ou de la politique ? C'est difficile. Oui, nous devons poursuivre; oui, nous sommes déterminés. Néanmoins, vous savez qu'il s'agit d'un très long processus politique avec des hauts et des bas, avec des périodes d'espoirs et des périodes plus difficiles, mais continuons.
(...)
Pour compléter, je voudrais juste vous dire, comme vous le savez, que la France est l'un des rares pays qui puisse parler avec les deux protagonistes, c'est-à-dire aussi bien les Israéliens que les Palestiniens, donc faisons-le une nouvelle fois !

Q - Monsieur le Ministre, quand on parle d'une conférence internationale pour relancer le processus de paix, peut-on préciser un peu les choses ? Où cela bloque-t-il, pourquoi cela n'avance pas, qui est prêt à participer, qui ne l'est pas et pour quelles raisons ?
R - Il y a différentes manières de concevoir une conférence internationale. Il y a une manière traditionnelle et diplomatique qui consiste à savoir d'avance ce que l'on va y faire, d'avoir les textes, les documents. On se réunit et puis on les signe, tout cela était très bien préparé. Or, si l'on applique cette démarche en ce moment pour le Moyen-Orient, et plus précisément pour le conflit israélo-palestinien, cela ne marche pas.
Doit-on donc, comme la France le souhaite et comme le président Sarkozy l'a répété hier au président Moubarak - j'ai fait part de cet entretien à Riad Al-Malki -, essayer de faire redémarrer le Processus de paix, c'est-à-dire les pourparlers politiques comme ils étaient conduits auparavant ? Ils ne s'étaient pas si mal déroulés même si j'ai bien conscience des problèmes, de la question de Jérusalem, de celle des réfugiés, et des frontières. Il n'en reste pas moins qu'inviter le Quartet et quelques pays significatifs, dont évidemment les Etats-Unis, ne paraît pas impossible. Je vous dis les choses comme je les pense. Que risque-t-on ? Si l'on ne fait rien, on n'aura rien. Or, si l'on pousse et qu'il y a une chance de réunir ces protagonistes - qui sont nos amis - pour arrêter enfin des décisions concernant la création d'un Etat palestinien, on espère y arriver. Voilà la situation ou alors on ne fait rien. Je crois que c'est le moment de ne pas désespérer. Au contraire, il y a des signes relativement positifs, la France s'obstine donc.

Q - (A propos de la situation dans les Territoires palestiniens)
R - Je voudrais juste rajouter dans la même veine que ce que vient de dire Riad, il y a urgence. La situation n'est pas mauvaise, mais la situation était meilleure il y a un an. Nous connaissons le but et l'objectif, à savoir celui de l'installation de deux Etats avec Jérusalem pour capitale. Malheureusement, il y a une vraie menace d'un retour à une nouvelle Intifada, nous ne pouvons pas attendre et ne rien faire. Ce fut le sentiment échangé hier par les présidents Moubarak et Sarkozy lors de leur entretien au sujet de l'année 2010. Il y a une véritable urgence à redémarrer le processus politique.

Q - Monsieur le Ministre, juste une précision, vous avez parlé d'un accord cadre politique avec le "futur Etat palestinien". C'est sans précédent un accord avec un "futur Etat". Pouvez-vous préciser un peu plus de quoi il s'agit ?
R - Un observateur comme vous n'a pas été surpris car vous étiez à la Conférence de Paris et c'était une Conférence "pour l'Etat palestinien". Notre grande détermination réside dans la création de cet Etat palestinien, dont je disais à l'instant que tout le monde sait qu'il est nécessaire. Et la sécurité de l'Etat d'Israël, à laquelle nous tenons à 110 %, nous les Français, passe par la création d'un Etat palestinien.
J'ai, en effet, signé un accord cadre politique avec un Etat qui n'est pas encore tout à fait né. Mais c'était déjà ainsi à la Conférence de Paris, c'est peut-être une manière de conjurer le mauvais sort. Il faut que cet Etat palestinien existe.
En Israël, j'ai vu les derniers sondages. 70% des Israéliens pensent qu'un Etat palestinien est nécessaire, 57 % pensent que Jérusalem doit être la capitale des deux Etats.

Q - Monsieur le Ministre, la présidence égyptienne a annoncé hier qu'il y aurait des actions franco-égyptiennes afin de tenter de faire bouger les choses dans les prochaines semaines. Que pouvez-vous faire pour aider au démarrage du Processus de paix ?
R - Nous avons proposé - et le président Moubarak hier en était tout à fait d'accord, il l'était déjà depuis longtemps - aux Américains, aux Israéliens et aux Palestiniens qu'une Conférence, dont nous travaillons à définir le cadre, la substance, puisse se tenir à Paris. Ceci afin que le processus politique redémarre en vue de la création de cet Etat palestinien. Nous ne négligeons pas pour autant des questions qui ne sont pas résolues et il y en a encore un grand nombre. Néanmoins on pourrait commencer. On sait très bien que, par exemple, sur la question des frontières, un accord était presque conclu entre les protagonistes. A l'époque, M. Abou Allah et Mme Tzipi Livni oeuvraient sur ce dossier repris ensuite par M. Ehud Olmert et le président Mahmoud Abbas.
Nous pensons qu'il faut le faire, même si nous sommes un peu déçus par le résultat de ce qui a été tenté valeureusement et courageusement par les Américains, et en particulier par le sénateur Mitchell. Il faut continuer et ne pas se décourager parce que, pour le moment, il y a un blocage. N'oublions pas qu'il y a une initiative arabe très intéressante. Par ailleurs, il faut débloquer la question de la colonisation, pas seulement de la manière dont les Israéliens l'ont fait, ce qui était un progrès, mais un peu plus pour que les Palestiniens et les pays arabes acceptent.
L'ambassadeur Pierre Duquesne, chargé des questions économiques de reconstruction et de développement, (responsable notamment du suivi de la Conférence des donateurs de Paris pour l'Etat palestinien) - Je commence par ce qu'il vient tout juste de dire, nous sommes dans un cercle vertueux, ce qui est assez rare. Il y a plus de réformes donc il y a plus d'argent, il y a plus d'argent donc il y a plus de réformes.
On constate des améliorations sur le terrain, comme l'a dit M. Al-Malki. Je m'y rends très régulièrement, j'y pars d'ailleurs ce soir. Je m'attache toujours à aller en dehors de Ramallah. Par exemple à Naplouse, j'ai constaté des progrès dans la vie quotidienne, et la réouverture des lieux de sociabilité ce qui est signe d'amélioration de la sécurité et le pouvoir d'achat. L'ouverture des points de contrôle de l'armée israélienne autour de Naplouse facilite la circulation des personnes.
N'oubliez pas une chose importante, 50 % de l'aide budgétaire internationale et de la nôtre en particulier va à Gaza. Donc, si Gaza qui se trouve dans une situation vraiment critique survit, c'est aussi grâce à la communauté internationale. Les fonctionnaires, ceux qui travaillent par exemple dans le secteur de la santé et de l'Education, y sont payés. Pour l'essentiel, les fonctionnaires de la paix de l'Autorité palestinienne travaillent. Le Fonds monétaire prévoit une croissance de 7 % en Cisjordanie en 2009 et même 1 % à Gaza.
Sur le terrain, on voit des nouvelles constructions. Cela ne règle pas tous les problèmes, il faudrait développer les zones C, il faut qu'Israël accepte des développements économiques en dehors des strictes zones A. Nous avons un projet qui avance bien, celui de la zone industrielle de Bethlehem.
Comme M. Al-Malki, je ne suis pas tout à fait d'accord avec l'idée que rien n'a changé sur le terrain. Les commerçants ont été remboursés de leurs dettes, les fonctionnaires sont payés. Chaque fois, je vois aussi des représentants du secteur privé. Les choses ont changé sur le terrain. Est-ce parfait ? Non.

Source:http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 décembre 2009